lundi, 05 décembre 2005
Torrent du temps inlassable
Ce qu'on perçoit, dans les moins mauvaises photos, ce n'est pas la présence mais l'absence, la force qui n 'a jamais été intériorisée, n'a pas franchi le mur de la vision et du son, est restée enfouie, méconnue, torrent du temps inlassable.
Philippe Sollers, L'étoile des amants
06:05 Publié dans Photo | Lien permanent | Commentaires (7)
Les faux prophètes
Les faux prophètes n'arrêtent pas de se montrer
Djalal al-din Rumi
05:05 Publié dans Papillote | Lien permanent | Commentaires (1)
Secret
La libération procède du secret
Philippe Sollers, L'étoile des amants
04:06 Publié dans Illustrateurs | Lien permanent | Commentaires (6)
dimanche, 04 décembre 2005
La maîtrise complète de toutes les dimensions du temps
En réalité, c'est une question de temps. Il est arrivé quelque chose au temps, et la révolution, ici, tout de suite, n'a pas d'autre objectif, mais « grandiose », que la maîtrise complète de toutes les dimensions du temps.
(A lire en entier ici, cet article sur la Correspondance de Guy Debord)
21:32 Publié dans Histoire littéraire | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 03 décembre 2005
Les inédits de P.A.G. (La loge)
Des années durant j’ai porté le costume rapetassé de toutes parts de l’essuyeur de baffes. Succès garanti pour un salaire ne faisant pas de bruit. Je jouais, cela suffisait à mon contentement. Pour l’ordinaire, un bol de bouillon creux ou deux patates au four faisait l’affaire. Au rebours de certains camarades qui très tôt triomphèrent dans Pirandello, malgré un âge avancé je piétinai des lustres dans Polichinelle. Silencieux, je supportais et ne me suis jamais plaint qu’on ait sous-estimé mon talent.
Aujourd’hui qu’après avoir enduré stoïquement toutes les vicissitudes d’une vie sans éclat voici mon nom en haut de l’affiche, la critique à mes pieds et le public subjugué par la finesse de mon art, j’ai décidé de renoncer aux lauriers, aux sunlights et aux planches plutôt que faire facilement mon profit de ce retournement de situation.
Je moisirai donc le restant de mes jours rencogné dans l’humeur sombre de cette loge minuscule, à l’abri du monde. Tous ces gens assemblés sont trop sots pour que je me laisse aller et cède à leur adulation. Ils peuvent sans discontinuer lancer leurs bravos et leurs hourras devant la porte du théâtre vide, se tordre le cou au ciel, je me garde bien de seulement leur montrer ma tête par l’unique petite lucarne de dessous les combles. C’est comme ça.
P.A.GExtrait de « C’est tous les jours comme ça » (inédit).
21:45 Publié dans Inédits | Lien permanent | Commentaires (10)
Les inédits de P.A.G. (Un jeudi au jardin)
Ce jeudi, comme je n’avais nulle affaire intéressante à mener ni quelque lecture légère sous la main susceptible de me désennuyer un moment, alors j’ai enfilé mon pardessus, tiré la porte derrière moi et suis allé au jardin public en bas de mon immeuble m’asseoir sur un banc. Il en reste là un ou deux que la municipalité n’a encore osé faire disparaître — ainsi qu’elle s’y est employée un peu partout dans d’autres quartiers dans le but de faire disparaître avec les vieillards désargentés de mon espèce qui viennent lamentablement y tuer le temps et donnent ainsi une mauvaise image de la ville, c’est du moins ce qu’affirment nos édiles.
Emmitouflé jusqu’aux oreilles dans mon pardessus au col relevé et les mains comme cousues dans les poches, j’ai longuement regardé défiler sous mes yeux mes souvenirs tout en rêvant un peu parfois. Petits trottins promenant tranquilles leurs cuisses au goût de pain d’épice tels que j’en avais connus, aimés aussi, aux jours anciens. Étudiant attardé dans le supérieur, fringué gavroche, et me dévisageant un instant avec du Reggiani dans le regard ; pitié ou reproche ? Costumes-cravates pressant le pas vers quelque pièce étroite et sombre du quartier des affaires, grises ménagères à cabas retour des commissions, tant d’autres clampins encore… Bref, ainsi passaient les passants qui sans s’en apercevoir participaient à ma distraction et me changeaient les idées, comme on dit.
Parce que j’étais finalement resté un bon bout de temps assis sur mon banc, de crainte de me laisser entraîner vers une nostalgie malsaine, aussi par peur de voir mes jambes engourdies de froid et d’inaction refuser soudain de me porter et surtout redoutant l’arrivée des gardiens qui pourchassent sans ménagement les improductifs comme moi, je décidai pour le coup de m’en retourner. Tout a une fin, il faut bien l’admettre.
