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mercredi, 21 mars 2007

Bribes de bios

A lire ici, dans les Carnets de J.L.K. des bribes de biographies de quelques écrivains célèbres...

samedi, 10 mars 2007

Le carnet est cet autre côté de l’horizon

medium_31.jpgPour un écrivain, le carnet est ce qu’il y a de plus étrange et de plus intime. C’est un autre temps, une respiration d’appoint, une mémoire profonde et oblique, une chambre noire, un filtre. Là sont notées les apparitions. Un rêve, et les morts sont là, tout à coup, plus vivants que jamais, soucieux ou énigmatiques. Une phrase banale, prononcée d’une certaine façon, et tout un paysage s’ensuit. Une odeur, une couleur, un bruit, et le grand navire de l’existence prend le large, très au-delà de l’actualité en écume, vers un passé qui ne passe pas, demande son développement, son récit futur. Je suis un personnage de roman, il va m’arriver des choses. Il faut rester en éveil, rien n’est négligeable ou indifférent, des rapprochements m’attendent, des signaux, des hasards objectifs. Je suis un animal enfantin, tous les sens participent à l’opération magique. Voilà, c’est parti : les personnages se présentent d’eux-mêmes, ils veulent être observés et décrits, ils jouent le jeu à leur insu, ils demandent à être radiographiés, mots, gestes, démarches, mimiques. Proust écrit : " Je vois clairement les choses dans ma pensée jusqu’à l’horizon. Mais celles qui sont de l’autre côté de l’horizon, je m’attache à les décrire." Le carnet est cet autre côté de l’horizon.

Philippe Sollers,
« Marcel Proust : Carnet magique »
Le Monde, 14.3.2002

Voir aussi ici

Photo : Jean-Louis Bec

samedi, 03 mars 2007

Le corps de l'océan (2)

medium_Seaweed.jpgLe soleil est enturbanné de longues mèches oranges, rouges, aux extrémités violettes posées sur l’océan, mi-pansement sale, mi-effilé de châle indien. Ciel d’arrière-saison. Il ralentit le pas. Non, ce n’est pas un tronc. Un ramassis hétéroclite menaçant de se disloquer au moindre remous un peu trop fort, qui s’étale, se resserre, s’étale, respiration de l’entrelacs des courants affolés par l’imminence du littoral. Il a un pressentiment. Il jette ses tennis vers le sable sec, s’avance dans l’eau jusqu’à mi-cuisse, reste ainsi quelques minutes. Ses pieds s’enfoncent dans le sable. Il finit par ne plus sentir ses jambes, ses genoux. Le froid remonte, atteint son sexe, son ventre, mais il ne peut détacher ses yeux de ce qui mollement flotte vers lui. À ce moment, en un dérisoire sursaut de fierté, le soleil enflamme le ciel. Il fait volte-face, court jusqu’au sable, ses jambes remontent mécaniquement la dune. Non, pas de ça, quelqu’un d’autre passera par là, plus tard, il sera loin.

Jean-Jacques Marimbert

Extrait de : "Le corps de l'océan"

Carnet des sept collines N° 24
Jean-Pierre Huguet Editeur, Le Pré Battoir, 42220 Saint Julien Molin Molette
Tél. 04 77 51 52 27
Courriel : edition.huguet@free.fr
Site : www.editionhuguet.com
Photo de Leesybee sur le site Morguefile.com (photos libres de droit)

vendredi, 02 mars 2007

Le corps de l'océan

Dans le baroque, à peine ai-je opté pour un point de vue, mes jambes s'impatientent, tout, mes mains, mes yeux. Sans cesse renvoyé d'un lieu à un autre, à aucun finalement. A l'horizon, le regard atopique du peintre. Dans l'art baroque, je ne me sens pas en sécurité. Il y a trop de lieux où je pourrais me cacher et aucun où je serais invisible. Moi ou un autre moi. Je my perds de vue, tour à tour suivi et précédé par je ne sais quel souffle tourbillonnant. Je me sens seul, menacé, épié. Aspiré vers un vide sans fond, gouffre où le vent siffle, pascalien, et je me retourne, je crois toujours qu'une partie de l'oeuvre est derrière moi, à étendre ses lignes indéfiniment, dans l'ombre d'un pilier de cathédrale où résonnent mes pas, les dédales d'un labyrinthe de reflets, les plis d'une robe brodée d'or.
Jean-Jacques Marimbert
Extrait de : "Le corps de l’océan"
Carnet des sept collines N° 24
Tirage à 100 exemplaires
enrichis d’un dessin original pleine page
signé de Philippe Louisgrand


