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samedi, 28 janvier 2006

Criminels

"L'art et l'amour sont criminels en puissance, - ou ne sont pas"

Paul Valéry

Comme le fruit se fond en Jouissance

medium_labrieduprintemps.jpgComme le fruit se fond en jouissance,
Comme en délice il change son absence
Dans une bouche où sa forme se meurt,
Je hume ici ma future fumée,
Et le ciel chante à l'âme consumée
Le changement des rives en rumeur.

Paul Valéry, Le cimetière marin

William Bouguereau, La brise du printemps

17:30 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (1)

L'esprit ne doit pas s'occuper des personnes

medium_koitsu_004-373x554.jpgL'esprit ne doit pas s'occuper des personnes

Il faut entrer en soi-même armé jusqu'aux dents

Créer une sorte d'angoisse pour la résoudre

Faire en soi le tour du "propriétaire". Etat d'un être qui en a fini avec les mots abstraits, - qui a rompu avec eux.

Paul Valéry, extrait de "Quelques pensées de Monsieur Teste"

vendredi, 27 janvier 2006

La bêtise n'est pas mon fort

medium_augustmacke2.jpgLa bêtise n'est pas mon fort. J'ai vu beaucoup d'individus; j'ai visité quelques nations; j'ai pris ma part d'entreprises diverses sans les aimer; j'ai mangé presque tous les jours; j'ai touché à des femmes. Je revois maintenant quelques centaines de visages, deux ou trois grands spectacles, et peut-être la substance de vingt livres. Je n'ai pas retenu le meilleur ni le pire de ces choses: est resté ce qui l'a pu.

Paul Valéry, Incipit de Monsieur Teste

August Macke, Autoportrait

Les gestes étranges que pour tuer l'amour inventent les amants...

medium_bouguereau46.jpgAnne qui se mélange au drap pâle et délaisse
Des cheveux endormis sur ses yeux mal ouverts
Mire ses bras lointains tournés avec mollesse
Sur la peau sans couleur du ventre découvert.

Elle vide, elle enfle d'ombre sa gorge lente,
Et comme un souvenir pressant ses propres chairs,
Une bouche brisée et pleine d'eau brûlante
Roule le goût immense et le reflet des mers.

Enfin désemparée et libre d'être fraîche,
La dormeuse déserte aux touffes de couleur
Flotte sur son lit blême, et d'une lèvre sèche,
Tête dans la ténèbre un souffle amer de fleur.

Et sur le linge où l'aube insensible se plisse,
Tombe, d'un bras de glace effleuré de carmin,
Toute une main défaite et perdant le délice
A travers ses doigts nus dénoués de l'humain.

Au hasard! A jamais, dans le sommeil sans hommes
Pur des tristes éclairs de leurs embrassements,
Elle laisse rouler les grappes et les pommes
Puissantes, qui pendaient aux treilles d'ossements,

Qui riaient, dans leur ambre appelant les vendanges,
Et dont le nombre d'or de riches mouvements
Invoquait la vigueur et les gestes étranges
Que pour tuer l'amour inventent les amants...

Paul Valéry, William Bouguereau

18:45 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (3)

Notre conception de l’aventure

La seule œuvre véritablement aventureuse de notre époque est peut-être devant nous avec les livres de Breton, et nous ne pourrions en douter que si nous persistions à ne pas tenir compte du changement de signe qu’a subi à l’époque moderne la notion de l’aventure. Ce qui pour le Moyen Age était source d’enthousiasme, sentiment de l’obstacle mieux que vaincu : volatilisé, c’était le triomphe imaginaire remporté sur les impossibilités matérielles alors toutes puissantes : c’était l’attirail des tapis et des chevaux volants, des fées, des géants, des enchanteurs, des armes magiques. Ce monde ouvert, irrévélé, accumulant autour de l’homme ses grands bancs de brouillard, ce monde de la chance exorbitante qu’était le monde des premiers âges s’est brusquement coagulé sous nos yeux. Les impossibilités matérielles ont reculé d’un coup au delà de toute limite, laissant aujourd’hui, même aux triomphes techniques les plus bouleversants, on ne sait quel arrière goût de "déjà vu" fastidieux – en même temps le monde social où s’ouvraient autrefois, exacerbées peut-être par la rigidité des barrières sociales, des chances véritablement fabuleuses (devenir prince,– devenir roi) s’est sclérosé brusquement sous le poids étouffant de l’universel enregistrement de la police, des lois, des archives, du mécanisme d’une réglementation envahissante qui déprécie tous les possibles à mesure qu’elle les multiplie banalement (il a pu être exaltant sans doute d’imaginer Cendrillon devenant princesse : il ne l’est plus, même pour des enfants, d’imaginer un prolétaire devenant président de la République – et cela du fait que ce haut magistrat ne nous apparaît au fond que comme un rouage plus pitoyablement commandé encore que les autres, plus incapable qu’un autre de répondre à l’élan aujourd’hui presque impossible à satisfaire vers un être "hors série" – "hors la loi"). Notre conception de l’aventure a dû en conséquence changer entièrement de sens. Avec l’achèvement de l’exploration de la planète (l’exploration de la matière n’a pas le même retentissement imaginatif) s’est terminée l’ère de l’aventure diffuse et vaguante : celle des romans de la Table Ronde comme celle de Robinson Crusoé.

