Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

vendredi, 11 mars 2005

Nous sommes au bord de la catastrophe

Extraits d'une interview d'Alberto Manguel, dans le dernier numéro de Telerama :

Alberto Manguel : La lecture est tellement en danger qu'il ne faut pas faire de manières. Nous sommes au bord de la catastrophe. D'une façon peut-être unique dans l'histoire, nous sommes entrés dans une période de déshumanisation. Les pouvoirs économiques organisent la misère intellectuelle. L'acte intellectuel - lire, réfléchir - n'a plus aucun prestige parce qu'il ne crée aucun produit financier. Jadis, au moins, il y avait un réflexe de pudeur. Aujourd'hui, il n'y a qu'arrogance : les ignares étalent leur inculture et s'en vantent. (…)
Lire peut être dangereux ? Alberto Manguel : C'est pour cela que nos sociétés occidentales ne valorisent pas l'activité intellectuelle, réduisent les budgets de l'Education, de la Culture, ferment les bibliothèques ! Des individus perdus et soumis, voilà le socle de leur pouvoir. Alors, elles véhiculent une image du lecteur peu sexy, le caricaturent avec des lunettes, toujours seul, dans son coin, à faire quoi ? à penser quoi ? C'est un être dangereux puisqu'il est capable de se soustraire au régime imposé par la culture environnante. Notre société dévalorise la lecture pour se protéger des individus qui veulent la questionner. (…)
Le mot d'ordre, partout dans le monde, est de produire des livres qui se vendent. Fabriquer des best-sellers. Même les éditeurs intelligents sont obligés de nous faire croire que publier un best-seller permettra de publier un livre que l'on dit joliment « difficile ». L'auteur n'a plus le dernier mot sur son oeuvre, on peut lui faire changer le sexe d'un de ses personnages, on lui dit que c'est trop court, trop sophistiqué. Les éditeurs craignent leur direction, celle qui tient les finances, pour laquelle le mot valeur n'a de sens que d'un point de vue économique. Valeurs esthétiques, politiques, ils ne connaissent pas. Or Gabriel García Márquez a publié sept ou huit romans avant Cent Ans de solitude. La littérature demande du temps... Je crois la situation catastrophique. Il y a urgence à refuser la grosse artillerie commerciale, à soutenir les libraires et les éditeurs indépendants. (…)
Les spectateurs rivés à leur poste prennent la téléréalité pour la réalité. Ils ont du monde une perception totalement fausse. Il n'existe plus d'espaces publics sans musique, sans images. Tout est organisé pour que l'on soit sans cesse sollicité, abruti, dans un environnement agité, bruyant. Je sens une atmosphère fascisante dans cette façon de s'adresser aux gens, d'appréhender l'éducation, de restreindre l'imagination.



Les commentaires sont fermés.