C’est ainsi que, sortant par le portillon opposé à celui par lequel j’étais entré et longeant de ce fait le bac à sable où, d’ordinaire, ceux qui sont encore autorisés à en avoir un viennent faire crotter leur chien, je vis qu’une bonne femme y avait abandonné son bébé. Il n’y a pas de doute, je me dis in petto en pressant le pas autant que faire se peut, le monde est devenu déprimant.
P.A.G
Extrait de « C’est tous les jours comme ça » (inédit).
20:30 Publié dans Inédits | Lien permanent | Commentaires (0)
Café du Tonkin
Je n’ai jamais vu personne
au Café du Tonkin
et personne ne se le rappelle
à Quimper-Corentin.
La rivière coulait devant sa porte
avec un bruit de jonque,
et de chauve-souris.
Parfois un légionnaire
s’asseyait à sa table en bambou
et d’un juron passait commande
d’une fille, d’un alcool de contrebande.
Le Café du Tonkin
n’avait pas son pareil
à dix lieues à la ronde
et s’il n’a jamais existé
est-ce une raison pour l’oublier ?
Gérard Le Gouic
Cafés (Rougerie éd. 1988)
19:30 Publié dans littérature | Lien permanent | Commentaires (1)
A chacun comme s'il était seul
Toute société est, par définition, un inlassable effort, plus ou moins répressif, de normalisation. L'intellectuel aime les rassemblements, il signe ensemble. L'écrivain s'écarte, parle à chacun comme s'il était seul.
Philippe Sollers, Eloge de l'infini
18:15 Publié dans L'écrivain | Lien permanent | Commentaires (0)
Dans autrefois et puis dans le futur aussi
Ton sourire éblouissant prolonge
La même rose avec son bel été qui plonge
Dans autrefois et puis dans le futur aussi
Mallarmé
Berthe Morisot, Portrait d'une jeune fille
17:58 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)
Sans espace ni temps est le règne de la Nuit
Le matin doit-il toujours revenir ? La puissance du Terrestre ne prend-elle jamais fin ? Une malheureuse turbulence dévore l’intuition céleste de la Nuit. L’intime sacrifice de l’Amour ne brûlera-t-il jamais éternellement ? Son temps a été mesuré, à la Lumière ; mais sans espace ni temps est le règne de la Nuit. - Éternelle est la durée du Sommeil. Sommeil sacré - ne comble pas trop rarement ceux qui sont voués à la Nuit en ce terrestre labeur quotidien. Seuls les fous te méconnaissent et ne savent d’aucun sommeil que l’ombre, que, compatissant, tu jettes sur nous dans ce crépuscule de la vraie Nuit. Ils ne te sentent pas dans le flot doré des grappes, - dans l’huile merveilleuse de l’amandier et le suc brun du pavot. Ils ne savent pas que c’est toi qui voltiges près de la gorge de la tendre vierge et fais de ce sein le paradis - ils ne pressentent pas qu’issu des anciennes légendes tu viens vers nous en ouvrant le ciel et que tu portes la clef pour les demeures des bienheureux, muet messager de mystères infinis.
Novalis, Hymnes à la nuit (suite)
17:10 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (2)
Aimable soleil de la Nuit
Que jaillit-il soudain de si prémonitoire sous mon cœur et qui absorbe le souffle douceâtre de la nostalgie ? As-tu, toi aussi, un faible pour nous, sombre Nuit ? Que portes-tu sous ton manteau qui, avec une invisible force, me va à l’âme ? Un baume précieux goutte de ta main, du bouquet de pavots. Tu soulèves dans les airs les ailes alourdies du cœur. Obscurément, ineffablement nous nous sentons envahis par l’émoi - je vois, dans un joyeux effroi, un visage grave, qui, doux et recueilli, se penche vers moi, et sous des boucles infiniment emmêlées montre la jeunesse chérie de la Mère. Que la Lumière maintenant me semble pauvre et puérile - heureux et béni l’adieu du jour ! - Ainsi c’est seulement parce que la Nuit détourne de toi les fidèles, que tu as semé dans les vastitudes de l’espace les globes lumineux, pour proclamer ta toute-puissance - ton retour - aux heures de ton éloignement. Plus célestes que ces étoiles clignotantes, nous semblent les yeux infinis que la Nuit a ouverts en nous. Ils voient plus loin que les plus pâles d’entre ces innombrables armées stellaires - sans avoir besoin de la Lumière ils sondent les profondeurs d’un cœur aimant - ce qui remplit d’une indicible extase un espace plus haut encore. Louange à la reine de l’univers, à la haute révélatrice de mondes sacrés, à la protectrice du céleste amour - elle t’envoie vers moi - tendre Bien-Aimée - aimable soleil de la Nuit, - maintenant je suis éveillé - car je suis tien et mien - tu m’as révélé que la Nuit est la vie - tu m’as fait homme - consume mon corps avec le feu de l’esprit, afin que, devenu aérien, je me mêle à toi de plus intime façon et qu’ainsi dure éternellement la Nuit Nuptiale.
