lundi, 09 juin 2008
Vers le dix juin
Comme toujours, ici, vers le dix juin, la cause est entendue, le ciel tourne, l’horizon a sa brume permanente et chaude, on entre dans le vrai théâtre des soirs. Il y a des orages, mais ils sont retenus, comprimés, cernés par la force. On marche et on dort autrement, les yeux sont d’autres yeux, la respiration s’enfonce, les bruits trouvent leur profondeur nette. Cette petite planète, par plaques, a son intérêt.
Philippe Sollers, LA FÊTE À VENISE, début du roman
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Panem et circen...
« Voilà un artiste comme je les aime : modeste dans ses besoins. Il ne demande, au fond, que deux choses, son pain et son art… Panem et circen… » : Nietzsche.
00:35 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : nietzsche, art
lundi, 02 juin 2008
Sur l'ouverture des fenêtres
« Dans la précision des assemblages, la rareté des éléments, le poli de la surface, l’harmonie de l’ensemble, n’y a-t-il pas une vertu intrinsèque, une espèce de force divine, quelque chose d’éternel comme un principe ? »
Flaubert
Lire ici quelques éclairages sur son oeuvre
Salvador Dali, "Marché d'esclaves avec apparition du buste invisible de Voltaire"
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jeudi, 29 mai 2008
Ce corps saumoné
"La première fut prononcée par la duchesse de Guermantes; je venais de la voir, passant entre une double haie de curieux qui, sans se rendre compte des merveilleux artifices de toilette et d'esthétique qui agissaient sur eux, émus devant cette tête rousse, ce corps saumoné émergeant à peine de ses ailerons de dentelle noire, et étranglé de joyaux, le regardaient, dans la sinuosité héréditaire de ses lignes, comme ils eussent fait de quelque vieux poisson sacré, chargé de pierreries, en lequel s'incarnait le Génie protecteur de la famille de Guermantes."
Marcel Proust, Le temps retrouvé
20:59 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, marcel proust
mardi, 27 mai 2008
De même que ce n'est pas l'abondance des mets, mais leur qualité qui nous plaît
Habitue-toi en second lieu à penser que la mort n'est rien pour nous, puisque le bien et le mal n'existent que dans la sensation. D'où il suit qu'une connaissance exacte de ce fait que la mort n'est rien pour nous permet de jouir de cette vie mortelle, en nous évitant d'y ajouter une idée de durée éternelle et en nous enlevant le regret de l'immortalité.
Car il n'y a rien de redoutable dans la vie pour qui a compris qu'il n’y a rien de redoutable dans le fait de ne plus vivre.
Celui qui déclare craindre la mort non pas parce qu'une fois venue elle est redoutable, mais parce qu'il est redoutable de l'attendre est donc un sot.
C'est sottise de s'affliger parce qu'on attend la mort, puisque c'est quelque chose qui, une fois venu, ne fait pas de mal.
Ainsi donc, le plus effroyable de tous les maux, la mort, n'est rien pour nous, puisque tant que nous vivons, la mort n'existe pas. Et lorsque la mort est là, alors, nous ne sommes plus.
La mort n'existe donc ni pour les vivants, ni pour les morts puisque pour les uns elle n'est pas, et que les autres ne sont plus. Mais la foule, tantôt craint la mort comme le pire des maux, tantôt la désire comme le terme des maux de la vie.
Le sage ne craint pas la mort, la vie ne lui est pas un fardeau, et il ne croit pas que ce soit un mal de ne plus exister. De même que ce n'est pas l'abondance des mets, mais leur qualité qui nous plaît, de même, ce n'est pas la longueur de la vie, mais son charme qui nous plaît.
Quant à ceux qui conseillent au jeune homme de bien vivre, et au vieillard de bien mourir, ce sont des naïfs, non seulement parce que la vie a du charme, même pour le vieillard, mais parce que le souci de bien vivre et le souci de bien mourir ne font qu'un.
Epicure
De Kooning A Tree in Naples, 1960
01:08 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : epicure, philosophie, de kooning
dimanche, 25 mai 2008
Il faut être absolument moderne.