BON DE COMMANDE à retourner, accompagné de votre règlement à :
Jean-Pierre Huguet Editeur, Le Pré Battoir, 42220 Saint Julien Molin Molette
Tél. 04 77 51 52 27
Courriel : edition.huguet@free.fr
Site : www.editionhuguet.com

mercredi, 07 février 2007

Après la «slow food», le «slow reading»

L'Américaine Francine Prose et l'Anglais John Sutherland, universitaire et accessoirement président du Booker Prize, prônent la lecture lente dans Reading Like a Writer et How to Read a Novel: a User's Guide. Alors que les rythmes de production éditoriale nous inciteraient plutôt à dévorer les livres, ils nous invitent à savourer la lecture comme l'on peut savourer un bon vin. Ces deux livres connaîtraient un succès retentissant outre-Atlantique, à tel point que l'historien Carlo Ginzburg (Université de Californie) présente son séminaire comme un modèle de «slow reading». Un blog italien («letturalenta») vient d'emboîter le pas.

Source : Lire

vendredi, 26 janvier 2007

Carnets indiens, avec Nina Houzel (19)

medium_DSCN4454.JPGKIPLING L’ENCHANTEUR

Donnant la parole aux enfants, orphelins ou abandonnés, aux déclassés, exilés, soldats éreintés ou errants, aux amants broyés par l’implacable Destin (Mère Gunga et Empire colonial), Kipling a créé un monde et, simultanément, annoncé sa mort : le monde anglo-indien. Authentique métissage dont l’impossibilité n’est pas sans préfigurer l’extinction de l’Empire victorien quelques années après la mort de l’écrivain, qu’il n’a certainement pas souhaitée (il y tenait comme à “un paradis perdu”, dit A. Tadié, préface de Kim en Folio). L’image réductrice qui le faisait chantre de l’époque victorienne, ne tient pas devant le génie des textes, des contes aux nouvelles et à Kim, terme de la patiente élaboration d’un monde à venir, sa tragédie. Les fictions de Kipling, louées par Borges, explorent une intimité qui n’existe que par elles. Ce faisant, elles révèlent ce qui déjà bascule au coeur des êtres, tissent la passerelle entre un monde finissant et celui qui, lui succédant, n’a de visage que fantasmé. Kipling dévisage l’inconnu, jusqu’à lui donner une âme. Ni de l’anglais, ni de l’indien. Une âme bigarrée, mêlée mais partagée. Pour cela, il faut être visionnaire, voir au-delà de ce que d’ordinaire on perçoit. Tel ce personnage qui, dans La cité de l’épouvantable nuit, observe la ville endormie :“C’était là, en réalité, tout ce qu’il y avait à voir ; mais pas tout ce qu’on était capable de voir”. La prémonition, en l’occurrence, exige que soient franchies les bornes étroites de la sensation, que s’ouvrent des voies esthétiques inexplorées. Lieu de visions : l’Inde, où se joue le destin d’une humanité “à cru, tannée, toute nue, sans que rien s’interpose entre elle et le ciel de feu, sans rien sous les pieds que la terre vieillie, surmenée…” (La conversion d’Aurélien Mac Goggin). Terre soumise aux terribles coups du Destin. Les personnages sont pris dans les remous d’un “univers bouleversé” (Aurore trompeuse), dans “un sacré pays. Un pays sacrément pas ordinaire. Une espèce de pays fou” (Mulvaney, incarnation de Krishna). Kipling projette les personnages, et nous avec, “le plus loin possible de tous les êtres, de toutes les personnes” (Sa chance dans la vie). Rein ne vaut l’extase de l’amour : un musulman aime une “veuve d’hindou” (En temps d’inondation), une indigène un blanc (Lispeth, La noire et la blanche), un anglais une indigène (Hors du cercle, À mettre au dossier, Comment Mulvaney épousa Dina Shadd, Sans bénédiction nuptiale). Le trouble prémonitoire est d’une puissance rare dans les récits qui se déroulent dans la “zone frontière”, où “les relations se compliquent de la façon la plus bizarre entre le Noir et le Blanc” (Sa chance dans la vie), véritable mutation, annonciatrice d’un être inouï. Génie de l’écrivain qui donne vie et mort, dans le même temps, l’une doublée de son autre, sans laquelle rien n’aurait lieu. Lieu du texte, géo-graphie tissée de rêves et d’angoisses, de morts annoncées, de vies jetées au vent et au soleil. Inde brûlée, “grille où le feu est remplacé par le soleil”(Mulvaney, incarnation de Krishna), mais aussi “étroit et noir cul-de-sac où le soleil ne venait jamais” (Hors du cercle). Menace d’apocalypse : “une lueur dansait à l’horizon au grondement heurté d’un tonnerre lointain”(Sans bénédiction nuptiale). Fin annoncée ? Non. Les enfants seuls (Mowgli, Tod, Kim, etc.) portent ce qui, embryonnaire, n’est pas encore viable et reste à bâtir, par-delà misère, maladies et morts violentes que l’Histoire sécrète. L’essence de la prémonition, c’est le possible incarné par ceux qui, au seuil de l’ouvert, parlent comme Tod une langue aux accents cosmopolites, encore inhabitée.

