vendredi, 02 décembre 2005
L'or du temps
Devant, ciel gris, âpre. Une chaleur insensible flotte. Le monde ne peut être paisible sans cette trouée lilas, monocorde, à fixer les nuages, les rendre transparents. La terre s'approfondit.
Une musique monte dans le lointain, symphonie élastique. Gammes bleues et mauves. La terre est prête à s’engouffrer dans l’océan. Terre blonde et vermeille. Un lit de terre.
Une musique monte dans le lointain, symphonie élastique. Gammes bleues et mauves. La terre est prête à s’engouffrer dans l’océan. Terre blonde et vermeille. Un lit de terre.
Une musique monte dans le lointain, symphonie élastique. Gammes bleues et mauves. La terre est prête à s’engouffrer dans l’océan. Terre blonde et vermeille. Un lit de terre.
Loin encore l’Europe est là, je la sens. J’y jette tous mes espoirs, je ne reverrai jamais les îles je crois. Pourquoi revenir en arrière ?
La symphonie de l’aurore jette une lumière ocre. Des plages longilignes dévorent la terre devant l’étrave du bateau.
Si j’étais peintre, je poserais mon chevalet ici. Le ciel étagé en rumeurs, les couleurs comme des bruits, des notes, qui s’attirent, se repoussent, s’aiment.
La nuit recouvre le monde d’un baume nourricier. Le fin halo de l’aube pose des reflets de nacre. La mer déferle et envahit. La plaine s’évase, roule ses méandres d’eau, de limon et de soleil.
La neige, fluide, volatile – jamais je n’avais rêvé un tel bonheur – lance un soubresaut de calme sur l’azur. L’air piqué de nuages, d’oiseaux blancs, déchiquette l’ombre.
La montagne, d’un coup fondue, disparue corps et âme, happée par le vent qui règne en maître. Le vent est le seul maître du ciel, de la terre et de la mer. Il attise les grandes passions et éteint les petites.
La scène se déroule sans ordre apparent. Une clarté dahlia, pulvérisée en fines gouttelettes mauves, disperse les derniers désordres de la nuit.
D’un coup de baguette magique, l’opéra déferle. Le chef d’orchestre, les bras chargés de neige, dirige la scène, pointant un doigt menaçant sur l’horizon.
Tout s’anime et se referme en un même mouvement. Le temps est immobile, dressé comme une forteresse en pleine lueur. Une symphonie du nouveau monde.
Une frondaison blanche s’est répandue, annonciatrice de temps nouveaux. Qui sait, la fin des temps est peut-être venue, ici, à la limite de l’océan, sur cet arrondi de la terre, archipel de hasard, de roc, de vent et de sable, noyé.
Déchaînement des éléments. La terre va s’engloutir, revenir à sa vérité première. Matière, fusion, évanouissements.
L’homme disparaîtra, lui le passager clandestin, l’invité de la dernière heure. Il s’en ira sur la pointe des pieds après avoir coloré d’un peu de poésie l’or du temps.
(Texte écrit en 2002 à propos de la vie de Saint-John Perse ; à l'âge de 11 ans, alors qu'il a toujours vécu aux Antilles, il découvre pour la première fois la neige, aux Açores)
16:56 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)
Le clair de lune sur la flûte du silence
Il vient dans la vie une heure [...] où les yeux las ne tolèrent plus qu'une lumière, celle qu'une belle nuit comme celle-ci prépare et distille avec l'obscurité, où les oreilles ne peuvent plus écouter de musique que celle que joue le clair de lune sur la flûte du silence.
(Marcel Proust, Du côté de chez Swann)
15:01 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (1)
Simple feu
L'amour n'est pas une chose commune sur laquelle on peut broder [...] et il faut l'offrir et l'accepter, le donner et le recevoir, avec cet esprit de dépouillement et de simple feu qui est le meilleur moyen pour arriver à l'intimité des âmes et des corps.
