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lundi, 18 juillet 2005

Antoine Watteau

Crépuscule grimant les arbres et les faces,
Avec son manteau bleu, sous son masque incertain ;
Poussière de baisers autour des bouches lasses...
Le vague devient tendre, et le tout près, lointain.

La mascarade, autre lointain mélancolique,
Fait le geste d'aimer plus faux, triste et charmant.
Caprice de poète - ou prudence d'amant,
L'amour ayant besoin d'être orné savamment -
Voici barques, goûters, silences et musique.

Marcel Proust

Des centaines de poèmes en ligne ici : http://poesie.webnet.fr/

vendredi, 15 juillet 2005

Claude Simon : un révolutionnaire

Dans le roman traditionnel, on a toujours pensé, d’une façon à mes yeux naïve, qu’il s’agissait simplement de traduire de la durée par de la durée. À la page un, naissance du bonhomme, à la page dix, ses premières amours, etc. Pour moi, il ne s’agit pas du tout de traduire du temps, de la durée, mais de rendre du simultané.
Article en entier à lire ici

mercredi, 13 juillet 2005

Guy Goffette

Le jardin est entré dans la cuisine
avec le cheval ivre et le ruisseau lointain
parce que la table était ouverte
à la page la plus blanche de l’été
là où convergent toutes ces routes
que tisse le poème
pour l’aveugle immobile
mains posées sur le bois
la pointe du couteau fichée dans la mémoire.


Texte de Guy Goffette
Extrait de “Eloge pour une petite cuisine de province”

Plus d'infos sur : http://www.califice.net/belge/notes/goffette.shtml
(Merci Rick)

mardi, 12 juillet 2005

Guy Goffette sur Auden

Lorsque tous les jardins avaient un puits où l'on jetait des sous,
Lorsque l'amour était facile,

Lorsqu'on mourait en héros pour du beurre avec une épée de carton à la main,
Lorsque la mer montait par grand vent dans les peupliers, emportant notre chambre et la nuit jusqu'au fond du sommeil,
Lorsque Dieu était Dieu,
Lorsque toutes les forêts avaient une licorne qui rendait aveugles les chasseurs,
Lorsqu'on buvait la pluie à pleine bouche et sautait à pieds joints dans le ciel pour éclabousser notre ombre,
Lorsque la justice était une balance en équilibre au bout d'une main blanche,
Lorsque tous les miracles — la perle d'eau sur la vitre, le flocon de neige, le nuage rose, la résurrection des soldats de plomb après la bataille — avaient l'évidence d'une larme,
Lorsque la terre ne tournait que dans les rondes et les culbutes,
Lorsque le temps n'avait pas encore de montre et n'avançait qu'avec la faim et le sommeil,
Lorsqu'on n'était que soi,

on pouvait encore très sérieusement se prendre pour Robin des Bois, Davy Crockett, Tarzan, Zorro et s'appeler Wystan Hugh Auden par exemple,
et n'être qu'un gamin précoce, frondeur et facétieux, habillé à la va-comme-je-te-pousse, peu soigné, les ongles en deuil, les doigts tachés d'encre, aussi doué pour l'étude que pour la paresse, avec ça, d'une belle insolence envers les professeurs,
et n'avoir à la maison aucun problème sérieux avec papa et maman, ni avec les deux grands frères, ni avec le Saint-Esprit qui descendait en ligne directe des deux grands-pères et des quatre oncles, tous pasteurs de l'Eglise anglicane,
n'être qu'un petit Anglais blond comme la neige, gourmand et grassouillet et bientôt myope, qui s'enfonce en douceur dans les contes et légendes nordiques de maman, où les hommes sont de fiers guerriers pleins de mansuétude et les femmes des Reines des neiges droites et pures ou de dangereux sortilèges de glace,
et en même temps tomber amoureux des paysages de calcaire, collectionner les pierres avec papa, les pyrites surtout, sombres et bardées de fer, et tout ce qui les prolonge comme naturellement: les métaux, les mines, les usines, les terrils, et les machines, les extracteurs, les turbines, les tramways et les locomotives, ô la stricte beauté des locomotives
et puis tous les mots techniques qui vont avec, étourdissants de difficulté, de précision et de sourde magie, les prononcer déjà avec le sérieux doctoral du professeur de géologie qu'il veut devenir, époustouflant ses tantes, épatant ses petits condisciples et ravissant son médecin de père, lui aussi féru d'archéologie et de sagas islandaises, qui lui jure ses grands dieux mordicus qu'au berceau de ses ancêtres, là-bas, très au nord, les pierres fusent sous la glace.


