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samedi, 30 août 2025

Il était temps

Romain Gary, Morten Lasskogen"Moi, j'aurais voulu être quelqu'un d'autre, j'aurais voulu être moi-même."
Romain Gary
Photo : It was always you by Morten Lasskogen

dimanche, 17 août 2025

Apprentissages

John Cowper Powys"De Lao-Tseu nous apprenons à nous mouvoir imperceptiblement le long de la vie, comme l’eau courante, tandis qu’à la façon de l’eau nous recherchons notre propre niveau en dépit de tout obstacle ; de Kouang-Tseu, la capacité de préserver un détachement ironique à l’égard de toute vanité personnelle, de tout orgueil social, de toute prétention à la supériorité morale, tandis que nous apprenons des arbres inutiles, des personnes simples, des présages fortuits de la voie, l’art protéen de garder notre identité tout en la perdant ; d’Héraclite, à maintenir le feu de notre être dans un combatif état de tension entre les opposés, et à mépriser les idoles du marché ; d’Épictète, à simplifier à l’extrême notre vie, et à garder une humeur égale ; de Marc Aurèle, à pénétrer jusqu’au fond de notre âme la plus profonde et à penser incessamment à l’annihilation de tout en nous-mêmes qui n’est pas “Dieu” ; de Rousseau, à établir comme la principale illusion de notre vie la possibilité de s’abandonner à la volupté d’une communication sensuelle avec la Nature ; et enfin, de Wordsworth, à nous isoler, dans l’austérité et dans la rigueur, de la frivolité et de la trivialité de la société, et à nous consacrer à l’établissement d’une relation mystique avec les éléments primordiaux, jusqu’à ce que nous rentrions en communication avec un Mystère “qui nous dérange par la joie des pensées élevées… par le sublime sentiment de Quelque chose de beaucoup plus profondément confondu…”.
John Cowper Powys. “Une philosophie de la solitude.”
Photo : Old Harry Rocks

vendredi, 15 août 2025

Pizzicato

Le bonheur est un drôle de serpent, RomeRome est cette ville hyperbolique dans les goûts, les saveurs, l’hérésie du baroque, balcons joufflus, débordant de clématites, roses thé, murs ocres délavés, défraîchis, crevassés, granuleux, palette chaude de couleurs - carte du tendre - ors, arabesques, extases, élévations, annonciations, effractions, assomptions, anges musiciens, mosaïques, effigies, brocarts, trompe-l’œil, bas reliefs, enjambements, stucs, travertins, bustes, porphyres, rocailles, frontispices, acanthes, treilles, couronnes, guirlandes, entrelacs, tourbillons, gargouilles, néréïdes, tritons, coquillages, naïades, fontaines jaillissantes, murmures de la pierre et de l’eau égrenant la ville en chapelets de plaisirs, glissando, flots de lumière en tranches napolitaines autour des sept collines avec le Tibre aux reflets céladon comme une couleuvre lovée à ses pieds, en veilleur impassible, gardien du temple.

Le baroque, c’est effacer, tordre, pulvériser. Tout art est baroque. On peut regarder le même chef d’œuvre des années après, il aura changé, ou plutôt il nous aura devancé.

Ici tout me ramène à toi, voilà ce que me racontent ces dentelles de pierre, sonates en or mineur, pizzicato, ces rideaux fuchsia, façades ondoyantes de palais, volupté ciselée dans le marbre. L’intérieur vaut l’extérieur, la vie sinue entre les deux, dissimulée dans les plis du temps.

Dans les Caves du Vatican, cette antre d’Ali Baba, l’éternité se dessine sous nos yeux ; perdus dans un dédale somptueux, immergés dans le plafond de la Sixtine et les Stanze de Raphaël, la peinture est la chair du monde.

Raymond Alcovère, extrait de "Le Bonheur est un drôle de serpent", roman, 2009, éditions Lucie

mardi, 05 août 2025

Le monologue de Novalis

Novalis"Il y a quelque chose de drôle, à vrai dire, dans le fait de parler et d'écrire ; une juste conversation est un pur jeu de mots. L'erreur risible et toujours étonnante, c'est que les gens s'imaginent et croient parler en fonction des choses. Mais le propre du langage, à savoir qu'il est tout uniment occupé que de soi-même, tous l'ignorent. C'est pourquoi le langage est un si merveilleux et fécond mystère : que quelqu'un parle tout simplement pour parler, c'est justement alors qu'il exprime les plus originales et les plus magnifiques vérités. Mais qu'il veuille parler de quelque chose de précis, voilà alors le langage et son jeu qui lui font dire les pires absurdités, et les plus ridicules. C'est bien aussi ce qui nourrit la haine que tant de gens sérieux ont du langage. Ils remarquent sa pétulante espièglerie ; mais ce qu'ils ne remarquent pas, c'est que le bavardage négligé est justement le côté infiniment sérieux de la langue. Si seulement on pouvait faire comprendre aux gens qu'il en va, du langage, comme des formules mathématiques : elles constituent un monde en soi, pour elles seules ; elles jouent entre elles exclusivement, n'expriment rien si ce n'est leur propre nature merveilleuse, ce qui justement fait qu'elles sont si expressives, que justement en elles se reflète le jeu étrange des rapports entre les choses. Membres de la nature, c'est par leur liberté qu'elles sont, et c'est seulement par leurs libres mouvements que s'exprime l'âme du monde, en en faisant tout ensemble une mesure délicate et le plan architectural des choses. De même en va-t-il également du langage : seul celui qui a le sentiment profond de la langue, qui la sent dans son application, son délié, son rythme, son esprit musical; - seul celui qui l'entend dans sa nature intérieure et saisit en soi son mouvement intime et subtil pour, d'après lui, commander à sa plume ou à sa langue et les laisser aller : oui, celui-là seul est prophète. Tandis que celui qui en possède bien la science savante, mais manque par contre et de l'oreille et du sentiment requis pour écrire des vérités comme celles-ci, la langue se moquera de lui et il sera la risée des hommes tout comme Cassandre pour les Troyens.

Mais si je pense avoir, par ceci, précisé de la façon la plus claire l'essence même et la fonction de la poésie, je sais aussi que pas un homme ne le saurait comprendre et que, l'ayant voulu dire, j'ai dit quelque chose de tout à fait stupide, d'où toute poésie est exclue. Pourtant s'il a fallu que je parle ? si, pressé de parler par la parole même, j'avais en moi ce signe de l'intervention et de l'action du langage ? et si ma volonté n'avait aucunement voulu ce qu'il a fallu que je dise? Alors il se pourrait bien que ce fût là, à mon insu, de la poésie, et qu'un mystère de la langue eût été rendu intelligible... Et aussi, donc, que je fusse un écrivain de vocation, puisqu'il n'est d'écrivain qu'habité par la langue, puisque l'écrivain né n'est seulement qu'un inspiré du verbe!"

Novalis