lundi, 09 mai 2005
Ma chrysalide et moi
"Une fille de onze ans, ça donne du fil à retordre : elle n’aime plus le jardin zoologique et ne s’intéresse pas encore aux bars de l’avenue du 24 Juillet ; elle ne veut plus s’asseoir sur la banquette arrière mais ne demande pas encore que je lui prête la voiture ; entre deux lectures d’un Picsou magazine elle exige des explications précises sur l’anatomie, la profession et le type de clientèle des travestis de Conde Redondo ; elle s’assoit sur mes genoux comme un bébé et cependant s’enferme dans la salle de bain pour passer sa chemise de nuit ; ce n’est ni une fillette ni une femme : c’est une chrysalide indécise, mi-larve mi-papillon, qui veut rester debout jusqu’à quatre heures du matin et qui s’endort avec son pouce dans la bouche en trouvant aussi attrayant Kevin Costner que le cousin Gaston. " La suite ici
Extrait du Livre de chroniques d'Antonio Lobo Antunes
Éditions Christian Bourgois, traduction du portugais par Carlos Battista.
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mercredi, 04 mai 2005
Le pic de la déesse
Parmi ceux qui agitent leur mouchoir en signe d'adieu
Laquelle retire rapidement la main
Pour s'en couvrir les yeux?
Quand les voyageurs se dispersent
Laquelle se tient longuement à la poupe
La jupe flottant comme un nuage bouillonnant?
Les flots
Mugissent...
Murmurent...
De beaux rêves laissent de beaux chagrins
En ce bas monde comme dans le ciel
C'est une loi perpétuelle, mais le coeur
Se métamorphose-t-il vraiment en pierre
Pour attendre les messagers du ciel et
Laisser passer tant de lunes humaines?
Le long des pics qui dominent la rivière Bleue
Le courant de chrysanthèmes d'or et de graines de
troène
Engendre une nouvelle trahison
Mieux vaut pleurer une nuit sur l'épaule de l'amant
Que de s'exposer mille ans, sur le pic
Shu Ting, Juin 1981, sur le Yangtsé
Shu Ting est née en 1952 à Quanzhou, Fujian, Shu Ting est membre de l'Association nationale des écrivains de Chine. Elle a publié quatre recueils de poèmes et un recueil de textes en prose.
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mardi, 03 mai 2005
Je veux voir ton âme
Avant de le quitter, je lui avais demandé quelle serait la règle du jeu pour cette nuit. Cette fois, on aurait le droit de se toucher partout, mais seulement avec les mains, et sans aller jusqu'à l'orgasme. J'avais essayé de parlementer, de lui exposer que le fait de se limiter à la masturbation était une contrainte bien suffisante. Mais il tenait à son principe. À partir de la quatrième nuit nous aurions le droit de jouir mais il était important de se plier à une certaine discipline, pour stimuler notre imagination. « Je veux voir ton âme », avait-il dit.
Alina Reyes, Sept nuits, Robert Laffont
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dimanche, 01 mai 2005
Le temps du plaisir...
Le plaisir est dans le rien et c’est là le tout. Le plaisir est gratuit. Ce qui est fait sans lui se remarque immédiatement à un air rance, glauque, triste : au contraire il irrigue, irradie tout ce qu’il touche. Il est indispensable à la vie. Et bien sûr constamment menacé, attaqué, détourné. Heureusement vivace, il se nourrit de lui-même - ce qui est malin. Comme l’eau, il glisse entre les mailles du filet, souvent en secret, à l’insu de ceux qui le combattent... Comme l’essentiel il est fait de vide, d’où sa force. Il est indestructible.
Le temps lui aussi est une des clés du paradis, l’unique bien dont la nature nous ait dotés écrivait déjà Sénèque : fugace, imperceptible, imprenable. Le temps c’est le plaisir, pour qui sait en jouir… Et preuve qu’il est si précieux, sous l’actuel règne de la Marchandise, tout est fait pour l’émietter, le fragmenter, lui faire perdre sa substance, sa profondeur, son intensité, faite de vide…
(Petite contribution sur le thème du plaisir à paraître dans le prochain numéro de la revue "La Lanterne"
la.lanterne@laposte.net)
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samedi, 30 avril 2005
Le bonheur est plus léger qu’une plume
« On ne peut compter sur l’avenir ;
On ne peut remonter le passé.