Novalis, Les Hymnes à la nuit
14:20 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 02 décembre 2005
La fleur du soleil
L'amour constant ressemble à la fleur du soleil,
Qui rend à son déclin, le soir, le même hommage
Dont elle a, le matin, salué son réveil!
Gérard de Nerval
22:05 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (2)
Ces portes d'ivoire
Le Rêve est une seconde vie. Je n'ai pu percer sans frémir ces portes d'ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible.
Gérard de Nerval
21:45 Publié dans Rêve | Lien permanent | Commentaires (9)
La musique de Bach
La musique de Bach nappe de silence le vacarme environnant. Des forêts profondes sculptent l’aurore, les bruits effarouchés comme par la neige glissent. Plus loin, dans la clairière obscure, les contours du monde se dessinent. Il émerge lentement d’un halo gris, désenglué de sa glaise initiale. L’hiver s’éloigne.
19:30 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (1)
L'or du temps
Devant, ciel gris, âpre. Une chaleur insensible flotte. Le monde ne peut être paisible sans cette trouée lilas, monocorde, à fixer les nuages, les rendre transparents. La terre s'approfondit.
Une musique monte dans le lointain, symphonie élastique. Gammes bleues et mauves. La terre est prête à s’engouffrer dans l’océan. Terre blonde et vermeille. Un lit de terre.
Une musique monte dans le lointain, symphonie élastique. Gammes bleues et mauves. La terre est prête à s’engouffrer dans l’océan. Terre blonde et vermeille. Un lit de terre.
Une musique monte dans le lointain, symphonie élastique. Gammes bleues et mauves. La terre est prête à s’engouffrer dans l’océan. Terre blonde et vermeille. Un lit de terre.
Loin encore l’Europe est là, je la sens. J’y jette tous mes espoirs, je ne reverrai jamais les îles je crois. Pourquoi revenir en arrière ?
La symphonie de l’aurore jette une lumière ocre. Des plages longilignes dévorent la terre devant l’étrave du bateau.
Si j’étais peintre, je poserais mon chevalet ici. Le ciel étagé en rumeurs, les couleurs comme des bruits, des notes, qui s’attirent, se repoussent, s’aiment.
La nuit recouvre le monde d’un baume nourricier. Le fin halo de l’aube pose des reflets de nacre. La mer déferle et envahit. La plaine s’évase, roule ses méandres d’eau, de limon et de soleil.
La neige, fluide, volatile – jamais je n’avais rêvé un tel bonheur – lance un soubresaut de calme sur l’azur. L’air piqué de nuages, d’oiseaux blancs, déchiquette l’ombre.
La montagne, d’un coup fondue, disparue corps et âme, happée par le vent qui règne en maître. Le vent est le seul maître du ciel, de la terre et de la mer. Il attise les grandes passions et éteint les petites.
La scène se déroule sans ordre apparent. Une clarté dahlia, pulvérisée en fines gouttelettes mauves, disperse les derniers désordres de la nuit.
D’un coup de baguette magique, l’opéra déferle. Le chef d’orchestre, les bras chargés de neige, dirige la scène, pointant un doigt menaçant sur l’horizon.
Tout s’anime et se referme en un même mouvement. Le temps est immobile, dressé comme une forteresse en pleine lueur. Une symphonie du nouveau monde.
Une frondaison blanche s’est répandue, annonciatrice de temps nouveaux. Qui sait, la fin des temps est peut-être venue, ici, à la limite de l’océan, sur cet arrondi de la terre, archipel de hasard, de roc, de vent et de sable, noyé.
Déchaînement des éléments. La terre va s’engloutir, revenir à sa vérité première. Matière, fusion, évanouissements.
L’homme disparaîtra, lui le passager clandestin, l’invité de la dernière heure. Il s’en ira sur la pointe des pieds après avoir coloré d’un peu de poésie l’or du temps.
