samedi, 01 octobre 2005
Ca saute, ça danse !
Voilà le sommet des arbres qui disparaît, les collines qui s'abaissent ; je vois les villes comme des taches d'encre éclaboussées, les routes telles que des pattes d'insectes qui se prolongent et s'amincissent. La mer ne remue plus, elle est toute plate, on la dirait solide comme la terre, et c'est la terre au contraire qui se balance en oscillant. Je vois les pics des montagnes couverts de neige, qui se tassent les uns près des autres comme des moutons qui se rassemblent en troupeau. Ca saute ! ça danse ! L'air pèse sur ma poitrine, j'étouffe ! Le vent par grandes bouffées me donne des coups dans la figure.
La Tentation de Saint Antoine (version de 1849) Gustave Flaubert
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vendredi, 30 septembre 2005
Ciel brouillé
On dirait ton regard d'une vapeur couvert ;
Ton oeil mystérieux (est-il bleu, gris ou vert ?)
Alternativement tendre, rêveur, cruel,
Réfléchit l'indolence et la pâleur du ciel.
Tu rappelles ces jours blancs, tièdes et voilés,
Qui font se fondre en pleurs les coeurs ensorcelés,
Quand, agités d'un mal inconnu qui les tord,
Les nerfs trop éveillés raillent l'esprit qui dort.
Tu ressembles parfois à ces beaux horizons
Qu'allument les soleils des brumeuses saisons...
Comme tu resplendis, paysage mouillé
Qu'enflamment les rayons tombant d'un ciel brouillé !
Ô femme dangereuse, ô séduisants climats !
Adorerai-je aussi ta neige et vos frimas,
Et saurai-je tirer de l'implacable hiver
Des plaisirs plus aigus que la glace et le fer ?
Baudelaire
Rembrandt, paysage avec un moulin
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Dans l’oubli d’exister à une époque qui survit à la beauté
(Suite et fin du poème de Mallarmé : Le phénomène futur)
Dans le silence inquiet de tous les yeux suppliant là-bas le soleil qui, sous l’eau, s’enfonce avec le désespoir d’un cri, voici le simple boniment : « Nulle enseigne ne vous régale du spectacle intérieur, car il n’est pas maintenant un peintre capable d’en donner une ombre triste. J’apporte, vivante (et préservée à travers les ans par la science souveraine) une Femme d’autrefois. Quelque folie, originelle et naïve, une extase d’or, je ne sais quoi ! par elle nommé sa chevelure, se ploie avec la grâce des étoffes autour d’un visage qu’éclaire la nudité sanglante de ses lèvres. A la place du vêtement vain, elle a un corps ; et les yeux, semblables aux pierres rares, ne valent pas ce regard qui sort de sa chair heureuse : des seins levés comme s’ils étaient pleins d’un lait éternel, la pointe vers le ciel, aux jambes lisses qui gardent le sel de la mer première. » Se rappelant leurs pauvres épouses, chauves, morbides et pleines d’horreur, les maris se pressent : elles aussi par curiosité, mélancoliques, veulent voir.
Quand tous auront contemplé la noble créature, vestige de quelque époque déjà maudite, les uns indifférents, car ils n’auront pas eu la force de comprendre, mais d’autres navrés et la paupière humide de larmes résignées se regarderont ; tandis que les poëtes de ces temps, sentant se rallumer lers yeux éteints, s’achemineront vers leur lampe, le cerveau ivre un instant d’une gloire confuse, hantés du Rythme et dans l’oubli d’exister à une époque qui survit à la beauté.
04:00 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (3)
dimanche, 18 septembre 2005
Pas d'obstacle qui passe les forces de l'esprit humain
Il ne faut pas confondre la bonté d'Elohim avec la trivialité. Chacun est vraisemblable. La familiarité engendre le mépris; la vénération engendre le contraire. Le travail détruit l'abus des sentiments.
Nul raisonneur ne croit contre sa raison.
La foi est une vertu naturelle par laquelle nous acceptons les vérités qu'Elohim nous révèle par la conscience.
Je ne connais pas d'autre grâce que celle d'être né. Un esprit impartial la trouve complète.
Le bien est la victoire sur le mal, la négation du mal. Si l'on chante le bien, le mal est éliminé par cet acte congru.
Je ne chante pas ce qu'il ne faut pas faire. Je chante ce qu'il faut faire. Le premier ne contient pas le second. Le second contient le premier.
La jeunesse écoute les conseils de l'âge mûr. Elle a une confiance illimitée en elle-même.
Je ne connais pas d'obstacle qui passe les forces de l'esprit humain, sauf la vérité.
La maxime n'a pas besoin d'elle pour a prouver. Un raisonnement demande un raisonnement. La maxime est une loi qui renferme un ensemble de raisonnements. Un raisonnement se complète à mesure qu'il s'approche de la maxime. Devenu maxime, sa perfection rejette les preuves de la métamorphose.
Le doute est un hommage rendu à l'espoir. Ce n'est pas un hommage volontaire. L'espoir ne consentirait pas à n'être qu'un hommage.
Le mal s'insurge contre le bien. Il ne peut pas faire moins. C'est une preuve d'amitié de ne pas s'apercevoir de l'augmentation de celle de nos amis.
Isidore Ducasse, Les Poésies II
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