Jean-Jacques Marimbert

Photo : Nina Houzel

Carnets indiens, avec Nina Houzel (18)

medium_DSCN4275.JPGImagine que tu coupes un grand bambou en deux ;

De la partie basse, façonne une femme,

De la partie haute, un homme;

Frotte-les ensemble

Jusqu'à ce qu’ils s’enflamment :

Dis-moi maintenant,

Le feu qui naît,

Est-il mâle ou femelle,

O Ramanatha ?

- il est désir.

 

Devara Dasimayya

(traduit du kannada par A.K. Ramanujan)

 

Photo : Nina Houzel

jeudi, 25 janvier 2007

Carnets indiens, avec Nina Houzel (17)

medium_P8240225.jpgPour moi, la vérité dans le roman est étroitement liée au degré de conviction qu’inspire sa peinture de la réalité intérieure. Si cette réalité intérieure est convaincante, le lecteur peut accepter les arguments les plus invraisemblables. J’ai l’impression que de nos jours on a du mal à accepter que la fiction puisse prendre des libertés avec la réalité, alors que c’est dans la nature même de la fiction d’être infidèle au réel. C’est en nous racontant des histoires qui ne sont pas vraies que le roman s’approche de la vérité.

Salman Rushdie (interview à lire en entier ici)

Photo : Nina Houzel

samedi, 09 décembre 2006

Littérature et cinéma

medium_visconti195.jpgRarement les chefs-d'oeuvre de la littérature ont donné lieu à des chefs-d'oeuvre du cinéma. Le Guépard de Visconti, fait exception : c'est un film sublime. Néanmoins, relisant le roman de Lampedusa ces jours-ci, je constate à chaque page à quel point il recèle de richesses que la caméra de Visconti n'a pas pu rendre...

medium_gattopardo2.jpg

mardi, 21 novembre 2006

Intraduisible

Mallarmé, intraduisible, même en français.
Jules Renard, Journal (1er mars 1898)

lundi, 06 novembre 2006

J'aimais bien sa nonchalance

Les chroniques de Bernard Frank dans le Nouvel Obs, c'était la certitude d'une page bien écrite, un peu hors du temps, et ce mélange de nonchalance et de vivacité, de distance et de savoir-faire qu'il réussissait si bien, il y avait aussi ses références constantes à Stendhal, Proust, etc. Une manière d'élégance...

mardi, 24 octobre 2006

Les statistiques

Si l’on en croit les statistiques, on peut avancer que depuis l’irruption sur la terre de l’homme, ce mammifère intelligent, le nombre des naissances est à peu près équivalent à celui des décès parmi sa race. A noter toutefois un très léger excédent des naissances, dû probablement à leur antériorité sur les décès ; il aurait fallu en effet que l’agent recenseur comptabilise par anticipation les morts à intervenir pour ne pas fausser la balance.
Mais le lecteur aura rectifié de lui-même.

