lundi, 07 novembre 2005
Sauf son regard
Le vieil homme était maigre et sec, avec des rides comme des coups de couteau sur la nuque. Les taches brunes de cet inoffensif cancer de la peau que cause la réverbération du soleil sur la mer des Tropiques marquaient ses joues; elles couvraient presque entièrement les deux côtés de son visage; ses mains portaient les entailles profondes que font les filins au bout desquels se débattent les lourds poissons. Mais aucune de ces entailles n'était récente : elles étaient vieilles comme les érosions d'un désert sans poissons.Tout en lui était vieux, sauf son regard, qui était gai et brave, et qui avait la couleur de la mer.
Ernest Hemingway, Le vieil homme et la mer
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dimanche, 06 novembre 2005
Le conseil de prudence de P.A.G.
Est-ce que tu as bien rentré ton auto au garage ce soir ?
23:47 Publié dans Humeur | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 05 novembre 2005
Les inédits de Buk
un poème est une ville remplie de rues et d’égouts
remplie de saints, de héros, de mendiants, d’aliénés,
remplie de banalité et d’ivrognerie,
remplie de pluie et de tonnerre et de périodes de
sécheresse, un poème est une ville en guerre,
un poème est une ville qui demande pourquoi à une horloge,
un poème est une ville en flammes,
un poème est une ville en armes
ses salons de coiffure pour hommes remplis d’ivrognes cyniques,
un poème est une ville où Dieu chevauche nu
le long des rues comme Lady Godiva,
où les chiens aboient la nuit, et pourchassent
le drapeau ; un poème est une ville de poètes,
la plupart assez semblables
et envieux et aigris...
un poème est cette ville maintenant,
à 50 miles de nulle part,
à 9H09 du matin,
le goût de l’alcool et des cigarettes,
pas de police, pas d’amoureux, marchant dans les rues,
ce poème, cette ville, fermant ses portes,
barricadée, presque vide,
funèbre sans larmes, vieillissante sans pitié,
les montagnes de roche dure,
l’océan comme une flamme de lavande,
une lune dénuée de grandeur,
une petite musique venue des vitres brisées...
un poème est une ville, un poème est une nation,
un poème est le monde...
et maintenant je fourre ceci sous verre
pour l’examen minutieux de l’éditeur fou,
et la nuit est partout
et de pâles dames grises se tiennent en file,
un chien suit un chien jusque l’estuaire,
les trompettes appellent le gibet,
alors que de petits hommes glosent sur des choses
qu’ils ne peuvent pas faire.
Charles BukowskiExtrait de The Days Run Away Like Wild Horses Over the Hills, Santa Rosa, Black Sparrow Press, 2000 [26e edition], 54-55. [Édition originale : 1969]
Traduction : Éric Dejaeger
19:20 Publié dans Inédits | Lien permanent | Commentaires (11)
Sur la non-existence de la Belgique
Malgré toutes mes recherches, je n'ai réussi à trouver nulle part l'origine étymologique du mot BELGIQUE, ce qui est logique dans un pays où l'histoire est uniquement perçue comme une marotte d'antiquaire. En fouillant bien, j'ai repéré pourtant que le mot naît au milieu du Ier siècle et que, dès le IIIe siècle, cette contrée se scinde en Belgique Première et Belgique Seconde. Placée au point névralgique de l'Europe, propice aux incursions, champ de bataille rêvé pour les États voisins à l'appétit desquels elle offre une proie aisée, la Belgique prend ainsi tour à tour l'appellation de mérovingienne, carolingienne ou médiévale. La Gaule Belgique succède belgiquement à la Belgique belgo-romaine dont les occupants belgifiés ou belgicisés optent pour le label de néo-belges. La Belgique étant une nation qui n'existe pas, j'ai perdu sa trace jusqu'à ce qu'elle reparaisse à la fin du XVIIIe siècle, sous forme