lundi, 23 avril 2007
Leur rayon spécial
Car le style de l’écrivain, aussi bien que la couleur pour le peintre, est une question non de technique mais de vision. Il est la révélation, qui serait impossible par des moyens directs et conscients, de la différence qualitative qu’il y a dans la façon dont nous apparaît le monde, différence qui, s’il n’y avait pas l’art, resterait le secret éternel de chacun. Par l’art seulement nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n’est pas le même que le nôtre, et dont les paysages nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu’il peut y avoir dans la lune. Grâce à l’art, au lieu de voir un seul monde, le nôtre, nous le voyons se multiplier, et, autant qu’il y a d’artistes originaux, autant nous avons de mondes à notre disposition, plus différents les uns des autres que ceux qui roulent dans l’infini, et, bien des siècles après qu’est éteint le foyer dont il émanait, qu’il s’appelât Rembrandt ou Ver Meer, nous envoient encore leur rayon spécial.
Marcel Proust, Le temps retrouvé
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Dans la paix du matin...
L'ombre des forêts flottait dans la paix du matin entre la tour et la mer que regardait Stephen. Au creux de la baie et au large blanchissait la mer miroitante, éperonnée par des pieds fugaces et légers. Sein blanc de la mer nébuleuse. Les accents enlacés deux à deux. Une main cueillant les cordes de la harpe et mêlant leurs accords jumeaux. Vagues couplées du verbe, vif-argent qui vacille sur la sombre marée.
James Joyce, Ulysse
09:50 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, James Joyce, Ulysse
dimanche, 22 avril 2007
" Je vois de loin, j’atteins de même. "
Le pouvoir des Fables est souverain. Si personne n’écoute plus personne, commencez-en une : les oreilles se tendront peu à peu. C’est pourquoi " on ne saurait trop égayer les narrations ", ce qui n’est pas donné à tout le monde. La ronde des péchés capitaux s’équilibre alors sous le charme d’une logique harmonique, le génie des sons s’empare du reste : " Tout est mystère dans l’Amour, / Ses flèches, son carquois, son flambeau, son enfance. " Ou encore : " Bien purs, présents du Ciel qui naissent sous les pas. " Le raisonnement de la " langue des dieux " est dans ce balancement du rythme. La mémoire humaine est obligée de le retenir et d’en faire des lois. Tout le monde répète du La Fontaine : il suffirait de le comprendre, mais rien de plus difficile qu’une évidence portée à ce point. " J’ouvre l’esprit et rend le sexe habile. " Ou, plus carrément, et c’est Apollon qui parle : " Je vois de loin, j’atteins de même. "
Philippe Sollers
Extrait de "Subversion de La Fontaine", à lire ici
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samedi, 21 avril 2007
Sa ressemblance avec tous
Je ne puis vivre personnellement sans mon art. Mais je n’ai jamais placé cet art au-dessus de tout. S’il m’est nécessaire au contraire, c’est qu’il ne me sépare de personne et me permet de vivre, tel que je suis, au niveau de tous. L’art n’est pas à mes yeux une réjouissance solitaire. Il est un moyen d’émouvoir le plus grand nombre d’hommes en leur offrant une image privilégiée des souffrances et des joies communes. Il oblige donc l’artiste à ne pas s’isoler ; il le soumet à la vérité la plus humble et la plus universelle. Et celui qui, souvent, a choisi son destin d’artiste parce qu’il se sentait différent, apprend bien vite qu’il ne nourrira son art, et sa différence, qu’en avouant sa ressemblance avec tous. L’artiste se forge dans cet aller retour perpétuel de lui aux autres, à mi-chemin de la beauté dont il ne peut se passer et de la communauté à laquelle il ne peut s’arracher.
