lundi, 14 novembre 2005
Un peu de temps à l'état pur
Me rappelant trop avec quelle indifférence relative Swann avait pu parler autrefois des jours où il était aimé, parce que sous cette phrase il voyait autre chose qu'eux, et de la douleur subite que lui avait causée la petite phrase de Vinteuil en lui rendant ces jours eux-mêmes tels qu'il les avait jadis sentis, je comprenais trop que ce que la sensation des dalles inégales, la raideur de la serviette, le goût de la madeleine avaient réveillé en moi, n'avait aucun rapport avec ce que je cherchais souvent à me rappeler de Venise, de Balbec, de Combray, à l'aide d'une mémoire uniforme ; et je comprenais que la vie pût être jugée médiocre, bien qu'à certains moments elle parût si belle, parce que dans le premier cas c'est sur tout autre chose qu'elle même, sur des images qui ne gardent rien d'elle qu'on la juge et qu'on la déprécie. (...) Je glissais rapidement sur tout cela, plus impérieusement sollicité que j'étais de chercher la cause de cette félicité, du caractère de certitude avec lequel elle s'imposait, recherche ajournée autrefois. Or, cette cause, je la devinais en comparant entre elles ces diverses impressions bienheureuses et qui avaient entre elles ceci de commun que je les éprouvais à la fois dans le moment actuel et dans un moment éloigné où le bruit de la cuiller sur l'assiette, l'inégalité des dalles, le goût de la madeleine allaient jusqu'à faire empiéter le passé sur le présent, à me faire hésiter à savoir dans lequel des deux je me trouvais ; au vrai, l'être qui alors goûtait en moi cette impression la goûtait en ce qu'elle avait de commun dans un jour ancien et maintenant, dans ce qu'elle avait d'extra-temporel, un être qui n'apparaissait que quand, par une de ces identités entre le présent et le passé, il pouvait se trouver dans le seul milieu où il pût vivre, jouir de l'essence des choses, c'est-à-dire en dehors du temps. Cela expliquait que mes inquiétudes au sujet de ma mort eussent cessé au moment où j'avais reconnu, inconsciemment, le goût de la petite madeleine, puisqu'à ce moment-là l'être que j'avais été était un être extra-temporel, par conséquent insoucieux des vicissitudes de l'avenir. Cet être-là n'était jamais venu à moi, ne s'était jamais manifesté qu'en dehors de l'action, de la jouissance immédiate, chaque fois que le miracle d'une analogie m'avait fait échapper au présent. Seul il avait le pouvoir de me faire retrouver les jours anciens, le Temps Perdu, devant quoi les efforts de ma mémoire et de mon intelligence échouaient toujours. (...) Tant de fois, au cours de ma vie, la réalité m'avait déçu parce que au moment où je la percevais, mon imagination qui était mon seul organe pour jouir de la beauté, ne pouvait s'appliquer à elle en vertu de la loi inévitable qui veut qu'on ne puisse imaginer que ce qui est absent. Et voici que soudain l'effet de cette dure loi, s'était trouvé neutralisé, suspendu, par un expédient merveilleux de la nature, qui avait fait miroiter une sensation - bruit de la fourchette et du marteau, même inégalité de pavés - à la fois dans le passé ce qui permettait à mon imagination de la goûter, et dans le présent où l'ébranlement effectif de mes sens par le bruit, le contact avait ajouté aux rêves de l'imagination ce dont ils sont habituellement dépourvus, l'idée d'existence - et grâce à ce subterfuge avait permis à mon être d'obtenir, d'isoler, d'immobiliser - la durée d'un éclair - ce qu'il n'appréhende jamais: un peu de temps à l'état pur. L'être qui était rené en moi quand avec un tel frémissement de bonheur j'avais entendu le bruit commun à la fois à la cuiller qui touche l'assiette et au marteau qui frappe sur la roue, à l'inégalité pour les pas des pavés de la cour Guermantes et du baptistère de Saint-Marc, cet être-là ne se nourrit que de l'essence des choses, en elles seulement il trouve sa subsistance, ses délices. Il languit dans l'observation du présent où les sens ne peuvent la lui apporter, dans la considération d'un passé que l'intelligence lui dessèche, dans l'attente d'un avenir que la volonté construit avec des fragments du présent et du passé auxquels elle retire encore de leur réalité ne conservant d'eux que ce qui convient à la fin utilitaire, étroitement humaine qu'elle leur assigne. Mais qu'un bruit, qu'une odeur, déjà entendu et respirée jadis le soient de nouveau, à la fois dans le présent et dans le passé, réels sans être actuels, idéaux sans être abstraits, aussitôt l'essence permanente et habituellement cachée des choses se trouve libérée et notre vrai moi qui parfois depuis longtemps, semblait mort, mais ne l'était pas autrement, s'éveille, s'anime en recevant la céleste nourriture qui lui est apportée. Une minute affranchie de l'ordre du temps a recréé en nous pour la sentir l'homme affranchi de l'ordre du temps.
