Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mardi, 22 mars 2005

Une ombre sur tes yeux


Ton sourire
Le délié de ton corps
Une ombre sur tes yeux

dimanche, 20 mars 2005

Un retournement

"le baroque est un retournement permanent"
P Sollers dans "Mystérieux Mozart"

L'art baroque

"Il est impossible d’oublier que la découverte de l’Extrême-Orient et le développement de l’art baroque au 17 è et 18 è siècle ont été synchroniques et que c’est de la première que le second a probablement reçu l’accentuation définitive"
Paul Claudel

samedi, 19 mars 2005

La lecture

Etre ivre de silence, de mots… Les mots sont pareils au silence, les mots quand ils sont justes et beaux renvoient au silence, tout d’un coup le calme dégage de la page, s’insinue tout autour, on rentre en soi, et miracle le monde est là, pas comme on l’avait abusivement cru dans le continuel tapage ambiant, non c’est autre chose, une certaine épaisseur de vérité, une épaisseur curieusement légère, extraordinairement dense, vivace, vivante, épanouie, durable pour peu qu’on lui prête vie, là, maintenant, une présence à soi, aux autres et au monde.

vendredi, 18 mars 2005

La lettre du voyant

"La poésie ne rythmera plus l'action; elle sera en avant. Ces poètes seront ! Quand sera brisé l'infini servage de la femme, quand elle vivra pour elle et par elle, l'homme - jusqu'ici abominable, - lui ayant donné son renvoi, elle sera poète, elle aussi ! La femme trouvera de l'inconnu ! Ses mondes d'idées différeront-ils des nôtres ? - Elle trouvera des choses étranges, insondables, repoussantes, délicieuses ; nous les prendrons, nous les comprendrons."

Rimbaud

La profonde éternité...

"La douleur dit : Passe !
Mais toute joie veut l'éternité -,
Veut la profonde, profonde éternité !"

Nietzsche

Etincelle d'or...

"J'écartais du ciel l'azur, qui est du noir, et je vécus, étincelle d'or, de la lumière nature"

Rimbaud

mercredi, 16 mars 2005

Les radis bleus

Après "Toute une vie bien ratée" et "Je ne suis pas un héros", notre futur académicien publie un nouveau Folio ces jours-ci :
Les radis bleus
Lundi 15 août
Assomption

Est-il parfaitement utile d’occuper ses journées à la conquête du monde, alors qu’à nos pieds jouent de jeunes enfants à écorcher de leurs rires libres les morales et les lois du jour ? Le législateur comme le philosophe ne voudront admettre jamais qu’ils sont l’un et l’autre ce cheval vide, lancé au galop vers rien du tout et dont demain dévore déjà le ventre.

Oh ! le dérisoire de toute ambition quand le regard faussement candide d’un garnement suffit pour qu’aussitôt toutes vos certitudes frôlent la catastrophe ! Orgueil, agonie méconnue, qui fait qu’on croit pouvoir solidement raisonner dans la pérennité des choses, alors que la chute d’une feuille, l’ébréchure d’une porcelaine ...

En cela le privilège du poète est immense de pouvoir, d’un mot qui à peine murmuré déjà ne lui appartient plus, longtemps après saisons et ébréchures, un instant encore faire trembler imperceptiblement une âme.

P.A.G


extrait de « Les Radis bleus », folio n° 4163 / 336 pages - 6,20 €.

Noces à Tipasa

Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l’odeur des absinthes, la mer cuirassée d’argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillons dans les amas de pierres. A certaines heures, la campagne est noire de soleil. Les yeux tentent vainement de saisir autre chose que des gouttes de lumière et de couleurs qui tremblent autour des cils. L’odeur volumineuse des plantes aromatiques racle la gorge et suffoque dans la chaleur énorme.A peine, au fond du paysage, puis-je voir la masse noire du Chenoua qui prend racine dans les collines autour du village, et s’ébranle d’un rythme sûr et pesant pour aller s’accroupir dans la mer.

Albert Camus

mardi, 15 mars 2005

Un aller retour perpétuel

Je ne puis vivre personnellement sans mon art. Mais je n’ai jamais placé cet art au-dessus de tout. S’il m’est nécessaire au contraire, c’est qu’il ne me sépare de personne et me permet de vivre, tel que je suis, au niveau de tous. L’art n’est pas à mes yeux une réjouissance solitaire. Il est un moyen d’émouvoir le plus grand nombre d’hommes en leur offrant une image privilégiée des souffrances et des joies communes. Il oblige donc l’artiste à ne pas s’isoler ; il le soumet à la vérité la plus humble et la plus universelle. Et celui qui, souvent, a choisi son destin d’artiste parce qu’il se sentait différent, apprend bien vite qu’il ne nourrira son art, et sa différence, qu’en avouant sa ressemblance avec tous. (…) L’artiste se forge dans cet aller retour perpétuel de lui aux autres, à mi-chemin de la beauté dont il ne peut se passer et de la communauté à laquelle il ne peut s’arracher

