dimanche, 18 mai 2008
Il ne trouve du goût
"Il ne trouve du goût qu'à ce qui lui fait du bien. Son plaisir, son désir cessent dès lors qu'il dépasse la mesure de ce qui lui convient. Il devine les remèdes contre ce qui lui est préjudiciable ; il fait tourner à son avantage les mauvais hasards : ce qui ne le fait pas mourir le rend plus fort. De tout ce qu'il voit et entend, de tout ce qui lui arrive, il sait d'instinct tirer profit conformément à sa nature : il est lui-même un principe de sélection ; il laisse passer bien des choses sans les retenir. Il se plaît toujours dans sa propre société, quoi qu'il puisse fréquenter, des livres, des hommes ou des paysages : il honore en choisissant, en acceptant, en faisant confiance. Il réagit lentement à toutes les excitations, avec cette lenteur qu'il tient, par discipline, d'une longue circonspection et d'une fierté délibérée. Il examine la séduction qui s'approche, il se garde bien d'aller à sa rencontre. Il ne croît ni à la "malchance" ni à la "faute". Il sait en finir avec lui-même, avec les autres, il sait oublier - il est assez fort pour que tout doive tourner, nécessairement, à son avantage."
Nietzsche, Ecce Homo
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jeudi, 15 mai 2008
Intonations
"Nos intonations contiennent notre philosophie de la vie, ce que la personne se dit à tout moment sur les choses."
Proust
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lundi, 12 mai 2008
Sa pétulance et son espièglerie
« La haine que tant de gens sérieux ont du langage. Sa pétulance et son espièglerie, ils la remarquent ; mais ce qu’ils ne remarquent pas, c’est le bavardage à bâtons rompus et son laisser-aller si dédaigné sont justement le côté sérieux de la langue ».
Novalis
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Suivant un rythme doux, et paresseux, et lent
"Tu fais l'effet d'un beau vaisseau qui prend le large,
Chargé de toile, et va roulant
Suivant un rythme doux, et paresseux, et lent."
Baudelaire
Caspar David Friedrich, Das Segelschiff, ca 1815
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samedi, 10 mai 2008
La chance, large et lent escalier
« À 10 ans, au fond du jardin, je suis ébloui par le simple fait d’être là (et pas d’être moi), dans le limité-illimité de l’espace. À 20 ans, grande tentation de suicide ; il est moins deux mais la rencontre avec Dominique (Rolin) me sauve. À 30 ans, rechute et vif désir d’en finir, mais la rencontre avec Julia (Kristeva) me sauve. À 40 ans, l’abîme : ennuis de santé de mon fils, Paradis impossible, New York dramatique, années de plomb en France. À 50 ans “bats-toi”, c’est tout ce que j’ai à me dire. À 60 ans, j’entrevois la synthèse, et, à 70, le large, avec un talisman venu de Nietzsche : “la chance, large et lent escalier ”.
Philippe Sollers, Un vrai roman, Mémoires.
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mardi, 22 avril 2008
Sensibilité
« Une sensibilité forte n’est pas celle qui n’est capable que d’émotions fortes, mais celle qui conserve l’équilibre sous le coup des émotions les plus fortes, de manière qu’en dépit des tempêtes qui soufflent dans son cœur, vision et conviction, comparables à l’aiguille d’un compas sur un vaisseau ballotté par les vagues, continuent de réagir avec la même subtilité. »
Clausewitz
Peinture : "Le Dialogue" ; Delbar Shahbaz
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dimanche, 20 avril 2008
Les yeux
« Je me demande si dans tout l'univers il existe quelque chose qui puisse s'y comparer, quelle fleur, quel océan ? Le chef-d'oeuvre de la création est peut-être là, dans le brillant de ses couleurs inimitables. La mer n'est pas plus profonde. Dans ce gouffre minuscule transparaît ce qu'il y a de plus mystérieux au monde, une âme, et pas une âme n'est parfaitement semblable à une autre. »
Julien Green, La traversée des apparences.
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jeudi, 17 avril 2008
Le vent est ivre
"En Camargue le vent est ivre. Il trépigne, il tournoie, il perd la tête. Nul obstacle aux dévastations: une terre nue, des eaux pâles et, à l'horizon, toute moutonnante, la mer arrive du large en se hérissant. Tout se plie à la loi du vent: les eaux, le végétal, l'homme, les bêtes. Et la plus puissante de toutes prend à la brise âpre son impétueuse fureur. Là, règne le taureau, bête du vent !"
Henri Bosco, Malicroix
Nicolas de Staël
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mercredi, 16 avril 2008
Sur la solitude
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samedi, 05 avril 2008
J’aime écrire, tracer les lettres et les mots...
