jeudi, 10 novembre 2005
Fiesole
Mais à l’approche des vacances de Pâques, quand mes parents m’eurent promis de me les faire passer une fois dans le nord de l’Italie, voilà qu’à ces rêves de tempête dont j’avais été rempli tout entier, ne souhaitant voir que des vagues accourant de partout, toujours plus haut, sur la côte la plus sauvage, près d’églises escarpées et rugueuses comme des falaises et dans les tours desquelles crieraient les oiseaux de mer, voilà que tout à coup les effaçant, leur ôtant tout charme, les excluant parce qu’ils lui étaient opposés et n’auraient pu que l’affaiblir, se substituaient en moi le rêve contraire du printemps le plus diapré, non pas le printemps de Combray qui piquait encore aigrement avec toutes les aiguilles du givre, mais celui qui couvrait déjà de lys et d’anémones les champs de Fiésole et éblouissait Florence de fonds d’or pareils à ceux de l’Angelico. Dès lors, seuls les rayons, les parfums, les couleurs me semblaient avoir du prix; car l’alternance des images avait amené en moi un changement de front du désir, et,—aussi brusque que ceux qu’il y a parfois en musique, un complet changement de ton dans ma sensibilité. Puis il arriva qu’une simple variation atmosphérique suffit à provoquer en moi cette modulation sans qu’il y eût besoin d’attendre le retour d’une saison. Car souvent dans l’une, on trouve égaré un jour d’une autre, qui nous y fait vivre, en évoque aussitôt, en fait désirer les plaisirs particuliers et interrompt les rêves que nous étions en train de faire, en plaçant, plus tôt ou plus tard qu’à son tour, ce feuillet détaché d’un autre chapitre, dans le calendrier interpolé du Bonheur. Mais bientôt comme ces phénomènes naturels dont notre confort ou notre santé ne peuvent tirer qu’un bénéfice accidentel et assez mince jusqu’au jour où la science s’empare d’eux, et les produisant à volonté, remet en nos mains la possibilité de leur apparition, soustraite à la tutelle et dispensée de l’agrément du hasard, de même la production de ces rêves d’Atlantique et d’Italie cessa d’être soumise uniquement aux changements des saisons et du temps. Je n’eus besoin pour les faire renaître que de prononcer ces noms: Balbec, Venise, Florence, dans l’intérieur desquels avait fini par s’accumuler le désir que m’avaient inspiré les lieux qu’ils désignaient. Même au printemps, trouver dans un livre le nom de Balbec suffisait à réveiller en moi le désir des tempêtes et du gothique normand; même par un jour de tempête le nom de Florence ou de Venise me donnait le désir du soleil, des lys, du palais des Doges et de Sainte-Marie-des-Fleurs.
Marcel Proust
10:55 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (10)
Commentaires
Moi j'aime bien écrire Baalbec, avec deux a, on voit mieux ses roses... Il y en a tant que j'en verse dans mon bain, d'autres je les mange, d'autres à force de parfums m'évanouissent dans les jardins suspendus.
L'ivresse de ce texte me rappelle l'état dans lequel Flaubert a dû composer Salammbô.
Et puis j'ai envie de le recopier juste pour le plaisir :
Sainte-Marie-des-Fleurs.
Écrit par : Alina | jeudi, 10 novembre 2005
Le paragraphe suivant est encore plus beau...
Écrit par : Ray | jeudi, 10 novembre 2005
Pour rêver, penser à l'Italie que j'aime par dessus tout j'aime à écrire:
SANTA MARIA DEL FIORE.
A propos des fleurs, ça me fait penser à ce que me disait une amie algérienne de Constantine.
En Avril les constantinois distillent l'eau de rose, et toute la ville comme par magie dégage un puissant parfum qui évanouit dans les bras tendus.
Inimaginable dans la ville de Ray empestée d'odeur de diesel et d'essence.
Écrit par : Bona | jeudi, 10 novembre 2005
"O mon Bien ! O mon Beau ! Fanfare atroce où je ne trébuche point ! chevalet féerique ! Hourra pour l'oeuvre inouïe et pour le corps merveilleux, pour la première fois ! Cela commença sous les rires des enfants, cela finira pas eux"
Écrit par : Ray | jeudi, 10 novembre 2005
O l'ami, tu as le chic pour nous faire voyager en littérature et en peinture.
Je me retrouve soudain à Fiesole.
Écrit par : Bona | jeudi, 10 novembre 2005
C'est vrai Bona, c'est encore plus beau en italien, comme d'habitude, il y a aussi San Miniato al monte
Écrit par : Ray | jeudi, 10 novembre 2005
Ah oui je connais bien San miniato sur la route de Firenze; tu continues plus loin et là, oh merveille!San giminiano hum
Écrit par : Bona | vendredi, 11 novembre 2005
et un peu plus au sud,Montepulciano où je suis tombé amoureux d'une superbe femme de soixante ans; j'étais parti pour une semaine, je suis resté deux mois...sans peindre!
Écrit par : Bona | vendredi, 11 novembre 2005
Bonne nuit Ray et profite bien
de ton escapade en Ardèche!
Écrit par : Bona | vendredi, 11 novembre 2005
Merci, à bientôt !
Écrit par : Ray | vendredi, 11 novembre 2005
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