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mardi, 30 août 2005

Un inédit de Charles Bukowski

Un début
quand les femmes cesseront de
transporter des miroirs avec
elles partout où elles vont
peut-être qu'alors
elles pourront me parler
de
libération.

Traduction : Éric Dejaeger

 

A BEGINNING                   
when women stop carrying      
mirrors with them             
everyplace they go            
maybe then                    
they can talk to me           
about                         
liberation.                   
Charles Bukowski
War All the Time (Poems 1981-1984), Santa Rosa, Black Sparrow Press, 1996, 66.

lundi, 29 août 2005

Sur l'île déserte

J'emporterais :

Le Yi King, Homère, la Bible, Tchouang-Tseu, La Fontaine, Pascal, La Bruyère, La Rochefoucauld, Voltaire, Novalis, Chateaubriand, Hugo, Stendhal, Baudelaire, Flaubert, Rimbaud, Lautréamont, Nietzsche, Proust, Kafka, Joyce, Giono, Valéry, Pessoa, Camus, Hemingway, Borges, Kerouac, Debord, Sollers.

Et s'il n'en restait que trois : Le Yi King, la Bible et Rimbaud

Et un seul : Rimbaud.

samedi, 27 août 2005

On finit tous par mourir d’amour

"J’ai compris que j’allais aimer Esther, que j’allais l’aimer avec violence, sans précaution ni espoir de retour. J’ai compris que cette histoire serait si forte qu’elle pourrait me tuer, qu’elle allait même probablement me tuer dès qu’Esther cesserait de m’aimer parce que quand même il y a certaines limites, chacun d’entre nous a beau avoir une certaine capacité de résistance on finit tous par mourir d’amour, ou plutôt d’absence d’amour, c’est au bout du compte inéluctablement mortel. "

En attendant mercredi, les bonnes feuilles du roman de Houellebecq : "La possibilité d'une île" sont ici

mercredi, 24 août 2005

Brautigan's inédit

LA MAISON DES PETITS VIEUX

La seule chose

que vous puissiez faire

pour regagner

un peu de dignité humaine

après avoir chié

au lit comme un bébé,

est de prétendre que

vous êtes Hannibal

en train de franchir les Alpes.

THE OLD FOLK'S HOME

 

The only thing
that you can do
to gain back
some human dignity
after you crap
in bed like a baby,
is to pretend that
you are
Hannibal

crossing the
Alps.

 

Richard Brautigan

Extrait inédit en français de The Octopus Frontier

Traduction : Éric Dejaeger

lundi, 22 août 2005

La chose à faire

La grande chose, c'est de durer, de faire son travail, de voir, d'entendre, d'apprendre et de comprendre; et écrire lorsqu'on sait quelque chose, et non avant; ni trop longtemps après.  Laissez faire ceux qui veulent sauver le monde si vous, vous pouvez arriver à le voir clairement et dans son ensemble.  Alors chaque détail que vous exprimerez représentera le tout, si vous l'avez exprimé en vérité.  La chose à faire, c'est de travailler et d'apprendre à exprimer."

Hemingway

samedi, 20 août 2005

Du haut des Pyramides

Le soleil se levant en face de moi, toute la vallée du Nil, baignée dans le brouillard, semblait une mer blanche immobile, et le désert, derrière avec ses monticules de sable, comme un autre Océan d'un violet sombre, dont chaque vague eût été pétrifiée. Cependant, le soleil montait derrière la chaîne arabique, le brouillard se déchirait en grandes gazes légères, les prairies coupées de canaux étaient comme des tapis verts arabesqués de galon.

Gustave Flaubert

(De nombreux autres textes de Flaubert en ligne ici)

Les inédits de Brautigan (le retour)

LA FRONTIÈRE PIEUVRE

1

Un palais de plaisir

sur la frontière pieuvre.

Peut-être est-ce

la réponse.

Une prostituée à huit bras

dans la cabine

d'un bateau coulé,

les murs couverts d'images

de pieuvres obscènes.

Elle me fait signe.

Passion et gin.

Pourquoi pas ?

2

Une exploitation agricole

sur la frontière pieuvre.

Peut-être est-ce

la réponse.

Une bande de poulets

devant une cabine

au fond

de l'océan.

