mardi, 14 juin 2005
Des automates plus ou moins programmés
Ce jour, j’ai compris – c’était une pointe acérée de ma conscience, profonde et limpide, j’écoutais La passion selon Saint-Jean de Bach – tout ce qui est autour est absolument vide, incroyablement léger du coup, et même agréable. La plupart des gens se battent pour du vent. Savoir lire, simplement lire, vous mettra bientôt au rang des dieux. Lire et écrire sont un même mouvement, il est des gens qui atteignent cette grâce en faisant l’amour, ou en étant parfaitement chastes. L’amour ou la chasteté ou la générosité c’ est la même chose.
Expérience alchimique, le vide se répand autour, la vie des marionnettes, immense et constant ballet, tonitruant, lancinant, tout d’un coup on sait, on ne pourra jamais plus revenir en arrière, le reste est faux, rideau de fumée. Nécessaire sans doute puisque la plupart des gens y croient – sauf les fous, les enfants, les amoureux, les artistes et les saints. Il n’est même pas besoin d’entrer en rupture avec le monde, c’est lui qui s’acclimate, la légèreté qui se dégage de soi apaise les cœurs et les corps autour, les rend disponibles, légers même, une onde de désir se propage. Certains peut-être, pas ceux qu’on attendait, peut-être les plus proches, ceux qui ont vraiment senti ce qui se passait, vous en tiendront rigueur, tenteront de vous faire rentrer dans le rang, revenir parmi eux, actes malveillants, souvent inconscients, pourquoi nous quitte-t-il ? En fait vous ne les quittez pas, vous êtes toujours là, comme jamais même, mais sans impatience. Vous sentez tout de suite cette agression gratuite, elle n’a pas de prise, ce qui peut faire redoubler l’agressivité, peu importe vous tiendrez bon, il n’y a aucune raison de céder, cette force-là vous la tenez maintenant, elle ne vous lâchera pas.
Monde de couleurs vives, rires, sostenuto, porté, emporté, comme dans une église baroque, ors partout, repères éclatés, uniquement le plaisir, nul besoin d’autre chose pour supporter le décor, comme dans un tableau de Watteau, hors du temps, plaisir en filigrane, plaisir fondateur. Le monde se structure autour, danse du soir, satyres fauves, faunes dansant, sarabande effrénée, ronde des plaisirs.
Notre temps est devenu fou. Ordre, contrôle, rentabilité. Alors que bonheur et plaisirs sont faits de rien. De riens. Ce rien on vous le laisse comme disait Léo Ferré. Eh bien prenons-le ! Prenons la parole, s’il ne reste que ça ! Même si ça ne sert à rien, ou justement à cause de cela ! Reste à jouer ! Et puis qui sait, parfois miracle… La parole des grands écrivains est faite de silence. Quand on lit un grand texte, aussitôt le silence se fait, un silence de neige, tout autour. Comme si le monde s’arrêtait de tourner, si tout le bruit inutile apparaissait d’un coup comme ce qu’il est vraiment, vide, creux et inutile. Il y a ces grands textes et puis la peinture. Certains tableaux happent le monde, l’insèrent, l’intègrent à eux, subrepticement... Les regardant, vous êtes happés, intégrés à eux. Attention la chose peut même se faire à votre insu. Regardez mieux un tableau de Watteau, Delacroix, Poussin, Véronèse ou Fragonard… observez attentivement, peut-être vous y découvrirez-vous, dans un coin, tenant une guitare, ou dialoguant avec l’ange… Vous y êtes…
Légèreté, plaisir, rythme, temps effacé, rompu. La société veut nous faire croire au sérieux de toutes choses. L’amour, la grâce, l’écriture nous prouvent le contraire.
Et s’il n’y avait rien. Rien sinon dieu qui frappe là où il veut, quand il veut et nous qui errons comme des fourmis, des automates plus ou moins programmés.
01:51 Publié dans littérature | Lien permanent | Commentaires (4)
Commentaires
J'aime beaucoup Ray! Peut-être parce que je suis au diapason... j'ajouterais un autre art, la photo, qui comme une peinture, lorsqu'elle est bien faite, t'emmène loin, très loin du bruit du monde.
Écrit par : Calou | mardi, 14 juin 2005
Oui la photo, on aura l'occasion d'en reparler j'espère... Tout à fait d'accord, il y a des oeuvres très fortes... Ca va, pas trop d'adjectifs ???
Écrit par : Ray | mardi, 14 juin 2005
Au fur et à mesure que j'avançais dans la lecture de ta note, j'attendais le mot "grâce", ce mot débarrassé de toute espèce de sens judéo-chrétien, mais que j'ai cependant aimé chez Bobin, comme il en parle. Ou chez Quignard, dans certains passages de Terrasse à Rome, ou chez Camus, dans Noces...
Peu m'importe d'être une fourmi : je suis.
Aujourd'hui : dans la légèreté du ciel diaphane (même avec des immeubles moches dans le site et d'assommants bruits d'avion) ; hier : dans la myriade de sauvages pissenlits du gazon non tondu, qui m'ont donné les larmes aux yeux, pour tant de joliesse spontanée, forcenée, en ville ; demain : dans le final du Stabat mater de Pergolèse...? Après-demain ?
Etre. Se sentir léger d'être. Et... tant pis ce qu'ils en diront !
Écrit par : gazelle | mardi, 14 juin 2005
"Ca va, pas trop d'adjectifs ???"
Tu es en nette amélioration ;-)...
Écrit par : Calou | mardi, 14 juin 2005
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