Albert Camus, Discours de Suède, 1957
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mardi, 17 avril 2007
Une sorte de point aveugle de notre existence
Voilà Raphaëlle, tu es à Florence, avec des gens, à un concert où je vais interpréter les plus belles mélodies pour toi. Où es-tu exactement ? Ici ? Ailleurs ? Nulle part. En toi ? Même pas. De toute façon, je vais t’emmener encore plus loin. Sais-tu qu’il y a un lieu tout proche auquel nous n’accédons jamais ? Une sorte de point aveugle de notre existence, vois-tu ? Il nous habite, nous n’y pouvons rien, c’est ainsi, nous lui appartenons, c’est notre bulle, et pourtant, faibles, nous nous tenons au dehors, le plus souvent.
Jean-Jacques Marimbert, Raphaëlle, éd du Ricochet, 2000
Photo : Jean-Luc Aribaud
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dimanche, 15 avril 2007
Cette grande écriture chiffrée qu'on entrevoit partout
"Les hommes vont de multiples chemins. Celui qui les suit et qui les compare verra naître des figures qui semblent appartenir à cette grande écriture chiffrée qu'on entrevoit partout : sur les ailes, la coquille des œufs, dans les nuages, dans la neige, dans les cristaux et dans la conformation des roches, sur les eaux qui se prennent en glace, au-dedans et au dehors des montagnes, des plantes, des animaux, des hommes, dans les lumières du ciel, sur les disques de verre et les gâteaux de résine qu'on a touchés et frottés, dans les limailles autour de l'aimant et dans les conjonctures singulières du hasard". (Novalis, Les Disciples de Saïs.)
Photo : Jean-Louis Bec
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jeudi, 05 avril 2007
Une chose qu'on ne blâme jamais profondément
"Elle était incurablement malhonnête. Elle ne pouvait même pas supporter de se sentir dans une situation désavantageuse pour elle... Cela me laissait indifférent. Chez une femme, la malhonnêteté est une chose qu'on ne blâme jamais profondément ; chez celle-ci, je le regrettai en passant, puis j'oubliai."
Francis Scott Fitzgerald, Gatsby le magnifique
Roy Lichtenstein
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lundi, 26 mars 2007
C'est en arrivant dans la salle de bains que...
Ce matin au réveil, longtemps avant l'aube, les choses allaient bien ; chaque chose avait pris tout de suite sa juste place dans ma tête – celles qui devaient être à l'ombre, à l'ombre ; celles qui demandaient du soleil étaient déjà au soleil – tout semblait vouloir bien se présenter pour la journée à venir et ça, il faut le dire, c'est plutôt rare. D'ordinaire des charrettes remplies de chiens enragés font la course sur les pavés disjoints de ma cervelle, ou alors d'une oreille l'autre une tringle de fer rouillée vient me perforer les idées et, dans de telles conditions, devoir exister encore jusqu'au soir c'est comme tenter l'impossible. Mais ce matin, hop ! allons-y, vivre démarrait très fort et, pour une fois, c'était tant mieux. C'est en arrivant dans la salle de bains que, comment dire ?, je me suis soudain senti américain.
Pierre Autin-Grenier
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samedi, 24 mars 2007
Carnets indiens, avec Nina Houzel (35)
"Il faudra de plus en plus, s’habituer à toutes ces exceptions, à ces noms (même sans signature) qui signalent ce qu’on pourrait appeler les réussites de l’individuation. Les artistes ne se dévouent pas à l’ensemble humain, ils en sortent. C’est cela qui choque un refoulement de fond ? Mais oui. Le Puritain est avant tout quelqu’un (ou quelqu’une) qui répugne à cette conception des « coups heureux » de l’espèce humaine. Il veut du collectif. Donc de la fausse histoire. Une « Histoire de l’Art ». De même il se rassure en se racontant qu’il y a une séparation bien nette entre écrire et vivre, travail et débauche, sexualité et pensée. Pour lui ce doit être l’un ou l’autre. Le Puritain (ou Puritaine) est clérical (ou cléricale) en ceci qu’il veut croire que les « artistes », inaptes à vivre « réellement » (la réalité c’est lui ou elle) sont, malgré tout, des sacrifiés utiles. Des rédempteurs rentables. L’artiste doit finir mal, son existence ne peut être qu’un puits de névrose ou d’enfer, il a expérimenté des choses dangereuses pour nous, il est devenu fou à notre place, on en tremble encore, c’est vraiment héroïque de sa part. Malheur à l’artiste qui laisserait entendre qu’il n’est pas candidat au martyre, ni au poste de saint laïque pour assurer de son mieux la rédemption communautaire. Le voilà trop anticlérical, que le clergé soit en uniforme ancien ou pas. Il y a toute une gamme de cléricaux : le religieux d’autrefois, le bourgeois, le progressiste, le militant, l’universitaire, le médiatique, le politique. Sur ce point précis, ils sont tous d’accord. Vérifiez."