Jean-Jacques Nuel

(D'autres textes à lire sur le blog de la revue Casse)

mardi, 03 octobre 2006

Les claires-voies de la toiture

medium_lUedrjj5yTGTUYBpghjtqPquZc.jpgJe me jetais sur les livres comme s'il devaient nécessairement me livrer la clef de moi-même. Et la serrure avec. Lisant à bride abattue. Dans le métro. Dans la rue. Au bistrot. Dans mon lit. Sur les bancs des squares, au milieu des pigeons et des cris d'enfants, les soirs d'été ou le dimanche après-midi. Et jusque dans les chiottes des usines qui m'employaient, culottes baissées, accroupi au-dessus du trou, une branche nouvelle de marronnier en bourgeons ventrus se balançant au-dessus de ma tête sur le ciel blanc bleuté qui tapissait les claires-voies de la toiture.

Louis Calaferte – Septentrion – 1963

Sculpture de Giacometti


mercredi, 27 septembre 2006

Sauf quand ils sont de Raymond Chandler

medium_rubon142.jpgPour les faits marquants de mon existence reportez-vous donc au Who’s’ Who. J’habite Finca Vigia, dans le village de San Francisco de Paula, à Cuba. Le travail ? J’écris là où je me trouve, à l’hôtel, dans ma chambre, sur une table de café, les premières heures de la matinée étant toujours les plus favorables. Debout à l’aube, je me mets au travail aussitôt. Black Dog, un épagneul importé de Ketchum, dans l’Idaho, dressé à faire lever le gibier, est le plus vigilant gardien de mes horaires. Trois chats l’assistent dans cette tâche, Boise A -, Friendless’s Brother, Ecstazy. Princessa, pur persan gris, m’a souvent été d’un grand secours ; elle est morte voici trois semaines. Je n’ose imaginer ce qu’il adviendrait si Black Dog ou Boise venaient à disparaître. Je me ferais une raison, sans doute, et tout continuerait comme avant.

Vers midi, je m’arrête. Je prends un verre et plonge dans la piscine. Après le repas, si le travail de la matinée a été assez fructueux pour me laisser la conscience tranquille, je m’offre une sortie en mer et passe l’après-midi à pêcher dans le Gulf Stream.

Dans ma jeunesse, je m’en souviens, je pouvais avaler n’importe quel bouquin. J’ai vieilli, les policiers m’assomment sauf quand ils sont de Raymond Chandler. Je lis surtout des biographies, des récits de voyages, à condition qu’ils offrent un certain caractère d’authenticité, et des textes consacrés à la science militaire. Qu’ils soient bons ou mauvais, vous n’aurez pas perdu votre temps et leur lecture vous apprendra toujours quelque chose.

Ces derniers temps, ce n’était pas une mince affaire que de dénicher des nouveaux romans qui ne vous tombent pas des mains. J’en ai lu quelques-uns, malgré tout. Cette rentrée, espérons-le, sera le signal d’une année plus faste. Je lis aussi le Morning Telegraph, si je le trouve, le New York Times et le Herald Tribune. Je suis abonné à trois publications françaises, à quelques hebdomadaires italiens, à une revue mexicaine, Cancha. Je lis la presse tauromachique lorsque mes amis espagnols songent à me l’envoyer. Je feuillette un tas de choses, depuis Harpers jusqu’à The Atlantic, en passant par Holiday, Field and Stream, Sports Airfield, True, Time, Newsweek, Southern Jesuit. Je lis aussi le Saturday Evening Post lorsqu’il publie un feuilleton d’Ernest W. Haycox, deux ou trois journaux cubains, quelques revues littéraires d’Amérique latine. Il convient d’ajouter à cette pile deux revues anglaises : Sport and Country et The Field.. N’oublions pas les quelques livres français que m’envoie Jean-Paul Sartre, et les italiens. J’en lis plusieurs tous les ans, parfois même à l’état de manuscrits, afin de repérer ceux qui me paraissent publiables.