"Car je puis dire que la victoire m'est acquise: les grincements de dents, les sifflements de feu, les soupirs empestés se modèrent. Tous les souvenirs immondes s'effacent. Mes derniers regrets détalent, - des jalousies pour les mendiants, les brigands, les amis de la mort, les arriérés de toutes sortes. - Damnés, si je me vengeais!
Il faut être absolument moderne.
Point de cantiques: tenir le pas gagné. Dure nuit! le sang séché fume sur ma face, et je n'ai rien derrière moi, que cet horrible arbrisseau!. . . Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d'hommes; mais la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul.
Cependant c'est la veille. Recevons tous les influx de vigueur et de tendresse réelle. Et à l'aurore, armés d'une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes.
Que parlais-je de main amie! Un bel avantage, c'est que je puis rire des vieilles amours mensongères, et frapper de honte ces couples menteurs, - j'ai vu l'enfer des femmes là-bas; - et il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps."
Rimbaud, Une Saison en enfer (fin du texte)
21:43 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : rimbaud, une saison en enfer
samedi, 24 mai 2008
Quand rien ne va plus, il reste Dumas...
Et l'étonnant Tréville :
"Avec un rare génie d'intrigue, qui le rendait l'égal des plus forts intrigants, il était resté honnête homme. "
18:24 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, alexandre dumas, tréville
L’Adversaire
« Car l’Adversaire est inquiet. Ses réseaux de renseignement sont mauvais, sa police débordée, ses agents corrompus, ses amis peu sûrs, ses espions souvent retournés, ses femmes infidèles, sa toute-puissance ébranlée par la première guérilla venue. Il dépense des sommes considérables en contrôle, parle sans cesse en termes de calendrier ou d’images, achète tout, investit tout, vend tout, perd tout. Le temps lui file entre les doigts, l’espace est pour lui de moins en moins un refuge. Les mots « siècle » ou « millénaire » perdent leur sens dans sa propagande. Il voudrait bien avoir pour lui cinq ou dix ans, l’Adversaire, alors qu’il ne voit pas plus loin que le mois suivant. On pourrait dire ici, comme dans la Chine des Royaumes combattants, que « même les comédiens de Ts’in servent d’observateurs à Houei Ngan ». Le Maître est énorme et nu, sa carapace est sensible au plus petit coup d’épingle, c’est un Goliath à la merci du moindre frondeur, un Cyclope qui ne sait toujours pas qui s’appelle Personne, un Big Brother dont les caméras n’enregistrent que ses propres fantasmes, un Pavlov dont le chien n’obéit qu’une fois sur deux. Il calcule et communique beaucoup pour ne rien dire, l’Adversaire, il tourne en rond, il s’énerve, il ne comprend pas comment le langage a pu le déserter à ce point, il multiplie les informations, oublie ses rêves, fabrique des films barbants à la chaîne, s’endort devant ses films, croit toujours dur comme fer que l’argent, le sexe et la drogue mènent le monde, sent pourtant le sol se dérober sous ses pieds, est pris de vertige, en vient secrètement à préférer mourir. »
Philippe Sollers, Eloge de l’Infini. Janvier 2001
00:15 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : politique, grands textes, philippe sollers, gildas pasquet
dimanche, 18 mai 2008
Il ne trouve du goût
"Il ne trouve du goût qu'à ce qui lui fait du bien. Son plaisir, son désir cessent dès lors qu'il dépasse la mesure de ce qui lui convient. Il devine les remèdes contre ce qui lui est préjudiciable ; il fait tourner à son avantage les mauvais hasards : ce qui ne le fait pas mourir le rend plus fort. De tout ce qu'il voit et entend, de tout ce qui lui arrive, il sait d'instinct tirer profit conformément à sa nature : il est lui-même un principe de sélection ; il laisse passer bien des choses sans les retenir. Il se plaît toujours dans sa propre société, quoi qu'il puisse fréquenter, des livres, des hommes ou des paysages : il honore en choisissant, en acceptant, en faisant confiance. Il réagit lentement à toutes les excitations, avec cette lenteur qu'il tient, par discipline, d'une longue circonspection et d'une fierté délibérée. Il examine la séduction qui s'approche, il se garde bien d'aller à sa rencontre. Il ne croît ni à la "malchance" ni à la "faute". Il sait en finir avec lui-même, avec les autres, il sait oublier - il est assez fort pour que tout doive tourner, nécessairement, à son avantage."
