vendredi, 05 mars 2010
Discours parfait, de Philippe Sollers
Suite de "La Guerre du goût" et de "Eloge de l'infini", "Discours parfait" est un ensemble de textes critiques, entretiens et contributions diverses, puisés dans L'Infini, Le Nouvel Observateur, Lignes de risque et autres publications. On y trouve également le texte intégral de "Fleurs" paru en 2006 aux éditions Herman. Les lecteurs habituels de Sollers ne s'étonneront pas d'y croiser les figures tutélaires de Rimbaud, Nietzsche, Voltaire, Heidegger, Dante, Saint-Simon, Proust, Stendhal, Bataille, Céline, etc. Le principal intérêt est de voir réunis en un seul livre (912 pages) toutes ces contributions éparpillées. Quant aux autres, ce livre sera peut-être une clé d'entrée dans ces univers multiples. Livre très riche donc, j'en sortirai entre autres perles, celle-ci : "Jean Beaufret, le traducteur, enfin l'ami de Heidegger, est en analyse chez Lacan et il est agacé parce que Lacan se tait. Mais là, un jour, Beaufret a une astuce, il tend un piège à Lacan et lui dit : "Tiens, j'étais avant-hier à Fribourg, et Heidegger m'a parlé de vous." Et Lacan saute dans son fauteuil et dit : "Ah oui ! Qu'est-ce qu'il vous a dit ?". On retiendra aussi le fameux vers de Hölderlin que Heidegger aimait citer : "Là où le péril croît, croît aussi ce qui sauve."
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jeudi, 04 mars 2010
Ma Chine à écrire
« La tradition occidentale privilégie la parole, liée au corps, à la respiration, et s'efforce de reléguer l'écrit au rang de reflet inerte. Le petit enfant français apprend "à lire et à écrire", à lire puis à écrire ; en Chine, le caractère est écrit, tracé avant d'être lu. Tracer le caractère est un acte qui engage tout le corps, tout le souffle de façon consciente. C'est pour cette raison que copier une belle calligraphie n'est pas cette pâle corvée que le mot évoque pour nous. Copier pour nous est quelque chose de triste, on pense aux copies que l'on a faites jadis étant petit. Pour un chinois, copier c'est entrer dans le mouvement du corps de l'auteur, c'est retrouver le rythme de la graphie de l'auteur, et cette communication physique est aussi immédiate que celle que vous trouvez à travers la tessiture d'une voix. C'est peut‑être une des raisons du pouvoir social de l'écriture en Chine. »
Viviane Alleton
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mercredi, 03 mars 2010
Quand avril fait deuil de ses lilas
Quand avril fait deuil de ses lilas, que moutonne l'eau du lac sous les rafales du mistral et que merles transis pas plus que rousserolles ne vous donnent envie de chanter, alors où voulez-vous aller puiser la force d'encore continuer jusqu'à la passerelle, là-bas, où les grands roseaux bleus font signe et nous appellent ?
Une averse sauvage désole soudain sentes et sous-bois qu'au sortir de la forêt ne viendra consoler aucun arc-en-ciel, ils sont tombés des nues les cerfs-volants de fine étoffe qu'enfant nous lancions à l'assaut du soleil et maintenant même l'iris des marais prend sous nos pas une pâleur d'ennui tandis que s'évanouissent en ricanant dans le vent les souvenirs jaunis des jours passés.
Quelque chose de nous déjà doucement gagne l'agonie qu'on voudrait voir encore cavaler vers la vie, au cœur cependant la tranquille espérance qu'un frisson de lumière, agitant là-bas les grands roseaux bleus, suffira sans doute pour atteindre bientôt la passerelle.
Pierre Autin-Grenier, Les Radis bleus
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mardi, 02 mars 2010
It's been a long time
21:12 Publié dans Musique | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : led zeppelin, rock'n'roll
Enfances
« Je donnerais tous les paysages du monde pour celui de mon enfance."
Cioran
"Je prie chaque jour pour que le Seigneur me rende semblable à un enfant. C'est-à-dire qu'il me fasse voir la nature et la rendre comme la rendrait un enfant, sans préjugés."
