lundi, 06 juin 2005
Ils sont apparus, comme dans un rêve...
Ils sont apparus, comme dans un rêve, au sommet de la dune, à demi cachés par la brume de sable que leurs pieds soulevaient. Lentement ils sont descendus dans la vallée, en suivant la piste presque invisible. En tête de la caravane, il y avait les hommes, enveloppés dans leurs manteaux de laine, leurs visages masqués par le voile bleu. Avec eux marchaient deux ou trois dromadaires, puis les chèvres et les moutons harcelés par les jeunes garçons. Les femmes fermaient la marche. C’étaient des silhouettes alourdies, encombrées par les lourds manteaux, et la peau de leurs bras et de leurs fronts semblait encore plus sombre dans les voiles d’indigo.
Ils marchaient sans bruit dans le sable, lentement, sans regarder où ils allaient. Le vent soufflait continûment, le vent du désert, chaud le jour, froid la nuit. Le sable fuyait autour d’eux, entre les pattes des chameaux, fouettait le visage des femmes qui rabattaient la toile bleue sur leurs yeux. Les jeunes enfants couraient, les bébés pleuraient, enroulés dans la toile bleue sur le dos de leur mère. Les chameaux grommelaient, éternuaient. Personne ne savait où on allait.
J.M.G. Le CLézio, Désert, la suite de cet extrait est à lire ici
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mercredi, 01 juin 2005
Inactuel
Il s’appelle Michel Sakarovitch et dirige, à Bures-sur-Yvette, une petite librairie qu’il a baptisée LiRaBuR (01-69-07-36-66). L’espace y est si réduit qu’il lui serait impossible d’exposer les 30000 nouveaux titres que les éditeurs français publient chaque année. Quand bien même disposerait-il d’une grande surface qu’il n’en aurait guère l’usage. Car il est plutôt du genre à se désencombrer. Outre qu’il refuse de céder à «la pression d’une actualité littéraire trop abondante et de valeur inégale», il s’obstine à entretenir avec le lecteur, son semblable, son frère, des relations étroites, complices, ardentes et… désintéressées. Appliquant à son échelle la vogue croissante du bookcrossing (il s’agit d’abandonner dans un lieu public un livre qu’on a aimé), cet apôtre du partage a ainsi ouvert une bourse d’échange d’ouvrages gratuits: rangés dans une bibliothèque fixée sur la façade de la librairie, ils sont offerts à la curiosité des passants.
M. Sakarovitch, dont l’amour de la littérature est beaucoup plus impérieux que le souci du chiffre d’affaires – on voit par là combien il est inactuel –, a poussé l’altruisme jusqu’à créer le prix du livre oublié. Les fidèles clients-lecteurs deLiRaBuR désignent les titres (disponibles) qu’ils souhaiteraient sauver de l’amnésie et de l’ingratitude contemporaines. Dix restent en lice, parmi lesquels «le Pont sur la Drina» par Ivo Andric, «Siloé» par Paul Gadenne, «les Javanais» par Jean Malaquais, «Capitaine Conan» par Roger Vercel et «l’Habitude d’être» par Flannery O’Connor. Les résultats seront proclamés le 7 juin au centre culturel de la ville où des comédiens liront des extraits de ces livres ressuscités. Après quoi, M. Sakarovitch les mettra en vitrine, en lieu et place du «Zahir» de Paulo Coelho ou du «Vitriol menthe» de Patrick Sébastien. Le philosophe américain Ralph Waldo Emerson préconisait de ne jamais lire un livre «qui a moins d’un an». C’était excessif. Mais c’est tentant.
Source : Jérôme Garcin Le Nouvel Observateur, article signalé par Calou.
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samedi, 28 mai 2005
La séance du 4 septembre 1962
"Royal, George Martin laisse à Ringo Starr deux semaines pour s'accorder avec ses nouveaux partenaires : Love me do - P.S. I love you, premier single des Beatles en tant que tels, est enregistré en deux séances abracadabrantes. Celle du 4 septembre voit le producteur se braquer contre ce qui sera la spécificité du couple Mac-Cartney-Starr : un imperceptible décalage entre la basse giclante de l'un et la grosse caisse de l'autre sur tempo, créant par là-même un swing éminément dynamique et distinctif - ruse que reprendront, en l'amplifiant, Bill Wyman et Charlie Watts, monstrueuse paire rythmique des Rolling Stones."