d'adjectif dans les États belgiques unis, ainsi cités par les révolutionnaires brabançons. La belgiosité, la belginité, voire la belgité ne sont point alors de mise pour citer cette région rikiki qui se pare belgicalement des couleurs de la province du Brabant : jaune, rouge et noir. Les provinces de la Belgique, dites les provinces belges, fécondent plus tard les Provinces belgiques qui se défont des Pays-Bas en 1830. Embelgiqués, embelgifiés, belgiés, les Belghes, comme dit Marc Rombaut, ou encore Belch ! Belch ! , comme crie Jean Muno dans Histoire vénérable d'un héros brabançon (1987), laissent libre cours à leur manie des mots incontrôlés. Des Belgiens de Brel (la la la) aux Belgae de Jean-Louis Lippert, Belgicains, Belgonais, Belgeoisistes, Belgeoisants, Belgeois, Belgoï, Belgitudineux, Belgiciâtres, Belgicophiles ou Belgiophages, tenants de la belgitudinologie, fondus de belgitonnie et de belgilinguie, babils belgicolisés pour libeller la belgisation, la belgopathie d'un lopin qui eût pu aussi s'élire Belgenland ou Belgiëland, puisque débelgicisée par les Belgicistes belligérants et Belgiseurs belliqueux, ralliant l'idiolecte latin d'où naquit l'adjectif belgic, on l'appelle au choix België, Belgien, Belgian, Belgium, Belgicae, Belgica, et plus belgiquement, Belgikè, Bellegique, Belgiqueque ou Belgiqueke.
Patrick Roegiers, Le mal du Pays (Autobiographie de la Belgique), Paris, Seuil, 2003, 53-54.
18:30 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (31)
Spécial végétariens
La faune
Et toi que manges-tu, grouillant ?
- Je mange le velu qui digère le
pulpeux qui ronge le rampant.
Et toi, rampant que manges-tu ?
- Je dévore le trottinant qui bâfre
l'ailé qui croque le flottant.
Et toi, flottant, que manges-tu ?
- J'engloutis le vulveux qui suce
le ventru qui mâche le sautillant.
Et toi sautillant, que manges-tu ?
Je happe le gazouillant qui gobe
Le bigarré qui égorge le galopant.
Est-il bon, chers mangeurs, est-il bon le goût du sang ?
Doux, doux! Tu ne sauras jamais
Comme il est doux, herbivore !
Norge
13:57 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (4)
Lettre à Max Brod
Mon cher Max, peut-être ne me relèverai-je plus cette fois; il est fort probable qu'après ce mois de fièvre pulmonaire une pneumonie se déclarera; et même le fait que je l'annonce par écrit ne pourra pas l'empêcher, encore que cela ait quelque pouvoir. Voici donc dans cette éventualité ma dernière volonté au sujet de ce que j'ai écrit : De tout ce que j'ai écrit, seuls les livres Verdict, Soutier, Métamorphose, Colonie pénitentiaire, Médecin de campagne, et le récit Un artiste de la faim sont valables (les quelques exemplaires de Regard peuvent rester, je ne veux donner à personne la peine de les mettre au pilon, mais rien ne doit être réimprimé). Quand je dis que ces cinq livres et ce récit sont valables, cela ne signifie pas que je souhaite qu'ils soient réimprimés et transmis aux temps futurs; s'ils pouvaient au
contraire être entièrement perdus, cela correspondrait entièrement à mon désir. Simplement, puisqu'ils existent, je n'empêche personne de les avoir, si quelqu'un en a envie. En revanche, tout le reste de ce que j'ai écrit (les textes imprimés dans des revues, les manuscrits, les lettres), […] tout cela sans exception doit être brûlé, ce que je te prie de faire le plus tôt possible.
Franz
12:23 Publié dans Histoire littéraire | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 04 novembre 2005
Ré-primé
Houellebecq, en tout cas, a quelque chose à dire, et il le dit avec tant de force que le monde entier l'entend. Et que, primé ou non, c'est à lui que tout le monde s'intéresse, même si c'est pour le décrier !
