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mercredi, 06 avril 2005

Le roman long

A mon sens, le roman long, romanesque, sans excipient, puissant sans bavardage, a été mené à son terme au vingtième siècle dans des expériences comme celles de Joyce ou Faulkner, qui ne sont plus faisables. Ils ont mené le genre à sa dernière perfection. Nous vivons un temps d’épigones de ces gens-là, bien sages, bien pensants, bien obéissants, bien révolutionnaires, qui sont tellement en dessous de leurs modèles.

Pierre Michon.

Commentaires

Oui… et non. Que les avatars soient bien en dessous des modèles, oui, et ils sont légion. Mais pourquoi à SON terme ? Un terme, sûrement. "Ujysse", oui, ou "Le bruit et la fureur" (quel roman !!!). Mais tout reste à faire ! La "dernière perfection" n'est qu'une idée, un horizon, et quelle définition faudrait-il en donner ? À moins que Pierre Michon n'ait voulu limiter sa remarque au XXe siècle ? Peut-être. Mais alors ce serait un truisme… auquel, n'en déplaise à certains, li faudrait ajouter Proust (beaucoup en parlent sans l'avoir lu, comme pour Joyce ou Faulkner, d'aillleurs). En tout cas, le roman c'est la vie sous une certaine FORME et là, il y a encore du grain à moudre !

Écrit par : J.-J. M. | mercredi, 06 avril 2005

J.-J. M. a, pour moi, mis le doigt dessus : "Proust (beaucoup en parlent sans l'avoir lu, comme pour Joyce ou Faulkner, d'aillleurs). "
Je n'ai jamais réussi à lire Joyce, je n'ai jamais été tenté par Proust et le seul roman que j'aie lu de Faulkner, Sanctuaire, ne m'a pas incité à en lire d'autre.
Devient-on un grand romancier parce que l'on n'est lu que par une élite ? Est-ce le critère ?
Et l'affreux Céline dans tout ça ?

Écrit par : Eric Dejaeger | mercredi, 06 avril 2005

Ah ! Merci ! Preuve, en tout cas, que ce que j'ai dit ne s'adresse pas à Éric ! Je pensais en fait aux lieux communs, si répandus, sur les trois auteurs (plutôt deux, Proust et Joyce, l'un pour "l'ennui" qu'il suscite, l'autre pour le "génie" qu'il contient) auxquels en appelle une élite détestable qui a beaucoup fait pour déprécier leurs modèles et décourager toute tentative de la part de lecteurs potentiels. On peut très bien vivre sans les avoir lus, heureusement ! Mais cela n'empêche pas de le faire. Et ce n'est pas parce que P, J et F sont lus (?) par une "élite" (qui se dit telle, souvent) qu'ils sont de grands romanciers, heureusement aussi ! Ils ont, avec Céline, affronté la langue et la littérature en créant véritablement une façon de vivre cet affrontement, c'est tout, c'est beaucoup, un style. Je dirai aussi que, pour certains, c'est une sorte d'attitude adoptée par principe ou coquetterie ou fénéantise ou tout autre raison extérieure à la question littéraire, et tout aussi contestable que l'attitude inverse, que de dire qu'ils n'ont jamais pu lire ni l'un ni l'autre de ces auteurs. Bref, ça part dans tous les sens et on oublie ce qui est en jeu, c'est bien regrettable. Ce qui n'est pas le cas d'Éric. Autrement dit, le critère n'est pas là, s'il y en a un.

Écrit par : J.-J. M. | mercredi, 06 avril 2005

A mon avis la question de l'élite n'en est pas une, une oeuvre si elle a suffisamment de force finit par se diffuser elle-même, par essaimer, et ça peut se faire de mille façons... Pour moi Proust c'est LE livre, personne n'a été aussi loin, et c'est un souvenir de lecture qui dépasse même la lecture, une des expériences les plus fortes que j'ai connues (toutes catégories confondues), Joyce et Céline sont de ce niveau bien sûr, des bouleversements aussi, en fait c'est ça les grands livres, ceux qui à un moment bouleversent les repères, poussent à voir le monde différemment, quant à Faulkner, je n'y suis pas vraiment entré, mais ça viendra (ou ne viendra pas) un jour sans doute...

