jeudi, 23 novembre 2006
Les ailes du désir
Tout a été dit et il reste des mots encore. Tout a été dit et le clair-obscur se recompose. Le feu est à la terre ce que la nuit est au ciel, cet instant ayant été. Pour toujours.
Perche appressando se al suo disire
Nostro intelleto si profonda tanto
Che dietro la memoria non puo ire.
La vie n’est qu’une incarnation passagère, un instant de lumière. L’écriture frôle les ailes du désir.
Extrait de "Une cathédrale de songes" (Raymond Alcovère, 2002) Photo de Gildas Pasquet
02:10 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, poésie
mercredi, 22 novembre 2006
Les ruines m’en suffiraient
« J’ai bâti de si beaux châteaux que les ruines m’en suffiraient. »
Jules Renard
09:45 Publié dans illuminations | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature, Jules Renard, photo, Gildas Pasquet
mardi, 21 novembre 2006
Intraduisible
Mallarmé, intraduisible, même en français.
Jules Renard, Journal (1er mars 1898)
21:45 Publié dans littérature | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : littérature, Mallarmé, Jules Renard
Le brochet
Immobile à l'ombre d'un saule, c'est le poignard dissimulé au flanc du vieux bandit
Jules Renard, Histoires naturelles
16:23 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie, Jules Renard, Histoires naturelles
Sous le ciel en flammes
16:10 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie, haïku, photo, Gildas Pasquet
Un pin sur un pic
Lune claire
Si je renais je voudrais être
Un pin sur un pic
Ryôta
08:01 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie, haïku
lundi, 20 novembre 2006
Dans la suprême énergie d’un acte de renoncement
Joseph Conrad, Notes sur la vie et les lettres.
Photo de Gildas Pasquet : Vu du ciel
11:22 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : Littérature, photo, Joseph Conrad, Gildas Pasquet
dimanche, 19 novembre 2006
Une nouvelle inédite de Eric Dejaeger
Et d'autres textes à lire ici sur ce site
Image de Lichtenstein
10:00 Publié dans Nouvelle | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, blog, Eric Dejaeger, nouvelle, Lichtenstein
Un Américain, une Camerounaise, un Congolais et une Canadienne anglophone
04:38 Publié dans Critique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, littérature française, prix littéraires
vendredi, 17 novembre 2006
Le chant de l'albinos
J'avais un ami si blanc en Afrique noire que le soleil le mordait jusqu'aux os et laissait sur sa peau les marques roses d'une succion obscène. Ses yeux étaient rouges, deux blessures qui ne cicatrisaient pas. C'était de sa faute : on lui avait bien dit, enfant, de ne pas laisser traîner son regard dans le ciel flamboyant. Il n'avait pas souvenir pourtant d'avoir joué avec la boule de feu qui rabote la cime des kapokiers en semant ses copeaux de lumière d'un côté à l'autre du jour, mais son entourage l'avait convaincu : il était un enfant de la nuit que rien ne pourrait réchauffer. Sa peau était froide comme celle d'un serpent, odieuse au toucher, sifflait-on à ses oreilles. Aucune main ne s'était jamais tendue pour lui souhaiter un meilleur matin. Il se demandait si une caresse brûlait ? S'il en était privé pour son bien, pour le préserver des souffrances de l'affection ? La tendresse provoquait-elle aussi des douleurs irritantes sur la peau ? Souvent, il avait léché ses bras, pour vérifier, effleuré son épaule du bout des doigts, pour vérifier : la douceur ne le blessait pas, et celle qu'il tentait de communiquer à son mainate, en lui lissant les plumes délicatement, n'effrayait pas non plus l'oiseau à la parure nocturne. Il avait adopté un compagnon aussi noir que lui était blanc marbré de rose, un ami bavard, la seule créature de cette nature prétendue issue de Dieu à lui parler. L'oiseau était un confident précieux. Il lui rapportait