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vendredi, 14 juin 2013

Comme toujours

fete_.jpg"Comme toujours, ici, vers le dix juin, la cause est entendue, le ciel tourne, l'horizon a sa brume permanente et chaude, on entre dans le vrai théâtre des soirs. Il y a des orages, mais ils sont retenus, comprimés, cernés par la force. On marche et on dort autrement, les yeux sont d'autres yeux, la respiration s'enfonce, les bruits trouvent leur profondeur nette. Cette petite planète, par plaques, a son intérêt."

Philippe Sollers, incipit de "La fête à Venise"

dimanche, 09 juin 2013

Envie de fuir

"Comme aux oiseaux voyageurs, il me prend au mois d'octobre une inquiétude qui m'obligerait à changer de climat, si j'avais encore la puissance des ailes et la légèreté des heures : les nuages qui volent à travers le ciel me donnent envie de fuir."


Chateaubriand

lundi, 03 juin 2013

Baltasar Gracian

" Les avantages de la dissimulation sont trois. Le premier est d'endormir ceux qui s'opposeraient à nos intentions, dès qu'elles sont rendues publiques. Le deuxième de nous réserver, à chaque occurrence, une belle retraite : laquelle nous serait interdite, si nous nous étions engagés par quelque déclaration manifeste ; dans ce cas, il nous conviendrait ou d'aller de l'avant, ou de trébucher et tomber. Le troisième avantage est de nous découvrir l'esprit d'autrui : d'où le proverbe espagnol : " Dis un mensonge et tu trouveras une vérité " ; comme s'il n'y avait pas d'autre voie pour découvrir autrui que la dissimulation. "

samedi, 25 mai 2013

Le vent

"Voilà le sommet des arbres qui disparaît, les collines qui s'abaissent ; je vois les villes comme des taches d'encre éclaboussées, les routes telles que des pattes d'insectes qui se prolongent et s'amincissent. La mer ne remue plus, elle est toute plate, on la dirait solide comme la terre, et c'est la terre au contraire qui se balance en oscillant. Je vois les pics des montagnes couverts de neige, qui se tassent les uns près des autres comme des moutons qui se rassemblent en troupeau. Ca saute ! ça danse ! L'air pèse sur ma poitrine, j'étouffe ! Le vent par grandes bouffées me donne des coups dans la figure."

La Tentation de Saint Antoine (version de 1849) Gustave Flaubert

 

 

06:15 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : flaubert

jeudi, 02 mai 2013

Loisible

Une saison en enfer se termine par la phrase suivante : « Et il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps. » Qu’est-ce que ça veut dire : posséder la vérité dans une âme et un corps ? « Loisible », quel mot ! Et puis « posséder » ? Ah,posséder la vérité ! Comment ne pas se faire posséder ? C’est l’expérience de Dostoïevski : dans les souterrains, vous avez affaire à des possédés. Vous les laissez se demander pourquoi ils le sont. C’est à eux de trouver la réponse. J’aime ce mot-là, même argotiquement : être possédé ou non. Un style, on n’arrive pas à le posséder du dehors. Hôlderlin dit, par exemple, que le poète est un demi-dieu. Sa position est très difficile, parce que d’un côté il a affaire à la jalousie rituelle des dieux qui peuvent le rendre fou. Mais il a aussi à se défendre des mortels qui sont par rapport à lui (pour autant que ce verbe est fait de chair) dans une avidité particulière, provoquant des désirs passionnels qui peuvent aller jusqu’à la mise à mort. Alors, entre devenir fou et se faire crucifier par désir, par appropriation désirante, la voie est assez étroite, n’est-ce pas ? Le verbe fait chair est l’objet d’un violent investissement érotique, qui peut déboucher assez facilement sur le meurtre. Comme dit un libertin chez Sade : il ne faut pas que je vous désire trop, autrement vous allez y passer. Il dit cela à Juliette. Je ne vais pas vous regarder trop parce que, sinon, cela ira jusqu’au bout, je vous tuerai. Sade effraie parce qu’il dévoile, au fond, que tout corps veut la mort de l’autre. Peut-il y avoir un Éros, indépendant de la pulsion de mort, un Éros qui ne serait pas le « jumeau » de Thanatos ? Mais oui : c’est cela, le style.C’est un don, une grâce, une musique qui, au fond, n’ont rien d’humain. D’où la jalousie qu’il provoque. C’est ainsi.