Julien Gracq, "André Breton", 1948

Un certain point de l'esprit

medium_school.jpgTout porte à croire qu'il existe un certain point de l'esprit d'où la vie et la mort, le réel et l'imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l'incommunicable, le haut et le bas cessent d'être perçus contradictoirement.

André Breton

Soutine

jeudi, 26 janvier 2006

Courons à l'onde en rejaillir vivant

medium_williambouguereau-femmeaucoquillage-1885small.2.jpgUne fraîcheur, de la mer exhalée,
Me rend mon âme . . . O puissance salée!
Courons à l'onde en rejaillir vivant.

 

Paul Valéry, Le cimetière marin

William Bouguereau, La femme au coquillage

21:25 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (5)

Ce que j'ai aimé, que je l'aie gardé ou non, je l'aimerai toujours

"Toujours et longtemps, les deux grands mots ennemis qui s'affrontent dès qu'il est question de l'amour, n'ont jamais échangé de plus aveuglants coups d'épée qu'aujourd'hui au-dessus de moi, dans un ciel tout entier comme vos yeux dont le blanc est encore si bleu. De ces mots, celui qui porte mes couleurs, même si son étoile faiblit à cette heure, même s'il doit perdre, c'est toujours. Toujours, comme dans les serments qu'exigent les jeunes filles. Toujours, comme sur le sable blanc du temps et par la grâce de cet instrument qui sert à le compter mais seulement jusqu'ici vous fascine et vous affame, réduit à un filet de lait sans fin fusant d'un sein de verre. Envers et contre tout j'aurai maintenu que ce toujours est la grande clé. Ce que j'ai aimé, que je l'aie gardé ou non, je l'aimerai toujours. Comme vous êtes appelée à souffrir aussi, je voulais en finissant ce livre vous expliquer. J'ai parlé d'un certain "point sublime" dans la montagne. Il ne fut jamais question de m'établir à demeure en ce point. Il eût d'ailleurs, à partir de là, cessé d'être sublime et j'eusse, moi, cessé d'être un homme. Faute de pouvoir raisonnablement m'y fixer, je ne m'en suis du moins jamais écarté jusqu'à le perdre de vue, jusqu'à ne plus pouvoir le montrer. J'avais choisi d'être ce guide, je m'étais astreint en conséquence à ne pas démériter de la puissance qui, dans la direction de l'amour éternel, m'avait fait voir et accordé le privilège plus rare de faire voir. Je n'en ai jamais démérité, je n'ai jamais cessé de ne faire qu'un de la chair de l'être que j'aime et de la neige des cimes au soleil levant. De l'amour, je n'ai voulu connaître que les heures de triomphe, dont je ferme ici le collier sur vous. Même la perle noire, la dernière, je suis sûr que vous comprendrez quelle faiblesse m'y attache, quel suprême espoir de conjuration j'ai mis en elle. Je ne nie pas que l'amour ait maille à partir avec la vie. Je dis qu'il doit vaincre et pour cela s'être élevé à une telle conscience poétique de lui-même que tout ce qu'il rencontre d'hostile se fonde au foyer de sa propre gloire."

