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vendredi, 25 février 2005

Caravaggio

De notre terrasse à Rome on voyait le Château Saint-Ange et le meilleur moment pour faire l’amour c’est quand la lumière déclinait et restait agrippée aux pierres, un instant d’éternité. Dans les palpitations de l’air et les odeurs mauves des jacarandas, adagio sostenuto, la Sonate au clair de lune était le moment de la plus grande dispersion, quand tout semble retenu dans le ciel, déposé comme un rideau de théâtre, lueurs pourpres, lisses et fauves dans le lointain, reflets ondoyants sur les toits, les murs, les visages. Temps figé, saisi. La beauté, improbable, présente et ramassée. Dans cette ville minérale, de méandres, replis, fuites, retournements, on poursuivait d’église en palazzo les tableaux de Caravaggio, pure merveille, absolue présence. Il y avait ce cou, miracle d’équilibre, douceur et étrangeté, ce cou si sublime de la Madone de Lorette à Sant’ Agostino, impossible de s’en détacher et cette bibliothèque en forme de navire juste à côté où on est entrés tous les deux, comme dans l’univers magique du Nom de la rose. Tu cherchais Les trois âges de la femme de Gustav Klimt, on l’a découvert finalement sur les bords de la Villa Borghese, perdu dans un musée immense, froid et un rien lugubre. Jamais les reproductions ne le montrent en entier, la vieille femme cache ses yeux, devant le visage rayonnant de la maternité.

Commentaires

Attention chef d'oeuvre !

Je viens de lire “Le nom”, le roman de Jean-Jacques Nuel qui paraît ces jours-ci aux éditions A contrario. Et je dois dire qu’il a tenu ses promesses.
Un thème peu courant, un style minutieusement ciselé, une trame haletante. Pour peu qu’on s’intéresse à l’histoire de cet écrivaillon raté qui trouve un jour sa voie en déroulant les quatre lettres de son nom sur des centaines de feuilles format A4, et ne tarde guère à proposer aux éditeurs ce qu’il considère comme son chef d’œuvre.
Certes, pour entrer dans l’histoire, et y trouver ce que j’appelle, moi, sans hésiter, du suspens, il faut accepter une intrigue sans ninjas diaboliques, sans monstres aux yeux rouges et aux dents jaunes, ni meurtre en série et autres ingrédients quasi obligatoires dans les romans à suspens. Ici, le suspens provient exclusivement de cette question : « Jusqu’où ira-t-il ? » Ou plutôt « Jusqu’où ira-t-il sans devenir rengaine ? » Jean-Jacques Nuel se livre à une tentative d’épuisement du sujet. Tentative réussie. Tandis que de nombreux romans à l’ambition similaire pataugent très vite dans la semoule, épuisant leur sujet en moins de temps qu'il n'en faut pour tourner quelques pages, celui-ci parvient à offrir toujours de nouveaux angles d’approche, de nouveaux développements inattendus, livrant en même temps qu’une histoire absurde du plus pur style kafkaïen une satire du milieu littéraire, et de l’écrivaillon inconnu qui se prend pour une étoile.
Tour à tour loufoque et touchant, le roman de Jean-Jacques Nuel étonne surtout par la précision de son écriture : sans pathos, sans digression vaseuse, il parvient avec un sujet minimaliste à nous faire voyager, dans l’univers des mots et des phrases, des paragraphes, des pages… dans l’univers du livre. On y croise furtivement des personnages, des régions entières se déroulent sous nos yeux, qui ne sont que des éléments linguistiques auxquels Nuel a prêté une personnalité. La maniaquerie du héros, qui après avoir transformé son patronyme en nom commun prétend tout mettre en œuvre pour lui assurer un avenir florissant, devient elle-même un moteur de l’écriture, un moteur de l’histoire qui patiemment, minutieusement, déroule ses sept chapitres sous nos yeux comme autant d’étapes de la création d’un monde.
Les familiers de Jean-Jacques Nuel reconnaitront ici les thèmes qu’il avait traités dans ses textes courts (l’écriture, la solitude, l’hypertrophie de l’ego, le besoin maladif de laisser une trace) mais ils les retrouveront sous une autre forme, tant il est vrai que l’amplitude du texte les rend différents. Ils pourront constater que Jean-Jacques Nuel, s’il avait déjà fait ses preuves sur la courte distance, se révèle un excellent romancier. Qui s’ignorait...

Écrit par : nodin | vendredi, 25 février 2005

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