des chroniques de la vie des branches, de cet observatoire où l'on pépie et épie les hommes sans se faire repérer. L'oiseau sombre le prévenait des menaces qui se formulaient, des expéditions punitives qui se fomentaient contre lui si un malheur s'était abattu sur le village et que la communauté cherchait une victime expiatoire. Chaque fois, il en était ainsi : le fantôme aux cheveux de paille devait payer la faute pour libérer les vivants qui se jugeaient sans anomalie. On ne prononçait pas son nom. On crachait des mots sales sur son passage ; des allégories dégradantes le désignaient dans les conseils de quartiers ou de districts. Le mainate était bien obligé de lui répéter que le titre de bouc lui était souvent décerné avec, accolées, la promesse expéditive de la mort et de l'enfer, la menace du sacrifice. L'oiseau avait appris le vocabulaire de la haine dans une famille influente de l'administration coloniale où il était assigné à résidence. Il y était hébergé en cage. On le nourrissait et l'abreuvait de formules grossières que les enfants de maîtres lui ordonnaient de répéter. Pour ces gamins aux cheveux blonds, plaqués mouillés sur leur crâne pâle, il était évident que le Noir sentait la sueur d'âne, l'odeur de la paresse, le parfum de la fourberie. On leur avait inculqué cette vérité-là. Et ces mioches aux chemises fraîches et repassées étaient eux-mêmes de beaux perroquets à shorts kakis ; ils croassaient devant l'oiseau prisonnier les paroles que les adultes s'échangeaient par-dessus les assiettes quand, eux, à table, n'avaient que le droit de se taire. L'oiseau réputé pour son don de mimétisme, devait les redire. Et si, au bout du dixième ordre, il ne récitait pas les adjectifs vulgaires dont on couvrait les nègres de la plantation, véritables pagnes de la dérision, il risquait d'y perdre ses plumes, arrachées une à une par les petits doigts blancs furieux aux ongles propres. Le mainate apprit ainsi à sacrer, à blasphémer, à injurier le noir, la nuit et les esprits stupides de l'ombre. Pleuvait sur lui le rire des jeunes tortionnaires qui, en attendant de remplacer leurs pères, allaient à l'école des Pères Blancs. Au jour de l'Indépendance, une main de femme ouvrit la cage de l'oiseau. Le mainate libéré ne prit pas part au défilé. Il se méfiait des bouches qui proféraient liberté, égalité et tous ces slogans de fraternité ruminés sous la contrainte du bâton, ces mots qui s'agitaient sur les lèvres mais n'étaient pas encore descendus au fond du c¦ur, n'étaient pas passés dans le sang. Il n'y avait qu'un être humain, une créature verticale, à se tenir à l'écart de la fête : un homme blanc, taché de plaques roses, nu sous un caïlcédrat au bord du fleuve. Il jetait ses loques, ses vieux habits d'opprimé, dans la vase, et s'habillait, ce jour-là, de neuf. Il enfila un pantalon noir, une veste noire, une chemise blanche et recouvrit sa tête d'un haut-de-forme. Puis il dit au miroir qui lui renvoyait sa nouvelle image : "Ainsi je serai celui qu'ils veulent que je sois : Baron Samedi, l'esprit de vengeance, l'envoyé des trépassés, le patron de leurs peurs. Puisse mon aspect les tenir à jamais éloignés de moi !" C'est l'oiseau qui, petit à petit, lui apprit la poésie et l'art du chant, nourri de l'expérience des airs. C'est l'oiseau qui réussit à le convaincre de faire entendre sa voix au monde si les yeux des humains étaient trop faibles pour discerner la beauté, si les yeux des humains étaient aveuglés par le brandon des préjugés, si les yeux des humains avaient de la misère à reconnaître l'humain derrière la différence d'apparence. J'avais en Afrique un ami albinos, un très grand chanteur noir à la peau blanche, couleur de cadavre, que le monde entier écoutait avec un immense respect, les yeux fermés sans pouvoir retenir des larmes de pure émotion.
