mardi, 26 décembre 2006
Le sentiment qu’il y a de la vie dans ce qui a été créé
Il dit : les poètes dont on dit qu’ils nous donnent la réalité n’ont pas non plus la moindre idée de ce qu’est la réalité ; mais ils sont malgré tout plus supportables que ceux qui veulent la transfigurer. Il dit : le bon Dieu a fait le monde comme il devait l’être et nous ne gribouillerons assurément rien de mieux ; notre unique effort doit consister à l’imiter autant que possible dans nos créations. J’exige en tout – vie, possibilité d’exister, cela suffit. Et il n’est plus besoin dès lors de se poser la question de savoir si c’est beau ou laid. Au-delà de ces deux termes, le seul critère en matière d’art est le sentiment qu’il y a de la vie dans ce qui a été créé.
Büchner, Lenz
Frédérique Azaïs : "Bleu"
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dimanche, 17 décembre 2006
L'ivresse
Pour qu'il y ait de l'art, pour qu'il y ait une action ou une contemplation esthétique quelconque, une condition physiologique préliminaire est indispensable : l'ivresse. Il faut d'abord que l'ivresse ait haussé l'irritabilité de toute la machine : autrement l'art est impossible. Toutes les espèces d'ivresses, fussent-elles conditionnées le plus diversement possible, ont puissance d'art : avant tout l'ivresse de l'excitation sexuelle, cette forme de l'ivresse la plus ancienne et la plus primitive. De même l'ivresse qui accompagne tous les grands désirs, toutes les grandes émotions; l'ivresse de la fête, de la lutte, de l'acte de bravoure, de la victoire, de tous les mouvements extrêmes; l'ivresse de la cruauté; l'ivresse dans la destruction; l'ivresse sous certaines influences météorologiques, par exemple l'ivresse du printemps, ou bien sous l'influence des narcotiques; enfin l'ivresse de la volonté, l'ivresse d'une volonté accumulée et dilatée. — L'essentiel dans l'ivresse, c'est le sentiment de la force accrue et de la plénitude. Sous l'empire de ce sentiment on s'abandonne aux choses, on les force à prendre de nous, on les violente, — on appelle ce processus : idéaliser. Débarrassons-nous ici d'un préjugé : idéaliser ne consiste pas, comme on le croit généralement, en une déduction, et une soustraction de ce qui est petit et accessoire. Ce qu'il y a de décisif c'est, au contraire, une formidable érosion des traits principaux, en sorte que les autres traits disparaissent.
Nietzsche, Le Crépuscule des idoles (1888), «Flâneries inactuelles"
Photo : Gildas Pasquet
10:05 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : Nietzsche, ivresse, Gildas Pasquet
jeudi, 07 décembre 2006
Le style est une bien grande magie
"En vingt jours nous perdons Colette et l'Indochine. Si on avait dit à Colette en 1890 que sa mort, pendant quelques jours, tiendrait plus de place dans la presse que la perte de l'Indochine, elle aurait ouvert des yeux ronds. Tels sont pourtant le prestige du style et la lassitude d'une nation. Il faut croire que le style est une bien grande magie."
Alexandre Vialatte. In "L'été à vol d'oiseau", NRF, octobre 1954
Photo : Gildas Pasquet
08:05 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, Vialatte, Colette, style
mercredi, 06 décembre 2006
Un moment délirant de la création
« Quand les chasseurs arrivèrent au haut de la montagne, le vrai visage de la Sicile leur apparut de nouveau entre les tamaris et les chênes-lièges. Auprès de tels paysages, villes baroques et orangeraies ne sont que fanfreluches négligeables. La campagne aride ondulait à l’infini, croupes après croupes, désolée et irrationnelle ; l’esprit ne pouvait en saisir les lignes principales, conçues en un moment délirant de la création ; c’était comme une mer brusquement pétrifiée à l’instant où un changement de vent a rendu les vagues démentes. » :
Le Guépard, Lampedusa.08:05 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, Sicile, Lampedusa, Le Guépard
lundi, 04 décembre 2006
Comme le clair de lune anéantit un paysage
« La route traversait les orangeraies, le parfum nuptial des fleurs anéantissait tous les autres comme le clair de lune anéantit un paysage : l’odeur de cheval en sueur, l’odeur de cuir, l’odeur de prince et l’odeur de jésuite, tout était balayé par ce parfum islamique qui évoquait des houris et de charnels outre-tombe. »
Lampedusa, Le Guépard
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dimanche, 26 novembre 2006
Tout au plus pour se suffire moralement
Encore une fois, tout ce que nous savons est que nous sommes doués à un certain degré de la parole et que,
par elle, quelque chose de grand et d’obscur tend impérieusement à s’exprimer à travers nous, que chacun
de nous a été choisi et désigné à lui-même entre mille
pour formuler ce qui, de notre vivant, doit être formulé.
