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lundi, 07 novembre 2005

Sauf son regard

Le vieil homme était maigre et sec, avec des rides comme des coups de couteau sur la nuque. Les taches brunes de cet inoffensif cancer de la peau que cause la réverbération du soleil sur la mer des Tropiques marquaient ses joues; elles couvraient presque entièrement les deux côtés de son visage; ses mains portaient les entailles profondes que font les filins au bout desquels se débattent les lourds poissons.  Mais aucune de ces entailles n'était récente : elles étaient vieilles comme les érosions d'un désert sans poissons.Tout en lui était vieux, sauf son regard, qui était gai et brave, et qui avait la couleur de la mer.

Ernest Hemingway, Le vieil homme et la mer

dimanche, 06 novembre 2005

Le conseil de prudence de P.A.G.

Est-ce que tu as bien rentré ton auto au garage ce soir ?

23:47 Publié dans Humeur | Lien permanent | Commentaires (0)

samedi, 05 novembre 2005

Les inédits de Buk

un poème est une ville

un poème est une ville remplie de rues et d’égouts

remplie de saints, de héros, de mendiants, d’aliénés,

remplie de banalité et d’ivrognerie,

remplie de pluie et de tonnerre et de périodes de

sécheresse, un poème est une ville en guerre,

un poème est une ville qui demande pourquoi à une horloge,

un poème est une ville en flammes,

un poème est une ville en armes

ses salons de coiffure pour hommes remplis d’ivrognes cyniques,

un poème est une ville où Dieu chevauche nu

le long des rues comme Lady Godiva,

où les chiens aboient la nuit, et pourchassent

le drapeau ; un poème est une ville de poètes,

la plupart assez semblables

et envieux et aigris...

un poème est cette ville maintenant,

à 50 miles de nulle part,

à 9H09 du matin,

le goût de l’alcool et des cigarettes,

pas de police, pas d’amoureux, marchant dans les rues,

ce poème, cette ville, fermant ses portes,

barricadée, presque vide,

funèbre sans larmes, vieillissante sans pitié,

les montagnes de roche dure,

l’océan comme une flamme de lavande,

une lune dénuée de grandeur,

une petite musique venue des vitres brisées...

un poème est une ville, un poème est une nation,

un poème est le monde...

et maintenant je fourre ceci sous verre

pour l’examen minutieux de l’éditeur fou,

et la nuit est partout

et de pâles dames grises se tiennent en file,

un chien suit un chien jusque l’estuaire,

les trompettes appellent le gibet,

alors que de petits hommes glosent sur des choses

qu’ils ne peuvent pas faire.

Charles Bukowski
Extrait de The Days Run Away Like Wild Horses Over the Hills, Santa Rosa, Black Sparrow Press, 2000 [26e edition], 54-55. [Édition originale : 1969]
Traduction : Éric Dejaeger

19:20 Publié dans Inédits | Lien permanent | Commentaires (11)

Sur la non-existence de la Belgique

Malgré toutes mes recherches, je n'ai réussi à trouver nulle part l'origine étymologique du mot BELGIQUE, ce qui est logique dans un pays où l'histoire est uniquement perçue comme une marotte d'antiquaire. En fouillant bien, j'ai repéré pourtant que le mot naît au milieu du Ier siècle et que, dès le IIIe siècle, cette contrée se scinde en Belgique Première et Belgique Seconde. Placée au point névralgique de l'Europe, propice aux incursions, champ de bataille rêvé pour les États voisins à l'appétit desquels elle offre une proie aisée, la Belgique prend ainsi tour à tour l'appellation de mérovingienne, carolingienne ou médiévale. La Gaule Belgique succède belgiquement à la Belgique belgo-romaine dont les occupants belgifiés ou belgicisés optent pour le label de néo-belges. La Belgique étant une nation qui n'existe pas, j'ai perdu sa trace jusqu'à ce qu'elle reparaisse à la fin du XVIIIe siècle, sous forme d'adjectif dans les États belgiques unis, ainsi cités par les révolutionnaires brabançons. La belgiosité, la belginité, voire la belgité ne sont point alors de mise pour citer cette région rikiki qui se pare belgicalement des couleurs de la province du Brabant : jaune, rouge et noir. Les provinces de la Belgique, dites les provinces belges, fécondent plus tard les Provinces belgiques qui se défont des Pays-Bas en 1830. Embelgiqués, embelgifiés, belgiés, les Belghes, comme dit Marc Rombaut, ou encore Belch ! Belch ! , comme crie Jean Muno dans Histoire vénérable d'un héros brabançon (1987), laissent libre cours à leur manie des mots incontrôlés. Des Belgiens de Brel (la la la) aux Belgae de Jean-Louis Lippert, Belgicains, Belgonais, Belgeoisistes, Belgeoisants, Belgeois, Belgoï, Belgitudineux, Belgiciâtres, Belgicophiles ou Belgiophages, tenants de la belgitudinologie, fondus de belgitonnie et de belgilinguie, babils belgicolisés pour libeller la belgisation, la belgopathie d'un lopin qui eût pu aussi s'élire Belgenland ou Belgiëland, puisque débelgicisée par les Belgicistes belligérants et Belgiseurs belliqueux, ralliant l'idiolecte latin d'où naquit l'adjectif belgic, on l'appelle au choix België, Belgien, Belgian, Belgium, Belgicae, Belgica, et plus belgiquement, Belgikè, Bellegique, Belgiqueque ou Belgiqueke.