Extrait de "Les Beatles", François Ducray, Librio musique.
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lundi, 23 mai 2005
L'ar(gen)t brûle
Un dessin original de Salvador Dali a brûlé à Rouen dans l'incendie du "premier distributeur d'argent gratuit", une installation en pleine rue de Patrice Quéréel, disciple de Marcel Duchamp, a-t-on appris lundi auprès de l'artiste. Depuis trois semaines ce distributeur - une table derrière une grille avec dessus des pièces et parfois des billets déposés par Patrice Quéréel -, fonctionnait sur la rue de la République à l'entrée d'un ancien centre commercial. Vendredi dernier des inconnus y ont mis le feu détruisant le très cher Dali, "Réflexion", accroché à quelques mètres de la table. L'incendie a également brûlé quelque 250 exemplaires du livre ("6 j" pour "ci-gît") que Patrice Quéréel a consacré à son "cimetière de l'art", situé à Nolléval (Seine-Maritime) et où sont enterrés plusieurs tableaux. Conclusion de l'incident, selon M. Quéréel: "l'ar(gen)t brûle"...
(D'après AFP)
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P.A.G. et Richard Brautigan
On parle de PAG sur un site américain, consacré à Richard Brautigan : http://www.brautigan.net/brautigan/inspiration.html#writing
L'occasion de reparler un peu de Brautigan. Eric Dejaeger est un fana, voilà ce qu'il nous dit de lui :
Le XXe anniversaire ?
Celui du départ de Richard Brautigan est-il passé inaperçu ? Pour moi, non. Pour vous, sans presque aucun doute, OUI ! C’était quand ? L’an dernier ou il y a bien longtemps ?
J’ai participé activement à deux projets, un en Belgique, l’autre aux U.S.A. Aucun des deux n’a abouti. Ils visaient à commémorer (mort, et...) le départ de Richard vers un monde (un peu) plus zen. Cette année-là, Microbe a simplement publié un inédit de Brautigan dans son #23, par fanatisme. On est fan. Ou paon.
Richard Brautigan n'est pas un écrivain maudit (Trout Fishing in America s’est vendu, de son vivant, à plus de deux millions d’exemplaires aux U.S.A. – torche de la contre-culture) mais un auteur dont la simplicité littéraire n’est même plus accessible : il pourrait passer pour un débile dans la mesure où tout ce qu’il a écrit est compréhensible pour l’amateur de poésie, textes courts, nouvelles, romans.
Variété, simplicité, humour... Pour en savoir plus, lisez Richard Brautigan...
Rick Hunter
Pour ma part, j'ai deux grands souvenirs de lecture de Richard Brautigan : "Un privé à Babylone", une parodie magnifique du polar américain, avec un privé déglingué. Et "Mémoires sauvés du vent" un très beau livre, écriture limpide, profonde et émouvante.
Tous les livres de R.B. sont en 10-18
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dimanche, 22 mai 2005
Paradis ou enfer ?
François Hollande meurt accidentellement... Il est accueilli au Paradis par Saint Pierre qui lui dit : « Bienvenue. Cependant, nous devons régler un petit problème. Nous voyons si rarement des chefs de parti, ici, que nous ne sommes pas certains de ce que nous devons faire de toi. Le Grand Patron veut que tu passes un jour en Enfer et un jour au Paradis. Tu devras ensuite choisir l'endroit où tu voudras passer l'éternité. « Mais j'ai déjà décidé, je veux rester au Paradis. » « Je regrette, mais nous avons nos règlements. » Saint-Pierre conduit François Hollande vers un ascenseur qui le conduit en Enfer. Quand la porte s'ouvre, il se retrouve sur un magnifique terrain de golf tout vert, le soleil brille dans un ciel sans nuages et il y fait un parfait 25 degrés. Au loin se profile un superbe club house. A l'avant de l'édifice se trouvent son papa ainsi que Guy Mollet, Charles Hernu et
