vendredi, 25 février 2005
Aller simple
Partir. Train d’enfer. Aller ; retour m’effraie ; chemin biffé, replié sur lui-même, comme moi. Non. Laisser aller le fleuve d’images bordant la vitre au rythme des feuillées, fragiles papillons végétaux accrochés à leurs branches, comme moi, mais sans les ailes. Ce train, travelling de mon immobilité, joie d’un effort annulé, puissance de la machine irriguant mon corps de coton. Je suis un homme-fauteuil, et cette baie vitrée, si vaste que ses berges m’échappent, est un espace de jeu où mon regard s’ébat, libre et léger. Ma vie se fait vision. Le rêve alors m’emporte. Aller simple. Je deviens ce héron qui en un saut à peine se pique en haut d’un chêne, tel un soldat du ciel guettant l’attaque de l’ombre. Je virevolte entre les lourdes vaches, les silos et les mares. Mon crapaud aux inutiles roues devient tapis d’Orient. Mes yeux écarquillés, que des nerfs agacés ne peuvent contenir, creusent dans les nuages des abris de fortune. Je m’y vautre en chantant, je chahute les dieux !
Jean-Jacques Marimbert
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Caravaggio
De notre terrasse à Rome on voyait le Château Saint-Ange et le meilleur moment pour faire l’amour c’est quand la lumière déclinait et restait agrippée aux pierres, un instant d’éternité. Dans les palpitations de l’air et les odeurs mauves des jacarandas, adagio sostenuto, la Sonate au clair de lune était le moment de la plus grande dispersion, quand tout semble retenu dans le ciel, déposé comme un rideau de théâtre, lueurs pourpres, lisses et fauves dans le lointain, reflets ondoyants sur les toits, les murs, les visages. Temps figé, saisi. La beauté, improbable, présente et ramassée. Dans cette ville minérale, de méandres, replis, fuites, retournements, on poursuivait d’église en palazzo les tableaux de Caravaggio, pure merveille, absolue présence. Il y avait ce cou, miracle d’équilibre, douceur et étrangeté, ce cou si sublime de la Madone de Lorette à Sant’ Agostino, impossible de s’en détacher et cette bibliothèque en forme de navire juste à côté où on est entrés tous les deux, comme dans l’univers magique du Nom de la rose. Tu cherchais Les trois âges de la femme de Gustav Klimt, on l’a découvert finalement sur les bords de la Villa Borghese, perdu dans un musée immense, froid et un rien lugubre. Jamais les reproductions ne le montrent en entier, la vieille femme cache ses yeux, devant le visage rayonnant de la maternité.
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jeudi, 24 février 2005
Une limite consciente
Plus le corps est une limite consciente, plus l'esprit est illuminé
Sollers
07:19 Publié dans littérature | Lien permanent | Commentaires (1)
mercredi, 23 février 2005
Un des plus beaux débuts...
De roman, c’est celui de Point de lendemain, de Vivant Denon, écrit en 1812. Et la suite de ce court roman est du même niveau…
J’aimais éperdument la comtesse de * ; j’avais vingt ans, et j’étais ingénu ; elle me trompa, je me fâchai, elle me quitta. J’étais ingénu, je la regrettai ; j’avais vingt ans, elle me pardonna : et comme j’avais vingt ans, que j’étais ingénu, toujours trompé, mais plus quitté, je me croyais l’amant le mieux aimé, partant le plus heureux des hommes.
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mardi, 22 février 2005
Il n'y a pas de grandes personnes
Un vieux prêtre que j’interrogeais pour savoir ce qu’il retenait de toute une vie de confesseur, quelle leçon il tirait de cette longue familiarité avec les âmes me répondit : je vous dirai deux choses : la première, c’est que les gens sont beaucoup plus malheureux qu’on ne le croit ; la seconde, c’est qu’il n’y a pas de grandes personnes.
Malraux
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lundi, 21 février 2005
Jusqu'à l'infini
Un mobile qui est en A ne pourra jamais atteindre le point B, parce qu’il devra auparavant parcourir la moitié de la distance qui les sépare, et auparavant la moitié de la moitié et d’abord la moitié de cette moitié de cette moitié, et ainsi jusqu’à l’infini
Borges
14:37 Publié dans littérature | Lien permanent | Commentaires (16)
Glisse
Le monde réel, ce monde soi-disant réel
C’est simplement quelque chose dont on doit s’accommoder
Comme tout le monde
La réalité est une corde raide
Si je glisse, je me dis tiens, c’est intéressant
La plupart du temps, je glisse
Dans cette version fugitive, cet éclair.