Venons-en à la correspondance ; j’entretiens des relations épistolaires suivies avec un officier supérieur en activité, ainsi qu’avec un général anglais à la retraite que j’ai connu en Italie lorsque nous étions, lui et moi, beaucoup plus jeunes. J’ai, avec trois de mes amis, un échange de lettres régulier. Pour le reste, ce n’est que courrier professionnel ou administratif.

Je ne joue jamais, si ce n’est pour gagner.

Invités par Mary, maçons, peintres et plâtriers ont envahi la maison. Voilà un excellent prétexte pour passer le plus clair de mon temps en mer, en attendant que le calme revienne. Conséquence indirecte de ce qui précède, je me remets d’une mauvaise chute, sur un pont glissant un jour de mer démontée. Le résultat fut une vilaine blessure derrière la tête, un traumatisme crânien, une artère sectionnée. J’ai attendu cinq ou six heures avant de pouvoir être conduit à l’hôpital. Par bonheur, naviguant dans les parages, se trouvait Roberto Herrera, un vieil ami qui a fait cinq années de médecine. Alerté par nos signaux de détresse, il nous a rejoints en toute hâle. Aidé de Mary, il a pu arrêter l’hémorragie ; son frère José Luis a terminé le travail. Cette année encore, il me faut renoncer au ski. Il me reste la natation, la marche, la chasse, la pêche, et le travail. Autant de plaisirs que José Luis m’a vivement déconseillés.

Soit dit en passant, je commence à être fatigué de prendre des coups sur la tête. Ça a débuté en 1918 puis recommencé en 1944-1945 et je me garderais d’oublier deux blessures vénielles en 1943. Si j’ai le malheur de me plaindre, je m’entends répliquer que ces désagréments sont le résultat de mon imprudence. Rien n’est plus faux, pour autant que je m’en souvienne...

Hemingway, Autoportrait 1950

lundi, 25 septembre 2006

Vent

medium_Email0348.jpgJ’aime ce grand désordre du vent, le mouvement, l’instabilité qu’il donne au monde, une pensée chasse l’autre, rien de figé…

 

Peinture de Frédérique Azaïs, petit format, 2006

dimanche, 24 septembre 2006

In memoriam : Alain Dubrieu

Alain Dubrieu, dans « Le désert de l’iguane », raconte dans un style flamboyant mais sans rien cacher de la vérité ses dix ans passés en prison. Dans la mouvance des années 70 et du gauchisme, il avait participé à des casses, tout en refusant la violence sur la personne. Dénoncé, il était tombé. Au lieu de se tenir tranquille et d’attendre les remises de peine, il deviendra actif dans la constitution des comités de prisonnier et ne bénéficiera d’aucune remise ; il fera "ses" dix ans au lieu des cinq seulement qu'il aurait fait sinon. C'est cette expérience qu'il raconte dans "Le désert de l'iguane" où il décrit  l’univers de la prison et ses mécanismes, et ceci de manière extrêmement précise tout en écrivant un livre splendide. Comment certains taulards fabriquaient de l'alcool frelaté grâce à un alambic construit de bric et de broc dans un sous-sol oublié d'une prison. C'est d'ailleurs à partir de là qu'il deviendra alcoolique ; il mourra d'un cancer du pancréas une vingtaine d'années plus tard. Pierre Torreilles, poète et fondateur de la librairie Sauramps à Montpellier, lui avait donné sa chance en l'embauchant comme libraire. J’ai eu la chance d'être son copain, les dernières années de sa vie, suite au roman collectif « 13, cours des chevaliers du mail ». Il ne s’est jamais remis de ces dix années. Il avait une aversion profonde pour l’injustice et n’a jamais accepté les compromis. Après avoir été un des auteurs phares du néo-polar dans les années 70, et fait un peu tous les boulots de l’écriture (nègre, auteur de romans érotiques),  il était pratiquement oublié à la fin de sa vie. Il publia notamment, sous forme de pamphlet, avant de mourir : « Citadelles de l’oubli », un nouveau et actualisé réquisitoire contre la prison.