(André Pieyre de Mandiargues, Le lis de mer)
14:30 Publié dans Papillote | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 01 décembre 2005
C'est un rentier de l'esthétique qui a bouffé de l'infini et dévoré cent mille merveilles
C'est que le grand Raymond, vous savez, il a connu le Tonkin, navigué en barcasse de long en large sur le Mékong, passé dans un fauteuil le col des Nuages, écumé les rizières, ce n'est pas simple pilotin : c'est un rentier de l'esthétique qui a bouffé de l'infini et dévoré cent mille merveilles ; le fin fond de l'Indochine ou le fond de sa poche de pantalon pour lui c'est pareil ; - Vous doutez ?... - Authentique pourtant! Il faut l'entendre raconter le temps où il tenait tripot à Bien-Hoa, faisait commerce d'opium, de vieil or et d'annamites. Là-bas il avait une marquise cerclée de brillants à chaque doigt, la moitié de la ville à lui et biberonnait du whisky écossais dans de la porcelaine de Chine. Sa mère, il nous a dit, était restée barmaid à Quincié-en-Beaujolais, son père s'en était allé brocanter quelque part du côté de Laroche-Migennes mais lui, Raymond, sa garçonnière c'était la mappemonde, très simplement.
"Friterie-bar Brunetti", P.A.G.
21:45 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)
Le grand Raymond
Toujours juché sur son tabouret dans l'angle du bar près de la porte comme pour mieux contrôler les va-et-vient et régler la circulation, veiller aussi en maître majordome à la bonne ordonnance des débats, libations et remous qui agitent l'estanco, le grand Raymond, de sa voix patinée à l'ancienne par plusieurs couches superposées de nicotine, parfois pousse un coup de gueule un peu cassé et rauque certes mais sans appel : Hé! on ne s'entend plus parler là-dedans! Mettez une sourdine, monsieur Pierre écrit son roman! Alors un court instant, l'assistance interloquée, les conversations baissent d'un cran pour vite retrouver, dans la seconde qui suit, l'habituel charivari des chopes entrechoqués, des exclamations d'enthousiasme, des apostrophes d'une table l'autre, bref le fier chambard de foire à la volaille qui règne la plupart du temps ici, tant il est vrai qu'à certaines heures de la journée et quoi qu'il se passe un bistrot n'a pas le droit de rester silencieux.
Extrait de "Friterie-bar Brunetti", Pierre Autin-Grenier, Gallimard collection L'arpenteur
19:41 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (7)
La Belle Équipe en ciné permanent
C'est la treizième tribu notre troquet, La Belle Équipe en ciné permanent ; un profane fait tinter le drelin-drelin de la porte vitrée et vient poser coude au comptoir, il doit aussitôt se mesurer à cent mille paires d'yeux qui par en dessous les sourcils froncés en moins de rien le jaugent. Qu'il affiche une suffisance déplacée, use de ce ton sec que les petits Marius seuls savent prendre entre eux et sa liquette n'aura le temps de s'imprégner des douces effluves de fritons grésillant dans l'huile bouillante ; la messe est dite, on ne le reverra guère. Mais si, pas tartufe pour deux thunes, il veut bien se montrer tel qu'en lui-même, avec ses coquards au coeur, ses illusions au fil du caniveau toutes en allées - comme souvent et comme tant d'autres ici -, s'il apostrophe et questionne à la cantonade pour se donner une contenance et par pudeur masquer sous la plaisanterie quelque chagrin ou le poids de la solitude qui le tourmente alors, que cela lui chante et qu'il y trouve son compte, il se peut bien qu'il devienne tantôt des nôtres. Brunetti, voyez-vous, c'est un de ces bistrots qui parvient quand même à faire tenir debout ensemble un certain nombre de vies.