Philippe Sollers, Eloge de l'infini (Intervi

jeudi, 25 avril 2013

Romancier

Philippe Sollers"Un romancier est quelqu'un qui a vu, au moins deux fois, quelque chose qu'il ne devait pas voir, et qui en triomphe. C'est tout."

Philippe Sollers, Grand beau temps

mercredi, 17 avril 2013

Ramuz

Charles-Ferdinand Ramuz" J'ai vécu hors du monde, ce qui m'a permis d'échapper à certaines désillusions des hommes de mon âge. Ils étaient attachés à des idées que les événements ont cruellement démenties. De sorte qu'ou bien ils ne sont plus attachés à rien ou bien ils ne le sont qu'à des formes vides auxquelles, seule, leur situation officielle, car ils appartiennent à la génération qui aujourd'hui détient le pouvoir, leur permet de maintenir un semblant de vie. N'ayant pas suivi la mode, il se trouve que je ne suis pas démodé. N'ayant pas été attaché, il se trouve que je ne suis pas détaché. Ni libéral, ni radical, ni bourgeois, ni capitaliste (surtout pas capitaliste). "

Charles-Ferdinand Ramuz

vendredi, 12 avril 2013

Hasard

"GP.jpgLe hasard est en Chine la plus belle matérialisation qui se puisse voir de la qualité particulière de l'instant. Loin d'être haïssable, il est au contraire apprécié puisqu'on peut y lire la configuration qu'à chaque instant le flux du Tao prend spontanément lorsque lui est laissé libre cours."

Cyrille Javary,  Les Rouages du Yi Jing, Philippe Picquier éditions

Photo de Gildas Pasquet

03:27 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : yi jing

lundi, 08 avril 2013

Ca ne vous rappelle rien ?

Un état totalitaire vraiment "efficient" serait celui dans lequel le tout-puissant comité exécutif des chefs politiques et leur armée de directeurs auraient la haute main sur une population d'esclaves qu'il serait inutile de contraindre, parce qu'ils auraient l'amour de leur servitude.

Aldous Huxley

vendredi, 05 avril 2013

Bo Juyi

"Le grand ermite réside à la cour, le petit ermite retourne dans ses collines encloses.

Les collines encloses sont trop désolées, la cour trop tumultueuse.
Mieux vaut être un ermite moyen, ermite tout en demeurant en charge,

Semblant absent tout en étant présent, ni trop occupé, ni trop oisif,

Sans souci ni labeur, échappant à la faim et au froid.
La vie réside en ce seul monde, et par principe il est difficile d'unir deux contraires.

Pauvre on endure le gel et la famine, riche l'anxiété et l'inquiétude abondent.
Seul le lettré ermite médian se retire, en demeurant heureux et tranquille.
Insuccès ou réussite, abondance ou misère, il réside dans l'intermédiaire des quatre."