Ils ont l'air contents

de gratter dans le sable

à la recherche d'huîtres.

 

 

 

THE OCTOPUS FRONTIER

 

1

A pleasure palace
on the octopus frontier.
Perhaps that's
the answer.
An eight-armed whore
in the cabin
of a sunken ship,
the walls covered
with obscene octopus pictures.
She beckons to me.
Passion and gin.
Why not?

2

 

A homestead
on the octopus frontier.
Perhaps that's
the answer.
A flock of chickens
in front of a cabin
at the bottom
of the ocean.
They seem contented
scratching in the sand
for oysters

 

Richard Brautigan, extrait de The Octopus Frontier, Carp Press, 1960. Inédit en français. Traduction : Éric Dejaeger

dimanche, 14 août 2005

La beauté

« Tout passe et tout lasse, les nations, les individus qui les composent, autant en emporte le vent… Il ne reste que la beauté, transmise par les artistes. » Ernest Hemingway (Les vertes Collines d’Afrique).

mardi, 09 août 2005

Fragments

Ecrire par fragments : les fragments sont alors des pierres sur le pourtour du cercle : je m’étale en rond : tout mon petit univers en miettes ; au centre, quoi ? 

Roland Barthes.

lundi, 08 août 2005

Dans un roman

Cette phrase de Jim Harrisson, trouvée sur le blog de Alina Reyes , qui dit-elle, l'a aidée à avancer : « Dans un roman, il faut tout remettre en question, et l’écrivain doit faire comme si le monde n’avait jamais été décrit avant lui"... Il y a une grande prétention à écrire, après tous les livres déjà écrits, et tous les chefs d’œuvre. Et pourtant la création continue, à la seule condition peut-être de tout jeter dans la bataille comme l’écrit Harrisson

vendredi, 05 août 2005

Aucun fondement logique

Il était une fois deux châteaux qui se faisaient la guerre.
Malheureusement, ces derniers étaient situés trop près l'un de l'autre, de sorte qu'aucune des parties n'osait bombarder l'ennemi de peur de voir la forteresse adverse s'effondrer sur son propre édifice.
Les deux seigneurs décidèrent donc un jour de déplacer leur château respectif afin d'augmenter la distance entre eux.
Il fallut des efforts surhumains, des années de travaux pharaoniques pour démonter les citadelles pierre par pierre. Beaucoup d'ouvriers moururent. Cela fit bien plus de dégâts qu'une guerre.
Finalement, l'on arriva au bout de l'ouvrage : une vaste plaine séparait désormais les belligérants. Il était temps de reprendre les hostilités.
Mais lorsque la bataille s'engagea, on s'aperçut, ô surprise, que les boulets de canon n'atteignaient plus la forteresse d'en face : les adversaires se trouvaient bel et bien trop loin les uns des autres.
Opérer un nouveau rapprochement supposait de nouveaux travaux pharaoniques. On n'en eut pas le courage de part et d'autre.
Ainsi prit fin un conflit qui, du reste, n'avait aucun fondement logique.

Gilles Bailly, publié dans la revue Casse n° 19-20, été 1996 

mardi, 02 août 2005

1939 (L'auto-stoppeur de Galilée - 3)

Baudelaire avait l'habitude de venir
chez nous et de me regarder
moudre du café.
C'était en 1939
et nous vivions dans les taudis
de Tacoma.
Ma mère mettait
les grains de café dans le moulin.
J'étais enfant
et tournais la poignée,
faisant comme si c'était
un orgue de Barbarie,
et Baudelaire faisait comme si
il était un singe,
sautant de tous côtés
en présentant
une tasse en fer blanc.


Baudelaire used to come
to our house and watch
me grind coffee.
That was in 1939
and we lived in the slums
of Tacoma.
My mother would put
the coffee beans in the grinder.
I was a child
and would turn the handle,
pretending that it was
a hurdy-gurdy,
and Baudelaire would pretend
that he was a monkey,
hopping up and down
and holding out
a tin cup.


RICHARD BRAUTIGAN
Extrait inédit du recueil Lay The Marble Tea - San Francisco, Carp Press, 1959
16 pages. Tiré à 500 exemplaires.
Traduction Eric Dejaeger

lundi, 01 août 2005

Portrait d'une fiancée-enfant pendant sa lune de miel

Le désir
dans ses yeux
est à califourchon
sur un cheval à bascule.