Alina Reyes
22:35 Publié dans Histoire littéraire | Lien permanent | Commentaires (4)
Un autre inédit de Buk
eux, eux tous, savent
demande à celui qui dessine sur les trottoirs de Paris
demande au soleil sur le chien endormi
demande aux 3 cochons
demande au petit livreur de journaux
demande à la musique de Donizetti
demande au coiffeur
demande au meurtrier
demande à l’homme appuyé contre le mur
demande au prédicateur
demande au fabricant de coffrets
demande au pickpocket ou au
prêteur sur gage ou au souffleur de verre
ou au marchand d’engrais ou
au dentiste
demande au révolutionnaire
demande à l’homme qui se fourre la tête dans
la gueule d’un lion
demande à l’homme qui lâchera la prochaine
bombe atomique
demande à l’homme qui pense être le Christ
demande à l’oiseau bleu qui regagne la maison
à la nuit tombante
demande au curieux
demande à l’homme qui meurt d’un cancer
demande à l’homme qui a besoin d’un bain
demande à l’unijambiste
demande à l’aveugle
demande à l’homme qui zozote
demande au mangeur d’opium
demande au chirurgien qui a la tremblote
demande aux feuilles sur lesquelles tu marches
demande à un violeur ou un
gars qui passe en voiture ou un vieillard
qui arrache les mauvais herbes dans son jardin
demande à un vampire
demande à un dresseur de puces
demande à un avaleur de feu
demande à l’homme le plus misérable que tu puisses
trouver dans son moment
le plus misérable
demande à un professeur de judo
demande à un cornac
demande à un lépreux, un condamné à perpète, un poitrinaire
demande à un professeur d’histoire
demande à l’homme qui ne se cure jamais
les ongles
demande à un clown ou au premier visage que tu vois
à la lumière du jour
demande à ton père
demande à ton fils et
son fils à venir
demande-moi
demande à une ampoule grillée dans un sac en papier
demande à l’éprouvé, au damné, au fou
au sage, au flagorneur
demande aux bâtisseurs de temples
demande aux hommes qui n’ont jamais porté de chaussures
demande à Jésus
demande à la lune
demande à l’ombre dans le placard
demande à la mite, au moine, au dingue
demande à l’homme qui dessine des gags pour
The New Yorker
demande à un poisson rouge
demande à une fougère secouée par un numéro de claquettes
demande à la carte de l’Inde
demande à un gentil visage
demande à l’homme qui se cache sous ton lit
demande à l’homme que tu déteste le plus en ce
monde
demande à l’homme qui a bu avec Dylan Thomas
demande à l’homme qui a noué les gants de Jack Sharkey
demande à l’homme au visage triste qui boit du café
demande au plombier
demande à l’homme qui rêve d’autruches chaque
nuit
demande à celui qui prend les tickets au show des phénomènes de foire
demande au contrefacteur
demande à l’homme qui dort dans une allée sous
une couverture en papier
demande aux conquérants des nations et planètes
demande à l’homme qui vient juste de se couper un doigt
demande à un marque-page de la bible
demande à l’eau qui goutte d’un robinet pendant
que le téléphone sonne
demande au parjure
demande à la peinture bleu foncé
demande au parachutiste
demande à l’homme qui a mal au ventre
demande à l’œil divin si onctueux qui nage
demande au garçon portant un pantalon moulant dans
une académie hors de prix
demande à l’homme qui a glissé dans la douche
demande à l’homme déchiqueté par le requin
demande à celui qui m’a vendu les gants
dépareillés
demande à tous ceux-ci et à tous ceux-là que j’ai oubliés
demande au feu au feu au feu —
demande même aux menteurs
demande à qui ça te plaît quand
ça te plaît le jour qui te plaît
qu’il pleuve ou que
la neige soit là ou
que tu quittes l’abri d’un porche
jaune de brûlante chaleur
demande à ceci demande à cela
demande à l’homme avec la fiente d’oiseau dans les cheveux
demande à celui qui torture les animaux
demande à l’homme qui a vu beaucoup de corridas
en Espagne
demande aux propriétaires de Cadillac neuves
demande à celui qui est célèbre
demande au timide
demande à l’albinos
et à l’homme d’état
demande aux proprios et aux pronostiqueurs
demande aux faussaires
demande aux tueurs à gages
demande aux chauves et aux gros
et aux grands et aux
petits hommes
demande aux borgnes, à ceux qui ont
trop ou pas assez de rapports sexuels
demande aux hommes qui lisent l’éditorial
de tous les journaux
demande aux hommes qui élèvent des roses
demande aux hommes qui ne ressentent presque aucune douleur
demande aux moribonds
demande aux tondeurs de pelouses et à ceux qui assistent
à des matches de football
demande à n’importe lequel ou à tous ceux-ci
demande demande demande et
ils te le diront tous :
une femme hargneuse qui grogne au balcon est plus
qu’un homme ne peut supporter.