Guy Goffette : "Auden ou L'Œil de la baleine"; Essai, Collection L'un et l'Autre Gallimard


Wystan Hugh AUDEN (1907-1973)

(Envoyé par Pascale Arguedas)

"Auden est l'un des plus grands poètes de tous les temps, avec beaucoup d'autres bien sûr, mais lui, personne n'en parle ou presque, c'est pas Rimbaud... Si vous avez vu "4 mariages, un enterrement", vous avez entendu un poème d'Auden sans même le savoir:

(En français:)
Arrêtez toutes les pendules, coupez le téléphone,
Avec un os à moelle empêchez le chien d'aboyer,
Faites taire les pianos et au son du tambour voilé
Sortez le cercueil, laissez passer le cortège funèbre.

Que les avions vrombissent au-dessus de nos têtes,
Inscrivent dans le ciel la nouvelle : Il Est Mort,
Mettez des noeuds de crêpe au cou blanc des pigeons des places,
Que les agents de police portent des gants de coton noir.

Il était mon Nord, mon Sud, mon Est et mon Ouest,
Ma semaine de travail et mon repos du dimanche,
Mon midi, mon minuit, ma conversation, ma chanson,
Je pensais que cet amour-là allait durer toujours : j'avais tort.

Les étoiles sont de trop désormais ; ôtez-les toutes ;
Remballez la lune et démantelez le soleil ;
Videz l'océan et balayez la forêt ;
Car plus rien maintenant ne peut arriver d'heureux.


Funeral Blues (en VO)

Stop all the clocks, cut off the telephone,
Prevent from barking with a juicy bone,
Silence the pianos and with muffled drum
Bring out the coffin, let the mourners come.

Let aeroplanes circle moaning overhead
Sribbling on the sky the message He Is Dead,
Put crêpe bows round the white necks of the public doves,
Let the traffic policemen wear black cotton gloves.

He was my North, my South, my East and West,
My working week and my Sunday rest,
My noon, my midnight, my talk, my song ;
I thought that love would last for ever : I was wrong.

The stars are not wanted now ; put out every one ;
Pack up the moon and dismantle the sun ;
Pour away the ocean and sweep up the wood ;
For nothing now can ever come to any good.


Guy Goffette a écrit un livre superbe sur Auden chez Gallimard, collection L'un et l'autre : "Auden ou l'oeil de la baleine". Entre une biographie et une histoire qu'il nous raconterait à une veillée, Goffette, admirateur comblé et traducteur d'Auden, joue avec les mots, insère avec à propos des extraits de poèmes. C'est beau, beau, beau !

Chez Gallimard, on peut aussi trouver un livre sur les poésies de Auden : "Poésies choisies". C'est le seul qui existe actuellement en version française, hélas. Christian Bourgois ayant arrêté l'impression des quelques rares en circulation...

