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jeudi, 07 avril 2005

Errance (s)

N’est pas errant qui veut. Il faut une liberté, mieux, un laisser aller qui ne se donne pas, s’arrache, se nourrit, contre raison mais non sans elle. Tout un art du voyage. “Le voyage fournit des occasions de s’ébrouer mais pas — comme on le croyait — la liberté. Il fait plutôt éprouver une sorte de réduction ; privé de son cadre habituel, dépouillé de ses habitudes comme d’un volumineux emballage, le voyageur se trouve ramené à de plus humbles proportions. Plus ouvert aussi à la curiosité, à l’intuition, au coup de foudre”, dit Nicolas Bouvier dans L’Usage du monde.

Laisser être dans l’accueil. Ni hémorragie existentielle à laquelle est attachée une image du mou, apathique, aboulique, souffrant de ne rien (re)tenir, de tout laisser se perdre, par tempérament ou manque de caractère.

Ni affolement de l’être désamparé, sans-papiers, exilé, exclu de toute part, ou folie du fragile d’esprit qui cogne à la vitre du monde, emprunte des voies délirantes et déraille. Autre est le délire de l’errant que nous cherchons à être.

Ni erreur non plus, car errance véritable est recherche et, finalement, vérité aperçue dans l’imprévisible chemin, relative, fluctuante, poétique. L’errant ne sait où il va : il est tendu vers ce qu’il ne découvre qu’en s’y exposant, retenant au mieux ce qui fuit de tout côté.

Nicolas Bouvier, dans sa chambre d’hôtel à Ceylan, dans Le Poisson-scorpion, ne cesse d’écoper, accroché par des riens au réel qu’il crée au moment où il le reçoit en pleine tête, avec humour et poésie, immergé et lucide, malade, rongé et cependant au-dessus de tout, volute de pensée ramenant à la louche insectes et images, personnages et émotions, aspects divers de ce qui taraude et creuse la galerie incertaine des rêves. L’errance est rapport au temps et à l’éternité, montrée dans ces photographies des “plus hautes montagnes du monde”, “pont entre matérialité et transcendance” (Entre errance et éternité).

Rapport ? Errer, c’est sans cesse être entre ici et là, hier et aujourd’hui, dans l’indétermination d’un “tout à l’heure”, “là-bas”. Cet entre-deux (trois, quatre…), cet entrelacs se fait tissu d’ombres colorées, fugace prise sur la durée, dans des “petits moments”, “moments d’harmonie totale entre une lumière, l’écho d’une voix, les couleurs, le goût qu’on a dans la bouche, l’heure du jour” (Entretien accordé par Nicolas Bouvier à Encres Vagabondes, n°4). “Émerveillement”, donc. Mais cette extrême attention au monde ne va pas sans une certaine érosion de soi, jusqu’à ce qui résiste à toute “usure”. “Usage du monde”, usure de soi. En cela, si “l’écriture, le voyage et la vie sont trois exercices de disparition”, il n’empêche que l’écriture est “port d’attache”. Pas d’errance sans lien, un point de chute suffit, sans quoi elle est pure perte, dilution, égarement, désarroi.

Errer, écrire. “Le souvenir de voyages lointains, de promenades dans les villes resurgit curieusement avec l’extinction des flammes et le mot marcher, dans mon esprit, épouse sans faiblesse celui d’écrire”, dit Joël Vernet dans Sous un toit errant (Fata Morgana). Beauté du texte, à la mesure des interminables “nuits passées sur les terrasses”. Entre le chant des mésanges et le “dernier visage” du disparu, “nous appartenons à la vie errante, à la vie nomade”, “fils de toutes les tribus”. Et “notre vie accueille ainsi les mots errants au fil des jours”.

Le recueil de Joël Vernet s’achève sur un texte dense dédié à Nicolas Bouvier. L’errance y prend un sens (ultime ?) que les “errants de toutes les époques et de tous les siècles” nous font saisir au vol, baluchon à l’épaule. Nous pensions conter notre errance pour en fixer l’écoulement, n’en pas perdre une miette, attache flottante, mais non, c’est elle qui écrit, elle ouvre (sur) “le livre qu’invente pour nous le réel, ici, sur cette terre des confins”.

Alors errer est un devoir, celui “d’ignorer où nous allons”. Fil tendu vers le monde, entre soi et soi, pour qu’ici, maintenant, prenne corps.

Jean-Jacques Marimbert

Commentaires

Je fais consciencieusement mon devoir en ce moment et avec plaisir. Lorsqu'on tombe par hasard sur une de plus vieilles maisons de the du pays ou que l'on se perd sciemment dans les ruelles des artistes (peintres, calligraphes & so on) on ne peut que se croire en train de rever... Seule au milieu d'une foule dense, compacte, d'un monde difficile a comprendre car il ne parle aucune de vos langues et uniquement la sienne, je me sens pourtant unie par l'art qui colore les rues, se couche sur les papier d'un autre age, et me retrouve, bien.
Il manque des accents sur mon clavier, veuillez me pardonner. Je vous laisse pour continuer le chemin qui me ramenera vers vous, je le sais, ne m'en plains pas mais je repars profiter du temps qui me reste loin de vous et plus pres de moi.
C'etait une petite halte pour faire reposer mes pieds fatigues par l'errance outranciere...
Bisous Ray et merci a JJM de nous offrir un si beau texte... que je partage un peu plus chaque jour...
A bientot!

Écrit par : Calou | jeudi, 07 avril 2005

Errer humanum est ! Le soleil, le vent... Etonnants voyageurs en effet, bonne continuation...

Écrit par : Ray | jeudi, 07 avril 2005

C'est tiré d'un poème de Pierre Jean Jouve intitulé "Hier Aujourd'hui Demain" paru dans "Sueur de Sang." Disponible en poche chez Poésie/Gallimard sous l'intitulé: "Les Noces suivi de Sueur de Sang"

Écrit par : OrnithOrynque | jeudi, 07 avril 2005

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