Jean-Baptiste Corot
Ville d'Avray, fermière
en bordure des bois
1825
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lundi, 01 mars 2010
Que savoir d'autre de la vie ?
Une fois le chandail ôté, l'offrande d'une poitrine rouge
Conséquence possible d'un coup de soleil,
Trace probable d'une vieille peinture de guerre
Une fois notre chant sur pilotis
suspendu entre brume et feutre
la profondeur du sentiment pour sillon
Que savoir d'autre de la vie ?
Jean Azarel, extrait de Passage du mortel
Photo : Anne Heywood par Cornel Lucas
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dimanche, 28 février 2010
Il faut bien que tout le monde mange !
Mesdames et messieurs,
avez-vous remarqué qu'à table les mets
que l'on vous sert vous mettent les mots à la bouche ?
J'en ai fait l'observation
un jour que je dînais seul.
A la table voisine...
il y avait deux convives qui mangeaient
des steaks hachés...
Et tout en mangeant,
ils alimentaient la conversation.
Au début du repas, tandis que l'un parlait,
l'autre mangeait ... et inversement !
L'alternance était respectée.
Et puis...
les mets appelant les mots
et les mots les mets...
ils se sont mis à parler et à manger
en même temps :
" Ce steak n'est pas assez haché disait l'un ",
" Il est trop haché pour mon goût disait l'autre ! ".
Les mots qui voulaient sortir
se sont heurtés aux mets qui voulaient entrer...
(Ils se télescopaient !)
Ils ont commencé à mâcher leurs mots et
à articuler leurs mets !
Très vite, la conversation a tourné au vinaigre.
A la fin, chacun ayant ravalé ses mots
et bu ses propres paroles,
il n'y eut plus que des éclats de " voie " digestive
et des " mots " d'estomac !
Ils ont fini par ventriloquer...
et c'est à qui aurait le dernier rôt !
Puis l'un d'eux s'est penché vers moi.
Il m'a dit :
" Monsieur, on n'écrit pas la bouche pleine ! "
Depuis, je ne cesse de ruminer mes écrits !
Je sais...
Vous pensez :
" Il a écrit un sketch alimentaire,
un sketch haché ! "
Et alors ?
Il faut bien que tout le monde mange !
Raymond Devos
Titien, Mars, Venus et Cupidon
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samedi, 27 février 2010
La grande route du sentiment
"Nous enfilions la grande route du sentiment, et la reprenions de si haut, qu'il était impossible d'entrevoir le terme du voyage."
Vivant Denon, Point de lendemain, 1812
Photo : Joan Collins par Cornel Lucas
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vendredi, 26 février 2010
On dirait un Cézanne
« On a découvert en 1905 à la Scuola di San Rocco un morceau de frise du Tintoret qui, repliée contre le mur lors de la mise en place, parce qu’il dépassait la mesure, a conservé toute sa fraîcheur de coloris. Ce sont des pommes peintes en vert pâle et rouge vif sur un fond de feuilles vert véronèse. Tout y est couleur. On dirait un Cézanne. » (Maurice Denis).
00:10 Publié dans Peinture | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tintoret, cézanne
jeudi, 25 février 2010
Parmi les dieux
« Je n'ai jamais compris les paroles des hommes, c'est parmi les dieux que j'ai grandi. »
(Hölderlin)
Photo : Leslie Caron, par Cornel Lucas
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mercredi, 24 février 2010
La mer et le ciel semblent se croiser à mi-chemin
"La lumière ici est en vérité une puissante magicienne et, avec tout le respect dû à Titien, Véronèse et Tintoret, plus grande artiste qu'eux tous. Il faut voir sur place le matériau qu'elle traite : brique boueuse, marbre rosé et souillé, loques, crasse, délabrement. La mer et le ciel semblent se croiser à mi-chemin, mélanger les nuances avec une douce irisation, un composé scintillant de flots et de nuages, une centaine de reflets ponctuels et indéfinissables, et puis projeter cette texture sur tout objet visible."