Marcel Proust, A la recherche du temps perdu, Le Temps retrouvé
17:45 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (0)
Les petits métiers
Ange gardien, arracheur d’ailes, ramasseur de crottes, boyautier, loueuse de sangsues, cueilleur d’orphelins, marchande d’arlequins... C'étaient des petits métiers, à lire sur Langue sauce piquante en date du 14/11
11:08 Publié dans Sauce piquante | Lien permanent | Commentaires (2)
dimanche, 13 novembre 2005
Pierrot ou Ginette ?
Même si leur tonalité diffère - douce-amère chez Dominique Fabre ; grinçante chez Pierre Autin-Grenier - ces deux écrivains discrets ont plus d'un point en commun. Outre la teneur plus ou moins autobiographique de leurs textes, tous deux ont choisi la forme brève (nouvelles, romans courts, fragments) pour arpenter et dépeindre, avec une profonde humanité, un monde aux marges des villes, du faste, de l'abondance et de la réussite, où tentent de vivre gens de peu, sans-grade et autres éclopés de la vie. Rien d'étonnant dès lors de retrouver ces deux subtils prosateurs dans un café, ce lieu qui, dans la chaleur d'un instant partagé parvient à "faire tenir debout" des existences chancelantes et usées.
La suite de l'article de Christine Rousseau dans Le Monde des livres, à lire ici
22:18 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)
Vertige fondamental
Dans l’analyse qu’il fait de la Flagellation, de Piero della Francesca, Alain Jaubert écrit ceci, à propos du point de fuite : « Notre propre monde est lui-même illusion, il est comme l’émanation, le rêve d’une autre histoire qui aurait eu lieu dans un passé très ancien et qui se répète à l’infini, de génération en - génération. Piero a donc construit tout son tableau sur ce vertige fondamental. (...) Piero est contemporain de Christophe Colomb, il - appartient à cette génération d’hommes qui prétend justement affronter l’infini, qu’il soit océanique ou mathématique. Tous les savoirs sont convoqués dans un tableau manifeste qui traduit le passage d’un monde fini à un univers infini. »
21:38 Publié dans Peinture | Lien permanent | Commentaires (4)
Piero della Francesca
21:25 Publié dans littérature | Lien permanent | Commentaires (4)
Une sorte de demi-mondain
Souvent, je regrette d'être venu moi-même en ce bas monde; non pas que je haïsse le monde. Non.... J'aime le monde, le grand monde et même le demi-monde, étant personnellement une sorte de demi-mondain.
Mais que je suis venu faire sur cette Terre si terrestre et si terreuse?
Y ai-je des devoirs à remplir? Y suis-je venu pour accomplir une mission - une commission?
M'y a-t-on envoyé pour m'amuser? pour me distraire un peu?... pour oublier les misères d'un au-delà dont je ne me souviens plus? N'y suis-je pas importun?
Que répondre à toutes ces questions?
Croyant bien faire, presque à mon arrivée, ici-bas, je me suis mis à jouer quelques airs de Musique que j'inventai moi-même....
Tous mes ennuis sont venus de là...
(Erik Satie, Écrits réunis par Ornella Volta, Éditions Champ Libre, 1981, p. 176)
21:10 Publié dans Musique | Lien permanent | Commentaires (0)
Par scrupule
J'ai connu autrefois un pauvre homme qui, par scrupule, n'a jamais voulu coucher chez lui, disant que son nom était un nom à coucher dehors. Ce souvenir ne m'est pas désagréable.
(Erik Satie, Écrits réunis par Ornella Volta, Éditions Champ Libre, 1981, p. 157)
21:05 Publié dans humour | Lien permanent | Commentaires (0)
Rien des apparences actuelles
Tu en es encore à la tentation d'Antoine. L'ébat du zèle écourté, les tics d'orgueil puéril, l'affaissement et l'effroi.