P Sollers, extrait de Vivant Denon, le cavalier du Louvre.
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vendredi, 23 mars 2007
Monter
"Pourquoi dans toutes nos langues occidentales dit-on « tomber amoureux » ? Monter serait plus juste. L’amour est ascensionnel comme la prière. Ascensionnel et éperdu. (…) Je la revoyais une nuit à mes côtés, sur la jetée du port de ma ville natale. L’été, le silence, l’approche de l’aube. (…) Je la trouvais superbe. Nous marchions du même pas, sans aucun bruit. Je reconnaîtrais sans peine l’endroit où j’ai senti comme une aveuglante déchirure dans le noir, où j’ai eu les poumons dévorés de bonheur. La vie d’un coup acérée, musicale, intelligible. Surtout ne rien dire. "
Nicolas Bouvier
21:22 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, amour, Nicolas Bouvier
jeudi, 22 mars 2007
L'air impalpable de l'été
L'air impalpable de l'été était comme l'essence des pensées du globe terrestre lui-même, pensées étranges, inhumaines, d'une texture de songe, comme si elles s'élevaient et retombaient pour se relever et retomber dans le flux et le reflux d'une immense mer calme et primordiale.
John Cowper Powys, Givre et sang
Merci à Anne Kerzeas, spécialiste de John Cowper Powys : cette citation comme celle de la précédente note sont tirées de son article : "Céramique et littérature" ; Anne est potière, vous pouvez voir son travail à Chamborigaud, dans les Cévennes, en venant d'Alès, à l'entrée du village.
Vient de paraître un inédit en français de Powys : "Le hibou, Le canard et Miss Rowe !Miss Rowe !" (nouvelle, 1933). Première des très rares nouvelles écrites par Powys, inédite en anglais.
pour commander : at.agneau@wanadoo.fr
www.at-agneau.ouvaton.org/ et bientôt un nouveau site
00:05 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, John Cowper Powys, Givre et sang, photo, Jean-Louis Bec
mardi, 20 mars 2007
Pour n'en plus bouger jusqu'au terme de ta vie
J'appartiens à un pays que j'ai quitté. Tu ne peux empêcher qu'à cette heure s'y épanouisse au soleil toute une chevelure embaumée de forêts. Rien ne peut empêcher qu'à cette heure l'herbe profonde y noie le pied des arbres, d'un vert délicieux et apaisant dont mon âme a soif... Viens, toi qui l'ignores, viens que je te dise tout bas : le parfum des bois de mon pays égale la fraise et la rose ! Tu jurerais, quand les taillis de ronces y sont en fleurs qu'un fruit mûrit on ne sait où - là-bas, ici, tout près - un fruit insaisissable qu'on aspire en ouvrant les narines. Tu jurerais, quand l'automne pénètre et meurtrit les feuillages tombés, qu'une pomme trop mûre vient de choir, et tu la cherches et tu la flaires, ici, là-bas, tout près... Et si tu passais, en juin, entre les prairies fauchées, à l'heure où la lune ruisselle sur les meules rondes qui sont les dunes de mon pays, tu sentirais, à leur parfum, s'ouvrir ton cœur. Tu fermerais les yeux, avec cette fierté grave dont tu voiles ta volupté, et tu laisserais tomber ta tête, avec un muet soupir... Et si tu arrivais, un jour d'été, dans mon pays, au fond d'un jardin que je connais, un jardin noir de verdure et sans fleurs, si tu regardais bleuir, au lointain, une montagne ronde où les cailloux, les papillons et les chardons se teignent du même azur mauve et poussiéreux, tu m'oublierais, et tu t'assoirais là, pour n'en plus bouger jusqu'au terme de ta vie.