Ses seins
sont comme
de petites tasses à thé.

Et son vagin
est un lapin
de Pâques.

The desire
in her eyes
sits astride
a rocking horse.

Her breasts
are like
little teacups.

And her vagina
is an Easter
bunny.


RICHARD BRAUTIGAN
Extrait inédit du recueil Lay The Marble Tea - San Francisco, Carp Press, 1959
16 pages. Tiré à 500 exemplaires.
Traduction Eric Dejaeger

Cat

Nous étions couchés dans ce lit par une matinée ensoleillée
après avoir fait l'amour et avons décidé d'appeler notre
première fille Cat, nous voulions l'appeler Cat, mais
maintenant nous en avons fini pour toujours avec nos
jeux amoureux, et nous n'aurons pas de petite fille, ni
aucun enfant du tout, et je suis condamné à devenir
le poète de tes rêves qui tombe sans arrêt comme la pluie
du soir.

We lay in that bed one sunny evening after making love
and decided to name our first girl Cat, we were going to
name her Cat, but now we have departed forever from
our love-making, and we will not have a little girl, nor
any children at all, and I am doomed to become the poet
in your dreams who falls continually like the evening
rain.


RICHARD BRAUTIGAN
Extrait inédit du recueil Lay The Marble Tea (Ce recueil n’a jamais été traduit mais une partie des poèmes ont été repris dans d’autres recueils) San Francisco, Carp Press, 1959
16 pages. Tiré à 500 exemplaires.
Traduction Eric Dejaeger

samedi, 30 juillet 2005

L'instant du monde

A l'occasion de la prochaine Assemblée Générale de l'association Occi'zen, Sandrine Daudé m'a demandé de faire un bilan de la revue L'instant du monde, dont j'ai été le rédac-chef : le voici.

L'instant du monde – passerelles artistiques
(2002-2004)


Occi'zen - enfance et art - a innové pendant deux ans et demi avec la création de la revue littéraire et artistique L'instant du monde. Revue unique en France par son mode de création croisée entre texte et image, L'instant du monde a permis des rencontres riches, étonnantes, inédites, entre artistes et a reçu un accueil très favorable du public.


La genèse

L’instant du monde a été une aventure, une exploration, avec la passion et l’envie pour moteurs. Occi’zen – enfance et art, se créait, j’avais ce projet de revue : ce qui nous a reliés c’est le désir d’échange, d’innovation. L’objectif de la revue : “ faire se croiser les univers, provoquer des rencontres artistiques mais aussi humaines ” était en parfaite adéquation avec celui d’Occi’zen. Il y avait aussi cette volonté commune, tout en restant dans le domaine associatif, d’avoir la démarche la plus professionnelle possible.

Une revue pour quoi faire ?

Une revue doit être un lieu de débats et de création, un laboratoire. Elle doit être pluraliste et ouverte. L’idée de mêler texte et image était intéressante car elle était gage d’ouverture. Faire travailler un plasticien ou un photographe sur un texte littéraire ou l’inverse était un moyen pour les artistes d’aller au-delà de leur univers habituel, à la rencontre de l’autre, de puiser ailleurs l’inspiration. L’idée était de se rapprocher le plus possible de cet esprit “ revue ”.

Une aventure collective

L’engouement et l’accueil, non seulement des artistes mais du public ont été au rendez-vous. Tout de suite on a senti que ce projet, ce désir de rencontres, de décloisonnement plaisaient. Jean-Yves Ténaud, notre maquettiste, a créé une ligne graphique remarquable, le premier numéro a été bien accueilli. Les contacts se sont multipliés, les propositions pour participer à la revue aussi. Les médias nous ont suivis, les ventes et les abonnements se portaient bien. Le Centre Régional des Lettres nous a soutenus.