Henri James, Vacances romaines
14:27 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : henri james, rome
Un coup de pistolet
« La politique dans une œuvre littéraire, c’est un coup de pistolet au milieu d’un concert, quelque chose de grossier et auquel pourtant il n’est pas possible de refuser son attention. Nous allons parler de fort vilaines choses »
Stendhal, La chartreuse de Parme
Photo de Cornel Lucas
00:15 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : politique, cornel lucas, stendhal
mardi, 23 février 2010
Une lecture du "Bonheur est un drôle de serpent"
à lire ici, sur le blog de Mireille Disdero
Susan Travers, photo de Cornel Lucas
00:10 Publié dans Le Bonheur est un drôle de serpent | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : le bonheur est un drôle de serpent
lundi, 22 février 2010
Appel à textes
19:08 Publié dans Appel à textes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : magazine autour des auteurs, appel à textes
L'amour en voiture
Et sur le port, au milieu des camions et des barriques, et dans les rues, au coin des bornes, les bourgeois ouvraient de grands yeux ébahis devant cette chose si extraordinaire en province, une voiture à stores tendus, et qui apparaissait ainsi continuellement, plus close qu'un tombeau et ballottée comme un navire.
Une fois, au milieu du jour, en pleine campagne, au moment où le soleil dardait le plus fort contre les vieilles lanternes argentées, une main nue passa sous les petits rideaux de toile jaune et jeta des déchirures de papier, qui se dispersèrent au vent et s'abattirent plus loin comme des papillons blancs, sur un champ de trèfles rouges tout en fleur.
Puis, vers six heures, la voiture s'arrêta dans une ruelle du quartier Beauvoisine, et une femme en descendit qui marchait le voile baissé, sans détourner la tête.
Flaubert, Madame Bovary
00:15 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : madame bovary, gustave flaubert
dimanche, 21 février 2010
Entre ces deux Danae de Titien
Dix ans ; la première (1544/1546) vient de Naples, et l'autre (1553/1554) du Prado.
00:13 Publié dans Peinture | Lien permanent | Commentaires (20) | Tags : titien, danae
samedi, 20 février 2010
Camera
Aujourd'hui, ne pas être vu, filmé, est un luxe inouï
18:03 Publié dans Papillote | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : camera
Couleur réglisse
Alors que le sang
Caille sous les dents
S’ébrèche un sourire
Dans des yeux brumeux
Le sol s’évase
Sous les clapotis
Les pas se dilatent
Au milieu du bruit.
Alors que la nuit
Effiloche les murs
En longues rainures
Les phares projettent
Leurs yeux globuleux
Les rats s’émiettent
Au milieu des feux.
Alors que les briques
Couvent dans la braise
Et que les colchiques
Prennent leurs aises
Les bras perdent leurs feuilles
Et se ternissent
Les jambes deviennent
Couleur réglisse.
Valérie Canat de Chizy
00:15 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : valérie canat de chizy, soulages
vendredi, 19 février 2010
Ambiguïté du français
09:22 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : politique
Le duende
- Un soir, la Niña de los Peines jouait avec sa voix d'ombre, avec sa voix d'étain fondu, avec sa voix couverte de mousse et l'enroulait à sa chevelure.
- Soudain elle se leva comme une folle pour chanter, sans voix, sans souffle, sans nuances, la gorge en feu, mais avec duende. Elle avait réussi à jeter bas l'échafaudage de la chanson, pour livrer passage à un démon furieux et dévorant, frère des vents chargés de sable, sous l'empire de qui le public lacérait ses habits.
- La Niña de los Peines dut déchirer sa voix, car elle se savait écoutée de connaisseurs difficiles qui réclamaient une musique pure avec juste assez de corps pour tenir en l'air Elle dut réduire ses moyens, ses chances de sécurité ; autrement dit, elle dut éloigner sa muse et attendre, sans défense, que le duende voulût bien venir engager avec elle le grand corps à corps. Mais alors comme elle chanta ! Sa voix ne jouait plus ; sa voix, à force de douleur et de sincérité, lançait un jet de sang.
- Federico Garcia Lorca
- Seguiriya
- La Niña de los peines
- Le Chant du monde
- Photo : Françoise Fabian
00:15 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : federico garcia lorca