Patrick Roegiers, Le mal du Pays (Autobiographie de la Belgique), Paris, Seuil, 2003, 53-54.

18:30 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (31)

Spécial végétariens

La faune

Et toi que manges-tu, grouillant ?
- Je mange le velu qui digère le
pulpeux qui ronge le rampant.

Et toi, rampant que manges-tu ?
- Je dévore le trottinant qui bâfre
l'ailé qui croque le flottant.

Et toi, flottant, que manges-tu ?
- J'engloutis le vulveux qui suce
le ventru qui mâche le sautillant.

Et toi sautillant, que manges-tu ?
Je happe le gazouillant qui gobe
Le bigarré qui égorge le galopant.

Est-il bon, chers mangeurs, est-il bon le goût du sang ?
Doux, doux! Tu ne sauras jamais
Comme il est doux, herbivore !  

Norge

13:57 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (4)

Lettre à Max Brod

Mon cher Max, peut-être ne me relèverai-je plus cette fois; il est fort probable qu'après ce mois de fièvre pulmonaire une pneumonie se déclarera; et même le fait que je l'annonce par écrit ne pourra pas l'empêcher, encore que cela ait quelque pouvoir. Voici donc dans cette éventualité ma dernière volonté au sujet de ce que j'ai écrit : De tout ce que j'ai écrit, seuls les livres Verdict, Soutier, Métamorphose, Colonie pénitentiaire, Médecin de campagne, et le récit Un artiste de la faim sont valables (les quelques exemplaires de Regard peuvent rester, je ne veux donner à personne la peine de les mettre au pilon, mais rien ne doit être réimprimé). Quand je dis que ces cinq livres et ce récit sont valables, cela ne signifie pas que je souhaite qu'ils soient réimprimés et transmis aux temps futurs; s'ils pouvaient au
contraire être entièrement perdus, cela correspondrait entièrement à mon désir. Simplement, puisqu'ils existent, je n'empêche personne de les avoir, si quelqu'un en a envie. En revanche, tout le reste de ce que j'ai écrit (les textes imprimés dans des revues, les manuscrits, les lettres), […] tout cela sans exception doit être brûlé, ce que je te prie de faire le plus tôt possible.
Franz

vendredi, 04 novembre 2005

Ré-primé

Houellebecq, en tout cas, a quelque chose à dire, et il le dit avec tant de force que le monde entier l'entend. Et que, primé ou non, c'est à lui que tout le monde s'intéresse, même si c'est pour le décrier !