Au fil des numéros le comité de rédaction de la revue s’est étoffé. Fabien Charreton, à l’origine du projet avec moi, devenu responsable du rayon littérature d’une grande librairie lyonnaise, s’est peu à peu désengagé ; le renfort de Catherine Marchasson puis de Valérie Canat de Chizy ont été décisifs : cette formule du comité de rédaction à trois (la guerre du trois n’a pas eu lieu donc !) s’est avérée efficace et intéressante. D’autres lecteurs et rédacteurs occasionnels nous ont aidé, comme Vincent Calvet, Laurent Bayart, et Marie-Hélène Garcia. Jean-Jacques Marimbert a accompagné l’aventure depuis ses débuts, et ses avis ont toujours été clairvoyants. Pierre Autin-Grenier, présent aussi dès le premier numéro, a permis également d’élargir le cercle des lecteurs et des auteurs. Cécile Beray-Claude enfin, arrivée à partir du numéro 4, a apporté son dynamisme et son professionnalisme à la gestion mais aussi à la réalisation de la revue.

Deux imprimeurs

Tout avait bien commencé avec “ Graphisme et gravure ”, puis les problèmes rencontrés pour la réalisation du numéro 3 nous ont obligés de changer d’imprimeur. Tout s’est apaisé avec l’arrivée et le soutien de Productivis – Couleurs du Sud, qui, en particulier grâce à Nadia Belhachi, a ouvert pour nous une période plus sereine, plus conviviale et plus professionnelle.

La diffusion

C’est sans doute le problème le plus difficile à résoudre pour une revue. Nous avions trouvé une bonne solution : “ Le Passevent ” est devenu notre diffuseur à partir du numéro 3, permettant à L’instant du monde d’être présent dans un grand nombre de librairies. Les ventes commençaient de grimper quand Le Passevent, en proie à des difficultés financières a dû interrompre son activité.

L’instant du monde, avec l’appui d’Occi’zen, a utilisé les moyens suivants pour sa diffusion : dépôt dans des librairies, ventes par abonnements et au numéro, présence à des manifestations littéraires (Comédie du Livre à Montpellier) et artistiques (Salons organisés par Présence des Arts à Vendargues, par Anne-Marie Caro à Lattes).

A chaque sortie de numéro était organisé un événement, avec Occi’zen, afin de croiser les publics et de rencontrer de nouveaux lecteurs, ce qui n’a pas manqué de dynamiser la diffusion de L’instant du monde :
N° 1 : Rencontre/exposition à Gignac et Comédie du Livre,
N° 2 : Participation au festival Enfance et plongée à Sète,
N° 3 : Rencontre/exposition à la Maison pour tous de La Paillade Montpellier,
N° 4 : Lecture/expostion au Baloard à Montpellier,
N° 5 : Lecture/expostion avec un collectif de jeunes artistes à Montpellier,
N° 6 : Lecture/expostion à Mauguio (Centre culturel) et participation à l’exposition de Claude Corbier à Montpellier,
N° 7 : Lecture/expostion à Lattes dans le cadre d’une semaine sur le surréalisme et l’Espagne à Lattes avec Anne-Marie Caro,
N° 8 : Lecture/exposition pour une soirée sur le Maroc à Palavas
Au moment où la revue s’est arrêtée, il y avait 130 abonnés à L’instant du monde.

Un bilan positif

Au total huit numéros, avec chaque fois une thématique, sont parus, et même s’il y a une ou deux faiblesses ci ou là, la qualité a été au rendez-vous. Nous avons réussi à mêler artistes connus et inconnus, styles littéraires et plastiques tout à fait différents : Côté écrivains, nous avons accueilli des inédits de Pierre Autin-Grenier, Christian Garcin, Stephanie Benson, Franck Pavloff, Alessandro Perissinotto, Michel Butor ; côté plasticiens, Serge Plagnol, Jean Leccia ou Ricardo Mosner, et parmi les photographes, Anne Noble et Nina Houzel.

L’arrêt de la parution

Le principal atout de L’instant du monde a été aussi le handicap majeur : La qualité plastique et graphique de la revue avaient un coût élevé. L’absence d’une diffusion régulière et structurée nous a également pénalisés. Enfin, le non versement par le nouveau Conseil Régional du Languedoc-Roussillon, après les élections, de la subvention votée par la précédente Assemblée nous a privés d’un numéro supplémentaire.

Conclusion

L’aventure a été belle, riche de rencontres, d’émotions artistiques et humaines. Occi’zen continue sa route, et déjà, fin 2004, L’instant du conte, un recueil de contes pour enfants a vu le jour, avec le même principe de création croisée que L’instant du monde, et le même format. Toutes ces rencontres ont débouché sur de nombreux projets, comme celui d’une exposition texte/image avec Présence des Arts, en octobre à Vendargues.