Bo Juyi (829)

04:52 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : bo juyi

jeudi, 04 avril 2013

La mer au plus près

Albert Camus" J'ai grandi dans la mer et la pauvreté m'a été fastueuse, puis j'ai perdu la mer, tous les luxes alors m'ont paru gris, la misère intolérable. Depuis, j'attends. J'attends les navires du retour, la maison des eaux, le jour limpide.[...]
J'attends longtemps. Parfois, je trébuche, je perds la main, la réussite me fuit. Qu'importe, je suis seul alors. Je me réveille ainsi, dans la nuit, et, à demi endormi, je crois entendre un bruit de vagues, la respiration, des eaux. Réveillé tout à fait, je reconnais le vent dans les feuillages et la rumeur malheureuse de la ville déserte. Ensuite, je n'ai pas trop de tout mon art pour cacher ma détresse ou l'habiller à la mode. [...]
Point de patrie pour le désespéré et moi, je sais que la mer me précède et me suis, j'ai une folie toute prête. Ceux qui s'aiment et qui sont séparés peuvent vivre dans la douleur, mais ce n'est pas le désespoir: ils savent que l'amour existe. Voilà pourquoi je souffre, les yeux secs, de l'exil. J'attends encore. [...]
Le soir venu, sous le ciel qui verdit et recule, la mer, si calme pourtant, s'apaise encore. De courtes vagues soufflent une buée d'écume sur la grève tiède. Les oiseaux de mer ont disparu. Il ne reste qu'un espace, offert au voyage immobile.

Certaines nuits dont la douceur se prolonge, oui, cela aide à mourir de savoir qu'elles reviendront après nous sur la terre et la mer. Grande mer, toujours labourée, toujours vierge, ma religion avec la nuit! Elle nous lave et nous rassasie dans ses sillons stériles, elle nous libère et nous tient debout. [...]
A minuit, seul sur le rivage. Attendre encore, et je partirai. [...] L'espace et le silence pèsent d'un seul poids sur le cœur. [...] Délicieuse angoisse d'être, proximité exquise d'un danger dont nous ne connaissons pas le nom, vivre, alors, est-ce courir à sa perte? A nouveau, sans répit, courons à notre perte.

J'ai toujours eu l'impression de vivre en haute mer, menacé, au cœur d'un bonheur royal. "

(Albert Camus, La mer au plus près)

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dimanche, 03 mars 2013

C'est calme

normal_Michelangelo-The-Last-Judgement-detail1.jpg

« Ce qui me semble à moi, le plus haut dans l’Art (et le plus difficile), ce n’est ni de faire rire, ni de faire pleurer, ni de vous mettre en rut ou en fureur, mais d’agir à la façon de la nature, c’est-à-dire de faire rêver. Aussi les très belles œuvres ont ce caractère. Elles sont sereines d’aspect et incompréhensibles Quant au procédé, elles sont immobiles comme des falaises, houleuses comme l’Océan, pleines de frondaisons, de verdures et de murmures comme des bois, tristes comme le désert, bleues comme le ciel. Homère, Rabelais, Michel-Ange, Shakespeare, Goethe m’apparaissent impitoyables. Cela est sans fond, infini, multiple. Par de petites ouvertures on aperçoit des précipices ; il y a du noir en bas, du vertige. Et cependant quelque chose de singulièrement doux plane sur l’ensemble ! C’est l’éclat de la lumière, le sourire du soleil, et c’est calme ! C’est calme ! ».

Gustave Flaubert, Lettre à Louise Colet, 26 août 1953.

jeudi, 28 février 2013

Kessel

joseph-kessel-un-fou-magnifique.jpgIl est des hommes, lorsqu'on les aborde, avec lesquels les approches, les temps morts qu'exigent à l'ordinaire les règles de politesse,  n'ont pas de sens, parce que ces hommes vivent en dehors de toute convention dans leur propre univers et qu'ils vous y attirent.