Écrit par : Ray | mercredi, 06 avril 2005

Ouf ! Parce que je considère un auteur tel que John Irving comme un grand romancier. Il n'y a tout de même pas que le style qui compte ! Il y a aussi l'imagination !!! Pas qu'Irving n'ait pas de style mais ce n'est pas chez lui qu'on trouvera du labo linguistique. Sauf peut-être dans son tout premier roman où il a, me semble-t-il, essayé de faire un peu du Céline, sans vraiment y parvenir.

J'écrivais récemment à un ami écrivain dont un recueil de textes courts vient de paraître chez le même éditeur que moi : "Ne t'emballe pas, tant que tu n'auras pas eu un roman publié, on te considérera comme un auteur de troisième zone. Bienvenue au club !"

Écrit par : Eric Dejaeger | mercredi, 06 avril 2005

Est-ce que l'imagination n'est pas dans la langue aussi, est-ce que la forme et le fond ce n'est pas la même chose en matière de littérature ? Justement les auteurs qui ont été le plus loin dans l'une ont été aussi (il me semble !) ceux qui ont été le plus loin dans l'autre, non ?

Écrit par : Ray | mercredi, 06 avril 2005

Complètement d'accord. Il ne s'agit pas d'un "labo", là encore. S'il n'y a pas d'imagination chez les auteurs dont nous parlons, alors je me mords un œil ! L'idée de labo est véhiculée comme un épouvantail qui ferait de tout lecteur de Proust au autre un "intello", et elle pourrait aussi bien s'appliquer (aussi mal je veux dire) à des auteurs de textes courts. Ces distinctions, bien rélles hélas dans le monde éditorial, comme le dit Éric, sont sans fondement autre que commercial et "d'opinion". Faulkner plaçait au-dessus du roman, la poésie et la nouvelle (densité, difficulté, etc.). Quant à distinguer style et imagination, et réduire le style à des effets de forme, je pense qu'une bonne lecture de ce qu'en dit Marcel lèverait toute doute là-dessus… (cf textes déjà proposés par Rayy il y a qelques semaines).

Écrit par : J.-J.. M. | mercredi, 06 avril 2005

Et notre bon vieux copain Flaubert qui a écrit : "je crois à la haine inconsciente du style", tiens justement Michon a écrit un joli texte sur Flaubert, c'est dans les "les corps rois" chez Verdier

Écrit par : Ray | mercredi, 06 avril 2005

Difficile pour moi de donner un avis, n'ayant lu ni Joyce ni Proust et à peine Faulkner. Céline, je lui trouve une imagination énorme au niveau du style mais pour ce qui est de torcher une intrigue, je ne pense pas qu'il soit un génie.

Je suis un grand amateur de romans noirs, de polars, de nouvelles et de poésie. Beaucoup d'auteurs de romans noirs et de polars ont un style que je qualifierais de "simple" (et certainement pas simpliste) et tout le plaisir que je retire de ces lectures vient essentiellement de l'intrigue, des personnages et de l'humour. Ce n'est pas spécialement évident de faire simple.

Pour ce qui est du roman "traditionnel", j'ai souvent l'impression, en refermant un livre, d'avoir lu une nouvelle tirée au maximum de sa longueur et d'avoir perdu mon temps.

Écrit par : Eric Dejaeger | mercredi, 06 avril 2005

Sûr que ce n'est pas facile de faire simple : j'admire beaucoup Raymond Carver (à part son prénom) pour la simplicité de son style, on dirait qu'il l'a pressé (comme un citron) élagué, jusqu'à ne garder que l'essentiel, la substantifique moëlle, et l'effet est saisissant ! de même dans le noir chez Hammet, mais n'y a-t-il pas la même chose chez Camus ! Quant à l'intrigue il y aurait beaucoup à dire, est-ce que ce n'est pas un peu facile parfois, construire une intrigue est un jeu comme un autre finalement, on peut très bien y réussir mais n'avoir pas grand chose à dire, si ce n'est tenir en haleine, un peu artificiel quand même non ? Jouer avec les émotions aussi, exemple inventer un personnage doté de toutes les qualités, et le faire mourrir un peu plus loin (ou le mettre en grave danger) faire pleurer Margot en quelque sorte (ou la faire frémir), ça a toujours marché, ce sont un peu là les faiblesses du roman traditionnel non ?