Lisez Auden, découvrez ce poète afin qu'il ne tombe pas dans l'oubli, il ne mérite pas l'amnésie. Non, surtout pas ! Il n'y a pas que Rimbaud ;-)"

Calou

L'amour est à réinventer

"Il dit : "Je n'aime pas les femmes. L'amour est à réinventer, on le sait. Elles ne peuvent plus que vouloir une position assurée. La position gagnée, coeur et beauté sont mis de côté : il ne reste que froid dédain, l'aliment du mariage aujourd'hui. Ou bien je vois des femmes, avec les signes du bonheur, dont, moi, j'aurai pu faire de bonnes camarades dévorées tout d'abord par des brutes sensibles comme des bûchers... "

Rimbaud, Une saison en enfer, la vierge folle.

lundi, 11 juillet 2005

Iacobus

Prenez un peu de Umberto Eco, ajoutez une dose de Perez-Reverte, plus une pincée de Dan Brown, et vous aurez "Iacobus" de Matilde Asensi. L'action se passe en 1319 : un moine-soldat, va partir à la recherche du Trésor des templiers sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle ; au fur et à mesure, d'autres (lourds) secrets de l'Histoire vont émerger, les fausses pistes vont se multiplier, bref un bon polar ésotère, pour les amateurs du genre.
Folio policier

mardi, 05 juillet 2005

Servitude

Un état totalitaire vraiment "efficient" serait celui dans lequel le tout-puissant comité exécutif des chefs politiques et leur armée de directeurs auraient la haute main sur une population d'esclaves qu'il serait inutile de contraindre, parce qu'ils auraient l'amour de leur servitude.
Aldous Huxley

Je regarde le ciel clair et profond

Personne encore n'a défini, dans un langage pouvant être compris de ceux-là mêmes qui n'en ont jamais fait l'expérience, ce qu'est l'ennui. Ce que certains appellent l'ennui n'est que de la lassitude; ou bien ce n'est qu'une sorte de malaise; ou bien encore, il s'agit de fatigue. Mais l'ennui, s'il participe en effet de la fatigue, du malaise et de la lassitude, participe de tout cela comme l'eau participe de l'hydrogène et de l'oxygène dont elle se compose. Elle les inclut, sans toutefois leur être semblable.

Si la plupart donnent ainsi à l'ennui un sens restreint et incomplet, quelques rares esprits lui prêtent une signification qui, d'une certaine façon, le transcende: c'est le cas lorsqu'on appelle ennui ce dégoût intime et tout spirituel qu'inspirent la diversité et l'incertitude du monde. Ce qui nous fait bâiller, et qui est la lassitude; ce qui nous fait changer de position, et qui est le malaise; ce qui nous empêche de bouger, et qui est la fatigue - rien de tout cela n'est vraiment l'ennui; mais ce n'est pas non plus le sens profond de la vacuité de toute chose, grâce auquel se libère l'aspiration frustrée, se relève le désir déçu et se forme dans l'âme le germe d'où naîtra le mystique ou le saint.

L'ennui est bien la lassitude du monde, le malaise de se sentir vivre, la fatigue d'avoir déjà vécu; l'ennui est bien, réellement, la sensation charnelle de la vacuité surabondante des choses. Mais plus que tout cela, l'ennui c'est aussi la lassitude d'autres mondes, qu'ils existent ou non; le malaise de devoir vivre, même en étant un autre, même d'une autre manière, même dans un autre monde; la fatigue, non pas seulement d'hier et d'aujourd'hui, mais encore de demain et de l'éternité même, si elle existe - ou du néant, si c'est lui l'éternité.

Ce n'est pas seulement la vacuité des choses et des êtres qui blesse l'âme, quand elle est en proie à l'ennui; c'est aussi la vacuité de quelque chose d'autre, qui n'est ni les choses ni les êtres, c'est la vacuité de l'âme elle-même qui ressent ce vide, qui s'éprouve elle-même comme du vide, et qui, s'y retrouvant, se dégoûte elle-même et se répudie.