Joseph Kessel, Le Lion

jeudi, 21 février 2013

Admiration

dictionnaire amoureux sten.jpgAdmiration - ... La position de Stendhal est d'autant plus remarquable : lui, si caustique, regardant toute chose avec ironie et scepticisme, fait de l'admiration la pierre de touche des esprits supérieurs. Savoir admirer est pour lui la première des vertus, à laquelle font obstacle en France la vanité, la peur, si on s'abandonne, de paraître naïf, de perdre la face à côté d'un arbitre plus savant, plus averti... C'est justement par la fraîcheur de ses enthousiasmes que les écrits de Stendhal sur la peinture, la musique, Rome, ont gardé leur jeunesse intacte. Un guide bien fait établit une hiérarchie entre les " valeurs " ; Stendhal se moque des valeurs et ne consulte que son émotion.  "

lundi, 04 février 2013

Le labyrinthe

laberintos-valence (1).jpgSupposons que je sois sur le point d’écrire une fable, et que deux arguments s’offrent à moi ; ma raison reconnaît que le premier est très supérieur ; le second est résolument médiocre, mais il m’attire. Dans ce cas-là, j’opte toujours pour le second. Chaque page nouvelle est une aventure dans laquelle nous devons nous mettre en jeu.

Borges

dimanche, 03 février 2013

Les hommes vont de multiples chemins

 

Novalis, Rembrandt« Les hommes vont de multiples chemins. Celui qui les suit et qui les compare verra naître des figures qui semblent appartenir à une grande écriture chiffrée qu’il entrevoit partout : sur les ailes, la coquille des œufs, dans les nuages, dans la neige, dans les cristaux et dans la conformation des roches, sur les eaux qui se prennent en glace, au-dedans et au-dehors des montagnes, des plantes, des animaux, des hommes, dans les lumières du ciel, sur les disques de verre et les gâteaux de résine qu'on a touchés et frottés, dans les limailles autour de l'aimant et dans les conjonctures singulières du hasard. On pressent que là est la clé de cette écriture merveilleuse, sa grammaire même ; mais ce pressentiment ne peut prendre aucune forme précise et arrêtée, et il semble se refuser à devenir la clé dernière. Sur les sens des hommes, il semble qu’un alkahest* a été versé. Leurs désirs, leurs pensées ne se condensent qu’un instant seulement. Ainsi leurs intuitions naissent-elles ; mais peu après tout flotte de nouveau, comme auparavant, devant leurs regards.»

* Dissolvant universel des alchimistes

Novalis, Les Disciples à Saïs, début du texte

Rembrandt, autoportrait

 

lundi, 28 janvier 2013

Amants, heureux amants...

Amants, heureux amants, voulez-vous voyager ?

Que ce soit aux rives prochaines.

Soyez-vous l'un à l'autre un monde toujours beau,

Toujours divers, toujours nouveau ;

Tenez-vous lieu de tout, tenez pour rien le reste.

Jean de la Fontaine

vendredi, 18 janvier 2013

Maxime

"La maxime n’a pas besoin d’elle pour se prouver. Un raisonnement demande un raisonnement. La maxime est une loi qui renferme un ensemble de raisonnements. Un raisonnement se complète à mesure qu’il s’approche de la maxime. Devenu maxime, sa perfection rejette les preuves de la métamorphose."

Lautréamont, Poésies II

jeudi, 10 janvier 2013

Au commencement

« Ici, maintenant, au commencement, est le verbe
Et le verbe est avec dieu
Et le verbe est dieu.
Il est sans cesse, sans commencement ni fin, avec dieu.
Tout est par lui,
Et sans lui rien n’est.
Ce qui est en lui est la vie,
Et la vie est la lumière des hommes,
Et la lumière luit dans les ténèbres
Et les ténèbres ne la saisissent pas »

vendredi, 28 décembre 2012

Ils croient que parler est gratuit

Freud, psychanalyse, Philippe Sollers"Qu'est-ce que Freud a découvert ? Il a trouvé que si les gens voulaient aller dans la vérité de leur discours, pas dans une vérité abstraite, dans la vérité vraie, il fallait qu'ils disent ce qui leur passait par la tête, qu'ils racontent leurs rêves, mais aussi qu'ils payent, pour le dire. (...) Autrement dit, ça signifie que les gens ne savent pas ce qu'ils disent, parce qu'ils croient que parler est gratuit."

Philippe Sollers
Peinture du Titien, détail