le promeneur du Champ de mars. Une grande partie de la droite est là aussi ; tous ces beaux personnages s'amusent, heureux et habillés de façon élégante et décontractée (Dior, Versace, Armani, etc.). Ils accourent à sa rencontre, l'embrassent et se mettent à brasser leurs souvenirs d'antan et leurs débats homériques ha ha !). Ils jouent une partie de golf amicale et dînent au homard et au caviar. Le Diable offre même une consommation glacée. « Bois donc cette Margarita et relaxe un peu, François ! » « Euh, ben, je ne peux plus boire, j'ai fait un serment... » « Voyons, mon garçon, c'est l'Enfer ici. Tu peux boire et manger tout ce que tu veux sans t'inquiéter . À partir de maintenant, ça ne peut qu'aller de mieux en mieux ! » François Hollande boit son cocktail et commence à trouver le Diable sympathique. Il est gentil, raconte de bonnes blagues, aime aussi jouer de bons tours, etc. Ils s'amusent tellement qu'ils ne voient pas le temps passer. Arrive pourtant l'heure de partir. Tous ses amis le serrent dans leurs bras et François Hollande prend l'ascenseur qui monte vers le Ciel. Saint-Pierre l'attend à la sortie. « C'est maintenant le temps de visiter le Ciel », lui dit le vieil homme, en ouvrant la porte du Paradis. Pendant 24 heures, François Hollande doit frayer avec Jean Moulin, Jean Jaurès, De Gaulle et toute une confrérie de gens bienveillants qui conversent de sujets beaucoup plus intéressants que l'argent et qui se traitent l'un l'autre avec courtoisie. Pas un seul mauvais coup ou une seule blague cochonne ; pas de « club house » mirobolant mais un resto ordinaire. Étant donné que ces gens sont tous pauvres, il ne rencontre aucune connaissance, et il n'est pas reconnu comme quelqu'un d'important ou de spécial ! Pire ! Jésus est une espèce de hippie, un hurluberlu qui ne parle que de « paix éternelle » et ne cesse de répéter ses insipides rengaines : « Chasser les marchands du Temple », « il sera plus difficile à un riche d'entrer dans mon royaume qu'à un chameau de passer par le chas d'une aiguille », etc. La journée terminée, Saint Pierre revient... « Alors, François, tu dois maintenant choisir ». François Hollande réfléchit pendant une minute et répond : « Bien, je n'aurais jamais pensé faire ce choix... Hum !.. Bon, je trouve le Paradis « intéressant », mais néanmoins je crois que je serais plus à l'aise en Enfer avec mes amis ». Saint-Pierre l'escorte alors jusqu'à l'ascenseur et François Hollande redescend jusqu'en Enfer. Quand les portes s'ouvrent, il se retrouve au beau milieu d'une grande plaine brûlée et stérile, couverte de vidanges et de déchets toxiques industriels. Il est horrifié d'apercevoir tous ses amis, en guenilles et enchaînés tous ensemble, qui ramassent des déchets pour les mettre dans des grands sacs noirs. Ils gémissent de douleur, se plaignant de leur supplice, leurs mains et leurs visages noirs de saleté. Le Diable s'amène, mettant son bras velu et puant autour des épaules du nouveau. « Je ne comprends pas, balbutie François Hollande en état de choc, lorsque j'étais ici hier, il y avait un terrain de golf et un « club house » ; nous avons mangé du homard et du caviar et nous nous sommes soûlé. On s'est envoyé en l'air comme des lapins et on s'est tous follement amusés. Maintenant, je ne vois qu'un désert rempli d'immondices et tout le monde a l'air misérable. » Le Diable le regarde, lui sourit sournoisement et lui susurre à l'oreille : « Hier nous étions en campagne électorale ; aujourd'hui, tu as voté pour nous ! ».
20:15 Publié dans humour | Lien permanent | Commentaires (4)
vendredi, 20 mai 2005
L'pentecôte en patois, pour M. le Premier Minisse,
Monsieur L' Premier Minisse,
Sauf vo' respect' mais j'crois que l'lundi d'Pentecôte travaillé mais pas payé 'ch'est eune connerie ! Mais comme vous avez pas l'air d'vouloir arvenir là d'ssus, j'ai quand même quetcosse à vous d'minder : Vous venez d'augmenter l'Allocation pour personne âgée de 1,6% et là, j'vous armercie du fond du c'eur pour m'belle-mère qu'alle est dins eune maison d'artraite. Avec ché 4,56 euros qu'alle aura par mois in plus, alle va pouvoir acater un brumisateur parce que ch'ti qu'vou z'avez fait distribuer après l'hécatombe d'i ya deux ans, il est périmé (ch'ai marqué d'sus !).