Premières lignes du "Désert de l'iguane" :

Brutale éclate la stridence d'une sonnerie sciemment prolongée par le maton du kiosque, nouant les nerfs sous le cocon soudain crevé des chauds bien-être en oubli... Bondir du lit ?... Une gageure... Mais se laisser lentement remonter à la surface, délaissant pour douze heures les oniriques profondeurs, et prendre pied sur le rivage-punition... Poser un orteil audacieux... Un autre... Sadiquement bercé... Brutalisé par le vacarme... Bruits de verrrou qui claquent et harcèlent... Beuglement des brutes à cravate, barbares soucieux de jeter bas ces bon dieu de Bandits des bras complices de Morphine (et tous ces dérivés), louche déesse de l'A.P., l 'Administration Pénitentiaire, où l'austère Pandémonium qu'il ne faudrait pas prendre pour les berges balinaises... Et se lever enfin, vacillant, ouvrir en grand les deux battants de la lucarne du clapier, et respirer, et regarder...

Gallimard, collection La noire

vendredi, 21 juillet 2006

Une chaîne secrète

« L’auteur s’est donné l’avantage de pouvoir joindre de la philosophie, de la politique et de la morale à un roman, et de lier le tout par une chaîne secrète et, en quelque façon, inconnue. »

Montesquieu, Les lettres persanes

dimanche, 16 juillet 2006

Rois à la barbe noire et crépelée...

Rois à la barbe noire et crépelée, rois frottés d'huile, rois aux pupilles étincelantes comme des rubis,

dans les sarments de vos mains vous avez pris une poignée de boue

et longuement, en crachant dessus, vous l'avez pétrie avec votre salive de menthe et de romarin,

et sont nés la tête, les grands yeux où je sombre, le cou fragile, les seins palombes effarouchées, le long chemin du dos pour les escargots de mes lèvres, les fesses pour mon plaisir, le ventre d'ivoire, les cuisses ma grand-route, et doux, chaud, fou, le nid de joie, de mousse et d'armoise qui m'enclôt, prison de miel, prison moelleuse, prison de pétales et de glaieuls, prison de rosée, jamais fermée à clé, ma prison où vous m'acceillez vous,

loin du vautour, sans craindre le dragon,

vous m'y accueillez, rois de santal et de cannelle, rois des noires filles de l'Ethiopie, rois des sables dorés de Tartessos.

Bernard Lesfargues, extrait de "La brasa et lo fuoc brandal"  

A découvrir sur le tout nouveau site des édtions Jorn, poésie occitane contemporaine

lundi, 24 avril 2006

L'indicateur Kafka et autres considérations sur un immense écrivain

medium_franz-kafka-favorite-sister.2.jpg(Kafka avec sa soeur préférée, Ottla)

Une pièce de plus ici sur le procès Kafka, maintes fois évoqué. Ou dans la série "Il fallait bien que ça arrive" ; On apprend ceci sur le blog de François Bon :

Un indicateur surnommé "Kafka" pour mesurer la bureaucratie en France

source : LEMONDE.FR | 13.04.06 | 16h17 • Mis à jour le 13.04.06 | 17h02

Le gouvernement est en train de mettre en place, dans le cadre de ses efforts de modernisation de l’Etat, un indicateur "Kafka" de complexité des démarches administratives, a annoncé jeudi 13 avril le ministre délégué au budget.

"On a emprunté aux Belges quelque chose qu’ils ont mis en place, ainsi d’ailleurs que les Néerlandais, qui est un indicateur qu’on appelle entre nous l’indicateur Kafka", a dit Jean-François Copé lors d’une conférence de presse. L’écrivain tchèque Franz Kafka (1883-1924) a décrit les méandres cauchemardesques d’une bureaucratie absurde - on dirait aujourd’hui "kafkaïenne" - dans son roman Le Procès. Le nouvel instrument, introduit parallèlement aux audits effectués depuis l’automne dans tous les ministères français,"est un indicateur pour mesurer de manière aussi objective que possible les procédures les plus complexes, de manière à les simplifier", a expliqué Jean-François Copé.