Écrit par : Ray | mercredi, 06 avril 2005

Durant les dernières vacances d'été, j'ai consacré une grande partie de mon temps "lecture" à... la relecture. Parmi les grands romans (pour moi) que j'ai relus : Voyage au bout de la nuit, Cent ans de solitude, Une prière pour Owen et Eureka street.
Je sais que dans dix ans, si j'en ai la possibilité, je les relirai encore. Pourquoi ? Peut-être parce qu'en refermant chacun de ces livres, je me suis encore dit : "Je n'arriverai jamais à écrire un roman comme ça..."

Écrit par : Eric Dejaeger | mercredi, 06 avril 2005

Et quel est le point commun entre Céline, Gabriel Garcia Marquez, John Irving et Robert McLiam Wilson, à part qu'il écrivent des romans ?

Écrit par : Eric Dejaeger | mercredi, 06 avril 2005

C'est justement peut-être grâce à Joyce et quelques autres que le roman est devenue la forme "attrape-tout", en tout cas une forme si souple qu'on peut y faire entrer beaucoup de choses, de la poésie, de l'histoire, de l'humour, de la pensée, bouleverser les époques, les personnages, les points de vue... et qu'il est devenu finalement peut-être LA forme littéraire la plus actuelle et la plus intéressante... En ce qui me concerne, je relis beaucoup aussi, pas parce que je me dis "je n'arriverai jamais à écrire un roman comme ça" ça il y a longtemps que j'en suis persuadé et du reste ça n'a aucune importance, mais parce que je me dis "j'y ai encore trouvé quelque chose en le relisant et ce n'est sans doute pas fini !"

Écrit par : Ray | mercredi, 06 avril 2005

Bon, alors Ray, quand est-ce que tu nous parles de Borges ? Attendrais-tu d'avoir réécrit le Quichotte ? Tiens, au fait, et le Chevalier, n'est-il pas toujours à relire ? Il mériterait à lui tout seul blog d'enfer !

Écrit par : J.-J. M. | mercredi, 06 avril 2005

Le temps est un fleuve qui m’emporte, mais je suis le fleuve ; c’est un tigre qui me déchire, mais je suis le tigre. C’est un feu qui me consume, mais je suis le feu. Le monde, malheureusement, est réel ; moi malheureusement, je suis...

Écrit par : Ray | mercredi, 06 avril 2005

Si je peux me permettre d'ajouter à cette stimulante discussion, puisque mercredi 6 avril (hier), enfin, le chevalier à la triste figure fait son apparition. J'ai longtemps pensé que c'était Don Quichotte qui fermait le débat dans le registre du roman ; qu'après il y avait eu quelques petites choses pas désagréables (Hugo, Garcia-Marquez, Steinbeck, ...), mais qui au fond n'apportaient rien de nouveau. Jusqu'à ce que je relise coup sur coup (important en effet que ce soient des relectures), il y a quelques années, "Le bruit et la fureur" et "Marelle" (Julio Cortazar), et que je me rende compte que ces deux-là étaient de la trempe de l'homme de la Manche. Alors, en cherchant les points communs entre ces oeuvres, j'ai fini par penser que c'était une affaire de propos global : ces livres-là prennent à bras-le-corps un indicible, ils nous font toucher du doigt l'espèce de force absurde qui meut les vies et les émotions, ils s'attaquent avec de simples mots à quelque chose qui se dérobe aux mots, et pourtant parviennent à en esquisser les contours là où peut-être, auparavant, on ne voyait rien, et nous incitent à continuer le chemin. Si on ramène ça au sujet d'un livre (l'enfance, l'histoire d'une famille sous Louis XIV, etc.), eux s'attaquent AU sujet, celui qui ne peut être plus vaste. "Ulysse" est peut-être aussi de ceux-là, je l'ai lu et je ne sais pas. Joker pour Proust, pas assez lu.
Or, il est peut-être là le critère (probablement inconscient), le fait rare de nous emmener à ce niveau de conscience, de réflexion, qui peut faire dire d'un livre, d'un auteur, qu' "après lui c'est fini", ce qui est par ailleurs idiot, nous sommes d'accord.
"Cent ans de solitude", "Voyage au bout de la nuit" et autres sont des cathédrales de style ou des infinis d'imagination, mais n'ont tout simplement pas, au départ, l'ambition et la "surface" des trois précédents. Ils n'en démontrent pas moins que le genre du roman n'est pas et ne sera jamais à quelque terme que ce soit.