L'ennui est la sensation physique du chaos, c'est la sensation que le chaos est tout. Le bâilleur, le maussade, le fatigué se sentent prisonniers d'une étroite cellule. Le dégoûté par l'étroitesse de la vie se sent ligoté dans une cellule plus vaste. Mais l'homme en proie à l'ennui se sent prisonnier d'une vaine liberté, dans une cellule infinie. Sur l'homme qui bâille d'ennui, sur l'homme en proie au malaise ou à la fatigue, les murs de la cellule peuvent s'écrouler, et l'ensevelir. L'homme dégoûté de la petitesse du monde peut voir ses chaînes tomber, et s'enfuir; il peut aussi se désoler de ne pouvoir les briser et, grâce à la douleur, se revivre lui-même sans dégoût. Mais les murs d'une cellule infinie ne peuvent nous ensevelir, parce qu'ils n'existent pas; et nos chaînes ne peuvent pas même nous faire revivre par la douleur, puisque personne ne nous a enchaînés.
Voilà ce que j'éprouve devant la beauté paisible de ce soir qui meurt, impérissablement. Je regarde le ciel clair et profond, où des choses vagues et rosées, telles des ombres de nuages, sont le duvet impalpable d'une vie ailée et lointaine. Je baisse les yeux vers le fleuve, où l'eau, seulement parcourue d'un léger frémissement, semble refléter un bleu venu d'un ciel plus profond. Je lève de nouveau les yeux vers le ciel, où flotte déjà, parmi les teintes vagues qui s'effilochent sans former de lambeaux dans l'air invisible, un ton endolori de blanc éteint, comme si quelque chose aussi dans les choses, là où elles sont plus hautes et plus frustes, connaissait un ennui propre, matériel, une impossibilité d'être ce qu'elles sont, un corps impondérable d'angoisse et de détresse.

Quoi donc? Qu'y a-t-il d'autre, dans l'air profond, que l'air profond lui-même, qui n'est rien? Qu'y a-t-il d'autre dans le ciel qu'une teinte qui ne lui appartient pas? Qu'y a-t-il dans ces traînées vagues, moins que des nuages et dont je doute déjà, qu'y a-t-il de plus que les reflets lumineux, matériellement incidents, d'un soleil déjà déclinant? Dans tout cela, qu'y a-t-il d'autre que moi? Ah, mais l'ennui c'est cela, simplement cela. C'est que dans tout ce qui existe - ciel, terre, univers -, dans tout cela, il n'y ait que moi!


Fernando Pessoa
Texte extrait du recueil Le livre de l'intranquillité
traduit du portugais par Françoise Laye
381 - 28 septembre 1932

vendredi, 01 juillet 2005

Le pic de la déesse

Parmi ceux qui agitent leur mouchoir en signe d'adieu
Laquelle retire rapidement la main
Pour s'en couvrir les yeux?
Quand les voyageurs se dispersent
Laquelle se tient longuement à la poupe
La jupe flottant comme un nuage bouillonnant?
Les flots
Mugissent...
Murmurent...

De beaux rêves laissent de beaux chagrins
En ce bas monde comme dans le ciel
C'est une loi perpétuelle, mais le coeur
Se métamorphose-t-il vraiment en pierre
Pour attendre les messagers du ciel et
Laisser passer tant de lunes humaines?

Le long des pics qui dominent la rivière Bleue
Le courant de chrysanthèmes d'or et de graines de
troène
Engendre une nouvelle trahison
Mieux vaut pleurer une nuit sur l'épaule de l'amant
Que de s'exposer mille ans, sur le pic


Shu Ting, Juin 1981, sur le Yangtsé


Shu Ting est née en 1952 à Quanzhou, Fujian. Elle a publié quatre recueils de poèmes et un recueil de textes en prose.

jeudi, 30 juin 2005

Le Dao

"Il habite le sans aspect,
Il réside dans le sans lieu,
Il se meut dans le sans forme,
Il se tient en repos dans l’incorporel,
Il existe comme s’il n’était pas, vit comme s’il était mort,
Sort du sans intervalle et y pénètre.

