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lundi, 18 avril 2005

Il n'y pas d'effet sans cause

« Il s’adressa ensuite à un homme qui venait de parler tout seul une heure de suite sur la charité dans une grande assemblée. Cet orateur, le regardant de travers, lui dit : - Que venez-vous faire ici ? Y êtes-vous pour la bonne cause ? - Il n’y a pas d’effet sans cause, répondit modestement Candide, tout est enchaîné nécessairement et arrangé pour le mieux. – Mon ami, lui dit l’orateur, croyez-vous que le pape soit l’Antéchrist ? - Je ne l’avais pas encore entendu dire, répondit Candide ; mais qu’il le soit ou qu’il ne le soit pas, je manque de pain. - Tu ne mérites pas d’en manger, dit l’autre, va coquin, va misérable, ne m’approche plus de ta vie. »

Voltaire, Candide

dimanche, 17 avril 2005

Quelques considérations d’après « La science de la guérilla », de T.E. Lawrence.

La force réside dans la profondeur d’action et non dans le front. Dans la guerre irrégulière, ce que font les hommes est assez peu important, ce qu’ils pensent, en revanche, est capital. L’essentiel au fond est d’amener peu à peu l’ennemi au désespoir, ce qui signifie un plein emploi stratégique plus que tactique et le fait constant de « se trouver plus faible que l’ennemi, sauf sur un point ». On compte donc sur la vitesse, la mobilité, le temps, l’avancée rapide suivie du recul immédiat, le coup porté et aussitôt interrompu pour être porté ailleurs, le modèle devenant celui musical de la portée et non de la force, avec initiative individuelle et, comme dans le jazz, une improvisation collective de tous les instants. Les irréguliers combattent le plus souvent sans se connaître, parfois même en évitant de se connaître, ou encore sans s’admettre entre eux. Ceci est vrai aussi désormais pour la guerre spirituelle et sa substance fluide et réversible de temps comme de mémoire. Dans la guerre irrégulière, le commandement central n’a plus besoin d’être réellement incarné par tel ou tel, la logique y suffit, si elle est portée à une certaine puissance.
On part du principe que l’ennemi croit à la guerre, au sens où un penseur irrégulier comme Kafka, par exemple, disait qu’une des séductions les plus fortes du Mal est de pousser au combat. L’adversaire croit à la guerre, il en a besoin (ne serait-ce que pour vendre des armes) , il lui faut susciter des conflits en attisant les haines.
La rébellion doit disposer d’une base inattaquable, d’un endroit préservé non seulement de toute attaque mais de toute crainte. De cette façon on peut se contenter de deux pour cent d’activité en force de choc et profiter d’un milieu à 98 % de passivité sympathique. L’expression évangélique « qui n’est pas contre nous est pour nous » trouve ainsi son application militaire. Vitesse, endurance, ubiquité, indépendance, stratégie (étude constante des communications) plus que tactique. Il s’agit avant tout de casser chez l’autre sa volonté viscérale d’affrontement. Il cherche à vous imposer sa logique de mort, à vous fasciner avec votre propre mort, vous refusez et refusez encore, vous l’obligez à répéter dans le vide son obstination butée, vous continuez comme si de rien n’était, vous lui renvoyez sans cesse son désir négatif, bref vous finissez par l’user, le déséquilibrer, c’est le moment de passer à l’attaque. Tel est pris qui croyait prendre. Le premier élément est le Temps lui-même, la Mémoire. Le deuxième élément, biologique, n’est plus la destruction éventuelle des corps (tout indique qu’ils n’ont plus la moindre importance) mais le regard détaché sur leur inanité transitoire et leurs modes de reproduction de plus en plus artificiels. Enfin les 9/10 èmes de la tactique sont sûrs et enseignés dans les livres mais le dernier dixième de l’aventure peut être qualifié de « Providence ». Après tout, quelqu’un, entouré seulement de douze techniciens, a ainsi atteint des résultats étonnants. Il ne s’agissait pas de paix mais de guerre, la plus irrégulière qui soit, même pas « sainte », à y regarder de plus près (comme si elle en avait pris les formes pour s’opposer justement, à ces formes).
Conclusion : la guerre irrégulière repose sur une paix si profonde que tout désir de guerre s’y noie et s’y perd. On fait la guerre à la guerre, on traite le mal par le mal, on fait mourir la mort avec la mort (mort où est ta victoire ?) , on circule à grande vitesse dans une immobilité parfaite, on ne vise aucun but, et c’est pourquoi, finalement, il y en a un.