Mais tu te mettras à ce travail: toutes les possibilités harmoniques et architecturales s'émouvront autour de ton siège. Des êtres parfaits, imprévus, s'offriront à tes expériences. Dans tes environs affluera rêveusement la curiosité d'anciennes foules et de luxes oisifs. Ta mémoire et tes sens ne seront que la nourriture de ton impulsion créatrice. Quant au monde, quand tu sortiras, que sera-t-il devenu? En tout cas, rien des apparences actuelles.
Rimbaud, Les Illuminations
19:32 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (1)
vendredi, 11 novembre 2005
Au coeur de l'Amérique, derniers jours
Il vous reste deux jours pour voir cette pièce étonnante et très forte de Naomi Wallace.
Ecrite à la suite de la première guerre du Golfe, "Au coeur de l'Amérique" fouille les zones d'ombre de l'idéologie guerrière américaine. Naomi Wallace a choisi de mélanger les temps, les lieux, les sentiments, comme pour mieux nous bousculer. Elle parvient, sans aucun manichéisme, à créer un trouble violent, dérangeant, en nous plongeant au coeur des passions et des contradictions humaines en prise avec un monde où la mort, l'amour, la sensualité et la haine sont inextricablement mêlés.
Née à Prospect, dans le Kentucky, Naomi Wallace travaille aux États-Unis et au Royaume-Uni. Dramaturge, scénariste et poétesse, elle s'est tout d'abord fait connaître par ses poèmes publiés aux États-Unis et en Europe.
Une production de la compagnie Amadée, mise en scène de Flavio Polizzy
au Théâtre Jacques Coeur à Lattes (sortie de Montpellier)
Mas de Civade, 34970 Lattes, renseignements 04 99 52 95 00
Vendredi 11 nov à 20 H 30
Samedi 12 nov à 20 H 30
14:06 Publié dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (1)
Le vin noir
Cet excellent caviste de Montpellier a donné ce nom à sa boutique à cause du Texte de P.A.G. du même nom paru dans la revue "L'instant du monde" n° 6. N'hésitez pas à y aller, c'est un vrai amoureux du vin, vous y ferez des découvertes. D'ailleurs il se murmure que l'honorable académicien viendrait y faire une lecture-dégustation au mois de décembre...
Le vin noir, 3 boulevard Renouvier, 34 000 Montpellier, 04 67 06 54 92.
Âge tendre, femmes faciles et bonbons acidulés, toute une jeunesse, nez en l’air et mains aux poches, très vite s’envole qui nous est dérobée par le travail aux pièces, le capital et sa sordide industrie, les guerres de cent ans aussi. Le temps de l’adolescence à l’adultère et déjà nous voici en salopette courant dans les brouillards matinaux vers des pointeuses anonymes; le cœur serré, trop tôt souillé par la suie des usines.
Elles ont fait long feu les fracassantes utopies de nos vingt ans qui devaient nous conduire, flamberge au vent, aux rivages de nouvelles Ethiopies. Quelqu’un, un jour d’été, a brisé une bouteille au flanc du navire, l’espoir un instant a pétillé dans nos yeux et sans nous le navire s’en est allé. Depuis, des manigances de voyou ont meublé nos rêves, on a chiné des bribes de souvenirs aux brocantes de l’aube; mais tout en vain et, telle l’eau s’écoule, s’est enfuie l’inutile éternité.
Quand même il en faudrait parfois bien peu pour qu’on se laisse distraire une seconde du quotidien, que nous enflamme alors à nouveau le souffle de la révolte. Un verre de vin noir certains soirs y suffirait.
Pierre Autin-Grenier
12:35 Publié dans alcool | Lien permanent | Commentaires (14)
Ce ne peut être que la fin du monde, en avançant
Je suis le savant au fauteuil sombre. Les branches et la pluie se jettent à la croisée de la bibliothèque.
Je suis le piéton de la grand'route par les bois nains ; la rumeur des écluses couvre mes pas. Je vois longtemps la mélancolique lessive d'or du couchant.
Je serais bien l'enfant abandonné sur la jetée partie à la haute mer, le petit valet suivant l'allée dont le front touche le ciel.
Les sentiers sont âpres. Les monticules se couvrent de genêts. L'air est immobile. Que les oiseaux et les sources sont loin ! Ce ne peut être que la fin du monde, en avançant.
00:40 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (2)
jeudi, 10 novembre 2005
Un grand vaisseau d'or
Quelquefois je vois au ciel des plages sans fin couvertes de blanches nations en joie. Un grand vaisseau d'or, au-dessus de moi, agite ses pavillons multicolores sous les brises du matin.