Albert Camus, discours de Suède, 10 décembre 1957

Brûler tous les livres

L’homme qui ordonna la construction, aux frontières de la Chine, d’une muraille presque infinie, fut ce même empereur, Chi Hoang-ti, qui fit également brûler tous les livres antérieurs à lui

Borges

Le livre des transformations

Confucius déclara à ses disciples que si le destin lui avait accordé cent années supplémentaires de vie, il en aurait occupé la moitié à l’étude du Yi-king, et l’autre moitié à celle de ses commentaires

Borges

Je me suis soudain senti américain

Ce matin au réveil, longtemps avant l'aube, les choses allaient bien ; chaque chose avait pris tout de suite sa juste place dans ma tête – celles qui devaient être à l'ombre, à l'ombre ; celles qui demandaient du soleil étaient déjà au soleil – tout semblait vouloir bien se présenter pour la journée à venir et ça, il faut le dire, c'est plutôt rare. D'ordinaire des charrettes remplies de chiens enragés font la course sur les pavés disjoints de ma cervelle, ou alors d'une oreille l'autre une tringle de fer rouillée vient me perforer les idées et, dans de telles conditions, devoir exister encore jusqu'au soir c'est comme tenter l'impossible. Mais ce matin, hop ! allons-y, vivre démarrait très fort et, pour une fois, c'était tant mieux. C'est en arrivant dans la salle de bains que, comment dire ?, je me suis soudain senti américain.

Pierre Autin-Grenier

lundi, 14 mars 2005

Chaque nouvelle page...

Supposons que je sois sur le point d’écrire une fable, et que deux arguments s’offrent à moi ; ma raison reconnaît que le premier est très supérieur ; le second est résolument médiocre, mais il m’attire. Dans ce cas-là, j’opte toujours pour le second. Chaque page nouvelle est une aventure dans laquelle nous devons nous mettre en jeu

Borges

Le chien qui boitait

Nous revenions d’une promenade en forêt. Sur le bord du chemin les mûres teintaient nos doigts et nos lèvres de joie. Un chien soudain boitant traversa nos regards, en un clin d’oeil à peine un fourré le gomma. Déjà les fleurs fragiles accaparaient nos rires, minuscules et fines, aux couleurs mêlées. Quelque insecte parfois, coccinelle, abeille, libellule, attirait notre amour, la vie s’y étant logée, gracile, têtu défi lancé aux éboulis de roches. Ta main serrait la mienne d’une étrange façon. Du tréfonds de ton corps, la peur d’un ancien corps perdu et soudain ravivé s’était mise à vibrer. Je tentais vainement de fixer ton profil qui sur l’herbe pentue glissait à perdre haleine. Tu parlais par bribes écornées, mots cassés, hoquets de souvenirs, jusqu’à ce qu’un tapis de mousse ensoleillé nous accueille en un souffle étonnés. Tu m’as alors tout dit de ce corps retrouvé en un chien clopinant.

Je me souviens du chien écrasé devant l’école, de cette bonne femme sortie de sa voiture noire, pleine de bijoux et de vêtements noirs, avec un chapeau noir à large bord et qui, voyant que ce n’est pas un enfant, s’est écriée “Ah bon ! Ce n’est qu’un chien !”, est remontée dans la voiture sans jeter un regard sur l’animal mourant sur le bitume rouge et noir. Je l’ai haïe toute ma vie. Le chien avait poussé un effroyable cri de douleur, de conscience de la mort surgissant devant lui, pneu dur et puant, — il aurait mieux valu que ce soit moi. C’était moi.

Le silence bruissant alentour, peu à peu, nous fit retrouver l’harmonie des êtres affamés


Jean-Jacques Marimbert

dimanche, 13 mars 2005

L'art de la guerre

Tout l'art de la guerre consiste à manifester de la mollesse pour accueillir avec fermeté ; à montrer de la faiblesse pour faire valoir sa force ; à se replier pour mieux se déployer au contact de l'ennemi. Vous vous dirigez vers l'Ouest ? faites semblant d'aller vers l'est ; montrez-vous désunis avant de manifester votre solidarité ; présentez une image brouillée avant de vous produire en pleine lumière. Soyez comme les démons qui ne laissent pas de trace, soyez comme l'eau que rien ne peut blesser. Là où vous vous dirigez n'est jamais là où vous allez ; ce que vous dévoilez n'est pas ce que vous projetez, de sorte que nul ne peut connaître vos faits et gestes. Frappant avec la rapidité de la foudre, vous prenez toujours à l'improviste. En ne rééditant jamais le même plan, vous remportez la victoire à tout coup. Faites corps avec l'obscurité et la lumière, vous ne décelez à personne l'ouverture. C'est là ce qu'on appelle la divine perfection.