Par conte là dusque j'vous dis pas merci, ch'est d'avoir augmenté les prix d'journée à payer dins les maisons d'artraite ! Là Monsieur l'Premier Minisse, j'ai l'impression que vous essayez d'nous l'itiquer par l'gros bout, si vous véyez ch'que j'veux dire. Parce que cha fait quand même 102 euros d'plus à payer à la fin du mos pour m'belle-mère.
Enfin'quand j'dis pour m'belle-mère, je m'comprinds. Parce que, comme min bieau-père il a travaillé 42 ans au jour, aux z'Ateliers Centraux, in mourant, il a laiché eune pinsion de 880 euros 'et à ch'compte là'ch'est mi et mes deux bieaux-frères qu'in paient tous les mos les 1250 euros qui manquent pour l'maison d'artraite à grand-m' euh à m'belle-mère !
Mi'… j'sus solidaire avec ches viux (j'ai même voté pour Chirac au deuxième tour in 2002… ch'est vous dire !) La question alle est pas là, Monsieur le Premier Minisse, j'ai toudis trouvé qui fallot donner un cop d'mains à chez viux '…Ténez, j'ai même essayé d'comprinte ch'que Giscard i avot voulu dire dins la Constitution Européenne'. Vous véyez que j'fais des efforts quand même !
Mais j'viens d'pincer à quetcosse :
J'sus déjà solidaire de m'belle-mère pour l'lundi d'Pentecôte qui arrife… vu que d'toutes manières'ch'est mi qui paie l'pision d'grand-m… euh de m'belle-mère, à partir du 10 d'chaque mos ! Alors là monsieur l'Premier minisse, deux solutions : ou bien j'sus pas obligé d'aller travailler l'lundi d'Pentecôte ou bien ch'jour là, ch'est vous qui payez l'maison d'artraite'.
Personnellement, j'préfèreros le première solution parceque ch'jour là, ch'est l'ducasse par min bout et que mes petits infants i viennent minger de l'tarte à gros bords que m'femme alle fait.
Bon Monsieur l'Premier Minisse, j'mets eune enveloppe timbrée pour la réponse'si qu'o pourrête fait vite parceque ch'est pour savoir si m'femme alle fait de l'tarte ou pas. Merci d'avinche.
NB : M'femme alle pourrot faire une tarte un plus si qu'o savez pas quoi faire ch'jour là'cha sérot avec plaisir !
NB bis : j'inviteros mes deux bieaux-frères à l'ducasse aussi…
Texte anonyme du
XIe siècle, traduit du patois du ch'nord, transmis par JJM
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vendredi, 13 mai 2005
Cette "voix violette de colère"
LE MONDE DES LIVRES 13.05.05 ; Critique
A qui appartient-elle, cette "bouche cachée dans le noir de la nuit qui parle bas et invite, par-delà les rêves incertains, à la révolte" . Qui l'émet, cette "voix violette de colère" ? On ne sait pas. Mais ce qu'on sait en revanche, c'est que, chez Pierre Autin-Grenier, le ciel est trop vide pour leur supposer, à cette bouche et à cette voix, une autre origine qu'intérieure.
De même, ce qui est avéré, ce qui ne souffre pas le moindre doute, ce sont les mots : ce "noir" , cette "nuit" , la "révolte" , la "colère" ; et aussi, surtout devrait-on dire, l'universelle incertitude des rêves. Et pour ce subtil, impeccable manieur de langue, pour ce poète-prosateur sans attache ni allégeance, ce sont les mots qui font loi. Pour mesurer leur pertinence et la qualité de leur agencement, il suffit de lire les trois recueils de récits publiés ces dernières années à L'Arpenteur, qui forment une sorte de triptyque du désenchantement (1)... Mais pas de cela seulement.
Avec Les Radis bleus, nous avançons un peu plus loin dans l'univers d'Autin-Grenier. Non, l'adjectif "attachant" ne convient pas pour qualifier cet univers. Faudrait-il dire plutôt : "détachant" ? Mais peu importe.