samedi, 16 avril 2005

Les réussites de l'individuation

"Il faudra de plus en plus, s’habituer à toutes ces exceptions, à ces noms (même sans signature) qui signalent ce qu’on pourrait appeler les réussites de l’individuation. Les artistes ne se dévouent pas à l’ensemble humain, ils en sortent. C’est cela qui choque un refoulement de fond ? Mais oui. Le Puritain est avant tout quelqu’un (ou quelqu’une) qui répugne à cette conception des « coups heureux » de l’espèce humaine. Il veut du collectif. Donc de la fausse histoire. Une « Histoire de l’Art ». De même il se rassure en se racontant qu’il y a une séparation bien nette entre écrire et vivre, travail et débauche, sexualité et pensée. Pour lui ce doit être l’un ou l’autre. Le Puritain (ou Puritaine) est clérical (ou cléricale) en ceci qu’il veut croire que les « artistes », inaptes à vivre « réellement » (la réalité c’est lui ou elle) sont, malgré tout, des sacrifiés utiles. Des rédempteurs rentables. L’artiste doit finir mal, son existence ne peut être qu’un puits de névrose ou d’enfer, il a expérimenté des choses dangereuses pour nous, il est devenu fou à notre place, on en tremble encore, c’est vraiment héroïque de sa part. Malheur à l’artiste qui laisserait entendre qu’il n’est pas candidat au martyre, ni au poste de saint laïque pour assurer de son mieux la rédemption communautaire. Le voilà trop anticlérical, que le clergé soit en uniforme ancien ou pas. Il y a toute une gamme de cléricaux : le religieux d’autrefois, le bourgeois, le progressiste, le militant, l’universitaire, le médiatique, le politique. Sur ce point précis, ils sont tous d’accord. Vérifiez."

P Sollers, extrait de Vivant Denon, le cavalier du Louvre.

La victoire

"Il y a un moment dans les batailles, où, dans une lutte égale, les deux parties sentent l’inertie de leurs moyens et l’inutilité de leurs efforts ; où l’épuisement des forces, et le sentiment de conservation, inspirent aux combattants un même penchant vers la retraite. Ce moment de relâchement, saisi par l’homme supérieur qui sait profiter de cette disposition morale pour employer les moyens qu’il a su réserver, détermine toujours la victoire en sa faveur."

Vivant Denon

jeudi, 14 avril 2005

Beckett pour contre-attaquer

Voici un beau texte de Eric Chevillard que m'envoie Pascale :