Breton, l'amour fou

Une bonne recommandation

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18:36 Publié dans humour | Lien permanent | Commentaires (0)

Toute la jeunesse de la sensation

C'est bientôt juin et l'héliotrope penche sur les miroirs ronds et noirs du terreau mouillé ses milliers de crêtes. Ailleurs les bégonias recomposent patiemment leur grande rosace de vitrail, où domine le rouge solaire, qui éteint un peu plus, là-bas, celle de de Notre-Dame. Toutes les fleurs, à commencer même par les moins exubérantes de ce climat, conjuguent à plaisir leur force comme pour me rendre toute la jeunesse de la sensation.

Fontaine claire où tout le désir d'entraîner avec moi un être nouveau se reflète et vient boire, tout le désir de reprendre à deux, puisque cela n'a encore pu se faire, le chemin perdu au sortir de l'enfance et qui glissait, embaumant la femme encore inconnue, la femme à venir, entre les prairies.

Breton, l'amour fou

Ruysdael, peintre du ciel

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15:32 Publié dans Peinture | Lien permanent | Commentaires (8)

Vêtue d'un feu ?

« Cette jeune femme qui venait d'entrer était comme entourée d'une vapeur - vêtue d'un feu ? tout se décolorait, se glaçait, auprès de ce teint rêvé sur un accord parfait de rouillé et de vert : l'ancienne Égypte, une petite fougère inoubliable rampant au mur intérieur d'un très vieux puits, le plus vaste, le plus profond, et le plus noir de tous ceux sur lesquels je me suis penché, à Villeneuve-lès-Avignon, dans les ruines d'une ville splendide du XIVe siècle français, aujourd'hui abandonnée aux bohémiens."

André Breton, L'amour fou

Sollers, Google et la Chine...

L'histoire continue, à lire ici

05:10 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0)

Hop !

Les 26, 27 et 28 janvier à 19 heures :

Hop !

Ou

La brutalité d’un projecteur dessine

l’effroi du libraire face aux velours

rouges

De Pascal Nordmann

Par Pierre Barayre et sa compagnie

J’ai vu un clown à Avignon qui disait deux

textes d’un Suisse plasticien à une vitesse

défiant la pesanteur du monde tel qu’il nous

pend aux pieds. Et c’était bien.

Pierre Barayre nous fait l’amitié de présenter

son travail conduit avec la proche complicité

de Katharina Stadler : ne le manquez pas,

c’est un monde !

Entrée : 5

À 50 m du Dôme, cours Gambetta :

La Baignoire/cie Les Perles de Verre 7,rue

Brueys 34000 Montpellier

06 14 47 06 99

04:05 Publié dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0)

mercredi, 25 janvier 2006

August Macke (1887-1914)

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21:32 Publié dans Peinture | Lien permanent | Commentaires (3)

La seule devant laquelle je me sois jamais incliné

Au beau printemps de 1952 vous viendrez d'avoir seize ans et peut-être serez-vous tentée d'entrouvrir ce livre dont j'aime à penser qu'euphoniquement le titre vous sera porté par le vent qui courbe les aubépines... Tous les rêves, tous les espoirs, toutes les illusions danseront, j'espère, nuit et jour à la lueur de vos boucles et je ne serai sans doute plus là, moi qui ne désirerais y être que pour vous voir. Les cavaliers mystérieux et splendides passeront à toutes brides, au crépuscule, le long des ruisseaux changeants. Sous de légers voiles vert d'eau, d'un pas de somnambule une jeune fille glissera sous de hautes voûtes, où clignera seule une lampe votive. Mais les esprits des joncs, mais les chats minuscules qui font semblant de dormir dans les bagues, mais l'élégant revolver-joujou perforé du mot « Bal » vous garderont de prendre ces scènes au tragique. Quelle que soit la part jamais assez belle, ou tout autre, qui vous soit faite, je ne puis savoir. Vous vous plairez à vivre, à tout attendre de l'amour. Quoi qu'il advienne d'ici que vous preniez connaissance de cette lettre - il semble que c'est l'insupposable qui doit advenir - laissez-moi penser que vous serez prête alors à incarner cette puissance éternelle de la femme, la seule devant laquelle je me sois jamais incliné. Que vous veniez de fermer un pupitre sur un monde bleu corbeau de toute fantaisie ou de vous profiler, à l'exception d'un bouquet à votre corsage, en silhouette solaire sur le mur d'une fabrique - je suis loin d'être fixé sur votre avenir laissez-moi croire que ces mots : « L'amour fou » seront un jour seuls en rapport avec votre vertige.  