SENTENCES AMÈRES
C'était l'année 1991, comme l'indique la première édition
(Le Dé bleu, 1990), ici fortement augmentée. De janvier à janvier, d'un hiver à l'autre, sans autre titre que l'indication du jour et le nom du saint ou de la sainte qui y correspond - mais cela n'indique à notre connaissance aucun tropisme caché de l'auteur en faveur de la communion des saints - parfois en une phrase, la plupart du temps en une page ou deux, sont consignées des impressions, observations ou réflexions. Des rêves. Des cauchemars. La nature et les animaux sont aussi présents que les hommes et les femmes, ou les enfants. Il y a des sentences amères et hautaines ("Tout ce qui est libre et qui chante, un jour tressaute, ricane et meurt" , jour de la Sainte Geneviève), d'autres plus douces et mélancoliques : "Un aboiement, la chute d'une feuille, un souffle, un sanglot peut-être... Ce n'est rien ; seulement un homme qui pleure, un peu de temps qui passe, le monde qui lentement s'habitue à bientôt vivre sans nous." (Saint Romaric).
La tonalité de ces textes est certes sombre. Pas beaucoup de sortie hors de la nuit. Peu d'éclats. La lumière est avare. Le désespoir cependant n'est jamais érigé en règle de vie. Et le ricanement ne résonne pas plus fort que les larmes... "Vivre ne sert à rien. Mais on continue. Ça fait plaisir. Ou ça fait mal. Enfin, ça fait toujours quelque chose." (Saint Victorien). Et puis surtout, il y a l'exigence de cette "bouche" de tout à l'heure "qui murmure dans le noir" : "Cette voix violette de colère contre les mille complots de l'ordre, es-tu vraiment décidé à l'entendre?" (Sainte Blandine).
Patrick KÉCHICHIAN.
(1) Je ne suis pas un héros (1993) ; Toute une vie bien ratée (1997) ; L'Eternité est inutile (2002) ; les deux premiers repris "Folio".
LES RADIS BLEUS de Pierre Autin-Grenier. Gallimard, "Folio", 336 p., 6,20 €.
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mardi, 10 mai 2005
Je suis un homme d'un certain âge
"Je suis un homme d’un certain âge. La nature de mes activités pendant ces trente dernières années m’a conduit à avoir des contacts plus que réguliers avec un groupe d’hommes intéressants et assez singuliers, au sujet desquels pourtant, à ma connaissance, rien n’a jamais encore été écrit – je veux parler des copistes, ou scribes. J’en ai connu un grand nombre, à titre professionnel et privé, et si je le souhaitais je pourrais raconter diverses histoires qui feraient sourire les messieurs enjoués et pleurer les âmes sensibles. Mais je renonce aux biographies de tous les autres scribes pour quelques passages de la vie de Bartleby, le scribe le plus étrange que j’aie jamais connu ou dont j’aie jamais entendu parler. Alors que je pourrais écrire la vie complète d’autres copistes, rien de tel n’est possible pour Bartleby. Je crois que la documentation nécessaire à une biographie achevée et satisfaisante de cet homme n’existe pas. C’est une perte irréparable pour la littérature. Bartleby était un de ces êtres dont rien ne peut être affirmé, sinon à partir des sources originales – et, dans son cas, elles sont bien pauvres. Ce que mes propres yeux ébahis virent de Bartleby, voilà tout ce que je sais de lui, hormis, néanmoins, une vague rumeur qui sera exposée en conclusion."
Herman Melville, Bartleby
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lundi, 09 mai 2005
Peu importe le nom du poète
17:08 Publié dans littérature | Lien permanent | Commentaires (11)
Ma chrysalide et moi
"Une fille de onze ans, ça donne du fil à retordre : elle n’aime plus le jardin zoologique et ne s’intéresse pas encore aux bars de l’avenue du 24 Juillet ; elle ne veut plus s’asseoir sur la banquette arrière mais ne demande pas encore que je lui prête la voiture ; entre deux lectures d’un Picsou magazine elle exige des explications précises sur l’anatomie, la profession et le type de clientèle des travestis de Conde Redondo ; elle s’assoit sur mes genoux comme un bébé et cependant s’enferme dans la salle de bain pour passer sa chemise de nuit ; ce n’est ni une fillette ni une femme : c’est une chrysalide indécise, mi-larve mi-papillon, qui veut rester debout jusqu’à quatre heures du matin et qui s’endort avec son pouce dans la bouche en trouvant aussi attrayant Kevin Costner que le cousin Gaston. " La suite ici
Extrait du Livre de chroniques d'Antonio Lobo Antunes
Éditions Christian Bourgois, traduction du portugais par Carlos Battista.