Le Dao est si haut que rien ne lui est supérieur,
Si profond que rien ne lui est inférieur,
Il est plus plan que le niveau, plus droit que le cordeau,
Ses cercles sont plus ronds que ceux des compas,
Ses angles plus précis que ceux de l’équerre,
Il embrasse l’espace-temps si bien que rien ne lui est intérieur ni extérieur,
Il communique avec le ciel et la terre sans rencontrer d’obstacle.
Aussi celui qui fait corps avec lui n’éprouve-t-il ni peine ni joie
Ne contient ni contentement ni colère,
Il veille sans inquiétude et dort sans rêve,
Quand les êtres apparaissent il les nomme
Quand les événements se produisent il leur répond"


mercredi, 29 juin 2005

L'arrivée du californien

"Un homme venait d'être pendu, et en était mort.
- D'où arrivez-vous ? demanda Saint-Pierre à l'homme, qui se présentait aux portes du Paradis.
- De Californie, répondit le candidat.
- Entrez, mon fils, entrez ; vous apportez d'heureuses nouvelles.
Quand l'homme eut disparu à l'intérieur, Saint-Pierre sortit son petit carnet et écrivit :
16 février 1893. Les chrétiens occupent la Californie."

Ambrose Bierce, Fables suivies de Aesope revu et corrigé, Paris, Éditions Clancier-Guenaud, 1988, 64. (Traduit de l’américain par Jérôme Vérain)

(Envoyé par Eric Dejaeger, qui précise : Ambrose Bierce, bien qu'il ait disparu en 1917 alors qu'âgé de plus de 70 ans, était parti seul et à cheval à la recheche des troupes de Pancho Villa pour faire la révolution avec eux (Pancho et ses troupes) ; Bierce, un peu oublié, était le rival de Mark Twain en son temps. C'est un précurseur du conte bref. Et un cynique pas possible. Pire que Cioran)

Messages personnels

"Nul ne s'égare dans le ciel de l'esprit" Wang Wei
"Les calculs de côté, l'inévitable descente du ciel, et la visite des souvenirs et la séance des rythmes occupent la demeure, la tête et le monde de l'esprit" Rimbaud
"Le corps obéit à la causalité, l'esprit saute les degrés de l'éveil" Wang Wei
"Dans la pensée toute chose devient solitaire et lente" Heidegger

mardi, 28 juin 2005

Rendant visite à un moine de la montagne et ne le trouvant pas

"Le chemin de pierre pénètre dans un val rouge
le portail en sapin est recouvert de mousse
sur les marches désertes des traces d'oiseau
personne dans la salle de méditation
je regarde par la fenêtre,
et distingue une longue brosse blanche,
accrochée au mur, couverte de poussière
je pousse un long soupir,
et avant de repartir, décide de rester ici un moment
de la montagne s'élèvent des nuages parfumés,
une pluie de fleurs tombe du ciel
j'entends maintenant la musique du ciel,
résonnent les cris des singes
j'en oublie soudain les affaires du monde,
acordé ici au paysage alentour"

Li Po

dimanche, 26 juin 2005

L'émotion du départ

"La connaissance intime du paysage dissout l'émotion du départ"

Wang Wei

mercredi, 22 juin 2005

"L'ermite parle" et "mes roses"

"L'ermite parle
L'art de fréquenter les hommes repose essentiellement sur l'habitude (qui suppose un long excercice) d'accepter, d'absorber un repas dont la préparation n'inspire pas confiance. En admettant que l'on vienne à table avec une faim d'ogre, tout ira facilement ("la plus mauvaise compagnie te permet de sentir-comme dit Méphistophélès) ; mais on ne l'a pas, cette faim d'ogre, lorsqu'on en a besoin ! Hélas ! combien les autres sont difficiles à digérer. Premier principe : prendre son courage à deux mains, comme quand il vous arrive un malheur, y aller hardiment, être plein d'admiration pour soi-même, serrer sa répugnance entre les dents, avaler son dégoût. Deuxième principe : rendre l'autre "meilleur", par exemple par une louange, pour qu'il se mette à suer de bonheur sur lui-même ; ou bien prendre par un bout ses qualités bonnes et "intéressantes" et tirer jusqu'à ce que l'on ait fait sortir toute la vertu et que l'on puisse draper l'autre dans ses plis. Troisième principe : l'autohypnotisation. Fixer l'objet de ses relations comme un bouton de verre jusqu'à ce que, cessant d'éprouver du plaisir ou du déplaisir, l'on s'endorme imperceptiblement, que l'on se raidisse, que l'on finisse par avoir du maintien : un moyen domestique emprunté au mariage et à l'amitié, abondamment expérimenté et vanté comme indispensable, mais non encore formulé scientifiquement, Son nom populaire est -patience.