Quand le monde est en ordre,
Le saint accomplit sa mission.
Quand le monde est en désordre
Le saint préserve sa vie.
A présent, on ne cherche qu’à éviter la torture :
Le bonheur est plus léger qu’une plume ;
Personne ne sait le prendre.
Le malheur est plus lourd que la terre ;
Personne ne sait le laisser.
Fini ! Fini !
Celui qui choisit un pays pour le servir.
Ronces ! Ronces !
Qu’elles ne blessent pas mes chevilles !
Recule, recule,
Ainsi je ne blesse plus mes pieds. »
Tchouang-tseu
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Qu'est-ce qu'un saint chinois ?
Ecoutons Tchouang-tseu, le plus grand penseur de la Chine antique avec Lao-tseu et Li-tseu. Né autour de l'an 300 avant notre ère :
« Il s’exprime dans des discours extravagants, dans des paroles inédites, dans des expressions sans queue ni tête, parfois trop libres, mais sans partialité, car sa doctrine ne vise pas à traduire des points de vue particuliers. Il juge le monde trop boueux pour être exprimé dans des propos sérieux. C’est pourquoi il estime que les paroles de circonstance sont prolixes, que les paroles de poids ont leur vérité, mais que seules les paroles révélatrices possèdent un pouvoir évocateur dont la portée est illimitée. Ses écrits, bien pleins de magnificence, ne choquent personne, parce qu’ils ne mutilent pas la réalité complexe. Ses propos, bien qu’inégaux renferment des merveilles et des paradoxes dignes de considération. Il possède une telle plénitude intérieure qu’il n’en peut venir à bout. En haut, il est le compagnon du créateur ; en bas il est l’ami de ceux qui ont transcendé la mort et la vie, la fin et le commencement. La source de sa doctrine est ample, ouverte, profonde et jaillissante ; sa doctrine vise à s’harmoniser avec le principe et à s’élever à lui. Et pourtant, en répondant à l’évolution du monde et en expliquant les choses, il offre une somme inexprimable de raisons qui viennent, sans rien omettre, mystérieuses, obscures et dont personne ne peut sonder le fond."
Tchouang-tseu
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vendredi, 29 avril 2005
Superposition
Il y a toujours superposition, enroulement infini des univers, des croyances, des niveaux de réalité : le mal - le bien, absence de Dieu - Dieu. Il n’y a pas une vérité qui se dévoile un jour, chassant à jamais le mensonge, mais entremêlement constant. D’où la complexité. Mais complexité qui n’en est peut-être pas une si l’on conçoit que les opposés cohabitent, se complètent, parfois s’opposent, mais ne se séparent jamais tout à fait. Ainsi je peux être au plus près de Dieu au moment où je m’en sens le plus éloigné : la frontière est frêle, fragile, ténue. Une vérité n’est jamais définitive mais plutôt tentaculaire, ramifiée et surtout réversible. Le fait d’être réversible ne lui enlève pas (au contraire) sa force et sa réalité. Simplement, l’univers est en mouvement, constant, et nous aussi nous oscillons, et avec nous la réalité. Dieu se cache puis réapparaît, l’être le plus dépravé peut être le plus religieux et bien sûr le Diable en rit encore…
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Rien des apparences actuelles
Tu en es encore à la tentation d'Antoine. L'ébat du zèle écourté, les tics d'orgueil puéril, l'affaissement et l'effroi.
Mais tu te mettras à ce travail: toutes les possibilités harmoniques et architecturales s'émouvront autour de ton siège. Des êtres parfaits, imprévus, s'offriront à tes expériences. Dans tes environs affluera rêveusement la curiosité d'anciennes foules et de luxes oisifs. Ta mémoire et tes sens ne seront que la nourriture de ton impulsion créatrice. Quant au monde, quand tu sortiras, que sera-t-il devenu ? En tout cas, rien des apparences actuelles.