14:41 Publié dans littérature | Lien permanent | Commentaires (4)
mercredi, 04 mai 2005
Le pic de la déesse
Parmi ceux qui agitent leur mouchoir en signe d'adieu
Laquelle retire rapidement la main
Pour s'en couvrir les yeux?
Quand les voyageurs se dispersent
Laquelle se tient longuement à la poupe
La jupe flottant comme un nuage bouillonnant?
Les flots
Mugissent...
Murmurent...
De beaux rêves laissent de beaux chagrins
En ce bas monde comme dans le ciel
C'est une loi perpétuelle, mais le coeur
Se métamorphose-t-il vraiment en pierre
Pour attendre les messagers du ciel et
Laisser passer tant de lunes humaines?
Le long des pics qui dominent la rivière Bleue
Le courant de chrysanthèmes d'or et de graines de
troène
Engendre une nouvelle trahison
Mieux vaut pleurer une nuit sur l'épaule de l'amant
Que de s'exposer mille ans, sur le pic
Shu Ting, Juin 1981, sur le Yangtsé
Shu Ting est née en 1952 à Quanzhou, Fujian, Shu Ting est membre de l'Association nationale des écrivains de Chine. Elle a publié quatre recueils de poèmes et un recueil de textes en prose.
11:57 Publié dans littérature | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 03 mai 2005
Je veux voir ton âme
Avant de le quitter, je lui avais demandé quelle serait la règle du jeu pour cette nuit. Cette fois, on aurait le droit de se toucher partout, mais seulement avec les mains, et sans aller jusqu'à l'orgasme. J'avais essayé de parlementer, de lui exposer que le fait de se limiter à la masturbation était une contrainte bien suffisante. Mais il tenait à son principe. À partir de la quatrième nuit nous aurions le droit de jouir mais il était important de se plier à une certaine discipline, pour stimuler notre imagination. « Je veux voir ton âme », avait-il dit.
Alina Reyes, Sept nuits, Robert Laffont
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dimanche, 01 mai 2005
Le temps du plaisir...
Le plaisir est dans le rien et c’est là le tout. Le plaisir est gratuit. Ce qui est fait sans lui se remarque immédiatement à un air rance, glauque, triste : au contraire il irrigue, irradie tout ce qu’il touche. Il est indispensable à la vie. Et bien sûr constamment menacé, attaqué, détourné. Heureusement vivace, il se nourrit de lui-même - ce qui est malin. Comme l’eau, il glisse entre les mailles du filet, souvent en secret, à l’insu de ceux qui le combattent... Comme l’essentiel il est fait de vide, d’où sa force. Il est indestructible.
Le temps lui aussi est une des clés du paradis, l’unique bien dont la nature nous ait dotés écrivait déjà Sénèque : fugace, imperceptible, imprenable. Le temps c’est le plaisir, pour qui sait en jouir… Et preuve qu’il est si précieux, sous l’actuel règne de la Marchandise, tout est fait pour l’émietter, le fragmenter, lui faire perdre sa substance, sa profondeur, son intensité, faite de vide…
(Petite contribution sur le thème du plaisir à paraître dans le prochain numéro de la revue "La Lanterne"
la.lanterne@laposte.net)
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samedi, 30 avril 2005
Le bonheur est plus léger qu’une plume
« On ne peut compter sur l’avenir ;
On ne peut remonter le passé.
Quand le monde est en ordre,
Le saint accomplit sa mission.
Quand le monde est en désordre
Le saint préserve sa vie.
A présent, on ne cherche qu’à éviter la torture :
Le bonheur est plus léger qu’une plume ;
Personne ne sait le prendre.
Le malheur est plus lourd que la terre ;
Personne ne sait le laisser.
Fini ! Fini !
Celui qui choisit un pays pour le servir.
Ronces ! Ronces !
Qu’elles ne blessent pas mes chevilles !
Recule, recule,
Ainsi je ne blesse plus mes pieds. »
Tchouang-tseu
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Qu'est-ce qu'un saint chinois ?