Charles Bukowski
Extrait de Crucifix in a Deathhand (1965) repris dans Burning in Water Drowning in Flame (Selected Poems 1955-1973), Santa Rosa, Black Sparrow Press, 1999, 89-92.
Traduction : Éric Dejaeger
18:35 Publié dans Inédits | Lien permanent | Commentaires (1)
Poème inédit de Charles Bukowski
amour & gloire & mort
c’est assis dehors près de ma fenêtre
comme une vieille femme qui va au marché ;
c’est assis et ça me regarde,
ça transpire nerveusement
par fil et brume et aboiement
jusqu’à ce que soudain
je frappe la vitre avec un journal
comme pour écraser une mouche
et on a pu entendre le hurlement
dans toute la moche cité,
et puis ça s’est en allé.
la manière de terminer un poème
comme celui-ci
c’est de soudainement
se calmer.
Charles Bukowski
Extrait de It Catches My Heart in Its Hand (1963) repris dans Burning in Water Drowning in Flame (Selected Poems 1955-1973), Santa Rosa, Black Sparrow Press, 1999, 42.
Traduction : Éric Dejaeger
love & fame & death
it sits outside my window now
like an old woman going to market;
it sits and watches me,
it sweats nervously
through wire and fag and dog-bark
until suddenly
I slam the screen with a newspaper
like slapping at a fly
and you could hear the scream
over this plain city,
and then it left.
the way to end a poem
like this
is to became suddenly
quiet.
15:44 Publié dans Inédits | Lien permanent | Commentaires (14)
Une haine secrète
La haine secrète (secrète même pour qui l’éprouve) que l’être humain, et tout spécialement celui qui – critique, éditeur, universitaire etc – gravite autour de la littérature, sa haine secrète envers les écrivains n’a peut-être d’égale que la haine secrète que l’auteur porte à l’écriture : la haine de qui, par une exaspération de l’amour, est en situation de dépendance. Qu’est-ce que cette vie qui ne peut se vivre qu’avec un carnet constamment à portée de main ? Rimbaud la rejeta avec rage et on le vit, au désert, manifester sa honte quand se trouvait évoquée son ancienne activité de poète. Kafka demanda que soient brûlés ses manuscrits. Le verbe avait dévoré leur vie, le verbe qui seul pourtant leur avait permis d’accéder à leur essence, de réaliser leur être dans la plus grande liberté possible.
15:03 Publié dans littérature | Lien permanent | Commentaires (77)
Espaces blancs
Lecture à la Baignoire, 7 rue Brueys à Montpellier (Derrière le Dôme)
Espaces blancs, de Paul Auster, par Stéphane Laudier
les 9 et 10 novembre
à 19 heures
Renseignements et inscriptions au 06 14 47 06 99
12:08 Publié dans Evénements | Lien permanent | Commentaires (3)
Se sentir français aujourd'hui
Se sentir français aujourd'hui, pleinement français, possédé par la froide tragédie française, ce serait se sentir également envahi par les deux effrois, par les deux mémoires. Celle du malheureux photographe d'Epinay, qui n'a pas même droit à la publicité de son nom, et celle des petits footballeurs de Clichy.
09:26 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 03 novembre 2005
Que les Goncourt vermifugèrent
Avec nos journaux-pansements
Qui sèchent les plaies prolétaires
Et les cadavres de romans
Que les Goncourt vermifugèrent
Avec la société bidon
Qui s'anonymise et prospère
Et puis la rage au pantalon
Qui fait des soldats pour la guerre
t'es Rock, Coco ! t'es Rock !