Rimbaud, Illuminations, Jeunesse IV
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lundi, 25 avril 2005
La vie d'un coup, acérée, musicale, intelligible
"Pourquoi dans toutes nos langues occidentales dit-on "tomber amoureux" ? Monter serait plus juste. L'amour est ascensionnel comme la prière. Ascensionnel et éperdu. Chez les insectes isoptères, tout individu sexué reçoit aussitôt sa paire d'ailes. Je la revoyais une nuit à mes côtés sur la jetée du port de ma ville natale. L'été, le silence, l'approche de l'aube. Je la connaissais d'une semaine (Kant, Hermann Hesse, tennis). Je la trouvais superbe. Nous marchions du même pas, sans aucun bruit. Je reconnaîtrais sans peine l'endroit où j'ai senti comme une aveuglante déchirure dans le noir, où j'ai eu les poumons dévorés de bonheur. La vie d'un coup, acérée, musicale, intelligible."
Nicolas Bouvier, le poisson-scorpion.
22:21 Publié dans littérature | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 23 avril 2005
Je fonds dans l'Impensable
"Qu'ils calomnient, qu'ils médisent
qu'ils brûlent le ciel, peine perdue :
Je bois leur cris comme de la rosée !
Purifié, je fonds dans l'Impensable."
Xuan-jue
22:24 Publié dans littérature | Lien permanent | Commentaires (10)
Penser devient un crime
"Il n'y a rien à faire qu'à attendre que le poison légué par l'Histoire se soit complètement dilué et que la vie se renouvelle. Mon erreur a consisté à tenter de traiter un patient en phase terminale : au bout du compte ce sera toujours l'échec. Dans un monde où règne l'ignorance, penser devient un crime. Rappelez-vous bien cela. Prenez exemple sur les sages des temps passés qui ont feint la folie et agi comme des insensés ! Car celui qui n'agit pas comme un insensé aujourd'hui finira par être un salaud comme les autres."
Wei Jingsheng, Lettres de prison, 1998
21:43 Publié dans littérature | Lien permanent | Commentaires (2)
Qing-Zhao (1084-1141)
"Le parfum des lotus rouges faiblit
déjà la natte sent la fraîcheur d'automne.
Ma robe de soie légèrement dégrafée
je monte sur la barque d'orchidée.
De quel nuage attendre un message ?
Au passage des oies sauvages
Seule la lune inonde le pavillon d'Ouest."
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Ce n'est pas affaire de distance
"J'ai construit ma hutte parmi les hommes
Et pourtant nulle agitation ne me dérange.
Comment est-ce possible, je vous le demande un peu !
La solitude est dans le coeur, ce n'est pas affaire de distance.
Cueillant des chrysanthèmes au pied de la haie,
Je lève le regard vers les monts lointains.
L'air de la montagne est beau le soir,
A l'heure où rentrent les oiseaux.
Une vérité gît au coeur de tout ceci :
Je voudrais la fixer mas je ne trouve pas de mots."
Tao Yuanming
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Rendez-vous un jour dans la Voie Lactée
"Les hommes cherchent ce qui les fera le mieux résonner. Le langage est l'essence de la parole, la littérature est l'essence du langage, et les plus experts à les utiliser sont choisis par l'humanité pour rendre le son qu'elle cherche à exprimer."
Han Yu (728-824)
Quant à Li Po (701-762) traduit par Claude Roy, c'est mieux :
"Un flacon de vin au milieu de fleurs.
Je bois seul et sans compagnon.
Je lève ma coupe. Lune, à ta santé ;
Moi la lune, mon ombre : nous voilà trois.
La lune, hélas, ne boit pas.
Mon ombre ne sait qu'être là.
Amis d'un moment, la lune et mon ombre.
Le printemps nous dit d'être vite heureux.
Je chante et la lune flâne.
Je danse, et mon ombre veille.
Avant d'être ivres nous jouons ensemble.
L'ivresse venue, nous nous séparons.
Puisse longtemps durer notre amitié calme.
Rendez-vous un jour dans la Voie Lactée."