Jean-Yves Loude, nouvelle parue dans la revue L'instant du monde n°8
Frédérique Azaïs, Passionnément
00:20 Publié dans Nouvelle | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, Afrique, art, Frédérique Azaïs, Jean-Yves Loude
jeudi, 16 novembre 2006
Un certain sens de l’apostolat horticole
Je bichonne mes géraniums. À la tombée du soir, je bassine le tilleul, qu’il profite au maximum de la fraîcheur toute relative de nos nuits d’été. Midi est d’une barbarie qui brûle tout par ici ; minuit, guère plus amène, offre parfois le bref répit d’une manière de courant d’air. C’est un tourment quotidien et quasi permanent dans cette encoignure de province où ne poussent que des cailloux et crève tout le reste que s’acharner à faire fleurir un bégonia ou vouloir conserver un peu de son éclat au feuillage du tilleul. Je m’y emploie cependant avec beaucoup d’abnégation et même un certain sens de l’apostolat horticole. Ne voyez dans cet aveu nulle prétention de ma part ; ce serait là, j’en ai parfaite conscience, surajouter à l’inutile de mon existence sottise et ridicule.
Pierre Autin-Grenier, extrait de 11 inédits pour le Banquet, éditions Verdier
Photo : Gildas Pasquet
16:50 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie, photo, Pierre Autin-Grenier, Gildas Pasquet
Ardeur
Elle aimait les libellules et les crayons pastel ses ocres calcinées estomper sur sa peau la foudre des couleurs d'une ardeur violette, transformer les Sienne naturelles en lavis nus
Et surtout elle ardorait l'odeur des voix le toucher bruissantes caresses qu'elles abandonnaient dans une pièce longtemps après le départ de celui qui avait parlé, offert ses mots.
Attentive, elle recueillait cérémonieusement leurs éclats dans une boîte translucide et, de ses airs de libellule enfiévrée, elle inspirait leur parfum, le visage penché vers l'intérieur.
Chaque parfum de voix avait sa couleur... Alice eau de fushia, Leïla huile profonde nuit... marine.
Quand elle avait suffisamment joui des parfums de voix, elle refermait la boîte chut, sommeil rose-indien et n'y pensait plus, jusqu'à la prochaine marée de couleurs.
Parfois pourtant, en approchant de la boîte avant l'heure bleue, elle découvrait les rêves de voix endormies, lovées les unes dans les autres, comme des bébés chats. Leur seul frémissement éveillait ses ailes de chasseur. Alors, sans prendre garde au feu de garance de ses joues, elle plongeait dans les voix, en apnée.
Quand elle fendait la surface, longtemps après, sa vie était couverte de grands bleus. Elle penchait son visage nuage, découvrait l'horizon à l'envers, le ciel dans ses racines. Enfin, elle repliait ses ailes dans ses poches et se mêlait aux turbulences de la ville.
Un pays des voix naissait sous ses pas, prenait feu en couleurs et odeurs vives. Il inventait les marches instinctives et passionnées, l'ardeur où nul mur, jamais, ne pourrait transformer en ruines le profond des voix.
A l'oreille de Van Gogh, elle écoutait...
