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mercredi, 17 juin 2009

Cela s'approche de nous et pose sa main sur notre épaule

Robert_Doisneau3.jpgÀ quoi reconnaît-on ce que l'on aime. À cet accès soudain de calme, à ce coup porté au coeur et à l'hémorragie qui s'ensuit - une hémorragie de silence dans la parole. Ce que l'on aime n'a pas de nom. Cela s'approche de nous et pose sa main sur notre épaule avant que nous ayons trouvé un mot pour l'arrêter, pour le nommer, pour l'arrêter en le nommant.
(Une petite robe de fête, Christian Bobin)

Photo de Robert Doisneau

dimanche, 14 juin 2009

Je remplace

La_Bacchante_Courbet.jpg"Je remplace la mélancolie par le courage, le doute par la certitude, le désespoir par l’espoir, la méchanceté par le bien, les plaintes par le devoir, le scepticisme par la foi, les sophismes par la froideur du calme et l’orgueil par la modestie."
Lautréamont, Poésies, phrase en exergue

Courbet, Bacchante

samedi, 13 juin 2009

Qu’on l’invoque par le mot juste

IMG_8621.jpg

Il est parfaitement concevable que la splendeur de la vie se tienne prête à côté de chaque être et toujours dans sa plénitude, mais qu’elle soit voilée, enfouie dans les profondeurs, invisible, lointaine. Elle est pourtant là, ni hostile, ni malveillante, ni sourde ; - qu’on l’invoque par le mot juste, par son nom juste, et elle vient. C'est là l'essence de la magie, qui ne crée pas, mais invoque.

Franz Kafka, Journal. 18 octobre 1921

 

Peinture de Frédérique Azaïs-Ferri

mercredi, 10 juin 2009

Le temps, lui, ne peut être, à chaque instant, que vertical, étagé, feuilleté, poudroyant, ouvert

edouard-manet-06.jpg« La désorientation est constante, ponctuelle, courbée, systématique, mais n’engendre aucun désordre, au contraire. L’espace est simplement doublé et organisé en reflet, comme un échiquier. Les canaux, les piquets, les ruelles, les quais, les bateaux, les places, les ponts, les puits, le dallage même, orchestrent cette mise en scène géométrique. Le temps, lui, ne peut être, à chaque instant, que vertical, étagé, feuilleté, poudroyant, ouvert. Venise est un entrelacement de chemins qui ne mènent nulle part et qui se suffisent à eux-mêmes ; une horloge où toutes les heures sont égales » Philippe Sollers, Eloge de l’infini

Edouard Manet, Le Grand Canal à Venise, 1874

lundi, 08 juin 2009

Un soir, j'ai assis la Beauté sur mes genoux

24nov04_henricartier-bresson.jpgJadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s'ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient. 
     Un soir, j'ai assis la Beauté sur mes genoux. Et je l'ai trouvée amère. Et je l'ai injuriée.
     Je me suis armé contre la justice.
     Je me suis enfui. Ô sorcières, ô misère, ô haine, c'est à vous que mon trésor a été confié!
     Je parvins à faire s'évanouir dans mon esprit toute l'espérance humaine. Sur toute joie pour l'étrangler j'ai fait le bond sourd de la bête féroce.
     J'ai appelé les bourreaux pour, en périssant, mordre la crosse de leurs fusils. J'ai appelé les fléaux, pour m'étouffer avec le sable, le sang. Le malheur a été mon dieu. Je me suis allongé dans la boue. Je me suis séché à l'air du crime. Et j'ai joué de bons tours à la folie.
     Et le printemps m'a apporté l'affreux rire de l'idiot.
     Or, tout dernièrement m'étant trouvé sur le point de faire le dernier couac ! j'ai songé à rechercher la clef du festin ancien, où je reprendrais peut-être appétit.
     La charité est cette clef. Cette inspiration prouve que j'ai rêvé !
     "Tu resteras hyène, etc...," se récrie le démon qui me couronna de si aimables pavots. "Gagne la mort avec tous tes appétits, et ton égoïsme et tous les péchés capitaux."
     Ah ! j'en ai trop pris :  Mais, cher Satan, je vous en conjure, une prunelle moins irritée ! et en attendant les quelques petites lâchetés en retard, vous qui aimez dans l'écrivain l'absence des facultés descriptives ou instructives, je vous détache ces quelques hideux feuillets de mon carnet de damné.