Alina Reyes

Un autre inédit de Buk

eux, eux tous, savent

demande à celui qui dessine sur les trottoirs de Paris

demande au soleil sur le chien endormi

demande aux 3 cochons

demande au petit livreur de journaux

demande à la musique de Donizetti

demande au coiffeur

demande au meurtrier

demande à l’homme appuyé contre le mur

demande au prédicateur

demande au fabricant de coffrets

demande au pickpocket ou au

prêteur sur gage ou au souffleur de verre

ou au marchand d’engrais ou

au dentiste

demande au révolutionnaire

demande à l’homme qui se fourre la tête dans

la gueule d’un lion

demande à l’homme qui lâchera la prochaine

bombe atomique

demande à l’homme qui pense être le Christ

demande à l’oiseau bleu qui regagne la maison

à la nuit tombante

demande au curieux

demande à l’homme qui meurt d’un cancer

demande à l’homme qui a besoin d’un bain

demande à l’unijambiste

demande à l’aveugle

demande à l’homme qui zozote

demande au mangeur d’opium

demande au chirurgien qui a la tremblote

demande aux feuilles sur lesquelles tu marches

demande à un violeur ou un

gars qui passe en voiture ou un vieillard

qui arrache les mauvais herbes dans son jardin

demande à un vampire

demande à un dresseur de puces

demande à un avaleur de feu

demande à l’homme le plus misérable que tu puisses

trouver dans son moment

le plus misérable

demande à un professeur de judo

demande à un cornac

demande à un lépreux, un condamné à perpète, un poitrinaire

demande à un professeur d’histoire

demande à l’homme qui ne se cure jamais

les ongles

demande à un clown ou au premier visage que tu vois

à la lumière du jour

demande à ton père

demande à ton fils et

son fils à venir

demande-moi

demande à une ampoule grillée dans un sac en papier

demande à l’éprouvé, au damné, au fou

au sage, au flagorneur

demande aux bâtisseurs de temples

demande aux hommes qui n’ont jamais porté de chaussures

demande à Jésus

demande à la lune

demande à l’ombre dans le placard

demande à la mite, au moine, au dingue

demande à l’homme qui dessine des gags pour

The New Yorker

demande à un poisson rouge

demande à une fougère secouée par un numéro de claquettes

demande à la carte de l’Inde

demande à un gentil visage

demande à l’homme qui se cache sous ton lit

demande à l’homme que tu déteste le plus en ce

monde

demande à l’homme qui a bu avec Dylan Thomas

demande à l’homme qui a noué les gants de Jack Sharkey

demande à l’homme au visage triste qui boit du café

demande au plombier

demande à l’homme qui rêve d’autruches chaque

nuit

demande à celui qui prend les tickets au show des phénomènes de foire

demande au contrefacteur

demande à l’homme qui dort dans une allée sous

une couverture en papier

demande aux conquérants des nations et planètes

demande à l’homme qui vient juste de se couper un doigt

demande à un marque-page de la bible

demande à l’eau qui goutte d’un robinet pendant

que le téléphone sonne

demande au parjure

demande à la peinture bleu foncé

demande au parachutiste

demande à l’homme qui a mal au ventre

demande à l’œil divin si onctueux qui nage

demande au garçon portant un pantalon moulant dans

une académie hors de prix

demande à l’homme qui a glissé dans la douche

demande à l’homme déchiqueté par le requin

demande à celui qui m’a vendu les gants

dépareillés

demande à tous ceux-ci et à tous ceux-là que j’ai oubliés

demande au feu au feu au feu —

demande même aux menteurs

demande à qui ça te plaît quand

ça te plaît le jour qui te plaît

qu’il pleuve ou que

la neige soit là ou

que tu quittes l’abri d’un porche

jaune de brûlante chaleur

demande à ceci demande à cela

demande à l’homme avec la fiente d’oiseau dans les cheveux

demande à celui qui torture les animaux

demande à l’homme qui a vu beaucoup de corridas

en Espagne

demande aux propriétaires de Cadillac neuves

demande à celui qui est célèbre

demande au timide

demande à l’albinos

et à l’homme d’état

demande aux proprios et aux pronostiqueurs

demande aux faussaires

demande aux tueurs à gages

demande aux chauves et aux gros

et aux grands et aux

petits hommes

demande aux borgnes, à ceux qui ont

trop ou pas assez de rapports sexuels

demande aux hommes qui lisent l’éditorial

de tous les journaux

demande aux hommes qui élèvent des roses

demande aux hommes qui ne ressentent presque aucune douleur

demande aux moribonds

demande aux tondeurs de pelouses et à ceux qui assistent

à des matches de football

demande à n’importe lequel ou à tous ceux-ci

demande demande demande et

ils te le diront tous :

une femme hargneuse qui grogne au balcon est plus

qu’un homme ne peut supporter.