Colette , les vrilles de la vigne
21:40 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, art, photo, Jean-Louis Bec, Colette
L'essence unique de ces journées d'août...
L'essence unique de ces journées d'août se trouvait dans les champs ; là, parmi les hautes tiges jaunes et les épis gonflés du blé et de l'orge, il semblait que des millions de pavots eussent poussé en une seule nuit. Quelque chose dans le tissu de ces pétales écarlates et transparents comme s'ils étaient nourris du sang même de la terre, nés de l'étreinte enflammée du soleil et desséchés par son souffle brûlant, transmettait d'un champ à l'autre le secret ultime de la saison à travers la brume tremblante qui couvrait les routes des champs.
John Cowper Powys, Givre et sang
00:05 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature, John Cowper Powys, Givre et sang
lundi, 19 mars 2007
La vie quand elle se met à ressembler au roman qu'on est en train d'écrire
Ce qui est intéressant, dans la vie, c'est quand elle se met à ressembler au roman qu'on est en train d'écrire... Magie ? Oui. A partir du moment où on commence un livre, le paysage bouge... Ballet insidieux... Les personnages réels, là, se déplacent... C'est comme s'ils essayaient d'échapper à ce qu'ils soupçonnent qu'on est en train d'écrire d'eux... Comme s'ils s'engageaient dans des diversions parallèles... Pour rectifier votre mémoire... Dans un sens plus favorable, plus flatteur... Les femmes ont sur ce point une plasticité particulière... Un radar... Un neuvième sens... Elles sentent le récit possible... L'écriture... Elles viennent s'interposer... S'inter-proposer...
Philippe Sollers, Femmes
Peinture de Frédérique Azaïs
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jeudi, 15 mars 2007
Un calme intense...
Un calme intense, cuivré comme un lotus jaune, déployait peu à peu ses feuilles de silence sur l'infini de la mer.
Herman Melville
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mercredi, 07 mars 2007
Cool memories
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mercredi, 21 février 2007
Et les changeants nuages d'or
On était dans les montagnes ; il y avait une merveille de soleil levant, des fraîcheurs mauves, des pentes rougeoyantes, l'émeraude des pâturages dans les vallées, la rosée et les changeants nuages d'or
Jack Kerouac, Sur la route
A voir et entendre ici, une interview de JK en français pour la télévision canadienne
Photo : Gildas Pasquet
04:25 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature, Jack Kerouac, Sur la route
lundi, 19 février 2007
"Aaaah!"
Mais alors ils s'en allaient, dansant dans les rues comme des clochedingues, et je traînais derrière eux comme je l'ai fait toute ma vie derrière les gens qui m'intéressent, parce que les seules gens qui existent pour moi sont les déments, ceux qui ont la démence de vivre, la démence de discourir, la démence d'être sauvés, qui veulent jouir de tout dans un seul instant, ceux qui ne savent pas bâiller ni sortir un lieu commun mais qui brûlent, qui brûlent, pareils aux fabuleux feux jaunes des chandelles romaines explosant comme des poêles à frire à travers les étoiles et, au milieu, on voit éclater le bleu du pétard central et chacun fait: "Aaaah!"
Jack Kerouac, Sur la route
Photo : Gildas Pasquet
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samedi, 17 février 2007
Le poète...
"le poète, donc, comme n’importe qui, mais en plein jour, autrement dit comme du langage en nuit-jour, déclenche une haine spécifique, mortelle, pour la seule raison qu’il produit une négation non assimilable à la négation"
Philippe Sollers ; à lire ici sur Antonin Artaud
12:05 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poésie, littérature, Antonin Artaud
jeudi, 11 janvier 2007
Une sorte d'amitié
Jacques Chardonne
21:35 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, Jacques Chardonne