Rimbaud, Prologue de Une Saison en enfer

Photo de Henri Cartier-Bresson

samedi, 06 juin 2009

Du coup, une autre vision se dessine

giovanni_bellini_san_zaccaria_venise_6.jpg"Il y a les écrits qu’on lit distraitement, ceux qu’on lit en sachant qu’on ne les relira jamais, et puis, en très petit nombre, ceux qu’on relit sans cesse. On les sait presque par cœur, à la virgule près, mais, rien à faire, ils révèlent toujours quelque chose de nouveau, ils sont actifs sans en avoir l’air, ce sont des émetteurs constants, des trésors. Ils font signe. Du coup, une autre vision se dessine."

Philippe Sollers, Les voyageurs du temps, roman

Giovanni Bellini, L'ange musicien

jeudi, 28 mai 2009

L'inévitable descente du ciel

palazzo%20dello%20spagnolo.gifLes calculs de côté, l'inévitable descente du ciel, et la visite des souvenirs et la séance des rythmes occupent la demeure, la tête et le monde de l'esprit. (Rimbaud)

J'écris pour agir et pour éviter d'être agi (Francis Ponge)

Naples, les escaliers de San Felice

dimanche, 24 mai 2009

Lenz

A852web.jpgLe 20 janvier Lenz marchait dans la montagne. Sommets et hautes pentes sous la neige, dévalant les combes, pierraille grise, pentes verdoyantes, rochers et sapins.
Il faisait un froid humide ; l’eau ruisselait des rochers et bondissait sur le chemin. Les branches des sapins pendaient lourdement dans l’air mouillé. Des nuages gris filaient dans le ciel, mais tout si opaque - et le brouillard d’en bas s’épanchant en vapeurs lourdes et humides à travers les frondaisons, si paresseux, si pesant.
Il avançait, indifférent, sans se soucier du chemin, tantôt en montée, tantôt en descente. Il n’éprouvait aucune fatigue, la seule chose qu’il trouvait désagréable par moments, c’était de ne pouvoir marcher sur la tête.

Lenz, Georg Büchner traduction Bernard Kreiss, edition Jacqueline Chambon (début du texte)

samedi, 16 mai 2009

L'art imite la nature

flickr-2831121376-image.jpg"L'art imite la nature non pas dans ses effets tels quels, mais dans ses causes, dans sa "manière", dans ses procédés qui ne sont qu'une participation etune dérivation dans les choses de l'art divin lui-même"

Paul Claudel

Jean-François Millet, Femme nue couchée, 1844-45,
huile sur toile, 33 x 41 cm,
Musée d'Orsay, Paris.

vendredi, 15 mai 2009

Cent solitudes profondes

nocturne-en-bleu-la-lagune.jpg"Cent solitudes profondes conçoivent ensemble l'image de la ville de Venise - c'est son charme...  Une image pour les hommes de l'avenir."
Nietzsche
Whistler (James Abbott Mac Neill) Nocturne en bleu et argent : la lagune, Venise Huile sur toile 51 x 66 cm Boston, Museum of Fine Arts

lundi, 11 mai 2009

J'ai tout mon temps

Aran_Islands_Inishmore_Ireland.jpgLa rivière se love et sinue à fleur des prés couverts de gelée blanche. Elle est bordée de saules et de moutons couchés qui font deviner son cours imprévisible comme il doit l'être: un méandre de plus est ce qu'une rivière peut faire de mieux; c'est d'ailleurs ce qu'on en attend. La route, elle aussi, étroite, bleue, brillante de glace, tourne sans rime ni raison là où elle pourrait filer droit et prend par la plus forte pente les tertres qu'elle devrait éviter. Elle n'en fait qu'à sa tête. Le ciel, gouverné par vent d'ouest, vient de faire sa toilette, il est d'un bleu dur. Le froid - moins quinze degrés - tient tout le paysage comme dans un poing fermé. Il faut conduire très lentement; j'ai tout mon temps.

