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vendredi, 11 mars 2005

Les esclaves modernes

Pour que les esclaves modernes acceptent, et même revendiquent, leur condition, il faut les droguer d’images et de racontars en permanence, et qu’ils n’aient pas la plus petite distance, le moindre recul par rapport à leur propre situation. Sauf pour s’effrayer d’être à ce point gratuits et serviles, d’où soumission renouvelée et renforcée d’angoisse. Ca marche ? Oui. On y est arrivé. Il ne leur viendrait pas à l’idée de regarder vraiment quoi que ce soit par eux-mêmes, et si jamais s’en formait en eux l’intention confuse, aussitôt sonnerie : danger. Vont-ils demander la permission d’avoir une perception qu’ils sentent devoir être imminente ? Même pas. Mieux vaut y renoncer d’emblée. C’est ce que je disais : les files d’attente devant les musées ressemblent à celles d’autrefois, devant les ambassades, pour obtenir un visa. Ils viennent pointer ou se faire homologuer par la caméra invisible. Nous avons été voir les peintures, le Maître n’arrête pas de nous dire qu’elles sont très précieuses, il va être content. Certains d’entre nous ont même fait l’effort particulier d’acheter un livre que, d’ailleurs, ils ne liront jamais, faute de temps. Ouf, à table. Télévision.
Philippe Sollers, Extrait de La fête à Venise, roman

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