Breton, l'amour fou

Le libéralisme à la française

A lire ici

13:46 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0)

Le baiser

Pour en revenir aux histoires amoureuses, érotiques, etc., la question est finalement de savoir si ça embrasse pour de vrai ou pas. On n'arrive pas comme ça aux «baisers comme des cascades, orageux et secrets, fourmillants et profonds ». Au commencement sont les bouches, les langues, les appétits, le goût, les salivations discrètes. Il est révélateur que la lourde et laide industrie porno insiste sur les organes pourdétourner l'attention de la vraie passion intérieure, celle qui se manifeste d'une bouche à l'autre. Manger et boire l'autre, être cannibale avec lui, respirer son souille, son «âme », parler la langue qui parle enfin toutes les langues, trouver son chemin grâce au don des langues, c'est là que se situe la chose, le reste s'ensuit. La mécanique organique peut produire ses effets, elle n'est pas dans le coup oral et respiratoire. Les prostituées n'embrassent pas, et leur cul, de même,reste interdit, réservé au mac. Une petite salope, d'aujourd'hui, en revanche, peut branler, faire la pipe à fond, et même se laisser enculer, mais n'embrasse pas, ou pas vraiment, et ça se sent tout de suite. Embrasser vraiment, au souffle, prouve le vrai désir, tout le reste est blabla. Dire que qui trop embrasse mal étreint est un préjugé populaire. Une femme qui embrasse à fond un homme (ou une autre femme) s'embrasse elle-même et se situe d'emblée dans un hors-la-loi aristocratique. Rien n'est plus sérieux, vicieux, délicieux, incestueux, scandaleux. Il faut mêler la parole à cet élan, ceux qui ne parlent pas en baisant s'illusionnent, quelles que soient les prestations machiniques et le vocabulaire obscène. Un baiser orageux et soudain avec une femme par ailleurs insoupçonnable vaut mille fois mieux qu'un bourrage vaginal primaire ou une fellation programmée. On s'embrasse encore sans préservatifs buccaux, n'est-ce pas, c'est possible. Possible, mais, logiquement, en voie de disparition. C'est trop généreux, trop gratuit, trop enfantin, trop intime. Le baiser-cascade est en même temps un hommage hyperverbal : on embrasse le langage de l'autre,c'est-à-dire ce qui enveloppe son corps. Mais oui, c'est une eucharistie, une communion, une hostie, unepénétration sans traces, ce qu'a bien compris le fondateur du banquet crucial. Le narrateur enchanté de la Recherche du temps perdu note, lui, dès le départ, que le baiser tant attendu de sa mère, le soir, est comme une «hostie », une « communion », une « présence réelle» qui vont lui donner la paix du sommeil. Mme Proust est-elle allée peu à peu jusqu'à glisser légèrement en tout bien tout honneur, sa langue entre les lèvres de son petit communiant? «Prenez, mangez, buvez.» Il est amusant que les Anglo-Saxons, si puritains, aient inventé l'expression «French kiss» pour désigner le baiser à langue. Frisson du fruit défendu, rejet. La réticence à embrasser dit tout, et révèle la fausse monnaie. Le moindre recul, la moindre hésitation, le plus petit détournement de tête, la plus légère répulsion ou volonté d'abréviation ou d'interruption (pour passer à l'acte sexuel proprement dit, c'est-à-dire, en fait, s'éloigner) sont des signaux dont l'explorateur avisé tient compte. Il sait aussitôt s'il est réellement admis ou pas. «Ceci est mon corps, ceci est mon sang), l'au-delà de la mort parle. Bite, couilles, foutre, clitoris, vagin, cul, tout le cirque vient en plus, jamais le contraire. Une femme qui ne vous embrasse pas vraiment ne vous aime pas, et ce n'est pas grave. Elle peut poser sa bouche sur la vôtre, vous embrasser à la russe ou à l'amicale, aller même jusqu'au patin appuyé cinéma, mais la présence réelle, justement, ne sera pas là. Une expression apparemment innocente comme «bisous», de plus en plus employée, en dit long sur la désertification sensuelle. Plus de pain, plus de brioche, plus de vin, et surtout plus de mots; c'est pareil.  

Une vie divine, Philippe Sollers

La beauté convulsive

La beauté convulsive sera érotique-voilée, explosante-fixe, magique-circonstancielle ou ne sera pas

André Breton

09:11 Publié dans Papillote | Lien permanent | Commentaires (3)