Nicolas Bouvier, Journal d'Aran et autres lieux. Extrait, Petite Bibliothèque Payot, 1991

Voir ici ce site sur Nicolas Bouvier

 

vendredi, 08 mai 2009

Roch-Gérard Salager

salager2.jpgRoch-Gérard Salager a publié cinq titres à ce jour : Corps gisant lisse et nu et Paysages d'urgence, chez Jacques Brémond, De voix, de silence et d'eau,  Jour de l'an et Quelques aperçus d'un autre territoire aux éditions La Dragonne. Il poursuit une oeuvre très exigeante et originale, très décalée même. Rien ici de facile, d'évident, Roch-Gérard Salager creuse, fouille les mots, l'écriture est extrêment précise, si concentrée qu'elle en acquiert une certaine rondeur, une puissante subtilité, rendue à sa musicalité finalement : La désignation libère ce que le sens concède au monde, toujours en référence à une histoire, des lieux : Est-il vraiment heureux, ou bien simplement vrai, que la mobilité s'apparente à une sorte de tumulte alors que tout suggérait à l'homme de côtoyer la lente patience du lieu ?

"De voix, de silence et d'eau est une promenade littéraire qui nous emmène à Maguelone, mais aussi sur le Canal du Midi, au Pont du Diable près de Saint-Guillem le Désert et à Montpellier. Il est juste d'affirmer que le lieu appartient à l'espace. Du pied des dunes pourtant, lorsqu'il emprunte le chemin carrossable qui conduit aux édifices de Maguelone, le visiteur est saisi du sentiment contraire : ici le lieu commande à l'espace dont il reste solidaire cependant.

arton679.jpgLes lieux décrits et visités s'enrichissent au fur et à mesure d'éléments qui s'y rattachent - on est vraiment dans une promenade littéraire - si bien qu'on est toujours là et en même temps ailleurs, dans une histoire, des mythologies, mais aussi une réalité, un vrai regard sur le monde, au fin fond de nous-mêmes finalement.

Louazna remarque que son père se fâche lorsqu'il est photographié ou filmé sur les plateaux du nord de l'Afrique en compagnie des bêtes dont il surveille le pâturage. Sa colère se fonde sur la conviction que la pellicule incarcère un instant arraché à tous les instants du monde et, partant, qu'un maillon irremplaçable fera défaut dans le kaléidoscope universel. Les bergers touaregs, poursuit Louazna, considèrent qu'un instant détourné, pour mince qu'il soit, peut provoquer un désordre cosmique susceptible de contrarier un homme en passe d'améliorer sa condition après bien des efforts, d'un autre sur le point d'acquitter une dette envers lui-même, d'un autre encore tout près d'obtenir les faveurs de la bien-aimée, la miséricorde des pierres, l'eau claire d'une oasis... Cela rejoint sans doute cette observation que Cézanne couche sur le papier d'une lettre adressée à son père. "L'instant du monde que je souhaite peindre ne peut être figé."

Plus à lire ici sur Roch-Gérard Salager

jeudi, 07 mai 2009

C'est calme, c'est calme !

POUSSIN.jpg« Ce qui me semble à moi, le plus haut dans l’Art (et le plus difficile), ce n’est ni de faire rire, ni de faire pleurer, ni de vous mettre en rut ou en fureur, mais d’agir à la façon de la nature, c’est-à-dire de faire rêver. Aussi les très belles œuvres ont ce caractère. Elles sont sereines d’aspect et incompréhensibles. (…) Et cependant quelque chose de singulièrement doux plane sur l’ensemble ! C’est l’éclat de la lumière, le sourire du soleil, et c’est calme ! C’est calme !"

