dimanche, 17 décembre 2006
L'ivresse
Pour qu'il y ait de l'art, pour qu'il y ait une action ou une contemplation esthétique quelconque, une condition physiologique préliminaire est indispensable : l'ivresse. Il faut d'abord que l'ivresse ait haussé l'irritabilité de toute la machine : autrement l'art est impossible. Toutes les espèces d'ivresses, fussent-elles conditionnées le plus diversement possible, ont puissance d'art : avant tout l'ivresse de l'excitation sexuelle, cette forme de l'ivresse la plus ancienne et la plus primitive. De même l'ivresse qui accompagne tous les grands désirs, toutes les grandes émotions; l'ivresse de la fête, de la lutte, de l'acte de bravoure, de la victoire, de tous les mouvements extrêmes; l'ivresse de la cruauté; l'ivresse dans la destruction; l'ivresse sous certaines influences météorologiques, par exemple l'ivresse du printemps, ou bien sous l'influence des narcotiques; enfin l'ivresse de la volonté, l'ivresse d'une volonté accumulée et dilatée. — L'essentiel dans l'ivresse, c'est le sentiment de la force accrue et de la plénitude. Sous l'empire de ce sentiment on s'abandonne aux choses, on les force à prendre de nous, on les violente, — on appelle ce processus : idéaliser. Débarrassons-nous ici d'un préjugé : idéaliser ne consiste pas, comme on le croit généralement, en une déduction, et une soustraction de ce qui est petit et accessoire. Ce qu'il y a de décisif c'est, au contraire, une formidable érosion des traits principaux, en sorte que les autres traits disparaissent.
Nietzsche, Le Crépuscule des idoles (1888), «Flâneries inactuelles"
Photo : Gildas Pasquet
10:05 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : Nietzsche, ivresse, Gildas Pasquet
Commentaires
Oui, c'est exactement ce genre d'ivresse qui est exploitée pour envoyer la population à l'usine, au stade et à la guerre !
Écrit par : Christian Cottet-Emard | dimanche, 17 décembre 2006
C'est juste, mais est-ce que son inverse n'est pas exploité aussi, et pour les mêmes objectifs ?
Écrit par : Ray | dimanche, 17 décembre 2006
Bien d'accord, mais cela n'entame pas ma vieille méfiance à l'encontre de Nietzsche.
Écrit par : Christian Cottet-Emard | dimanche, 17 décembre 2006
" Ce que tu veux, veuille-le de telle manière que tu puisses en vouloir le retour éternel "
Écrit par : Ray | dimanche, 17 décembre 2006
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