Rimbaud, Une saison en enfer
23:10 Publié dans Peinture | Lien permanent | Commentaires (8)
Sainte-Marie-des-Fleurs
Mais si ces noms absorbèrent à tout jamais l’image que j’avais de ces villes, ce ne fut qu’en la transformant, qu’en soumettant sa réapparition en moi à leurs lois propres; ils eurent ainsi pour conséquence de la rendre plus belle, mais aussi plus différente de ce que les villes de Normandie ou de Toscane pouvaient être en réalité, et, en accroissant les joies arbitraires de mon imagination, d’aggraver la déception future de mes voyages. Ils exaltèrent l’idée que je me faisais de certains lieux de la terre, en les faisant plus particuliers, par conséquent plus réels. Je ne me représentais pas alors les villes, les paysages, les monuments, comme des tableaux plus ou moins agréables, découpés çà et là dans une même matière, mais chacun d’eux comme un inconnu, essentiellement différent des autres, dont mon âme avait soif et qu’elle aurait profit à connaître. Combien ils prirent quelque chose de plus individuel encore, d’être désignés par des noms, des noms qui n’étaient que pour eux, des noms comme en ont les personnes. Les mots nous présentent des choses une petite image claire et usuelle comme celles que l’on suspend aux murs des écoles pour donner aux enfants l’exemple de ce qu’est un établi, un oiseau, une fourmilière, choses conçues comme pareilles à toutes celles de même sorte. Mais les noms présentent des personnes—et des villes qu’ils nous habituent à croire individuelles, uniques comme des personnes—une image confuse qui tire d’eux, de leur sonorité éclatante ou sombre, la couleur dont elle est peinte uniformément comme une de ces affiches, entièrement bleues ou entièrement rouges, dans lesquelles, à cause des limites du procédé employé ou par un caprice du décorateur, sont bleus ou rouges, non seulement le ciel et la mer, mais les barques, l’église, les passants. Le nom de Parme, une des villes où je désirais le plus aller, depuis que j’avais lu la Chartreuse, m’apparaissant compact, lisse, mauve et doux; si on me parlait d’une maison quelconque de Parme dans laquelle je serais reçu, on me causait le plaisir de penser que j’habiterais une demeure lisse, compacte, mauve et douce, qui n’avait de rapport avec les demeures d’aucune ville d’Italie puisque je l’imaginais seulement à l’aide de cette syllabe lourde du nom de Parme, où ne circule aucun air, et de tout ce que je lui avais fait absorber de douceur stendhalienne et du reflet des violettes. Et quand je pensais à Florence, c’était comme à une ville miraculeusement embaumée et semblable à une corolle, parce qu’elle s’appelait la cité des lys et sa cathédrale, Sainte-Marie-des-Fleurs. Quant à Balbec, c’était un de ces noms où comme sur une vieille poterie normande qui garde la couleur de la terre d’où elle fut tirée, on voit se peindre encore la représentation de quelque usage aboli, de quelque droit féodal, d’un état ancien de lieux, d’une manière désuète de prononcer qui en avait formé les syllabes hétéroclites et que je ne doutais pas de retrouver jusque chez l’aubergiste qui me servirait du café au lait à mon arrivée, me menant voir la mer déchaînée devant l’église et auquel je prêtais l’aspect disputeur, solennel et médiéval d’un personnage de fabliau.
Du côté de chez Swann, le nom
22:54 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (2)
Les prodiges de l’espace s’élargissant
Quel vivant, quel être sensible, n’aime avant tous les prodiges de l’espace s’élargissant autour de lui, la joie universelle de la Lumière - avec ses couleurs, ses rayons et ses vagues ; sa douce omniprésence dans le jour qui éveille ? Âme la plus intime de la vie, elle est le souffle du monde gigantesque des astres sans repos, et il nage en dansant dans son flot bleu - elle est le souffle de la pierre étincelante, éternellement immobile, de la plante songeuse, suçant la sève et de l’animal sauvage, ardent, aux formes variées - mais, plus que d’eux tous, de l’Étranger superbe au regard pénétrant, à la démarche ailée et aux lèvres tendrement closes, riches de musique. Comme une reine de la nature terrestre, elle appelle chaque force à d’innombrables métamorphoses, noue et dénoue des alliances infinies, enveloppe de sa céleste image chaque créature terrestre. - Sa présence seule révèle la prodigieuse splendeur des royaumes de ce monde.