C’est un ordre que nous avons reçu une fois pour toutes
et que nous n’avons jamais eu loisir de discuter.
Il peut nous apparaître, et c’est même assez paradoxal,
que ce que nous disons n’est pas ce qu’il y a de plus nécessaire à dire et qu’il y aurait manière de le mieux dire. Mais c’est comme si nous y avions été condamnés
de toute éternité. Écrire, je veux dire écrire si difficilement, et non pour séduire, et non, au sens où on l’entend d’ordinaire, pour vivre, mais, semble-t-il, tout au plus pour se suffire moralement, et faute de pouvoir rester sourd à un appel singulier et inlassable, écrire ainsi n’est jouer ni tricher, que je sache.
André Breton,
Légitime défense (1926), repris dans Point du jour, pp. 55-56.
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lundi, 20 novembre 2006
Dans la suprême énergie d’un acte de renoncement
Joseph Conrad, Notes sur la vie et les lettres.
Photo de Gildas Pasquet : Vu du ciel
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mardi, 14 novembre 2006
L'humour de Proust, suite
—«Ah! est-ce que vous connaissez quelqu’un à Balbec? dit mon père. Justement ce petit-là doit y aller passer deux mois avec sa grand’mère et peut-être avec ma femme.»
Legrandin pris au dépourvu par cette question à un moment où ses yeux étaient fixés sur mon père, ne put les détourner, mais les attachant de seconde en seconde avec plus d’intensité—et tout en souriant tristement—sur les yeux de son interlocuteur, avec un air d’amitié et de franchise et de ne pas craindre de le regarder en face, il sembla lui avoir traversé la figure comme si elle fût devenue transparente, et voir en ce moment bien au delà derrière elle un nuage vivement coloré qui lui créait un alibi mental et qui lui permettrait d’établir qu’au moment où on lui avait demandé s’il connaissait quelqu’un à Balbec, il pensait à autre chose et n’avait pas entendu la question. Habituellement de tels regards font dire à l’interlocuteur: «A quoi pensez-vous donc?» Mais mon père curieux, irrité et cruel, reprit:
—«Est-ce que vous avez des amis de ce côté-là, que vous connaissez si bien Balbec?»
Dans un dernier effort désespéré, le regard souriant de Legrandin atteignit son maximum de tendresse, de vague, de sincérité et de distraction, mais, pensant sans doute qu’il n’y avait plus qu’à répondre, il nous dit:
—«J’ai des amis partout où il y a des groupes d’arbres blessés, mais non vaincus, qui se sont rapprochés pour implorer ensemble avec une obstination pathétique un ciel inclément qui n’a pas pitié d’eux.
—«Ce n’est pas cela que je voulais dire, interrompit mon père, aussi obstiné que les arbres et aussi impitoyable que le ciel. Je demandais pour le cas où il arriverait n’importe quoi à ma belle-mère et où elle aurait besoin de ne pas se sentir là-bas en pays perdu, si vous y connaissez du monde?»