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vendredi, 22 avril 2005
Dialogue parent-enfant
Le jeu c'est de trouver l'auteur, il est connu, mais ce n'est pas facile ...
"Les enfants restent sans réponse et font eux mêmes des enfants pour leur refiler la question…
Le parent : « Tu ne sais pas ? Eh bien moi je sais. »
L’enfant : « Mais tu sais quoi, en définitive ? »
Le parent : Je sais que j’ai l’air de quelqu’un qui sait. Pour le reste, ça ne peut pas se dire avec des mots. »
L’enfant : « Tout n’est donc qu’apparences ? »
Le parent : « Peut-être. »
L’enfant : « Tu m’as donné la vie pour reproduire une illusion ? »
Le parent : « Oh, oh, attention, il y a l’Amour, Dieu, le Messie, l’Histoire, la Société, la Science, l’Idéal, la Connaissance, le Progrès, la Croissance. »
L’enfant : « Et l’argent ? »
Le parent : « Tu m’a coûté assez cher ! Tu préférerais peut-être mourir de faim en Afrique, en Inde, en Amérique du Sud ? Travailler, rachitique, dès l’âge de sept ans dans les mines ? Etre vendu comme esclave ? Etre engraissé dans la forêt pour être ensuite dépecé et greffé dans les beaux quartiers ? »
L’enfant : « Non, non ! »
Le parent : « Embrasse-moi. »
L’enfant : « Plus tard. »"
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jeudi, 21 avril 2005
Po Kiu-Yi (772-846)
"On dirait une fleur. Ce n'est pas une fleur.
On dirait une brume. Ce n'est pas une brume.
Cela vient à minuit.
Cela part au matin.
Cela vient comme un rêve de printemps
qui s'efface au réveil.
Cela vient comme un nuage du matin.
Vous ne trouverez cela
nulle part."
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Le vent
"La brise susurre : il s'élève une fraîcheur,
Qui purifie pour moi les bois et les vallées.
Le vent balaie la brume et m'ouvre la porte de la gorge ;
Il enroule le brouillard, et fait paraître des maisons sur les monts.
Il va et vient, mais sans laisser de trace,
Se lève et s'apaise, comme s'il avait des sentiments.
Le soleil tombe : la montagne et les eaux se calment...
Il fait naître pour vous une voix dans les pins."
Wang Po
18:22 Publié dans littérature | Lien permanent | Commentaires (15)
Confession d'un voyageur nocturne
"Herbe légère et douce brise, au bord de l'eau :
Seul, dans la nuit, le mât dressé d'une chaloupe.
La plaine se déploie, escortée des étoiles ;
Le grand fleuve s'écoule, aux remous de la lune."
Tou Fou
12:40 Publié dans littérature | Lien permanent | Commentaires (17)
Libation solitaire au clair de lune
« Parmi les fleurs un pot de vin :
Je bois tout seul sans un ami.
Levant ma coupe, je convie le clair de lune ;
Voici mon ombre devant moi : nous sommes trois.
La lune, hélas, ne sait pas boire ;
Et l’ombre en vain me suit.
Compagnes d’un instant, ô vous, la lune et l’ombre !
Par de joyeux ébats, faisons fête au printemps !
Quand je chante, la lune indolente musarde ;
Quand je danse, mon ombre égarée se déforme.
Tant que nous veillerons, ensemble égayons-nous ;
Et, l’ivresse venue, que chacun s’en retourne.
Que dure à tout jamais notre liaison sans âme :
Retrouvons-nous sur la lointaine Voie Lactée ! »
Li Po
00:55 Publié dans littérature | Lien permanent | Commentaires (1)
mardi, 19 avril 2005
Une fille dévote
"Rien n'est plus certain que ceci : une fille dévote ressent, quand elle fait avec son amant l'oeuvre de chair, cent fois plus de plaisir qu'une autre exempte du préjugé. Cette vérité est trop dans la nature pour que je crois nécessaire de la démontrer à mon lecteur."
Casanova, Histoire de ma vie.
15:03 Publié dans littérature | Lien permanent | Commentaires (3)