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mardi, 12 juillet 2005

Guy Goffette sur Auden

Lorsque tous les jardins avaient un puits où l'on jetait des sous,
Lorsque l'amour était facile,

Lorsqu'on mourait en héros pour du beurre avec une épée de carton à la main,
Lorsque la mer montait par grand vent dans les peupliers, emportant notre chambre et la nuit jusqu'au fond du sommeil,
Lorsque Dieu était Dieu,
Lorsque toutes les forêts avaient une licorne qui rendait aveugles les chasseurs,
Lorsqu'on buvait la pluie à pleine bouche et sautait à pieds joints dans le ciel pour éclabousser notre ombre,
Lorsque la justice était une balance en équilibre au bout d'une main blanche,
Lorsque tous les miracles — la perle d'eau sur la vitre, le flocon de neige, le nuage rose, la résurrection des soldats de plomb après la bataille — avaient l'évidence d'une larme,
Lorsque la terre ne tournait que dans les rondes et les culbutes,
Lorsque le temps n'avait pas encore de montre et n'avançait qu'avec la faim et le sommeil,
Lorsqu'on n'était que soi,

on pouvait encore très sérieusement se prendre pour Robin des Bois, Davy Crockett, Tarzan, Zorro et s'appeler Wystan Hugh Auden par exemple,
et n'être qu'un gamin précoce, frondeur et facétieux, habillé à la va-comme-je-te-pousse, peu soigné, les ongles en deuil, les doigts tachés d'encre, aussi doué pour l'étude que pour la paresse, avec ça, d'une belle insolence envers les professeurs,
et n'avoir à la maison aucun problème sérieux avec papa et maman, ni avec les deux grands frères, ni avec le Saint-Esprit qui descendait en ligne directe des deux grands-pères et des quatre oncles, tous pasteurs de l'Eglise anglicane,
n'être qu'un petit Anglais blond comme la neige, gourmand et grassouillet et bientôt myope, qui s'enfonce en douceur dans les contes et légendes nordiques de maman, où les hommes sont de fiers guerriers pleins de mansuétude et les femmes des Reines des neiges droites et pures ou de dangereux sortilèges de glace,
et en même temps tomber amoureux des paysages de calcaire, collectionner les pierres avec papa, les pyrites surtout, sombres et bardées de fer, et tout ce qui les prolonge comme naturellement: les métaux, les mines, les usines, les terrils, et les machines, les extracteurs, les turbines, les tramways et les locomotives, ô la stricte beauté des locomotives
et puis tous les mots techniques qui vont avec, étourdissants de difficulté, de précision et de sourde magie, les prononcer déjà avec le sérieux doctoral du professeur de géologie qu'il veut devenir, époustouflant ses tantes, épatant ses petits condisciples et ravissant son médecin de père, lui aussi féru d'archéologie et de sagas islandaises, qui lui jure ses grands dieux mordicus qu'au berceau de ses ancêtres, là-bas, très au nord, les pierres fusent sous la glace.


Guy Goffette : "Auden ou L'Œil de la baleine"; Essai, Collection L'un et l'Autre Gallimard


Commentaires

"Lorsqu'on buvait la pluie à pleine bouche et sautait à pieds joints dans le ciel pour éclabousser notre ombre"...
C'est beau non ?

Il faudrait tout citer tellement c'est beau...
Si tu veux, je t'en glisserai de temps en temps Ray, j'ai acheté le livre et Gofette m'a même offert des lectures à voix haute des poèmes d'Auden qu'il préfère, en plus d'une dédicace très sympa.

Écrit par : Calou | mardi, 12 juillet 2005

quand tu veux ma louloute

Écrit par : Ray | mardi, 12 juillet 2005

Il a mené une vie de galère à cause d'un amour perdu, mais ses poèmes chantent la vie. D'ailleurs il disait:

« accepter la souffrance si et quand elle vient, non parce qu’elle est une condition moralement supérieure que nous pouvons désirer, ni parce que chaque plaisir est une illusion que nous pouvons mépriser, mais parce que notre devoir d’être heureux est la seule chose que nous avons à considérer. »

Écrit par : Calou | mardi, 12 juillet 2005

C'est tout à fait le genre de textes qui me plaît au premier coup d'oeil ! :)

Écrit par : Mab | mardi, 12 juillet 2005

"La poésie peut faire mille et une choses: délice, tristesse, distraction, amusement, instruction; elle peut exprimer chaque ombre d'émotion possible et décrire chaque sorte d'événement concevable, mais il y a une chose que toute poésie doit faire: elle doit louer tout ce qui peut être et advenir." W.H.Auden

Écrit par : Calou | mardi, 12 juillet 2005

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