—«Là comme partout, je connais tout le monde et je ne connais personne, répondit Legrandin qui ne se rendait pas si vite; beaucoup les choses et fort peu les personnes. Mais les choses elles-mêmes y semblent des personnes, des personnes rares, d’une essence délicate et que la vie aurait déçues. Parfois c’est un castel que vous rencontrez sur la falaise, au bord du chemin où il s’est arrêté pour confronter son chagrin au soir encore rose où monte la lune d’or et dont les barques qui rentrent en striant l’eau diaprée hissent à leurs mâts la flamme et portent les couleurs; parfois c’est une simple maison solitaire, plutôt laide, l’air timide mais romanesque, qui cache à tous les yeux quelque secret impérissable de bonheur et de désenchantement. Ce pays sans vérité, ajouta-t-il avec une délicatesse machiavélique, ce pays de pure fiction est d’une mauvaise lecture pour un enfant, et ce n’est certes pas lui que je choisirais et recommanderais pour mon petit ami déjà si enclin à la tristesse, pour son cœur prédisposé. Les climats de confidence amoureuse et de regret inutile peuvent convenir au vieux désabusé que je suis, ils sont toujours malsains pour un tempérament qui n’est pas formé. Croyez-moi, reprit-il avec insistance, les eaux de cette baie, déjà à moitié bretonne, peuvent exercer une action sédative, d’ailleurs discutable, sur un cœur qui n’est plus intact comme le mien, sur un cœur dont la lésion n’est plus compensée. Elles sont contre-indiquées àvotre âge, petit garçon. Bonne nuit, voisins», ajouta-t-il en nous quittant avec cette brusquerie évasive dont il avait l’habitude et, se retournant vers nous avec un doigt levé de docteur, il résuma sa consultation: «Pas de Balbec avant cinquante ans et encore cela dépend de l’état du cœur», nous cria-t-il.
Mon père lui en reparla dans nos rencontres ultérieures, le tortura de questions, ce fut peine inutile: comme cet escroc érudit qui employait à fabriquer de faux palimpsestes un labeur et une science dont la centième partie eût suffi à lui assurer une situation plus lucrative, mais honorable, M. Legrandin, si nous avions insisté encore, aurait fini par édifier toute une éthique de paysage et une géographie céleste de la basse Normandie, plutôt que de nous avouer qu’à deux kilomètres de Balbec habitait sa propre sœur, et d’être obligé à nous offrir une lettre d’introduction qui n’eût pas été pour lui un tel sujet d’effroi s’il avait été absolument certain,—comme il aurait dû l’être en effet avec l’expérience qu’il avait du caractère de ma grand’mère—que nous n’en aurions pas profité.
Du côté de chez Swann
Frédérique Azaïs : Le toi du monde
15:55 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, art, Proust, Frédérique Azaïs
lundi, 13 novembre 2006
L'humour de Proust...
« Dire que j'ai gâché des années de ma vie, que j'ai voulu mourir, que j'ai eu mon plus grand amour, pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n'était pas mon genre ! »
(Dernière phrase de Un amour de Swann)
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mardi, 07 novembre 2006
Une perle baroque dans la brume plombagine
Je ne souffle mot. Je regarde par la fenêtre Venise. Venise. Reflets insolites dans l'eau de la lagune. Micassures et reflets glissants dans les vitrines et sur le parquet en mosaïque de la bibliothèque Saint-Marc. Le soleil est comme une perle baroque dans la brume plombagine qui se lève derrière les façades des palais du front de l'eau et annonce du mauvais temps au large, crachin, pluies, vents et tempête. Je ne souffle mot. A la place du vaporetto qui passe devant la Dogana di Mari, appareille une tartane. C'est le 11 novembre 1653...
Blaise Cendrars, Bourlinguer.
Photos de Gildas Pasquet
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dimanche, 05 novembre 2006
Une expression bouffonne et égarée au possible
"Enfin, ô bonheur, ô raison, j'écartai du ciel l'azur, qui est du noir, et je vécus étincelle d'or de la lumière nature. De joie, je prenais une expression bouffonne et égarée au possible."