"Les écrivains qui comptent sont des vengeurs. Flaubert venge la délicatesse flétrie par la bêtise. Rimbaud venge l’adolescence humiliée par son impuissance. Proust venge la créature éphémère. Ponge venge les choses scandaleusement négligées. J’arrête là cette énumération facile : épreuves-exorcismes, tout écrivain qui compte est un vengeur. Beckett est un vengeur. Beckett venge l’homme. Quand je l’ai lu pour la première fois, j’avais une grande soif de vengeance. Beckett m’a vengé. Il est temps que je précise : pas question ici de règlement de compte ni de revanche sur la vie ou je ne sais quelles grimaces de la face tuméfiée dans le dos de la brute qui s’éloigne. Pas de vengeance basse ou mesquine, une réaction héroïque, au contraire, voilà ce dont il s’agit, une réaction d’orgueil peut-être, moins les grands airs offusqués, mâchoires et poings serrés. Une réaction déconcertante.
Une contre-attaque tout en finesse qui passe par une certaine résignation à l’irrémédiable, mais réfute les postures de consentement ou de soumission à cet ordre en vigueur et les états d’âme de circonstance, si convenus qu’il serait aussi simple de fabriquer en série les masques qui les expriment dans une usine de carton-pâte, chaque individu recevrait la panoplie à sa naissance.
Beckett contre-attaque. Son rire est un outrage, un sacrilège.
Voyez comme le bourreau a l’air sot avec sa hache quand le condamné se fend la gueule sur le billot.
Quand j’ai lu Beckett pour la première fois, je venais de comprendre certaines choses simples, ce qui m’attendait quoi que je fasse, cela me paraissait inacceptable, déjà je tendais la main vers les masques du révolté, du geignard, du désespéré – et soudain Malone meurt. Révélation renversante : ce néant qui s’ouvrait devant moi était presque justifié puisque le rire de Beckett y sonnait si juste, si plein, voilà que ce néant qui s'ouvrait devant moi tout à coup était comblé par le rire de Beckett – j’en appréciais l’acoustique : dans ce néant absolu, le rire de Beckett était lui aussi sans limite.
Toutes les morales me choquaient, toutes les philosophies sérieuses me répugnaient – rire lucide, rire vengeur, le rire de Beckett était alors la seule chose que je pouvais entendre. Le rire de Beckett était la solution. Il exprimait l’horreur de la situation mieux que la complainte complaisante ou le gémissement qui est déjà un commentaire, et il en triomphait dans le même temps, l’humour étant la forme la plus méconnue de la compassion (qui se soucie d’autrui) et de la générosité (qui procure du plaisir à autrui et sollicite sa participation). L’amour n’est jamais si vaste et ne partage la solitude qu’en deux.
Ceci n’est donc pas un paradoxe : l’écrivain qui a le mieux décrit la condition humaine, sans se leurrer d’aucune illusion, sans ménagement ni aucune de ces mièvres bontés qui tournent le cœur, s’exposant jour après jour à l’effroi des vérités innommées jusqu’à trouver les mots qui enfin les nomment, est aussi le plus drôle (à en perdre le souffle) et le plus fraternel (à en pleurer)."


mercredi, 13 avril 2005

Ces marées cachées

Auparavant, les écrivains s'intéressaient aux apparences et, comme Pouchkine et même Tolstoï, ils ne pensaient que sur un plan. Mais le sujet moderne, ce sont les forces souterraines, ces marées cachées qui gouvernent tout et conduisent l'humanité à contre-courant du flux apparent : ces subtilités empoisonnées qui enveloppent l'âme, les vapeurs malsaines de la sexualité.
(Rapporté par Arthur Power, in Entretiens avec James Joyce)

Un autre que soi

"La peur ne s'élève que là où on voit un autre que soi"

(Fleuron cité par P. Sollers dans L'année du tigre)

mardi, 12 avril 2005

Et les maisons citron

"Lumière d'or sur la mer, sur les sables, sur les blocs. Le soleil est là, et les arbres sveltes, et les maisons citron."

James Joyce

Vif-argent

"L'ombre des forêts flottait dans la paix du matin entre la tour et la mer que regardait Stephen. Au creux de la baie et au large blanchissait la mer miroitante, éperonnée par des pieds fugaces et légers. Sein blanc de la mer nébuleuse. Les accents enlacés deux à deux. Une main cueillant les cordes de la harpe et mêlant leurs accords jumeaux. Vagues couplées du verbe, vif-argent qui vacille sur la sombre marée."

James Joyce

lundi, 11 avril 2005

Le vent

"La brise susurre : il s'élève une fraîcheur,
Qui purifie pour moi les bois et les vallées.
Le vent balaie la brume et m'ouvre la porte de la gorge ;
Il enroule le brouillard, et fait paraître les maisons sur les monts.

Il va et vient, mais sans laisser de trace,
Se lève et s'apaise, comme s'il avait des sentiments.
Le soleil tombe : la montagne et les eaux se calment...
Il fait naître pour vous une voix dans les pins."

Wang Po

Romans ou Vies ?