13:41 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, poésie, Mireille Disdero, photo, Gildas Pasquet
mercredi, 15 novembre 2006
L’élection de Pierre Autin-Grenier à l’Académie Française
Une foule avenante et bigarrée se pressait hier, sous la Coupole, pour la réception à l’Académie Française de Pierre Autin-Grenier, au fauteuil de Jean d’Ormesson. Nombre de ses amis étaient là, déjà académiciens comme Jean-Pierre Ostende, Jean-Claude Pirotte et Gil Jouanard ou en passe de l’être comme Eric Holder ou Christian Garcin. Très élégant dans son costume dessiné par Christian Lacroix, l’œil pétillant et la démarche primesautière, l’ancien soixante-huitard dont on connaît le talent et l’ironie mordante a laissé quelque peu perplexe une partie de ses auditeurs en prononçant l’éloge de l’ancien directeur du Figaro Magazine : « Homme de plume mais aussi de combat et ce qui ne gâte rien, d’une immense culture, Jean d’O - comme l’appelaient ses nombreux amis – s’il n’a cessé de côtoyer les puissants, n’en aura pas moins été un défricheur, un chercheur inlassable de vérité. Seul contre tous, il n’hésitera pas à jouer les trouble-fête après mai 1981, à se dresser courageusement, tel Hugo face à Napoléon III, contre François Mitterrand et à faire du Figaro, le grand journal de la contestation d’alors, un rempart contre la pensée unique et une nécessaire alternative, un scrupuleux antidote (...) C’est à cet homme de résistance que je veux rendre hommage aujourd’hui, c’est ce compagnonnage que je revendique, celui de l’irrévérence et de la libre parole, même si nos convictions ont souvent été diamétralement opposées, concluait-il… » Quolibets et noms d’oiseaux (re)fusèrent alors ci ou là, vite recouverts par les applaudissements d’usage et le sourire entendu de quelques uns. Tout cela fut oublié grâce à l’éloquence vibrante de Angelo Rinaldi qui, prononçant l’éloge de Pierre Autin-Grenier, mit l’accent sur « l’ironie convulsive, l’impertinence consubstantielle du nouvel académicien » : « il n’a jamais voulu appartenir à aucune école, sinon celle des « Moins que rien » , sous lequel un journaliste fort pertinent – cela existe, c’est prouvé, ajoutait-il - avait regroupé, dans les années quatre-vingt-dix, quelques unes des plus solides – et des plus caustiques - plumes du moment. Tels ces écrivains du bâtiment dont Hemingway conseillait au siècle dernier la fréquentation aux débutants, Pierre au teint de gravier (comme l’a surnommé son ami Jean-Jacques Marimbert) n’a cessé d’être prolixe. Lui qui rendit ses lettres de noblesse au curé d’Ars, à l’andouillette et au désert du Kalahari, lui le maître du « fond de court » surprit son monde en montant au filet, par son entrée en force dans le roman grâce à « Friterie-bar Brunetti », qui fleurait bon sa gargotte et redonnait des lettres de noblesse aux classes que l’on appela populaires, et que tout le monde semblait avoir oublié, après ces années de gauche caviar et de droite provo. Fort de ce succès, rien ne l’arrêta plus. Après avoir habilement soutenu le non au référendum de 2005, il entreprit en 2007 son grand virage à droite pour soutenir (victorieusement encore) la candidature de Ségolène Royal à la Présidence de la République. Les attaques redoublèrent. Du haut de sa superbe, il les ignora. Dans la foulée : « Je ne suis pas un bobo ! » allait devenir le livre-culte de toute une génération, cette fameuse classe d’âge qui souffrait intérieurement mille morts de tant d’idéaux bafoués, de tant de rêves évanouis. Ce pamphlet le propulsa, si j’ose dire, dans notre vénérable académie, dans ce fauteuil même, où avant lui trépignèrent d’aussi illustres écrivains que Cotin, Morville, Esménard, Biot, Curel et autre Romains…
C’est dans un des quartiers du vieux Lyon qu’il affectionne tant, qu’une partie de cette joyeuse assemblée, par un TGV spécialement affrété, s’est rendue ensuite, pour fêter cet irrésistible événement. Et le pouilly-fuissé, comme il se doit, a coulé jusqu’à une heure fort avancée de la nuit ! Les plus vieilles institutions ont aussi leurs moments de folie !