Leo Ferré (paroles en entier de la chanson ici)
22:23 Publié dans Chanson | Lien permanent | Commentaires (1)
Encore faut-il...
Il ne suffit pas de refuser la Légion d'Honneur; encore faut-il ne pas la mériter!
Erik Satie
19:35 | Lien permanent | Commentaires (0)
Recoins de ma vie.
Souvent, je regrette d'être venu moi-même en ce bas monde; non pas que je haïsse le monde. Non.... J'aime le monde, le grand monde et même le demi-monde, étant personnellement une sorte de demi-mondain.
Mais que je suis venu faire sur cette Terre si terrestre et si terreuse?
Y ai-je des devoirs à remplir? Y suis-je venu pour accomplir une mission - une commission?
M'y a-t-on envoyé pour m'amuser? pour me distraire un peu?... pour oublier les misères d'un au-delà dont je ne me souviens plus? N'y suis-je pas importun?
Que répondre à toutes ces questions?
Croyant bien faire, presque à mon arrivée, ici-bas, je me suis mis à jouer quelques airs de Musique que j'inventai moi-même....
Tous mes ennuis sont venus de là...
(Erik Satie, Écrits réunis par Ornella Volta, Éditions Champ Libre, 1981, p. 176)
17:50 Publié dans Musique | Lien permanent | Commentaires (1)
Conseils
Conseils: Ne respirez pas sans avoir, au préalable, fait bouillir votre air.
(Erik Satie, Écrits réunis par Ornella Volta, Éditions Champ Libre, 1981, p. 31)
15:21 Publié dans Papillote | Lien permanent | Commentaires (0)
Ecrire, penser les sentiments
Un amour violent, une mélancolie profonde envahissent notre âme : ce sont mille éléments divers qui se fondent, qui se pénètrent, sans contours précis, sans la moindre tendance à s’extérioriser les uns par rapport aux autres ; leur originalité est à ce prix. Déjà ils se déforment quand nous démêlons dans leur masse confuse une multiplicité numérique : que sera-ce quand nous les déploierons, isolés les uns des autres, dans ce milieu homogène qu’on appellera maintenant, comme on voudra, temps ou espace ? Tout à l’heure chacun d’eux empruntait une indéfinissabe coloration au milieu où il était placé : le voici décoloré, et tout prêt à recevoir un nom. Le sentiment lui-même est un être qui vit, qui se développe, qui change par conséquent sans cesse ; sinon, on ne comprendrait pas qu’il nous acheminât peu à peu à une résolution : notre résolution serait immédiatement prise. Mais il vit parce que la durée où il se développe est une durée dont les moments se pénètrent : en séparant ces moments les uns des autres, en déroulant le temps dans l’espace, nous avons fait perdre à ce sentiment son animation et sa couleur. Nous voici donc en présence de l’ombre de nous-mêmes : nous croyons avoir analysé notre sentiment, nous lui avons substitué en réalité une juxtaposition d’états inertes, traduisibles en mots, et qui constituent chacun l’élément commun, le résidu par conséquent impersonnel, des impressions ressenties dans un cas donné par la société entière. Et c’est pourquoi nous raisonnons sur ces états et leur appliquons notre logique simple : les ayant érigés en genres par cela seul que nous les isolions les uns des autres, nous les avons préparés à servir à une déduction future.
Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, II, p. 98-99
11:53 Publié dans Philo | Lien permanent | Commentaires (0)
Au coeur de l'Amérique
Un jour je viendrai
Comme une averse
Je suis une nuée d'alouettes
Qui se posent sur le toit de votre maison.
Ne soyez pas avare,
Ouvrez la fenêtre,
Car dans les hauteurs de l'aube
Je vous conterai le drame de l'exil
Puis,
Je mangerai mes ailes
Pour ne plus voler.