Houai-nan-tse (II ème siècle après JC)

Le style de l'écrivain

Car le style de l’écrivain, aussi bien que la couleur pour le peintre, est une question non de technique mais de vision. Il est la révélation, qui serait impossible par des moyens directs et conscients, de la différence qualitative qu’il y a dans la façon dont nous apparaît le monde, différence qui, s’il n’y avait pas l’art, resterait le secret éternel de chacun. Par l’art seulement nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n’est pas le même que le nôtre, et dont les paysages nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu’il peut y avoir dans la lune. Grâce à l’art, au lieu de voir un seul monde, le nôtre, nous le voyons se multiplier, et, autant qu’il y a d’artistes originaux, autant nous avons de mondes à notre disposition, plus différents les uns des autres que ceux qui roulent dans l’infini, et, bien des siècles après qu’est éteint le foyer dont il émanait, qu’il s’appelât Rembrandt ou Ver Meer, nous envoient encore leur rayon spécial.

Marcel Proust, Le temps retrouvé.

Quoi de neuf ? La Chine !

C’est ainsi depuis les débuts du monde et en se rapprochant de la fin, ça devient évident de nouveau. Pas d’inquiétude ! Il y a un livre qui raconte tout ça, et qui le raconte pour chacun. C’est le plus ancien des textes philosophiques de la Chine, un outil de divination utilisé partout dans le monde et un recueil poétique, oui tout ça en même temps, c’est bien d’une question d’unité dont il s’agit ! La pensée est inséparable de l’action ne l’oublions pas !

L’essentiel est de poser une question. Elle doit émerger d’un problème qu’on ne parvient pas à résoudre et qui agit comme un centre caché attirant à lui toute l’énergie et l’attention. Le problème nous dit quelque chose du lieu d’où nous parlent les voies intérieures. La réponse est liée à celui qui pose la question et à ses préoccupations. Elle sera d’autant plus claire que la question l’aura été.

Voici quelques exemples de réponses : « Qui ne se corrige pas risque de se tromper constamment, par ignorance, ou parce que sa perception est faussée » : hexagramme 25, Wou wang : l’innocence (l’inattendu). « N’oubliez pas de faire ressortir la beauté qui est en toutes choses. Ainsi serez-vous reliés au ciel et saurez-vous à quel moment agir » : hexagramme 14, Ta yéou : le grand avoir. « Apportez votre soutien à ce qui est étranger à vos échelles de valeur habituelles. Vous y puiserez un énorme potentiel que vous pourrez enrichir et nourrir » : hexagramme 7, Sze : l’armée. « Contemplez le lieu où l’on peut influencer et toucher les choses. Ainsi pourrez-vous voir ce qui meut les cœurs tant au niveau céleste que terrestre » : hexagramme 31, Hien : l’influence (la demande en mariage). « Quand une chose est portée à la parole, tout s’éclaire » : hexagramme 59, Houan : la dissolution (la dispersion).

Yi King, Stephen Karcher, Rivages Poche.