Extrait de "Friterie-bar Brunetti" de Pierre Autin-Grenier, L'arpenteur Gallimard
19:04 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)
Librairie de l'Horloge, le 2 décembre à 19 H
RENCONTRE avec Pierre AUTIN-GRENIER
autour de son dernier livre, Friterie-bar Brunetti,
et présentation de Là-Haut publié en complicité avec Ronan BARROT
soirée animée par Françoise BASCOU en présence de Thierry GUICHARD du MATRICULE DES ANGES
Librairie de L’HORLOGE
“Les Halles”
84200 CARPENTRAS
Tel : 04.90.63.18.32
17:55 Publié dans Evénements | Lien permanent | Commentaires (4)
Vivante
Vivante, dans le reflet
Des murs
Aux ébréchures comme
Un œil au beur noir
Des plaques de plâtre
Encore teintées de jaune
S’effritent sur le bord
De l’immeuble bancal
Où dorment des chats
À même le sol
Froid
À la lumière
Des vitrines
Dans laquelle les passants
Jettent leur ombre
Comme poignée de charbon
Crépitements
La braise rougeoie
Etincelles de feu
Odeur de roussi
Du pelage noir
Valérie Canat de Chizy
16:51 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 30 novembre 2005
Ecoutant le bonze de Shu gratter de la harpe
Le bonze de Shu étreignant sa harpe bariolée de vert
A l'ouest, a descendu les cimes du mont Emei
Pour moi, il effleure son instrument
On croirait entendre bruire les myriades de pins dans les gorges
Les eaux courantes purifient le coeur de l'invité
Les sons de la harpe résonnent avec les clochettes saisies de givre
On ne s'aperçoit pas même pas du crépuscule de jade qui tombe sur les montagnes
Ni de la pénombre qui envahit les nuages de l'automne
Li Bai
21:25 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (2)
Nuitée
Sur un pic, un temple
Je lève la main, frôle les étoiles
Je n'ose parler à haute voix
Peur d'effrayer les êtres célestes
Li Baï
21:01 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)
Combler ce manque
(...) exprimant ce que nous vivons nous nommons la rose, son odeur, etc., mais ce faisant nous gommons les aspects individuels, subjectifs, intimes et personnels. Cela indique à nouveau que les mots figent de façon impersonnelle et symbolique ce qui, au sein de la vie de la conscience, demeure unique et indicible. Nous réduisons à de l’homogène ce qui est hétérogène, nous figeons dans une expression symbolique ce qui est vécu dans la durée sur le mode qualitatif infiniment nuancé. (Extrait du cours de Jean-Jacques Marimbert, Durée et liberté)
Ainsi, la poésie, la littérature viennent combler ce manque, rapprocher le langage de la complexité, de porosité, de la fluidité des sensations et des états de conscience.
16:58 Publié dans littérature | Lien permanent | Commentaires (7)
Et si la beauté...
Bona Mangangu a ouvert son blog... Musique, littérature, arts plastiques...
13:55 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0)
La gravité
12:40 Publié dans Papillote | Lien permanent | Commentaires (0)
Ça suffit, moi, je ne joue plus
Dimanche, à la 21e minute du match que son club disputait à domicile contre l'Inter de Milan, Zoro en eut soudain marre de ces cris de singe à lui adressés, dégringolés de ses propres tribunes (Libération d'hier). Se saisissant du ballon, le remettant à l'arbitre et demandant à celui-ci de suspendre le match, il tint le seul discours qui soit désormais audible, quand il est question de racisme, sur les stades ou en dehors des stades : «Ça suffit, moi, je ne joue plus [...]. Soit vous les faites taire, soit je m'en vais.»
12:24 Publié dans Sport | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 29 novembre 2005
Marseille est une ville selon mon cœur
« Marseille sentait l’œillet poivré, ce matin-là. Marseille est une ville selon mon cœur (…) Elle a l’air bon enfant et rigolarde. Elle est sale et mal foutue. Mais c’est néanmoins une des villes les plus mystérieuses du monde et des plus difficiles à déchiffrer. Je crois tout simplement que Marseille a eu de la chance, d’où son exubérance, sa magnifique vitalité, son désordre, sa désinvolture. ( …) Marseille, presque aussi ancienne que Rome, ne possède aucun monument. Tout est rentré sous terre, tout est secret. Et c’est là l’image de la chance de Marseille, de la chance tout court. (…) La chance cela ne s’enseigne pas. Mais c’est un fait. Une conjoncture. Voyez Marseille. On peut apprendre à jouer aux cartes. On peut même apprendre à tricher aux cartes. Mais la chance cela ne s’apprend pas. On l’a. Et celui qui l’a ne s’en vante pas. Il se tait. C’est son secret. Cet air de secret sur lequel on bute partout à Marseille… ».