De Kooning
14:25 Publié dans littérature | Lien permanent | Commentaires (1)
L'art
Corps aimés, retrouvés, sommeil, jouissance sans fin du sommeil - il est l’amour, mesure parfaite et réinventée – poésie, peinture, sculpture, notes étirées, soufflées, susurrées, Mozart est là, avec nous, en creux, jusqu’à la fin des temps, il a existé, c’est possible, il y aura d’autres Mozart, passant comme des météores, n’en déplaise aux censeurs, plaisir, voix mêlées, psalmodiées, venues des profondeurs… Infamie, retournements, troubles du langage, prose incandescente, plaisir encore, chaque seconde qui passe me rapproche du monde, plus je vis, plus je m’approche de la vie… Quand le monde sera réduit en un seul bois noir pour nos quatre yeux étonnés, - en une plage pour deux enfants fidèles, - en une maison musicale pour notre claire sympathie, - je vous trouverai. Diagonale vers l’infini, c’est possible, cela s’appelle l’art…
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dimanche, 20 février 2005
Un secret
Un secret n’est secret que si n’apparaît même pas le fait que, là, existe un secret
Heidegger
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samedi, 19 février 2005
C'est ça qu'ils veulent empêcher
Quand on revient sur les époques troublées, catastrophiques, et elles le sont toutes, qu’est-ce qui reste, finalement ? Tableaux, livres, musique… Ils le savent… C’est ça qu’ils veulent empêcher, au fond… Le reste est sans raison…
Sollers
22:00 Publié dans littérature | Lien permanent | Commentaires (3)
Combat
Dans le combat entre toi et le monde, seconde le monde
Kafka
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Le style
Si vous êtes généreux ou cruel, courageux ou lâche, cela se voit dans le style, quelle que soit l’histoire que vous racontez et quel que soit le soin que vous prenez à vous masquer
Giono
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vendredi, 18 février 2005
Le diable se glisse partout...
Bleu ardent, lignes de pluie de l’horizon, tout près la mer et son désordre de vagues, la mer d’Ulysse, j’entends encore le battement des rameurs, la mer vineuse, sillonnée sans cesse par ce voyageur fou, vent de l’histoire jeté sur la ville, elle intacte ou presque, les hommes balayés, en poussière, et toujours cette clarté qui flotte au dessus, immense, impénétrable, acide parfois, ardente… L’histoire est constamment retournée, agitée, dévoyée. Homère, l’Odyssée, le voyage essentiel, la Grèce, enfouie depuis, les Troyens contre les Achéens, ils vont fonder Rome, et puis Rome à son tour, face au Saint Empire romain germanique, conséquences désastreuses, et ainsi de suite, qui détruira l’autre, retournements constants, peu importe, le scénario est toujours le même, en apparence, le diable se glisse partout…
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jeudi, 17 février 2005
Pour Joëlle
Ciel noir. Abîme rendu. Ivresse, ivresse. Ciel pâle. Orgasme rendu. Tu pars, tu pars. Le ciel s’épanche. Encore. La nuit s’échappe, s’enfuit. Le temps défile mais impossible de le rattraper. Une trouée. Aurore en même temps, or du temps. Tout depuis la plus simple émotion jusqu’à l’abîme total ramène à ce sentiment inconcevable de l’absence.
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Miracle du français...
Amour, délice et orgue : trois mots qui en français, de masculins au singulier, deviennent féminins au pluriel…
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Anagramme
L’anagramme a depuis l’aube des temps (et même un peu avant au dire de certains mais ce n’est pas prouvé) été utilisée comme procédé divinatoire, la permutation des lettres d'un mot-clé révélant un événement majeur à venir. Ainsi dans Révolution française on a vu l'anagramme de Un veto corse la finira, le coup d'Etat de Bonaparte étant linguistiquement programmé dans le nom de la période qui l'a précédé…
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mardi, 15 février 2005
Elle se mit à se déshabiller
Elle se mit à se déshabiller. Quand elles ne savent plus quoi faire elles se déshabillent, et c’est sans doute ce qu’elles ont de mieux à faire. Elle enleva tout, avec une lenteur à agacer un éléphant, sauf les bas, destinés sans doute à porter au comble mon excitation. C’est alors que je vis qu’elle louchait. Ce n’était heureusement pas la première fois que je voyais une femme nue, je pus donc rester, je savais qu’elle n’exploserait pas.
Beckett
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Bien feindre
La plus subtile de toutes les finesses est de savoir bien feindre de tomber dans les pièges qu’on nous tend et on n’est jamais si aisément trompé que quand on songe à tromper les autres
La Rochefoucauld
03:14 Publié dans littérature | Lien permanent | Commentaires (0)
Les plus magnifiques de tous les instants
On était dans les montagnes ; il y avait une merveille de soleil levant, des fraîcheurs mauves, des pentes rougeoyantes, l’émeraude des pâturages dans les vallées, la rosée et les changeants nuages d’or. (…) Bientôt ce fut l’obscurité, une obscurité de raisins, une obscurité pourprée sur les plantations de mandariniers et les champs de melons ; le soleil couleur de raisins écrasés, avec des balafres rouge bourgogne, les champs couleur de l’amour et des mystères hispaniques. Je passais ma tête par la fenêtre et aspirais à longs traits l’air embaumé. C’étaient les plus magnifiques de tous les instants.
Kerouac
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lundi, 14 février 2005
La maison est traversée par le paysage
Tout d’un coup la maison est traversée par le paysage. L’horizon s’est enflammé. Les objets s’animent, dansent dans le soir. La mer est là, proche. Le ciel aussi est dans la maison. Il n’y a plus ni intérieur ni extérieur.
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