« J’aime écrire, tracer les lettres et les mots, l’intervalle toujours changeant entre les lettres et les mots, seule façon de laisser filer, de devenir silencieusement et à chaque instant le secret du monde. N’oublie pas, se dit avec ironie ce fantôme penché, que tu dois rester réservé, calme, olympien, lisse, détaché ; tibétain en somme… Tu respires, tu fermes les yeux, tu planes, tu es en même temps ce petit garçon qui court avec son cerf-volant dans le jardin et le sage en méditation quelque part dans les montagnes vertes et brumeuses, en Grèce ou en Chine… Socrate debout toute la nuit contre son portique, ou plutôt Parménide sur sa terrasse, ou encore Lao-Tseu passant, à dos de mulet, au-delà de la grande muraille, un soir… Les minutes se tassent les une sur les autres, la seule question devient la circulation du sang, rien de voilé qui ne sera dévoilé, rien de caché qui ne sera révélé, la lumière finira bien par se lever au cœur du noir labyrinthe. Le roman se fait tout seul, et ton roman est universel si tu veux, ta vie ne ressemble à aucune autre dans le sentiment d’être là, maintenant, à jamais, pour rien, en détail. Ils aimeraient tellement qu’on soit là pour. Qu’on existe et qu’on agisse pour. Qu’on pense en fonction d’eux et pour. Tu dois refuser, et refuser encore. Non, non et non. Ce que tu sais, tu es le seul à le savoir. »
Philippe Sollers, Le Secret
Photo : Jean-Luc Aribaud
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vendredi, 04 avril 2008
Le ciel...
« Le ciel devient comme la maison d’un peintre quand il montre ses tableaux. »
Hölderlin
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mercredi, 02 avril 2008
«La tête de Iaokanann !»
Puis, ce fut l'emportement de l'amour qui veut être assouvi. Elle dansa comme les prêtresses des Indes, comme les Nubiennes des cataractes, comme les bacchantes de Lydie. Elle se renversait de tous les côtés, pareille à une fleur que la tempête agite. Les brillants de ses oreilles sautaient, l'étoffe de son dos chatoyait ; de ses bras, de ses pieds, de ses vêtements jaillissaient d'invisibles étincelles qui enflammaient les hommes. Une harpe chanta ; la multitude y répondit par des acclamations. Sans fléchir ses genoux en écartant les jambes, elle se courba si bien que son menton frôlait le plancher ; et les nomades habitués à l'abstinence, les soldats de Rome experts en débauches, les avares publicains, les vieux prêtres aigris par les disputes, tous, dilatant leurs narines, palpitaient de convoitise.
Ensuite elle tourna autour de la table d'Antipas, frénétiquement, comme le rhombe des sorcières ; et d'une voix que des sanglots de volupté entrecoupaient, il lui disait : «Viens ! viens !» » Elle tournait toujours ; les tympanons sonnaient à éclater, la foule hurlait. Mais le Tétrarque criait plus fort : «Viens ! viens ! Tu auras Capharnaum ! la plaine de Tibérias ! mes citadelles ! la moitié de mon royaume !»
Elle se jeta sur les mains, les talons en l'air, parcourut ainsi l'estrade comme un grand scarabée ; et s'arrêta, brusquement.
Sa nuque et ses vertèbres faisaient un angle droit. Les fourreaux de couleur qui enveloppaient ses jambes, lui passant par-dessus l'épaule, comme des arcs-en-ciel, accompagnaient sa figure, à une coudée du sol. Ses lèvres étaient peintes, ses sourcils très noirs, ses yeux presque terribles, et des gouttelettes à son front semblaient une vapeur sur du marbre blanc.
Elle ne parlait pas. Ils se regardaient.
Un claquement de doigts se fit dans la tribune. Elle y monta, reparut ; et, en zézayant un peu, prononça ces mots, d'un air enfantin :
«Je veux que tu me donnes dans un plat, la tête...» Elle avait oublié le nom, mais reprit en souriant : «La tête de Iaokanann !»
Flaubert, Hérodias
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vendredi, 28 mars 2008
Monter serait plus juste
"Pourquoi dans toutes nos langues occidentales dit-on "tomber amoureux" ? Monter serait plus juste. L'amour est ascensionnel comme la prière. Ascensionnel et éperdu. Chez les insectes isoptères, tout individu sexué reçoit aussitôt sa paire d'ailes. Je la revoyais une nuit à mes côtés sur la jetée du port de ma ville natale. L'été, le silence, l'approche de l'aube. Je la connaissais d'une semaine (Kant, Hermann Hesse, tennis). Je la trouvais superbe. Nous marchions du même pas, sans aucun bruit. Je reconnaîtrais sans peine l'endroit où j'ai senti comme une aveuglante déchirure dans le noir, où j'ai eu les poumons dévorés de bonheur. La vie d'un coup, acérée, musicale, intelligible."