Novalis, Hymnes à la nuit
21:35 Publié dans Paysages | Lien permanent | Commentaires (0)
Comme des ballons prêts à partir
Elle regarde alors en arrière d'elle où on voit le village s'abaisser peu à peu, vu d'en dessus, avec ses toits; mais ça ne compte pas ces toits. Ni ces pommiers, ni ces noyers, ni ces poiriers, ni toutes ces barrières, ni la ligne du chemin de fer, ni la gare; et, à mesure qu'on monte, on voit l'eau devenir de plus en plus large, avec en arrière d'elle les montagnes qui balancent dans l'air chaud comme des ballons prêts à partir.
C.F.Ramuz, la beauté sur la terre
20:35 Publié dans Paysages | Lien permanent | Commentaires (1)
Le catalogue des opinions chic
ou Dictionnaire des idées reçues de Flaubert, on y trouve (entre autres) :
PAYSAGES (DE PEINTRES) : Toujours des plats d’épinards.
LITTERATURE : Occupation des oisifs.
LION : Est généreux – Joue toujours avec une boule
17:00 Publié dans humour | Lien permanent | Commentaires (0)
Salon du Livre de Lyon
Roland Fuentès, Jean-Jacques Nuel, Christian Cottet-Emard et de nombreux autres auteurs sont au salon du Livre de Lyon, ce week-end (comme quoi être lyonnais autorise parfois des compensations !)
14:23 Publié dans Evénements | Lien permanent | Commentaires (4)
Fiesole
Mais à l’approche des vacances de Pâques, quand mes parents m’eurent promis de me les faire passer une fois dans le nord de l’Italie, voilà qu’à ces rêves de tempête dont j’avais été rempli tout entier, ne souhaitant voir que des vagues accourant de partout, toujours plus haut, sur la côte la plus sauvage, près d’églises escarpées et rugueuses comme des falaises et dans les tours desquelles crieraient les oiseaux de mer, voilà que tout à coup les effaçant, leur ôtant tout charme, les excluant parce qu’ils lui étaient opposés et n’auraient pu que l’affaiblir, se substituaient en moi le rêve contraire du printemps le plus diapré, non pas le printemps de Combray qui piquait encore aigrement avec toutes les aiguilles du givre, mais celui qui couvrait déjà de lys et d’anémones les champs de Fiésole et éblouissait Florence de fonds d’or pareils à ceux de l’Angelico. Dès lors, seuls les rayons, les parfums, les couleurs me semblaient avoir du prix; car l’alternance des images avait amené en moi un changement de front du désir, et,—aussi brusque que ceux qu’il y a parfois en musique, un complet changement de ton dans ma sensibilité. Puis il arriva qu’une simple variation atmosphérique suffit à provoquer en moi cette modulation sans qu’il y eût besoin d’attendre le retour d’une saison. Car souvent dans l’une, on trouve égaré un jour d’une autre, qui nous y fait vivre, en évoque aussitôt, en fait désirer les plaisirs particuliers et interrompt les rêves que nous étions en train de faire, en plaçant, plus tôt ou plus tard qu’à son tour, ce feuillet détaché d’un autre chapitre, dans le calendrier interpolé du Bonheur. Mais bientôt comme ces phénomènes naturels dont notre confort ou notre santé ne peuvent tirer qu’un bénéfice accidentel et assez mince jusqu’au jour où la science s’empare d’eux, et les produisant à volonté, remet en nos mains la possibilité de leur apparition, soustraite à la tutelle et dispensée de l’agrément du hasard, de même la production de ces rêves d’Atlantique et d’Italie cessa d’être soumise uniquement aux changements des saisons et du temps. Je n’eus besoin pour les faire renaître que de prononcer ces noms: Balbec, Venise, Florence, dans l’intérieur desquels avait fini par s’accumuler le désir que m’avaient inspiré les lieux qu’ils désignaient. Même au printemps, trouver dans un livre le nom de Balbec suffisait à réveiller en moi le désir des tempêtes et du gothique normand; même par un jour de tempête le nom de Florence ou de Venise me donnait le désir du soleil, des lys, du palais des Doges et de Sainte-Marie-des-Fleurs.
Marcel Proust
10:55 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (10)
Ne s'use pas
Les gens qui se disent blasés n'ont jamais rien éprouvé : la sensibilité ne s'use pas.
(Jules Renard, Journal, 28 décembre 1896)
09:04 Publié dans Papillote | Lien permanent | Commentaires (1)
Nuitée
Nuitée Sur un pic, un temple
Je lève la main, frôle les étoiles
Je n'ose parler à haute voix
Peur d'effrayer les êtres célestes
Li Po
06:02 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)