Charles Bukowski

Extrait de Crucifix in a Deathhand (1965) repris dans Burning in Water Drowning in Flame (Selected Poems 1955-1973), Santa Rosa, Black Sparrow Press, 1999, 89-92.

Traduction : Éric Dejaeger

 

18:35 Publié dans Inédits | Lien permanent | Commentaires (1)

Poème inédit de Charles Bukowski

amour & gloire & mort

c’est assis dehors près de ma fenêtre

comme une vieille femme qui va au marché ;

c’est assis et ça me regarde,

ça transpire nerveusement

par fil et brume et aboiement

jusqu’à ce que soudain

je frappe la vitre avec un journal

comme pour écraser une mouche

et on a pu entendre le hurlement

dans toute la moche cité,

et puis ça s’est en allé.

 

la manière de terminer un poème

comme celui-ci

c’est de soudainement

se calmer.

Charles Bukowski

Extrait de It Catches My Heart in Its Hand (1963) repris dans Burning in Water Drowning in Flame (Selected Poems 1955-1973), Santa Rosa, Black Sparrow Press, 1999, 42.

Traduction : Éric Dejaeger

 

love & fame & death

it sits outside my window now

like an old woman going to market;

it sits and watches me,

it sweats nervously

through wire and fag and dog-bark

until suddenly

I slam the screen with a newspaper

like slapping at a fly

and you could hear the scream

over this plain city,

and then it left.

 

the way to end a poem

like this

is to became suddenly

quiet.

 

15:44 Publié dans Inédits | Lien permanent | Commentaires (14)

Une haine secrète

La haine secrète (secrète même pour qui l’éprouve) que l’être humain, et tout spécialement celui qui – critique, éditeur, universitaire etc – gravite autour de la littérature, sa haine secrète envers les écrivains n’a peut-être d’égale que la haine secrète que l’auteur porte à l’écriture : la haine de qui, par une exaspération de l’amour, est en situation de dépendance. Qu’est-ce que cette vie qui ne peut se vivre qu’avec un carnet constamment à portée de main ? Rimbaud la rejeta avec rage et on le vit, au désert, manifester sa honte quand se trouvait évoquée son ancienne activité de poète. Kafka demanda que soient brûlés ses manuscrits. Le verbe avait dévoré leur vie, le verbe qui seul pourtant leur avait permis d’accéder à leur essence, de réaliser leur être dans la plus grande liberté possible.

Or le genre humain est aujourd’hui débordé par un verbe qui n’est même plus libérateur, le genre humain est débordé par la parole proliférante et mensongère du spectacle, le genre humain est réduit au bruit incessant, au bavardage vertigineusement creux et inefficace, aux langues de bois des médias, des politiques, des religieux, des scientifiques et des spécialistes de toute sorte, à la langue absurde et totalitariste des transactions financières, à l’incessante et compacte propagande, le genre humain tout entier n’est plus qu’un misérable insecte englué dans une toile de signes dépourvus de chair et de sens, et tout en s’autodétruisant dans les pires convulsions, anesthésié et paralysé, asphyxié dans sa honte et son impuissance, émet comme une bave d’agonisant d’ultimes rêves de lumière, semblable à cette « lumière bleue » glaciale que Leni Riefensthal fantasma dans son premier film éponyme, en 1933, avant de foncer, fascinée, dans le mur du discours hitlérien.
Que les poètes nous fassent entendre leur langue de poète, vite. Si l’être humain n’a pas de rapport légitime à la vie, il lui faut, absolument, établir et garder sans cesse un rapport poétique avec elle.
Alina Reyes

Espaces blancs


Lecture à la Baignoire, 7 rue Brueys à Montpellier (Derrière le Dôme)

Espaces blancs, de Paul Auster, par Stéphane Laudier

les 9 et 10 novembre

à 19 heures

Renseignements et inscriptions au 06 14 47 06 99

Plus d'infos ici

Se sentir français aujourd'hui

Se sentir français aujourd'hui, pleinement français, possédé par la froide tragédie française, ce serait se sentir également envahi par les deux effrois, par les deux mémoires. Celle du malheureux photographe d'Epinay, qui n'a pas même droit à la publicité de son nom, et celle des petits footballeurs de Clichy.