Le poème qui apparaît sur l'affiche est du poète irakien Salah Al Hamdani
09:35 Publié dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 02 novembre 2005
L’élection de Pierre Autin-Grenier à l’Académie Française (nouvelle mouture)
Le hasard m’a fait intercepter cet article du « Chasseur français » du 16 avril 2008, le voici en substance…
Une foule avenante et bigarrée se pressait hier, sous la Coupole, pour la réception à l’Académie Française de Pierre Autin-Grenier, au fauteuil de Jean d’Ormesson. Nombre de ses amis étaient là, déjà académiciens comme Jean-Pierre Ostende, Jean-Claude Pirotte et Gil Jouanard ou avec l’espoir de l’être un jour comme Eric Holder ou Philippe Delerm. Très élégant dans son costume dessiné par Christian Lacroix, l’œil pétillant et la démarche altière, l’ancien soixante-huitard dont on connaît le talent et l’ironie mordante a laissé quelque peu perplexe une partie de ses auditeurs en prononçant l’éloge de l’ancien directeur du Figaro Magazine : « Homme de plume mais aussi de combat et ce qui ne gâte rien, d’une immense culture, Jean d’O - comme l’appelaient ses nombreux amis – s’il n’a cessé de côtoyer les puissants, n’en aura pas moins été un défricheur, un chercheur inlassable de vérité. Seul contre tous, il n’hésitera pas à jouer les trouble-fête après mai 1981, à se dresser courageusement, tel Hugo face à Napoléon III, contre François Mitterrand et à faire du Figaro, le grand journal de la contestation d’alors, un rempart contre la pensée unique et une nécessaire alternative, un scrupuleux antidote (...) C’est à cet homme de résistance que je veux rendre hommage aujourd’hui, c’est ce compagnonnage que je revendique, celui de l’irrévérence et de la libre parole, même si nos convictions ont souvent été diamétralement opposées, concluait-il… » Quolibets et noms d’oiseaux ont alors fusé ci ou là, vite recouverts par les applaudissements d’usage et le sourire entendu de quelques uns. Tout cela fut oublié grâce à l’éloquence vibrante de Bertrand Poirot-Delpech qui, prononçant l’éloge de Pierre Autin-Grenier, mit l’accent sur « l’ironie convulsive, l’impertinence consubstantielle du nouvel académicien » : « il n’a jamais voulu appartenir à aucune école, sinon celle des « Moins que rien » , sous lequel un journaliste fort pertinent – cela existe, c’est prouvé, ajoutait-il - avait regroupé, dans les années quatre-vingt-dix, quelques unes des plus solides – et des plus caustiques - plumes du moment. Tels ces écrivains du bâtiment dont Hemingway conseillait au siècle dernier la fréquentation aux débutants, Autin-Grenier n’a cessé d’être prolixe. Lui le maître du « fond de court » surprit son monde en montant au filet, se lançant avec le succès que l’on sait dans le roman grâce à « Friterie-bar Brunetti ». Dès lors rien ne l’arrêta plus. Devenu, après avoir surfé sur la victoire du non au référendum de 2005, le maître à penser de la nouvelle gauche, sa notoriété grandissant, il entreprit son grand virage à droite pour soutenir (victorieusement) la candidature de Ségolène Royal à la Présidentielle de 2007. Devenu une véritable icône, il publia alors un poignant plaidoyer: « Je ne suis pas un bobo ! » où l’émotion de l’ancien gauchiste blessé dans son amour-propre transpirait à chaque ligne. Son œuvre n’est pas terminée heureusement, et lui qui fit de la célèbre boutade : « Il poursuivait une idée fixe, il était surpris de ne pas avancer ! » un de ces chevaux de bataille, ne manquera pas de nous surprendre encore, n’en doutons pas, puisque le voilà bien reverdi ! »
C’est dans un des quartiers du vieux Lyon qu’il affectionne tant, qu’une partie de cette joyeuse assemblée, par un TGV spécialement affrété, s’est rendue ensuite, pour fêter cet irrésistible événement. Et le vin blanc, comme il se doit, a coulé jusqu’à une heure fort avancée de la nuit ! Les plus vieilles institutions ont parfois aussi leurs moments de folie…
21:55 Publié dans Histoire littéraire | Lien permanent | Commentaires (14)
La frite !
19:19 | Lien permanent | Commentaires (6)