(Texte écrit en 2002 à propos de la vie de Saint-John Perse ; à l'âge de 11 ans, alors qu'il a toujours vécu aux Antilles, il découvre pour la première fois la neige, aux Açores)
16:56 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)
Le clair de lune sur la flûte du silence
Il vient dans la vie une heure [...] où les yeux las ne tolèrent plus qu'une lumière, celle qu'une belle nuit comme celle-ci prépare et distille avec l'obscurité, où les oreilles ne peuvent plus écouter de musique que celle que joue le clair de lune sur la flûte du silence.
(Marcel Proust, Du côté de chez Swann)
15:01 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (1)
Simple feu
L'amour n'est pas une chose commune sur laquelle on peut broder [...] et il faut l'offrir et l'accepter, le donner et le recevoir, avec cet esprit de dépouillement et de simple feu qui est le meilleur moyen pour arriver à l'intimité des âmes et des corps.
(André Pieyre de Mandiargues, Le lis de mer)
14:30 Publié dans Papillote | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 01 décembre 2005
C'est un rentier de l'esthétique qui a bouffé de l'infini et dévoré cent mille merveilles
C'est que le grand Raymond, vous savez, il a connu le Tonkin, navigué en barcasse de long en large sur le Mékong, passé dans un fauteuil le col des Nuages, écumé les rizières, ce n'est pas simple pilotin : c'est un rentier de l'esthétique qui a bouffé de l'infini et dévoré cent mille merveilles ; le fin fond de l'Indochine ou le fond de sa poche de pantalon pour lui c'est pareil ; - Vous doutez ?... - Authentique pourtant! Il faut l'entendre raconter le temps où il tenait tripot à Bien-Hoa, faisait commerce d'opium, de vieil or et d'annamites. Là-bas il avait une marquise cerclée de brillants à chaque doigt, la moitié de la ville à lui et biberonnait du whisky écossais dans de la porcelaine de Chine. Sa mère, il nous a dit, était restée barmaid à Quincié-en-Beaujolais, son père s'en était allé brocanter quelque part du côté de Laroche-Migennes mais lui, Raymond, sa garçonnière c'était la mappemonde, très simplement.
"Friterie-bar Brunetti", P.A.G.
21:45 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)
Le grand Raymond
Toujours juché sur son tabouret dans l'angle du bar près de la porte comme pour mieux contrôler les va-et-vient et régler la circulation, veiller aussi en maître majordome à la bonne ordonnance des débats, libations et remous qui agitent l'estanco, le grand Raymond, de sa voix patinée à l'ancienne par plusieurs couches superposées de nicotine, parfois pousse un coup de gueule un peu cassé et rauque certes mais sans appel : Hé! on ne s'entend plus parler là-dedans! Mettez une sourdine, monsieur Pierre écrit son roman! Alors un court instant, l'assistance interloquée, les conversations baissent d'un cran pour vite retrouver, dans la seconde qui suit, l'habituel charivari des chopes entrechoqués, des exclamations d'enthousiasme, des apostrophes d'une table l'autre, bref le fier chambard de foire à la volaille qui règne la plupart du temps ici, tant il est vrai qu'à certaines heures de la journée et quoi qu'il se passe un bistrot n'a pas le droit de rester silencieux.
Extrait de "Friterie-bar Brunetti", Pierre Autin-Grenier, Gallimard collection L'arpenteur
19:41 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (7)
La Belle Équipe en ciné permanent
C'est la treizième tribu notre troquet, La Belle Équipe en ciné permanent ; un profane fait tinter le drelin-drelin de la porte vitrée et vient poser coude au comptoir, il doit aussitôt se mesurer à cent mille paires d'yeux qui par en dessous les sourcils froncés en moins de rien le jaugent. Qu'il affiche une suffisance déplacée, use de ce ton sec que les petits Marius seuls savent prendre entre eux et sa liquette n'aura le temps de s'imprégner des douces effluves de fritons grésillant dans l'huile bouillante ; la messe est dite, on ne le reverra guère. Mais si, pas tartufe pour deux thunes, il veut bien se montrer tel qu'en lui-même, avec ses coquards au coeur, ses illusions au fil du caniveau toutes en allées - comme souvent et comme tant d'autres ici -, s'il apostrophe et questionne à la cantonade pour se donner une contenance et par pudeur masquer sous la plaisanterie quelque chagrin ou le poids de la solitude qui le tourmente alors, que cela lui chante et qu'il y trouve son compte, il se peut bien qu'il devienne tantôt des nôtres. Brunetti, voyez-vous, c'est un de ces bistrots qui parvient quand même à faire tenir debout ensemble un certain nombre de vies.
Extrait de "Friterie-bar Brunetti" de Pierre Autin-Grenier, L'arpenteur Gallimard
19:04 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)