Voir le site Occi'zen

jeudi, 28 juillet 2005

Borges ou la magie

Borges, Jorge Luis, écrivain et autodidacte, né dans la ville de Buenos Aires, alors capitale de l’Argentine, en 1899… Ses préférences allèrent à la littérature, à la philosophie et à l’éthique : palimpseste

Si un homme traversait le paradis en songe, qu’il reçût une fleur comme preuve de son passage, et qu’à son réveil, il trouvât cette fleur dans ses mains… que dire alors ?

Enfant je m’étonnais que les lettres d’un volume fermé ne se mélangent pas et ne se perdent pas au cours de la nuit.

Aux environs de 1938, Paul Valéry écrivait : «Une histoire approfondie de la littérature devrait donc être comprise, non tant comme une histoire des auteurs et des accidents de leur carrière ou de celle de leurs ouvrages, que comme une histoire de l’esprit en tant qu’il produit ou consomme de la littérature, et cette histoire pourrait même se faire sans que le nom d’un écrivain y fut prononcé».

Dunraven, expert en romans policiers, pensa que la solution du mystère est toujours inférieure au mystère lui-même. Le mystère relève du surnaturel et même du divin ; la solution de la prestidigitation.

Supposons que je sois sur le point d’écrire une fable, et que deux arguments s’offrent à moi ; ma raison reconnaît que le premier est très supérieur ; le second est résolument médiocre, mais il m’attire. Dans ce cas-là, j’opte toujours pour le second. Chaque page nouvelle est une aventure dans laquelle nous devons nous mettre en jeu.

Au huitième chant de l’Odyssée, on lit que les dieux tissent des malheurs afin que le générations futures ne manquent pas de sujets pour leurs chants.

Un mobile qui est en A ne pourra jamais atteindre le point B, parce qu’il devra auparavant parcourir la moitié de la distance qui les sépare, et auparavant la moitié de la moitié et d’abord la moitié de cette moitié de cette moitié, et ainsi jusqu’à l’infini.

Qu’un individu veuille évoquer chez un autre individu des souvenirs qui n’appartiennent qu’à un troisième, voilà un paradoxe évident. Réaliser en toute tranquillité d’esprit un tel paradoxe, c’est l’innocent objet de toute biographie.

Que peut m'importer ce qui est arrivé à un écrivain sud-américain, appelé Jorge Luis Borges, durant le XXe siècle ? Cela veut dire qu'il y a quelque chose en moi, il y a quelque chose en moi d'éternel, qui est étranger à mes circonstances, à mon nom, et à mes aventures. Je crois que ceci, nous l'avons tous ressenti, non ? Et il me semble que c'est un sentiment véridique, celui d'une racine secrète que l'on possède et qui est au-delà des faits successifs de la vie.

Je ne puis regretter la perte d’un amour ou d’une amitié sans songer qu’on ne perd que ce qu’on n’a pas réellement possédé.

Le courage est une des rares vertus dont les hommes sont capables.

Nous ne pouvions nous leurrer, ce qui rend difficile le dialogue.

Les miroirs et la copulation sont abominables, parce qu’ils multiplient le nombre des humains.

Seules perdurent dans le temps les choses qui n’appartiennent pas au temps.

La nature de tout langage est d’être successif, par conséquent de se prêter mal au raisonnement sur l’éternel ou l’intemporel.

L’univers (que d’autres appellent la Bibliothèque)…

Dunne pose que l’avenir, dans ses détails et ses vicissitudes, existe déjà. C’est vers un avenir préexistant (ou à partir de lui, comme le préfère Bradley), que s’écoule le fleuve absolu du temps cosmique, ou les fleuves mortels de nos vies.

L’homme qui ordonna la construction, aux frontières de la Chine, d’une muraille presque infinie, fut ce même empereur, Chi Hoang-ti, qui fit également brûler tous les livres antérieurs à lui.

Confucius déclara à ses disciples que si le destin lui avait accordé cent années supplémentaires de vie, il en aurait occupé la moitié à l’étude du Yi-king, et l’autre moitié à celle de ses commentaires.