Lire l'article entier de Daniel SCHNEIDERMANN ici


09:26 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0)

jeudi, 03 novembre 2005

Que les Goncourt vermifugèrent

Avec nos journaux-pansements
Qui sèchent les plaies prolétaires
Et les cadavres de romans
Que les Goncourt vermifugèrent
Avec la société bidon
Qui s'anonymise et prospère
Et puis la rage au pantalon
Qui fait des soldats pour la guerre

t'es Rock, Coco ! t'es Rock !

Leo Ferré (paroles en entier de la chanson ici)

22:23 Publié dans Chanson | Lien permanent | Commentaires (1)

Encore faut-il...

Il ne suffit pas de refuser la Légion d'Honneur; encore faut-il ne pas la mériter!

Erik Satie

Recoins de ma vie.

Souvent, je regrette d'être venu moi-même en ce bas monde; non pas que je haïsse le monde. Non.... J'aime le monde, le grand monde et même le demi-monde, étant personnellement une sorte de demi-mondain.
Mais que je suis venu faire sur cette Terre si terrestre et si terreuse?
Y ai-je des devoirs à remplir? Y suis-je venu pour accomplir une mission - une commission?
M'y a-t-on envoyé pour m'amuser? pour me distraire un peu?... pour oublier les misères d'un au-delà dont je ne me souviens plus? N'y suis-je pas importun?
Que répondre à toutes ces questions?
Croyant bien faire, presque à mon arrivée, ici-bas, je me suis mis à jouer quelques airs de Musique que j'inventai moi-même....
Tous mes ennuis sont venus de là...

(Erik Satie, Écrits réunis par Ornella Volta, Éditions Champ Libre, 1981, p. 176)

 

17:50 Publié dans Musique | Lien permanent | Commentaires (1)

Conseils

Conseils: Ne respirez pas sans avoir, au préalable, fait bouillir votre air.
(Erik Satie, Écrits réunis par Ornella Volta, Éditions Champ Libre, 1981, p. 31)
 

15:21 Publié dans Papillote | Lien permanent | Commentaires (0)

Ecrire, penser les sentiments

Un amour violent, une mélancolie profonde envahissent notre âme : ce sont mille éléments divers qui se fondent, qui se pénètrent, sans contours précis, sans la moindre tendance à s’extérioriser les uns par rapport aux autres ; leur originalité est à ce prix. Déjà ils se déforment quand nous démêlons dans leur masse confuse une multiplicité numérique : que sera-ce quand nous les déploierons, isolés les uns des autres, dans ce milieu homogène qu’on appellera maintenant, comme on voudra, temps ou espace ? Tout à l’heure chacun d’eux empruntait une indéfinissabe coloration au milieu où il était placé : le voici décoloré, et tout prêt à recevoir un nom. Le sentiment lui-même est un être qui vit, qui se développe, qui change par conséquent sans cesse ; sinon, on ne comprendrait pas qu’il nous acheminât peu à peu à une résolution : notre résolution serait immédiatement prise. Mais il vit parce que la durée où il se développe est une durée dont les moments se pénètrent : en séparant ces moments les uns des autres, en déroulant le temps dans l’espace, nous avons fait perdre à ce sentiment son animation et sa couleur. Nous voici donc en présence de l’ombre de nous-mêmes : nous croyons avoir analysé notre sentiment, nous lui avons substitué en réalité une juxtaposition d’états inertes, traduisibles en mots, et qui constituent chacun l’élément commun, le résidu par conséquent impersonnel, des impressions ressenties dans un cas donné par la société entière. Et c’est pourquoi nous raisonnons sur ces états et leur appliquons notre logique simple : les ayant érigés en genres par cela seul que nous les isolions les uns des autres, nous les avons préparés à servir à une déduction future.

Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, II, p. 98-99

11:53 Publié dans Philo | Lien permanent | Commentaires (0)

Au coeur de l'Amérique

Un jour je viendrai

Comme une averse

Je suis une nuée d'alouettes

Qui se posent sur le toit de votre maison.

Ne soyez pas avare,

Ouvrez la fenêtre,

Car dans les hauteurs de l'aube

Je vous conterai le drame de l'exil

Puis,

Je mangerai mes ailes

Pour ne plus voler.