Mes roses
Oui ! mon bonheur - veut rendre heureux !
Tout bonheur veut rendre heureux !
Voulez-vous cueillir mes roses ?

Il faut vous baisser, vous cacher,
Parmi les ronces, les rochers,
Souvent vous lécher les doigts !

Car mon bonheur est moqueur !
Car mon bonheur est perfide ! -
Voulez-vous cueillir mes roses ?"

Nietzsche, le gai savoir

Le solitaire

Je déteste autant de suivre que de conduire.
Obéir ? Non ! Et gouverner jamais !
Celui qui n'est pas terrible pour lui, n'inspire la terreur à personne
Et seul celui qui inspire la terreur peut conduire les autres.
Je déteste déjà me conduire moi-même !
J'aime, comme les animaux des forêts et des mers,
A me perdre pour un bon moment,
A m'accroupir, rêveur, dans des déserts charmants,
A me rappeler enfin moi-même, de loin,
Et à me séduire moi-même


Nietzsche, Le gai savoir

mardi, 21 juin 2005

En se séparant d'un voyageur

"Je descendis de cheval ; je lui offris le vin de l'adieu,
Et je lui demandai quel était le but de son voyage.
Il me répondit : Je n'ai pas réussi dans les affaires du monde ;
Je m'en retourne aux monts Nanshan pour y chercher le repos.

Vous n'aurez plus désormais à m'interroger sur de nouveaux voyages,
Car la nature est immuable, et les nuages blancs sont éternels."

Wang Wei

Merde !

"Fin janvier 1872. Dans l'entresol d'une brasserie du quartier Saint-Sulpice, les Vilains Bonhommes récitent des sonnets académiques ; Rimbaud, du fond de la salle, ponctue chaque vers d'un Merde retentissant."
Alain Borer, Rimbaud l'heure de la fuite.

lundi, 20 juin 2005

Les inédits de Brautigan - 6

FRAGMENT

I am looking
at wooden crosses
so old
that nothing
is written
on them anymore,
there are
huge stacks
of crosses
here,
there are
crosses leaning
against
fine marble
tombs,
there are
crosses thrown
into the
trees,
there are
a dozen crosses
sticking on
the same
grave.

FRAGMENT

Je regarde
des croix en bois
si vieilles
que plus rien
n'est écrit
sur elles,
1l y a
d'énormes tas
de croix
ici,
il y a
des croix appuyées
contre
des tombes
de marbre fin,
il y a
des croix jetées
dans les
arbres,
il y a
une douzaine de croix
fichées dans
la même
tombe.

HERMAN MELVILLE IN DREAMS,
MOBY DICK IN REALITY

In reality Moby Dick
was a Christ-like goldfish
that swam through the aquarium
saving the souls of snails,

and Captain Ahab
was a religious Siamese cat
that helped old ladies
start their automobiles.

HERMAN MELVILLE EN RÊVE,
MOBY DICK EN RÉALITÉ

En réalité Moby Dick
Etait un poisson rouge semblable au Christ
qui nageait. dans tout l’aquarium
en sauvant les âmes d’escargots,

et 1e capitaine Achab
était un chat siamois dévot
qui aidait les vieilles dames
à faire démarrer leurs voitures.


Traduction de Eric Dejaeger