Nicolas Bouvier, Le Poisson-scorpion.
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mercredi, 19 mars 2008
Il neigeait
« Il neigeait, et voici, nous en dirons merveilles : l’aube muette dans sa plume, comme une grande chouette fabuleuse en proie aux souffles de l’esprit, enflait son corps de dahlia blanc."
Saint-John Perse
Monet "La pie, effets de neige"
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jeudi, 13 mars 2008
L'extraordinaire du roman
"L'extraordinaire du roman, c'est que pour comprendre le réel objectif, il invente d'inventer. Ce qui est menti dans le roman libère l'écrivain, lui permet de montrer le réel dans sa nudité. Ce qui est menti dans le roman est l'ombre sans quoi vous ne verriez pas la lumière. Ce qui est menti dans le roman sert de substratum à la vérité. On ne se passera jamais du roman, pour cette raison que la vérité fera toujours peur, et que le mensonge romanesque est le seul moyen de tourner l'épouvante des ignorantins dans le domaine propre au romancier. Le roman, c'est la clef des chambres interdites de notre maison."
Aragon
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lundi, 10 mars 2008
Le perpétuel devenir des sentiments
« Nous tendons instinctivement à solidifier nos impressions, pour les exprimer par le langage. De là vient que nous confondons le sentiment même, qui est dans un perpétuel devenir, avec son objet extérieur permanent, et surtout le mot qui exprime cet objet. »
Henri Bergson
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vendredi, 07 mars 2008
Ne crains pas...
"Ne crains pas", dit l'Histoire, levant un jour son masque de violence - et de sa main levée elle fait ce geste concilant de la Divinité asiatique au plus fort de sa danse destructrice. "Ne crains pas, ni ne doute - car le doute est stérile et la crainte est servile. Ecoute plutôt ce battement rythmique que ma main haute imprime, novatrice, à la grande phrase humaine en voie toujours de création. Il n'est pas vrai que la vie puisse se renier elle-même. Il n'est rien de vivant qui de néant procède, ni de néant s'éprenne. Mais rien non plus ne garde forme ni mesure, sous l'incessant afflux de l'Etre. La tragédie n'est pas dans la métamorphose elle-même. Le vrai drame du siècle est dans l'écart qu'on laisse croître entre l'homme temporel et l'homme intemporel. L'homme éclairé sur un versant va-t-il s'obscurcir sur l'autre ? Et sa maturation forcée, dans une communauté sans communion, ne sera-t-elle que fausse maturité ?...
Saint-John Perse
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mardi, 04 mars 2008
Le coeur de l'homme
« Le bon Dieu, tu vois, ni les sept étages du ciel ni les sept étages de la terre ne peuvent le contenir. Mais le cœur de l'homme le contient. Alors prends garde, Alexis, de ne jamais blesser le cœur d'un homme. »
Nikos Katantzakis
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samedi, 01 mars 2008
Les rapports qui seuls l'intéressent
"Il arrive souvent qu'à partir d'un certain âge, l'œil d'un grand chercheur trouve partout les éléments nécessaires à établir les rapports qui seuls l'intéressent. Comme ces ouvriers ou ces joueurs qui ne font pas d'embarras et se contentent de ce qui leur tombe sous la main, ils pourraient dire de n'importe quoi : cela fera l'affaire." :
Marcel Proust.
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vendredi, 29 février 2008
Les hommes vont de multiples chemins
« Les hommes vont de multiples chemins. Celui qui les suit et qui les compare verra naître des figures qui semblent appartenir à une grande écriture chiffrée qu’il entrevoit partout : sur les ailes, la coquille des œufs, dans les nuages, dans la neige, dans les cristaux et dans la conformation des roches, sur les eaux qui se prennent en glace, au-dedans et au-dehors des montagnes, des plantes, des animaux, des hommes, dans les lumières du ciel, sur les disques de verre et les gâteaux de résine qu'on a touchés et frottés, dans les limailles autour de l'aimant et dans les conjonctures singulières du hasard. On pressent que là est la clé de cette écriture merveilleuse, sa grammaire même ; mais ce pressentiment ne peut prendre aucune forme précise et arrêtée, et il semble se refuser à devenir la clé dernière. Sur les sens des hommes, il semble qu’un alkahest* a été versé. Leurs désirs, leurs pensées ne se condensent qu’un instant seulement. Ainsi leurs intuitions naissent-elles ; mais peu après tout flotte de nouveau, comme auparavant, devant leurs regards.»
* Dissolvant universel des alchimistes
Novalis, Les Disciples à Saïs, début du texte
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