samedi, 12 mars 2005

Raphaëlle, de Jean-Jacques Marimbert

Voilà Raphaëlle, tu es à Florence, avec des gens, à un concert où je vais interpréter les plus belles mélodies pour toi. Où es-tu exactement ? Ici ? Ailleurs ? Nulle part. En toi ? Même pas. De toute façon, je vais t’emmener encore plus loin. Sais-tu qu’il y a un lieu tout proche auquel nous n’accédons jamais ? Une sorte de point aveugle de notre existence, vois-tu ? Il nous habite, nous n’y pouvons rien, c’est ainsi, nous lui appartenons, c’est notre bulle, et pourtant, faibles, nous nous tenons au dehors, le plus souvent. C’est ce point aveugle de l’existence que va poursuivre Raphaëlle. Une course éperdue. Elle a quitté sa ville, son compagnon, pour Nice, ville solaire. Au moment de rentrer, sur le quai de la gare, elle prend l’autre train, celui qui part vers l’Italie. Début du voyage.
L’écriture est vive, alerte, prise dans son propre mouvement, les dialogues sont incorporés au texte, ils ne s’en démarquent pas. Ce texte c’est une seule pâte, et cette pâte c’est la chair du monde. On court mais on s’attarde aussi. Sur les couleurs, la lumière, les saveurs, les textures. L’action, les personnages sont racontés, décrits par ce qui les environne. Les émotions, sentiments, pensées deviennent chair. C’est cette présence qui rend la lecture si fluide et si vivante. Pas de différence entre l’intérieur et l’extérieur. L’attention du personnage éclaire et donne vie à ce qui l’entoure. Aussi l’univers est sans cesse en mouvement, coloré, sensuel, vibrant. L’écriture y puise son rythme, sa force propre. Comme en peinture, chez Chardin ou Manet par exemple, où l’expression « nature morte » est totalement dénuée de sens. Je me rappelle avoir lu quelque part que si nous pouvions voir la réalité telle qu’elle est, nous serions tous des artistes, et nous verrions des tableaux, des sculptures que la vie façonne dans la nature, sans voile. Et puis il y a Florence, un rêve de ville plutôt : A Florence, on étouffe toujours un peu, c’est écrasant à force, on baigne dans le liquide épais de l’imagination. Et bien sûr, en filigrane, Dante et La Divina Comedia. Et même si Raphaëlle dérive : Tu provoques le vide pour le remplir, car dans le vide on meurt, Raphaëlle, on n’a rien à quoi s’accrocher. Alors il faut bien saisir ce qui nous entraîne au fond comme la seule chose à aimer, n’est-ce pas ?, si elle oscille toujours entre l’errance et la rencontre, la solitude et l’amour, le tragique et le solaire, la passion la traverse toujours. Mais la vraie passion commence par tout détruire, âmes, corps, elle ronge tout, c’est le prix à payer pour voir le ciel et voler ! Passion pour le théâtre enfin. Raphaëlle est habitée par Antigone de Sophocle et par Yasmina, une amie comédienne : algérienne, elle revient de l’enfer. Résister, toujours résister, voilà la vie, et le monde vit parce qu’il nous résiste et que nous lui résistons.


*Raphaëlle, Editions du Ricochet, 140p.

vendredi, 11 mars 2005

Nous sommes au bord de la catastrophe

Extraits d'une interview d'Alberto Manguel, dans le dernier numéro de Telerama :

Alberto Manguel : La lecture est tellement en danger qu'il ne faut pas faire de manières. Nous sommes au bord de la catastrophe. D'une façon peut-être unique dans l'histoire, nous sommes entrés dans une période de déshumanisation. Les pouvoirs économiques organisent la misère intellectuelle. L'acte intellectuel - lire, réfléchir - n'a plus aucun prestige parce qu'il ne crée aucun produit financier. Jadis, au moins, il y avait un réflexe de pudeur. Aujourd'hui, il n'y a qu'arrogance : les ignares étalent leur inculture et s'en vantent. (…)
Lire peut être dangereux ? Alberto Manguel : C'est pour cela que nos sociétés occidentales ne valorisent pas l'activité intellectuelle, réduisent les budgets de l'Education, de la Culture, ferment les bibliothèques ! Des individus perdus et soumis, voilà le socle de leur pouvoir. Alors, elles véhiculent une image du lecteur peu sexy, le caricaturent avec des lunettes, toujours seul, dans son coin, à faire quoi ? à penser quoi ? C'est un être dangereux puisqu'il est capable de se soustraire au régime imposé par la culture environnante. Notre société dévalorise la lecture pour se protéger des individus qui veulent la questionner. (…)
Le mot d'ordre, partout dans le monde, est de produire des livres qui se vendent. Fabriquer des best-sellers. Même les éditeurs intelligents sont obligés de nous faire croire que publier un best-seller permettra de publier un livre que l'on dit joliment « difficile ». L'auteur n'a plus le dernier mot sur son oeuvre, on peut lui faire changer le sexe d'un de ses personnages, on lui dit que c'est trop court, trop sophistiqué. Les éditeurs craignent leur direction, celle qui tient les finances, pour laquelle le mot valeur n'a de sens que d'un point de vue économique. Valeurs esthétiques, politiques, ils ne connaissent pas. Or Gabriel García Márquez a publié sept ou huit romans avant Cent Ans de solitude. La littérature demande du temps... Je crois la situation catastrophique. Il y a urgence à refuser la grosse artillerie commerciale, à soutenir les libraires et les éditeurs indépendants. (…)
Les spectateurs rivés à leur poste prennent la téléréalité pour la réalité. Ils ont du monde une perception totalement fausse. Il n'existe plus d'espaces publics sans musique, sans images. Tout est organisé pour que l'on soit sans cesse sollicité, abruti, dans un environnement agité, bruyant. Je sens une atmosphère fascisante dans cette façon de s'adresser aux gens, d'appréhender l'éducation, de restreindre l'imagination.