Gustave Flaubert, lettre à Louise Colet, 26 août 1853 

Nicolas Poussin : “Le onzième Travaux d´Hercule”

dimanche, 03 mai 2009

And your bird can sing

arton97.jpg"Vous passez à côté des fleurs. Vous n'écoutez pas les oiseaux. Vous êtes même incapable de laisser un arbre là où il est. Cela doit être rappelé au lecteur qui, au lieu de passer son temps à calculer des combines et des inutilités, devrait se demander si, au moins une fois par jour, il a laissé un arbre où il est et une fleur dans son " sans pourquoi ". Vous ne me direz pas que ce rappel n'est pas d'une troublante actualité, compte tenu de la pollution ambiante. Qui dit pollution dit, en réalité, corruption."

Philippe Sollers, La Divine comédie

Henri Matisse, La Perruche et la Sirène, 1953.

Les Beatles, extrait de Revolver, 1966

samedi, 02 mai 2009

L'infini

crbst_a809.jpg"Il y a dans l'être humain quelque chose qui veut sans cesse en finir avec la singularité. Eh bien moi, non, l'infini doit être posé d'abord."

Philippe Sollers, Grand beau temps, Le Cherche midi éditeur

Jacki Maréchal, papiers et collages

jeudi, 30 avril 2009

Un chiffre sacré

Jorn__Asger_-_Didaska_II.jpg"Ce qui se voit ne vient pas de ce qui paraît : trouvez le point d'où vient ce qui paraît, et le Temps vous apparaîtra, le vôtre, rien que le vôtre, le plus singulier, le plus unique, comme s'il était le Temps infini. Il vaut mieux que cela vous arrive avant de mourir. Le moment de mourir n'est pas le vrai moment. Alors, commencez tout de suite. Regardez chaque heure comme un chiffre sacré."

Philippe Sollers, Grand beau temps.

Asger Jorn, ”Didaska I” - 1945

 

mardi, 28 avril 2009

Classer

CD.jpgMon problème, avec les classements, c'est qu'ils ne durent pas ; à peine ai-je fini de mettre de l'ordre que cet ordre est déjà caduc.
Comme tout le monde, je suppose, je suis pris parfois de frénésie de rangement ; l'abondance des choses à ranger, la quasi-impossibilité de les distribuer selon des critères vraiment satisfaisants font que je n'en viens jamais à bout, que je m'arrête à des rangements provisoires et flous, à peine plus efficaces que l'anarchie initiale.
Le résultat de tout cela aboutit à des catégories vraiment étranges ; par exemple, une chemise pleine de papiers divers et sur laquelle est écrit « A CLASSER » ; ou bien un tiroir étiqueté « URGENT 1 » et ne contenant rien (dans le tiroir « URGENT 2 » il y a quelques vieilles photographies, dans le tiroir « URGENT 3 » des cahiers neufs).
Bref, je me débrouille.

Georges Perec, Penser/Classer (1982)

Image trouvée dans l'excellent Cabinet de curiosités d'Eric Poindron

lundi, 27 avril 2009

Possession

DSCN4718.JPG"Nous sommes vraiment les animaux lourds et laboureurs de notre langage qui nous possède d'une façon beaucoup plus fine, beaucoup plus virevoltante, beaucoup plus explosive que nous nous permettons de le penser"

Philippe Sollers, Grand beau temps

Lionel André encre et photographie avec le Yi-king , 2009

samedi, 25 avril 2009

Hystérie

« Les deux syllogismes de l’hystérique : Il m’aime, or je ne suis rien, donc c’est un con. Je l’aime, or je suis lui, donc il est mort. » : Philippe Sollers.

mardi, 21 avril 2009

Fusées encore

photo_original_32814.jpg"Ce qu'il y a d'énivrant dans le mauvais goût, c'est le plaisir aristocratique de déplaire"

Baudelaire, Fusées

Photo : (REUTERS/Pouya Dianat)