... Le roman n’est-il pas un genre exténué, un peu comme l’était la tragédie classique au temps de Voltaire? Et, dans la mesure où je ne baisse pas tout à fait les bras, c’est à dire dans la mesure où je fais des petits textes qui ressemblent tout de même à des romans, brefs, mais des romans (je ne suis pas le seul) je me sens proche de beaucoup d’autres contemporains immédiats qui essaient aussi de sortir du roman sans effets de manche, sans prétendre tout démolir, sans ostentation. Mais fermement et absolument.
Parmi ceux-là beaucoup s’intéressent à la forme brève, reprennent la forme brève, mais des formes brèves qui ne seraient pas ce que le siècle dernier a appelé la nouvelle, et qui n’est qu’un morceau de roman. Et nous avons à notre disposition la forme très ancienne des vies qui n’a jamais cessé d’être - on me prête, à moi et à d’autres, le fait d’avoir réinstauré ce genre qu’on a toujours fait, mais c’est une tarte à la crème, il n’y a là ni invention ni retour. Cette forme , que j’appelle vie par commodité, me parait être le roman débarrassé de son grand fourbi, ou fourre-tout. Je vais m’expliquer par une métaphore pharmaceutique. Vous savez, dans la notice des médicaments, on lit par exemple: pénicilline: 0,5% -et excipient: 99,5%. Et bien, le roman tel qu’il se pratique aujourd’hui de plus en plus me paraît être un gigantesque excipient dans lequel la pénicilline est perdue. Ce genre que j’appelle une vie , ça n’est après tout que le roman débarrassé de ses copules, de son tirage à la ligne, de sa " pensée " et de son remplissage. Il est vrai que les romans de Flaubert par exemple étaient des vies sans copule: Vie d’Emma Bovary ou Vie de Felicité qui ont reçu par la suite d’autres titres.


Pierre Michon (interview)
Pour plus d'info, cette interview complète et d'autres, tapez : http://www.remue.net/cont/michon.html

Ce petit casseur

Rimbaud est le rare cas où la surévaluation populaire, populiste même, est très incongrûment liée à la haute littérature. Il y a là quelque chose de ridicule, d'exaspérant, de très émouvant, qui interroge la vérité des lettres et qui a interrogé tous les écrivains de ce siècle : nous sommes tous des pions dans la lignée directe de ce petit casseur.

Pierre Michon (interview)


dimanche, 10 avril 2005

La durée est un éclair...

"On peut transformer la durée en fulgurance : qu’y a t-il d’autre dans ce vers si connu de Rimbaud et pourquoi nous plait-il tant : ô saisons, ô châteaux? La lenteur des saisons, la pérennité des châteaux y sont dits dans la fulgurance de l’instant, d’un vers de six pieds. La durée est un éclair."

Pierre Michon (interview)

jeudi, 07 avril 2005

Errance (s)

N’est pas errant qui veut. Il faut une liberté, mieux, un laisser aller qui ne se donne pas, s’arrache, se nourrit, contre raison mais non sans elle. Tout un art du voyage. “Le voyage fournit des occasions de s’ébrouer mais pas — comme on le croyait — la liberté. Il fait plutôt éprouver une sorte de réduction ; privé de son cadre habituel, dépouillé de ses habitudes comme d’un volumineux emballage, le voyageur se trouve ramené à de plus humbles proportions. Plus ouvert aussi à la curiosité, à l’intuition, au coup de foudre”, dit Nicolas Bouvier dans L’Usage du monde.

Laisser être dans l’accueil. Ni hémorragie existentielle à laquelle est attachée une image du mou, apathique, aboulique, souffrant de ne rien (re)tenir, de tout laisser se perdre, par tempérament ou manque de caractère.

Ni affolement de l’être désamparé, sans-papiers, exilé, exclu de toute part, ou folie du fragile d’esprit qui cogne à la vitre du monde, emprunte des voies délirantes et déraille. Autre est le délire de l’errant que nous cherchons à être.

Ni erreur non plus, car errance véritable est recherche et, finalement, vérité aperçue dans l’imprévisible chemin, relative, fluctuante, poétique. L’errant ne sait où il va : il est tendu vers ce qu’il ne découvre qu’en s’y exposant, retenant au mieux ce qui fuit de tout côté.