Tous les arts tendent à la musique, cet art dans lequel la forme est le fond.

Le temps est un fleuve qui m’emporte, mais je suis le fleuve ; c’est un tigre qui me déchire, mais je suis le tigre. C’est un feu qui me consume, mais je suis le feu. Le monde, malheureusement, est réel ; moi malheureusement, je suis Borges.

Il lui échut, comme à tous les hommes, de vivre dans des temps malheureux.

Tout homme cultivé est un théologien, et pour l’être, la foi n’est pas indispensable.

Puisque le bonheur n’est qu’un état passager qui ne présage rien de bon, ce qu’il faut rechercher est moins le bonheur que la sérénité.

Tout est brouillon en effet, l’idée de texte définitif ne relevant que de la religion ou de la fatigue.


Création graphique de Brigitte Marmol et palimpseste de Raymond Alcovère parus dans la revue L'instant du monde n° 5, réalité de l'illusion.

dimanche, 24 juillet 2005

Temps de mer

Au large, charrié par les flots de lune à la crête des vagues, l'air un moment encore était en feu. Des matelots chantent en dépliant le soir avec leurs voiles. L'Orient étale ses mystères sur la pierre dure du quai. Leurs yeux sont pleins d'images imprécises. Et leurs souvenirs dans des sacs bien garnis. Le phare, une étoile basse qui tourne. Et les visions lointaines se rapprochent. Les pays se mêlent aux climats. Le douanier s'endort cloué à la guérite. Et son ombre s'en va. En passant des bâtiments s'enfoncent dans l'épaisseur nocturne en tirant un dernier coup de feu. Le soleil fuse. Les mâts s'étendent. Les flots sans se lasser vannent des sacs d'étoiles. Et la poussière d'eau danse avec leurs reflets.

Pierre Reverdy, La balle au bond, 1928

samedi, 23 juillet 2005

La folie polar

N. O. – Le polar est-il un genre politique?
J. Ellroy. – Oui. Ma dernière trilogie, dont les deux premiers volumes ont été publiés («American Death Trip» et «American Tabloid»), a été intitulée «Underworld USA» en hommage à Samuel Fuller. J’y parle de crime en politique, ce que j’appelle le cauchemar privé de l’ordre public. Qui sont les vrais criminels du xxe siècle? Les promoteurs du système impérialiste américain.

Intéressant dossier du Nouvel Obs sur le polar, avec notamment cette interview de James Ellroy, pour qui "La moisson rouge" de Hammet est un chef d'oeuvre : j'adhère !

vendredi, 22 juillet 2005

Gens de Dublin", l'adieu bouleversant de John Huston

>"Oui, les journaux avaient raison, la neige était générale sur toute l'Irlande. Elle tombait sur chaque partie de la sombre plaine centrale, sur les collines sans arbres, tombait doucement sur le marais d'Allen et, plus loin vers l'ouest, doucement tombait sur les sombres vagues rebelles du Shannon. Elle tombait, aussi, en chaque point du cimetière solitaire perché sur la colline où Michael Furey était enterré. Elle s'amoncelait drue sur les croix et les pierres tombales tout de travers, sur les fers de lance du petit portail, sur les épines dépouillées. Son âme se pâmait lentement tandis qu'il entendait la neige tomber, évanescente, à travers tout l'univers, et, telle la descente de leur fin dernière, évanescente, tomber sur tous les vivants et les morts."
Un bel article du Monde des livres sur le film de John Huston tiré d'une nouvelle de James Joyce dont j'ai parlé dans ce blog il y a quelque temps : un chef d'oeuvre de la littérature qui devient un chef d'oeuvre du cinéma, ce n'est pas si fréquent...

lundi, 18 juillet 2005

Antoine Watteau

Crépuscule grimant les arbres et les faces,
Avec son manteau bleu, sous son masque incertain ;
Poussière de baisers autour des bouches lasses...
Le vague devient tendre, et le tout près, lointain.

La mascarade, autre lointain mélancolique,
Fait le geste d'aimer plus faux, triste et charmant.
Caprice de poète - ou prudence d'amant,
L'amour ayant besoin d'être orné savamment -
Voici barques, goûters, silences et musique.

Marcel Proust

Des centaines de poèmes en ligne ici : http://poesie.webnet.fr/