Le poème qui apparaît sur l'affiche est du poète irakien Salah Al Hamdani

09:35 Publié dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0)

mercredi, 02 novembre 2005

L’élection de Pierre Autin-Grenier à l’Académie Française (nouvelle mouture)

Le hasard m’a fait intercepter cet article du « Chasseur français » du 16 avril 2008, le voici en substance…


Une foule avenante et bigarrée se pressait hier, sous la Coupole, pour la réception à l’Académie Française de Pierre Autin-Grenier, au fauteuil de Jean d’Ormesson. Nombre de ses amis étaient là, déjà académiciens comme Jean-Pierre Ostende, Jean-Claude Pirotte et Gil Jouanard ou avec l’espoir de l’être un jour comme Eric Holder ou Philippe Delerm. Très élégant dans son costume dessiné par Christian Lacroix, l’œil pétillant et la démarche altière, l’ancien soixante-huitard dont on connaît le talent et l’ironie mordante a laissé quelque peu perplexe une partie de ses auditeurs en prononçant l’éloge de l’ancien directeur du Figaro Magazine : « Homme de plume mais aussi de combat et ce qui ne gâte rien, d’une immense culture, Jean d’O - comme l’appelaient ses nombreux amis – s’il n’a cessé de côtoyer les puissants, n’en aura pas moins été un défricheur, un chercheur inlassable de vérité. Seul contre tous, il n’hésitera pas à jouer les trouble-fête après mai 1981, à se dresser courageusement, tel Hugo face à Napoléon III, contre François Mitterrand et à faire du Figaro, le grand journal de la contestation d’alors, un rempart contre la pensée unique et une nécessaire alternative, un scrupuleux antidote (...) C’est à cet homme de résistance que je veux rendre hommage aujourd’hui, c’est ce compagnonnage que je revendique, celui de l’irrévérence et de la libre parole, même si nos convictions ont souvent été diamétralement opposées, concluait-il… » Quolibets et noms d’oiseaux ont alors fusé ci ou là, vite recouverts par les applaudissements d’usage et le sourire entendu de quelques uns. Tout cela fut oublié grâce à l’éloquence vibrante de Bertrand Poirot-Delpech qui, prononçant l’éloge de Pierre Autin-Grenier, mit l’accent sur « l’ironie convulsive, l’impertinence consubstantielle du nouvel académicien » : « il n’a jamais voulu appartenir à aucune école, sinon celle des « Moins que rien » , sous lequel un journaliste fort pertinent – cela existe, c’est prouvé, ajoutait-il - avait regroupé, dans les années quatre-vingt-dix, quelques unes des plus solides – et des plus caustiques - plumes du moment. Tels ces écrivains du bâtiment dont Hemingway conseillait au siècle dernier la fréquentation aux débutants, Autin-Grenier n’a cessé d’être prolixe. Lui le maître du « fond de court » surprit son monde en montant au filet, se lançant avec le succès que l’on sait dans le roman grâce à « Friterie-bar Brunetti ». Dès lors rien ne l’arrêta plus. Devenu, après avoir surfé sur la victoire du non au référendum de 2005, le maître à penser de la nouvelle gauche, sa notoriété grandissant, il entreprit son grand virage à droite pour soutenir (victorieusement) la candidature de Ségolène Royal à la Présidentielle de 2007. Devenu une véritable icône, il publia alors un poignant plaidoyer: « Je ne suis pas un bobo ! » où l’émotion de l’ancien gauchiste blessé dans son amour-propre transpirait à chaque ligne. Son œuvre n’est pas terminée heureusement, et lui qui fit de la célèbre boutade : « Il poursuivait une idée fixe, il était surpris de ne pas avancer ! » un de ces chevaux de bataille, ne manquera pas de nous surprendre encore, n’en doutons pas, puisque le voilà bien reverdi  ! »

C’est dans un des quartiers du vieux Lyon qu’il affectionne tant, qu’une partie de cette joyeuse assemblée, par un TGV spécialement affrété, s’est rendue ensuite, pour fêter cet irrésistible événement. Et le vin blanc, comme il se doit, a coulé jusqu’à une heure fort avancée de la nuit ! Les plus vieilles institutions ont parfois aussi leurs moments de folie…

 

La frite !

L'est dans Télérama l'académicien !