Nicolas Bouvier, dans sa chambre d’hôtel à Ceylan, dans Le Poisson-scorpion, ne cesse d’écoper, accroché par des riens au réel qu’il crée au moment où il le reçoit en pleine tête, avec humour et poésie, immergé et lucide, malade, rongé et cependant au-dessus de tout, volute de pensée ramenant à la louche insectes et images, personnages et émotions, aspects divers de ce qui taraude et creuse la galerie incertaine des rêves. L’errance est rapport au temps et à l’éternité, montrée dans ces photographies des “plus hautes montagnes du monde”, “pont entre matérialité et transcendance” (Entre errance et éternité).

Rapport ? Errer, c’est sans cesse être entre ici et là, hier et aujourd’hui, dans l’indétermination d’un “tout à l’heure”, “là-bas”. Cet entre-deux (trois, quatre…), cet entrelacs se fait tissu d’ombres colorées, fugace prise sur la durée, dans des “petits moments”, “moments d’harmonie totale entre une lumière, l’écho d’une voix, les couleurs, le goût qu’on a dans la bouche, l’heure du jour” (Entretien accordé par Nicolas Bouvier à Encres Vagabondes, n°4). “Émerveillement”, donc. Mais cette extrême attention au monde ne va pas sans une certaine érosion de soi, jusqu’à ce qui résiste à toute “usure”. “Usage du monde”, usure de soi. En cela, si “l’écriture, le voyage et la vie sont trois exercices de disparition”, il n’empêche que l’écriture est “port d’attache”. Pas d’errance sans lien, un point de chute suffit, sans quoi elle est pure perte, dilution, égarement, désarroi.

Errer, écrire. “Le souvenir de voyages lointains, de promenades dans les villes resurgit curieusement avec l’extinction des flammes et le mot marcher, dans mon esprit, épouse sans faiblesse celui d’écrire”, dit Joël Vernet dans Sous un toit errant (Fata Morgana). Beauté du texte, à la mesure des interminables “nuits passées sur les terrasses”. Entre le chant des mésanges et le “dernier visage” du disparu, “nous appartenons à la vie errante, à la vie nomade”, “fils de toutes les tribus”. Et “notre vie accueille ainsi les mots errants au fil des jours”.

Le recueil de Joël Vernet s’achève sur un texte dense dédié à Nicolas Bouvier. L’errance y prend un sens (ultime ?) que les “errants de toutes les époques et de tous les siècles” nous font saisir au vol, baluchon à l’épaule. Nous pensions conter notre errance pour en fixer l’écoulement, n’en pas perdre une miette, attache flottante, mais non, c’est elle qui écrit, elle ouvre (sur) “le livre qu’invente pour nous le réel, ici, sur cette terre des confins”.

Alors errer est un devoir, celui “d’ignorer où nous allons”. Fil tendu vers le monde, entre soi et soi, pour qu’ici, maintenant, prenne corps.

Jean-Jacques Marimbert

mercredi, 06 avril 2005

Que peut m'importer...

"Que peut m'importer ce qui est arrivé à un écrivain sud-américain, appelé Jorge Luis Borges, durant le XXe siècle ? Cela veut dire qu'il y a quelque chose en moi, il y a quelque chose en moi d'éternel, qui est étranger à mes circonstances, à mon nom, et à mes aventures. Je crois que ceci, nous l'avons tous ressenti, non ? Et il me semble que c'est un sentiment véridique, celui d'une racine secrète que l'on possède et qui est au-delà des faits successifs de la vie."

Borges

Le roman long

A mon sens, le roman long, romanesque, sans excipient, puissant sans bavardage, a été mené à son terme au vingtième siècle dans des expériences comme celles de Joyce ou Faulkner, qui ne sont plus faisables. Ils ont mené le genre à sa dernière perfection. Nous vivons un temps d’épigones de ces gens-là, bien sages, bien pensants, bien obéissants, bien révolutionnaires, qui sont tellement en dessous de leurs modèles.

Pierre Michon.

Ô baroque eucharistie de Naples...