Rimbaud
Pollock
05:04 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, art, poésie, Rimbaud, Pollock
samedi, 04 novembre 2006
La Belle Équipe en ciné permanent
Vous l'avez compris, ce n'est pas dans nos habitudes, chez Brunetti, de cabotiner ainsi quand depuis des lustres s'est établie entre nous une sorte de hiérarchie toute de tacite et discrète connivence dont les rouages aussi bien huilés qu'une série de tournées au quatre-vingt-et-un font tourniquer notre planète comme sur des roulettes. C'est la treizième tribu notre troquet, La Belle Équipe en ciné permanent ; un profane fait tinter le drelin-drelin de la porte vitrée et vient poser coude au comptoir, il doit aussitôt se mesurer à cent mille paires d'yeux qui par en dessous les sourcils froncés en moins de rien le jaugent. Qu'il affiche une suffisance déplacée, use de ce ton sec que les petits Marius seuls savent prendre entre eux et sa liquette n'aura le temps de s'imprégner des douces effluves de fritons grésillant dans l'huile bouillante ; la messe est dite, on ne le reverra guère. Mais si, pas tartufe pour deux thunes, il veut bien se montrer tel qu'en lui-même, avec ses coquards au coeur, ses illusions au fil du caniveau toutes en allées - comme souvent et comme tant d'autres ici -, s'il apostrophe et questionne à la cantonade pour se donner une contenance et par pudeur masquer sous la plaisanterie quelque chagrin ou le poids de la solitude qui le tourmente alors, que cela lui chante et qu'il y trouve son compte, il se peut bien qu'il devienne tantôt des nôtres. Brunetti, voyez-vous, c'est un de ces bistrots qui parvient quand même à faire tenir debout ensemble un certain nombre de vies.
Pierre Autin-Grenier, extrait de Friterie-Bar Brunetti, Gallimard, col l'Arpenteur, 2005
Soutine, Jour de vent à Auxerre (1939)
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vendredi, 03 novembre 2006
À cet accès soudain de calme
À quoi reconnaît-on ce que l'on aime. À cet accès soudain de calme, à ce coup porté au coeur et à l'hémorragie qui s'ensuit - une hémorragie de silence dans la parole. Ce que l'on aime n'a pas de nom. Cela s'approche de nous et pose sa main sur notre épaule avant que nous ayons trouvé un mot pour l'arrêter, pour le nommer, pour l'arrêter en le nommant.
(Une petite robe de fête, Christian Bobin)
Photo : Sabine Weiss
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mardi, 31 octobre 2006
Qu’est-ce donc que la vie ordinaire
« Ma vie est semblable à l’enfant tumultueux de retour à la maison, gagné par l’ardeur d’un jeu au dehors : elle me quitte très souvent, elle me revient de loin en loin, encombrée par une émotion que les premiers mots apaisent. Je n’écris que très peu, et ce peu est encore trop, en regard des quelques instants qui éclairent le chemin où je vais : il y a très peu d’événements dans une vie. Parfois il n’y a que l’événement de son désastre, de son lent engloutissement dans le désastre quotidien. Ainsi perd-on toutes forces, dans l’impur mélange des jours. Qu’est-ce donc que la vie ordinaire, celle où nous sommes sans y être ? C’est une langue sans désir, un temps sans merveille. C’est une chose douce comme un mensonge. »
Christian Bobin, Le huitième jour de la semaine.
Modigliani
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mercredi, 25 octobre 2006
Comme des outils divinatoires
"La parole appelle, ne nomme pas. Le français le dit : nous ne nommons pas les choses, nous les appelons. Nous les appelons parce qu'elles ne sont pas là, parce que nous ne savons pas leur nom." "La pensée n'utilise pas les mots, ne cherche pas ses mots. Ce sont les mots qui cherchent, qui traquent la pensée. Nous nous dépouillons des mots en parlant. Celui qui parle, celui qui écrit, c'est un qui jette ses mots comme des outils divinatoires, comme des dés lancés."