Ecoutons Tchouang-tseu, le plus grand penseur de la Chine antique avec Lao-tseu et Li-tseu. Né autour de l'an 300 avant notre ère :
« Il s’exprime dans des discours extravagants, dans des paroles inédites, dans des expressions sans queue ni tête, parfois trop libres, mais sans partialité, car sa doctrine ne vise pas à traduire des points de vue particuliers. Il juge le monde trop boueux pour être exprimé dans des propos sérieux. C’est pourquoi il estime que les paroles de circonstance sont prolixes, que les paroles de poids ont leur vérité, mais que seules les paroles révélatrices possèdent un pouvoir évocateur dont la portée est illimitée. Ses écrits, bien pleins de magnificence, ne choquent personne, parce qu’ils ne mutilent pas la réalité complexe. Ses propos, bien qu’inégaux renferment des merveilles et des paradoxes dignes de considération. Il possède une telle plénitude intérieure qu’il n’en peut venir à bout. En haut, il est le compagnon du créateur ; en bas il est l’ami de ceux qui ont transcendé la mort et la vie, la fin et le commencement. La source de sa doctrine est ample, ouverte, profonde et jaillissante ; sa doctrine vise à s’harmoniser avec le principe et à s’élever à lui. Et pourtant, en répondant à l’évolution du monde et en expliquant les choses, il offre une somme inexprimable de raisons qui viennent, sans rien omettre, mystérieuses, obscures et dont personne ne peut sonder le fond."
Tchouang-tseu
10:53 Publié dans littérature | Lien permanent | Commentaires (3)
vendredi, 29 avril 2005
Superposition
Il y a toujours superposition, enroulement infini des univers, des croyances, des niveaux de réalité : le mal - le bien, absence de Dieu - Dieu. Il n’y a pas une vérité qui se dévoile un jour, chassant à jamais le mensonge, mais entremêlement constant. D’où la complexité. Mais complexité qui n’en est peut-être pas une si l’on conçoit que les opposés cohabitent, se complètent, parfois s’opposent, mais ne se séparent jamais tout à fait. Ainsi je peux être au plus près de Dieu au moment où je m’en sens le plus éloigné : la frontière est frêle, fragile, ténue. Une vérité n’est jamais définitive mais plutôt tentaculaire, ramifiée et surtout réversible. Le fait d’être réversible ne lui enlève pas (au contraire) sa force et sa réalité. Simplement, l’univers est en mouvement, constant, et nous aussi nous oscillons, et avec nous la réalité. Dieu se cache puis réapparaît, l’être le plus dépravé peut être le plus religieux et bien sûr le Diable en rit encore…
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Rien des apparences actuelles
Tu en es encore à la tentation d'Antoine. L'ébat du zèle écourté, les tics d'orgueil puéril, l'affaissement et l'effroi.
Mais tu te mettras à ce travail: toutes les possibilités harmoniques et architecturales s'émouvront autour de ton siège. Des êtres parfaits, imprévus, s'offriront à tes expériences. Dans tes environs affluera rêveusement la curiosité d'anciennes foules et de luxes oisifs. Ta mémoire et tes sens ne seront que la nourriture de ton impulsion créatrice. Quant au monde, quand tu sortiras, que sera-t-il devenu ? En tout cas, rien des apparences actuelles.
Rimbaud, Illuminations, Jeunesse IV
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lundi, 25 avril 2005
La vie d'un coup, acérée, musicale, intelligible
"Pourquoi dans toutes nos langues occidentales dit-on "tomber amoureux" ? Monter serait plus juste. L'amour est ascensionnel comme la prière. Ascensionnel et éperdu. Chez les insectes isoptères, tout individu sexué reçoit aussitôt sa paire d'ailes. Je la revoyais une nuit à mes côtés sur la jetée du port de ma ville natale. L'été, le silence, l'approche de l'aube. Je la connaissais d'une semaine (Kant, Hermann Hesse, tennis). Je la trouvais superbe. Nous marchions du même pas, sans aucun bruit. Je reconnaîtrais sans peine l'endroit où j'ai senti comme une aveuglante déchirure dans le noir, où j'ai eu les poumons dévorés de bonheur. La vie d'un coup, acérée, musicale, intelligible."
Nicolas Bouvier, le poisson-scorpion.
22:21 Publié dans littérature | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 23 avril 2005
Je fonds dans l'Impensable
"Qu'ils calomnient, qu'ils médisent
qu'ils brûlent le ciel, peine perdue :
Je bois leur cris comme de la rosée !
Purifié, je fonds dans l'Impensable."
Xuan-jue
22:24 Publié dans littérature | Lien permanent | Commentaires (10)