Très beau livre de Jean-Noël Schifano : Naples (collection microcosme, petite planète, le Seuil, 1981), magnifique introduction à cette ville qui ne ressemble à aucune autre : "Voyageur étranger, ne maugrée pas, ne maudis pas ce désordre improductif, cette récréation de tout instant, prends pazienza : et ouvre les yeux. Naples, la ville spectacle, te donne sa première leçon : à l’école du regard, la vraie, apprends à regarder ; non plus une scène artificielle, un écran de toile ou de verre, mais directement dans la rue, la vie quotidienne des plus grands acteurs du monde. Le seul pouvoir qui règne sur Naples, depuis la nuit des temps, c’est l’imagination. L’imagination au service de la transgression.
Tout fait spectacle à Naples : grâce à l’esprit ludique, à l’ironie, à l’auto-ironie, à la finesse d’esprit, à l’esprit grec, des napolitains. Jouer : la douleur, par exemple, ou la joie. Manière de mettre une certaine distance entre soi et un monde douloureux, de jouer la douleur précisément, de déjouer le malheur."
(...) Le "mange et bois" est un tourbillon de délices dans une coupe de cristal : un pot pourri de parfums et de matières qui affolent papilles de la langue et pupilles de l'oeil. C'est l'art baroque à l'estomac. Confectionné sous vos yeux, selon la chaleur, votre faim, votre soif ou votre caprice du moment : un garçon vêtu de blanc vous offre une palette multicolore, et avec lui vous bâtissez la plus vertigineuse pyramide. Mûres, fraises, pistaches, abricots, amandes écalées, émincées et grillées, jet de cerise liquoreuse, traversin de gâteaux meringués et imbibés de fleurs d'oranger et de cet alcool que distillent les sorcières de Bénévent, la Strega, cerceaux de marrons liquéfiés, le tout piqué de fruits et de légumes précieusement confits, nimbé de crème saupoudrée de chocolat amer qui coule de la coupe sur vos doigts et monte sous votre nez. Mangez et buvez : ô sublime, généreuse, liquide et craquante, brûlante et glacée, mouvante, ô baroque eucharistie de Naples !

mardi, 05 avril 2005

Je décrirai le bonheur...

"Jusqu'à présent, l'on a décrit le malheur, pour inspirer la terreur, la piété. Je décrirai le bohneur pour inspirer leurs contraires."

Lautréamont

Que faire de son temps ?

"Affirme ta propriété sur toi même, et le temps que jusqu'ici, on t'enlevait, on te soutirait ou qui t'échappait, recueille-le et préserve-le. Persuade-toi qu'il en va comme je l'écris : certains moments nous sont retirés, certains dérobés, certains filent. La perte la plus honteuse, pourtant, est celle que l'on fait par négligence. Veux-tu y prêter attention : une grande partie de la vie s'écoule à mal faire, la plus grande à ne rien faire, la vie tout entière à faire autre chose.
Quel homme me citeras-tu qui mette un prix au temps, qui estime la valeur du jour, qui comprenne qu'il meurt chaque jour ? C'est là notre erreur, en effet, que de regarder la mort devant nous : en grande partie, elle est déjà passée; toute l'existence qui est derrière nous, la mort la tient. Embrasse toutes les heures; de la sorte, tu dépendras moins du lendemain quand tu auras mis la main sur l'aujourd'hui. Pendant qu'on la diffère, la vie passe en courant.
Toute chose, est à autrui, le temps seul est à nous; c'est l'unique bien, fugace et glissant, dont la nature nous a confié la possession: nous en chasse qui veut. Et si grande est la sottise des mortels que les objets les plus petits et les plus vils, du moins remplaçables, ils supportent de se les voir imputés quand ils les ont obtenus, que nul ne se juge redevable en quoi que ce soit pour avoir reçu du temps, alors que c'est le seul bien que, même reconnaissant, l'on ne peut rendre."


Sénèque, lettres à Lucilius

lundi, 04 avril 2005

Le tumulte de ce feu

"Tu n'as plus pour bagage
que cette plume d'enfance
qui suffit pourtant à la liberté des loups

Et nul encrier ne peut contenir
le tumulte de ce feu"

Jean-Luc Aribaud

Extrait de :"Passages", Pleine page, Zorba, 2005
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