Selon son entourage, il essaie par exemple de mesurer la charge que représente pour une entreprise ou un particulier une demande de subvention, d’aide, d’autorisation, etc. "On calcule la charge que cela représente en recherche d’informations, en démarches. Les chiffres varient entre 1 et 100, précise-t-on de même source. Après, on se pose la question de savoir si on peut réduire, si ça a un sens de réduire ou de ne pas réduire un certain nombre de règles." Jean-François Copé a admis que c’était encore un "gadget". "Mais mon idée, c’est qu’on soit capable de faire une espèce de norme de type ISO 9002 sur la complexité des procédures et qu’on ait une vraie classification - telle procédure en fonction du nombre de courriers à envoyer, des délais, ça représente tant sur l’indicateur Kafka", a expliqué le ministre.

Avec Reuters

L'analyse que fait ensuite François Bon n'est pas moins intéressante. Il revient sur la notion d'adjectif déjà abordée ici :

"C’est la version agence de presse pour résumer l’œuvre et la vie de Kafka. D’ailleurs, preuve que c’est vrai, l’adjectif kafkaïen. Et la loi des adjectifs : méandre est cauchemardesque, et absurde la bureaucratie.

Un des plus immenses plaisirs que nous apporte Kafka, c’est pourtant la langue sans adjectif. Un rapport au nom qui rend immensément concrète la réalité appelée par le langage, au point très précis qu’il développe."

(...)

Il n’y a pas de cauchemar dans Kafka. Il y a toucher le monde concret, la table et la fenêtre dans la pièce où là tout de suite on écrit. Il y a le bruit minuscule qui demeure, dans l’infini silence où l’on creuse son terrier. Il y a la très grande sérénité du champion de jeûne.

Les fonctionnaires requièrent donc le nom de Kafka, pour le constat de leur propre encombrement, leur propre incapacité en somme. C’est déjà une insulte : Kafka, c’est une œuvre exceptionnellement réussie, en pleine conscience de son accomplissement (jusqu’où elle bute, ainsi dans la décision de ne pas publier les romans parce qu’ils n’obéissaient pas à une loi linéaire qui lui semblait organique à l’idée même du roman comme genre).

(...)

J’étais justement à lire la très belle traduction par Gérard Macé de Giorgio Agamben, L’Idée de la prose. Agamben revient à la Colonie pénitentiaire, et de l’interprétation considérablement agrandie qu’on peut avoir de ce récit si on considère que l’appareil décrit ici est le langage. Et qu’au bout du compte, lorsque l’officier s’installe lui-même sur la machine, et qu’elle écrit avec ses pointes dans son dos non plus la punition (l’officier n’a transgressé aucun commandement), mais le texte ultime qui régit son fonctionnement, c’est Sois juste. Et que le langage ici n’a plus de contenu ni d’impératif : la machine alors se détruit. Voici la fin de la très brève étude de Giorgio Agamben :

 

Le sens ultime du langage - semble alors dire la machine - est l’injonction « sois juste » ; cependant, c’est précisément le sens de cette injonction que la machine du langage n’est absolument pas en mesure de nous faire comprendre. Ou plutôt, elle ne peut le faire qu’en cessant d’accomplir sa fonction pénale, elle ne peut le faire qu’en se brisant, en assassinant au lieu de punir. De la sorte, la justice triomphe de la justice, et le langage du langage. Que l’officier n’ait pas trouvé dans la machine ce que les autres y avaient trouvé est alors parfaitement compréhensible : à partir de ce moment il n’y avait plus rien à comprendre pour lui dans le langage. C’est pourquoi son expression est restée exactement telle qu’elle était quand elle était vivante : le regard limpide, convaincu, le front traversé par une grosse aiguille de fer.

 

 

mardi, 18 avril 2006

Bienvenue dans le labyrinthe

A voir ici un site ressources sur la littérature française contemporaine, avec notamment toute une liste de blogs et sites littéraires