Cendrars, L'homme foudroyé
21:30 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (0)
La satisfaction que nous avons de nous-mêmes
Rien ne doit tant diminuer la satisfaction que nous avons de nous-mêmes, que de voir que nous désapprouvons dans un temps ce que nous approuvions dans un autre.
(La Rochefoucauld, Réflexions ou Sentences et Maximes morales)
17:50 Publié dans Papillote | Lien permanent | Commentaires (0)
Plus de force que de volonté
Nous avons plus de force que de volonté ; et c'est souvent pour nous excuser à nous-mêmes que nous nous imaginons que les choses sont impossibles.
(La Rochefoucauld, Réflexions ou Sentences et Maximes morales)
16:08 Publié dans Papillote | Lien permanent | Commentaires (0)
Enfin tout
quand on s'éveille enfin a la claire compréhension
Et que l'on sent qu'il n'y a aucune frontière
Qu'il n'y en a jamais eu
On se rend compte qu’on est tout.
Les montagnes, les rivières,
L'herbe, les arbres, le soleil, la lune, les étoiles
Et l'univers enfin
Ne sont autres que nous-mêmes.
Rien ne nous distingue
Rien ne nous sépare les uns des autres
L'aliénation, la peur, la jalousie, la haine
Sont évanouies.
On sait en pleine lumière
Que rien n'existe en dehors de soi
Que par conséquent rien n'est a craindre.
Etre conscient de cet état
Engendre la compassion,
Les gens et les choses
Ne sont plus séparés de nous
Mais sont au contraire
Comme notre propre corps.
Genpo Sensei, Moine Zen japonais
12:43 Publié dans illuminations | Lien permanent | Commentaires (12)
lundi, 28 novembre 2005
Définitions desprogiennes
CONSULTANT : Se dit de celui qui consulte ta montre, te dit l'heure et te fait payer la prestation.
ECONOMISTE : Expert qui saura demain pourquoi ce qu'il a prédit hier n'est pas arrivé aujourd'hui.
FACILE : Se dit d'une femme qui a la moralité sexuelle d'un homme.
GYNECOLOGUE : personne qui travaille là où les autres s'amusent.
INTELLECTUEL : se dit d'un individu capable de penser pendant plus de deux
heures à autre chose qu'au sexe.
MAL DE TETE : contraceptif le plus utilisé par les femmes.
NYMPHOMANE : terme utilisé par certains hommes pour désigner une femme qui a envie de faire l'amour plus souvent qu'eux.
PARLEMENT : Nom étrange formé des verbes "parler" et "mentir".
SECRET : Information que l'on ne communique qu'à une seule personne à la fois.
SNOBISME : Action de s'acheter des choses qu'on n'aime pas avec de l'argent qu'on n'a pas dans le but d'impressionner des gens qu'on n'aime pas.
SYNONYME : Mot à écrire à la place de celui dont on n'est pas certain de l'orthographe.
TRAVAIL D'EQUIPE : C'est la possibilité de faire endosser les fautes aux autres.
VEDETTE : Personne qui travaille dur toute sa vie pour être connue, et qui porte ensuite de grosses lunettes noires pour ne pas être reconnue.
20:15 Publié dans humour | Lien permanent | Commentaires (7)
Des poussières pleines de lumière
"... L'hiver au pays Rebeillard était toujours une saison étincelante. Chaque nuit la neige descendait serrée et lourde.... Les villes, les villages, les fermes du Rebeillard dormaient ensevelis dans ces épaisses nuits silencieuses. De temps en temps toutes les poutres d'un village craquaient, on s'éveillait, les épais nuages battaient des ailes au ras de terre en froissant les forêts. Mais tous les matins arrivaient dans un grand ciel sans nuages, lavé par une petite brise tranchante. A peine sorti de l'horizon, le soleil écrasé par un azur terrible ruisselait de tous côtés sur la neige gelée ; le plus maigre buisson éclatait en coeur de flamme. Dans les forêts métalliques et solides le vent ne pouvait pas remuer un seul rameau ; il faisait seulement jaillir sur l'embrasement blanc des embruns d'étincelles. Des poussières pleines de lumière couraient sur le pays.
Jean Giono, Le Chant du Monde
19:03 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (0)