00:26 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nietzsche, gildas pasquet
jeudi, 15 mai 2008
Intonations
"Nos intonations contiennent notre philosophie de la vie, ce que la personne se dit à tout moment sur les choses."
Proust
00:10 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, proust, gildas pasquet, intonation
lundi, 12 mai 2008
Sa pétulance et son espièglerie
« La haine que tant de gens sérieux ont du langage. Sa pétulance et son espièglerie, ils la remarquent ; mais ce qu’ils ne remarquent pas, c’est le bavardage à bâtons rompus et son laisser-aller si dédaigné sont justement le côté sérieux de la langue ».
Novalis
19:20 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : langage, novalis
Suivant un rythme doux, et paresseux, et lent
"Tu fais l'effet d'un beau vaisseau qui prend le large,
Chargé de toile, et va roulant
Suivant un rythme doux, et paresseux, et lent."
Baudelaire
Caspar David Friedrich, Das Segelschiff, ca 1815
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samedi, 10 mai 2008
La chance, large et lent escalier
« À 10 ans, au fond du jardin, je suis ébloui par le simple fait d’être là (et pas d’être moi), dans le limité-illimité de l’espace. À 20 ans, grande tentation de suicide ; il est moins deux mais la rencontre avec Dominique (Rolin) me sauve. À 30 ans, rechute et vif désir d’en finir, mais la rencontre avec Julia (Kristeva) me sauve. À 40 ans, l’abîme : ennuis de santé de mon fils, Paradis impossible, New York dramatique, années de plomb en France. À 50 ans “bats-toi”, c’est tout ce que j’ai à me dire. À 60 ans, j’entrevois la synthèse, et, à 70, le large, avec un talisman venu de Nietzsche : “la chance, large et lent escalier ”.
Philippe Sollers, Un vrai roman, Mémoires.
12:38 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : philippe sollers, un vrai roman, littérature, gildas pasquet
mardi, 22 avril 2008
Sensibilité
« Une sensibilité forte n’est pas celle qui n’est capable que d’émotions fortes, mais celle qui conserve l’équilibre sous le coup des émotions les plus fortes, de manière qu’en dépit des tempêtes qui soufflent dans son cœur, vision et conviction, comparables à l’aiguille d’un compas sur un vaisseau ballotté par les vagues, continuent de réagir avec la même subtilité. »
Clausewitz
Peinture : "Le Dialogue" ; Delbar Shahbaz
00:32 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : clausewitz, sensibilité, delbar shahbaz
dimanche, 20 avril 2008
Les yeux

« Je me demande si dans tout l'univers il existe quelque chose qui puisse s'y comparer, quelle fleur, quel océan ? Le chef-d'oeuvre de la création est peut-être là, dans le brillant de ses couleurs inimitables. La mer n'est pas plus profonde. Dans ce gouffre minuscule transparaît ce qu'il y a de plus mystérieux au monde, une âme, et pas une âme n'est parfaitement semblable à une autre. »
Julien Green, La traversée des apparences.
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jeudi, 17 avril 2008
Le vent est ivre
"En Camargue le vent est ivre. Il trépigne, il tournoie, il perd la tête. Nul obstacle aux dévastations: une terre nue, des eaux pâles et, à l'horizon, toute moutonnante, la mer arrive du large en se hérissant. Tout se plie à la loi du vent: les eaux, le végétal, l'homme, les bêtes. Et la plus puissante de toutes prend à la brise âpre son impétueuse fureur. Là, règne le taureau, bête du vent !"
Henri Bosco, Malicroix
Nicolas de Staël
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mercredi, 16 avril 2008
Sur la solitude
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samedi, 05 avril 2008
J’aime écrire, tracer les lettres et les mots...