Valère Novarina
Image : Jeff Koons
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vendredi, 13 octobre 2006
Ce qui est plus intéressant que le péché
« Le péché est une invention. Ce qui est plus intéressant que le péché, c’est ce qui effraie tout le monde : c’est l’innocence. »
Entretien 5 :
Extrait de L’Evangile de Nietzsche, Philippe Sollers, le Cherche midi (vient de sortir)
20:06 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature, Sollers, Nietzsche
jeudi, 05 octobre 2006
Force et faiblesse
Sur la notion de force et de faiblesse, à lire cet extrait du Journal sur le web de Alina Reyes : « Pour le dire plus précisément, notre faute est de ne savoir écrire sans adopter une posture. De ne savoir chercher notre force qu’en faisant usage de la force, alors que c’est dans la faiblesse reconnue que se trouve toute force transcendante. Kafka a la force du faible, Shakespeare ou Dostoïevski ou Faulkner aussi, qui se retirent d’eux-mêmes pour faire don de toute leur humanité à leurs personnages, Montaigne aussi qui s’autopsie comme on s’offre en précis et tendre holocauste, ou encore Céline ou Sade qui se livrent à la haine et à l’abîme en bourreaux expiatoires de l’infinie mauvaiseté humaine… Ceux-là comme tous les grands poètes sont des humbles, dussent-ils afficher l’orgueil démesuré d’un Nietzsche, qui ne nous parlerait pas s’il n’était en réalité la marque d’une extrême compassion, celle, en définitive, d’un « Crucifié », ainsi qu’en l’ultime moment il (se) signa. Ayant fait le chemin jusqu’au tombeau de soi-même, ce n’est pas seulement du chemin et du tombeau que l’on pourra témoigner, c’est aussi de la résurrection. La vie d’un artiste est faite de mille morts et de mille résurrections, mais il ne saurait atteindre la vie éternelle s’il ne savait se laisser piétiner, y compris et d’abord par lui-même. (Où il ne faut évidemment voir aucun masochisme, mais au contraire la joie et l’orgueil « transhumains » de l’Ubermensch nietzschéen, ou du trasumanar du voyageur dantesque). »
Ce point de vue me semble parfaitement illustré par l'oeuvre du peintre Francis Bacon : Photo de Francis Bacon à 75 ans, prise par le photographe John Edwards en 1984 : lire ici l'extrait des "Passions de Francis Bacon" par Philippe Sollers dont elle est tirée.
02:51 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, philosophie, Alina Reyes, Francis Bacon
mercredi, 04 octobre 2006
Selon sa nature, l'odeur dilate ou rétrécit l'espace.
Les gestes à eux seuls forment une treille dont la terre a besoin. Chaque coupeur choisit une rangée et le travail commence. Les feuilles des sarments sont imprégnées des odeurs de la nuit. Selon sa nature, l'odeur dilate ou rétrécit l'espace.
Roch-Gérard Salager, De voix, de silence et d'eau. La Dragonne, 2003
Ici le site Cardabelle, photos de Georges Souche et Sylvie Berger
07:55 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, Roch-Gérard Salager, Vendanges, vigne, Georges Souche, photo
mardi, 03 octobre 2006
Si le monde signifie quelque chose, c’est qu’il ne signifie rien - sauf qu’il est
« Je suis maintenant un vieil homme, et, comme beaucoup d’habitants de notre vieille Europe, la première partie de ma vie a été assez mouvementée : j’ai été témoin d’une révolution, j’ai fait la guerre dans des conditions particulièrement meurtrières (j’appartenais à l’un de ces régiments que les états-majors sacrifient froidement à l’avance et dont, en huit jours, il n’est pratiquement rien resté), j’ai été fait prisonnier, j’ai connu la faim, le travail physique jusqu’à l’épuisement, je me suis évadé, j’ai été gravement malade, plusieurs fois au bord de la mort, violente ou naturelle, j’ai côtoyé les gens les plus divers, aussi bien des prêtres que des incendiaires d’églises, de paisibles bourgeois que des anarchistes, des philosophes que des illettrés, j’ai partagé mon pain avec des truands, enfin j’ai voyagé un peu partout dans le monde... et cependant, je n’ai jamais encore, à 72 ans, découvert aucun sens à tout cela, si ce n’est, comme l’a dit, je crois, Barthes, après Shakespeare, que « si le monde signifie quelque chose, c’est qu’il ne signifie rien - sauf qu’il est ». »
Claude Simon, discours de Stockholm, extrait de "Pourquoi j'aime Claude Simon", article de Philippe Sollers à lire ici
15:58 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, Claude Simon
dimanche, 01 octobre 2006
Il y a 150 ans, jour pour jour...
Débutait dans la presse la parution de Madame Bovary, peut-être le seul roman de toute la littérature absolument parfait...
"...comme si la plénitude de l'âme ne débordait pas quelquefois par les métaphores les plus vides, puisque personne, jamais, ne peut donner l'exacte mesure de ses besoins, ni de ses conceptions, ni de ses douleurs, et que la parole humaine est comme un chaudron fêlé où nous battons des mélodies à faire danser les ours, quand on voudrait attendrir les étoiles. "
deuxième partie, Chapitre 12
Photo : Madame Bovary, ballet, 1996, Indiana University
00:30 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, Flaubert