Écrit par : Philipe VIDAL | jeudi, 07 avril 2005

Ces livres en effet (chacun parmi les grandes oeuvres y trouvera le ou les siens) mettent des mots et du sens à la place du vide, c'est sans doute pour cela qu'il s'agit de rencontres, qu'elles ont toujours lieu à un moment précis ; il m'est souvent arrivé de commencer un livre et qu'il me tombe des mains, puis plus tard, au contraire, la rencontre a eu lieu... Plus troublants encore ces livres qui semblent toujours en avant, inépuisables, presque rétifs à la rencontre, infinis en quelque sorte tant le sens qui s'y cache semble au-delà de l'humaine compréhension : c'est l'effet toujours renouvelé que produit sur moi Les illuminations par exemple !

Écrit par : Ray | jeudi, 07 avril 2005

Je dirais que, plongeant dans certains romans, rares, on se vautre dans un bain de sens ! Je peux reprendre le Quichotte ou Le bruit et la fureur, ou quelques autres (cf plus haut…), c'est comme si je me retrouvais chez moi et, en même temps, débordé de toute part ! Alors, j'essaie de nager au mieux pour atteindre l'autre rive, porté, poussé, éclaboussé, immergé, je finis par échouer en un lieu plein de vie, soudain livré à moi-même, sonné mais ravi. Il n'est pas nécessaire que le roman soit "gros". Voyez "Trois chevaux", d'Erri De Luca, minuscule Folio ! La densité de la pierre.

Écrit par : J.-J. M. | jeudi, 07 avril 2005

Par curiosité... Qui a lu...

"Malpertuis" de Jean Ray ?
"Eureka street" de Robert McLiam Wilson ?
"Fausse piste" de James Crumley ?
"La conjuration des imbéciles" de John Kennedy Toole ?

Des romans qui ont compté énormément pour moi.

Écrit par : Eric Dejaeger | jeudi, 07 avril 2005

Et , j'oubliais, "Retour à Montechiarro" de Vincent Engel ?

Écrit par : Eric Dejaeger | jeudi, 07 avril 2005

J'ai lu du Ray (!) et du Crumley, mais pas ceux-là, les autres, inconnus au bataillon, quoiqu'avec cette conjuration des imbéciles je me sente concerné !

Écrit par : Ray | jeudi, 07 avril 2005

C'est bien JJ c'te histoire d'être noyé, sonné et ravi, ça m'parle, on sent que tu as été digéré puis recraché vivant par Moby Dick !

Écrit par : Ray | jeudi, 07 avril 2005

Aaaaaah ! Moby Dick ! Merci Ray, nom d'une jambe en bois, voilà un sacré livre ou je suis damné ! Aaaah, la chapitre sur la blancheur ! Et tout le reste !
Les références d'Éric m'intéressent, because, étant plutôt du sud, j'en apprends beaucoup sur les anglo-saxons (à part Ray, mondialement connu). Vais me pencher, promis. Mais, vraiment aussi, n'oubliez pas Antonio Munoz Molina dans "Pleine lune" !

Écrit par : J.-J. M. | jeudi, 07 avril 2005

J'ai noté quelques titres que je n'ai pas lus. Pas fini avec les bouquins, là... J'espère que le prochain hiver sera long !

Écrit par : Eric Dejaeger | vendredi, 08 avril 2005

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