« J’aime écrire, tracer les lettres et les mots, l’intervalle toujours changeant entre les lettres et les mots, seule façon de laisser filer, de devenir silencieusement et à chaque instant le secret du monde. N’oublie pas, se dit avec ironie ce fantôme penché, que tu dois rester réservé, calme, olympien, lisse, détaché ; tibétain en somme… Tu respires, tu fermes les yeux, tu planes, tu es en même temps ce petit garçon qui court avec son cerf-volant dans le jardin et le sage en méditation quelque part dans les montagnes vertes et brumeuses, en Grèce ou en Chine… Socrate debout toute la nuit contre son portique, ou plutôt Parménide sur sa terrasse, ou encore Lao-Tseu passant, à dos de mulet, au-delà de la grande muraille, un soir… Les minutes se tassent les une sur les autres, la seule question devient la circulation du sang, rien de voilé qui ne sera dévoilé, rien de caché qui ne sera révélé, la lumière finira bien par se lever au cœur du noir labyrinthe. Le roman se fait tout seul, et ton roman est universel si tu veux, ta vie ne ressemble à aucune autre dans le sentiment d’être là, maintenant, à jamais, pour rien, en détail. Ils aimeraient tellement qu’on soit là pour. Qu’on existe et qu’on agisse pour. Qu’on pense en fonction d’eux et pour. Tu dois refuser, et refuser encore. Non, non et non. Ce que tu sais, tu es le seul à le savoir. »
Philippe Sollers, Le Secret
Photo : Jean-Luc Aribaud
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vendredi, 04 avril 2008
Le ciel...
« Le ciel devient comme la maison d’un peintre quand il montre ses tableaux. »
Hölderlin
15:24 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature, hölderlin
mercredi, 02 avril 2008
«La tête de Iaokanann !»
Puis, ce fut l'emportement de l'amour qui veut être assouvi. Elle dansa comme les prêtresses des Indes, comme les Nubiennes des cataractes, comme les bacchantes de Lydie. Elle se renversait de tous les côtés, pareille à une fleur que la tempête agite. Les brillants de ses oreilles sautaient, l'étoffe de son dos chatoyait ; de ses bras, de ses pieds, de ses vêtements jaillissaient d'invisibles étincelles qui enflammaient les hommes. Une harpe chanta ; la multitude y répondit par des acclamations. Sans fléchir ses genoux en écartant les jambes, elle se courba si bien que son menton frôlait le plancher ; et les nomades habitués à l'abstinence, les soldats de Rome experts en débauches, les avares publicains, les vieux prêtres aigris par les disputes, tous, dilatant leurs narines, palpitaient de convoitise.
Ensuite elle tourna autour de la table d'Antipas, frénétiquement, comme le rhombe des sorcières ; et d'une voix que des sanglots de volupté entrecoupaient, il lui disait : «Viens ! viens !» » Elle tournait toujours ; les tympanons sonnaient à éclater, la foule hurlait. Mais le Tétrarque criait plus fort : «Viens ! viens ! Tu auras Capharnaum ! la plaine de Tibérias ! mes citadelles ! la moitié de mon royaume !»
Elle se jeta sur les mains, les talons en l'air, parcourut ainsi l'estrade comme un grand scarabée ; et s'arrêta, brusquement.
Sa nuque et ses vertèbres faisaient un angle droit. Les fourreaux de couleur qui enveloppaient ses jambes, lui passant par-dessus l'épaule, comme des arcs-en-ciel, accompagnaient sa figure, à une coudée du sol. Ses lèvres étaient peintes, ses sourcils très noirs, ses yeux presque terribles, et des gouttelettes à son front semblaient une vapeur sur du marbre blanc.
Elle ne parlait pas. Ils se regardaient.
Un claquement de doigts se fit dans la tribune. Elle y monta, reparut ; et, en zézayant un peu, prononça ces mots, d'un air enfantin :
«Je veux que tu me donnes dans un plat, la tête...» Elle avait oublié le nom, mais reprit en souriant : «La tête de Iaokanann !»
Flaubert, Hérodias
00:27 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, flaubert