Photo : "Tourbillon" de Michèle Fuxa
21:14 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, Académie française, Pierre Autin-Grenier, Michèle Fuxa
Sur "Le club des pantouflards"
06:00 Publié dans Critique | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature, critique, Christian Cottet-Emard, Jean-Jacques Marimbert
Une question d'honneur
Une question d’honneur est le onzième roman de Donna Leon, de la série des enquêtes du Commissaire Brunetti. Tous ont pour cadre Venise. De part sa topographie si particulière, la Sérénissime est moins sujette au crime que les autres villes, l’entrelacs des ruelles et des canaux fait qu’il est difficile de s’en échapper ; n'y vivent plus que cinquante ou soixante mille habitants qui se connaissent pour la plupart; en clair tout le monde observe tout le monde ou est susceptible de le faire, ce qui décourage les vocations ! Rien n’est plus faux, nous dit Donna Leon, derrière les portes des palais, comme partout, le crime fleurit. La romancière est américaine, vit à Venise depuis très longtemps et décrit une autre ville cachée sous la première, ses secrets, ses mystères. Ce à travers un personnage atypique, le commissaire Brunetti, une sorte de Maigret, bourru, massif, opiniâtre, qui louvoie dans ce magma, sans cesse en train de confronter son éthique à la complexité du monde et à ses forces obscures. Un terrien, amateur de cuisine et de vin blanc, marié à une professeur de littérature spécialiste de Henry James, avec deux adolescents à la maison, et lui-même passionné de Thucydide. Il se fie à son instinct, mais aussi à sa connaissance de la ville, de ses familles, de ses codes, de son histoire, pour en déjouer les affaires les plus troubles, les plus sordides. Une question d’honneur nous plonge dans le monde interlope des marchands d’art dont certains ont acquis des fortunes considérables en pillant de riches juifs prêts à tout pour fuir le nazisme pendant la seconde guerre mondiale. Cette enquête comme d'habitude est remarquablement ficelée, et le regard sur Venise (d'où les touristes sont étrangement absents, sinon comme une gêne pour les vénitiens, ce qui ne manque pas de charme), inhabituel et décalé, est assez réussi. Et l'atmosphère de la ville est bien là, à la fois liquide et sensuelle, glauque et lumineuse.
(La plupart des enquêtes du commissaire Brunetti sont disponibles en "poche" dans la collection points policiers)
00:05 Publié dans Critique | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : Venise, littérature, polar, Donna Leon
mardi, 14 novembre 2006
L'humour de Proust, suite
—«Ah! est-ce que vous connaissez quelqu’un à Balbec? dit mon père. Justement ce petit-là doit y aller passer deux mois avec sa grand’mère et peut-être avec ma femme.»
Legrandin pris au dépourvu par cette question à un moment où ses yeux étaient fixés sur mon père, ne put les détourner, mais les attachant de seconde en seconde avec plus d’intensité—et tout en souriant tristement—sur les yeux de son interlocuteur, avec un air d’amitié et de franchise et de ne pas craindre de le regarder en face, il sembla lui avoir traversé la figure comme si elle fût devenue transparente, et voir en ce moment bien au delà derrière elle un nuage vivement coloré qui lui créait un alibi mental et qui lui permettrait d’établir qu’au moment où on lui avait demandé s’il connaissait quelqu’un à Balbec, il pensait à autre chose et n’avait pas entendu la question. Habituellement de tels regards font dire à l’interlocuteur: «A quoi pensez-vous donc?» Mais mon père curieux, irrité et cruel, reprit:
—«Est-ce que vous avez des amis de ce côté-là, que vous connaissez si bien Balbec?»
Dans un dernier effort désespéré, le regard souriant de Legrandin atteignit son maximum de tendresse, de vague, de sincérité et de distraction, mais, pensant sans doute qu’il n’y avait plus qu’à répondre, il nous dit:
—«J’ai des amis partout où il y a des groupes d’arbres blessés, mais non vaincus, qui se sont rapprochés pour implorer ensemble avec une obstination pathétique un ciel inclément qui n’a pas pitié d’eux.
—«Ce n’est pas cela que je voulais dire, interrompit mon père, aussi obstiné que les arbres et aussi impitoyable que le ciel. Je demandais pour le cas où il arriverait n’importe quoi à ma belle-mère et où elle aurait besoin de ne pas se sentir là-bas en pays perdu, si vous y connaissez du monde?»
—«Là comme partout, je connais tout le monde et je ne connais personne, répondit Legrandin qui ne se rendait pas si vite; beaucoup les choses et fort peu les personnes. Mais les choses elles-mêmes y semblent des personnes, des personnes rares, d’une essence délicate et que la vie aurait déçues. Parfois c’est un castel que vous rencontrez sur la falaise, au bord du chemin où il s’est arrêté pour confronter son chagrin au soir encore rose où monte la lune d’or et dont les barques qui rentrent en striant l’eau diaprée hissent à leurs mâts la flamme et portent les couleurs; parfois c’est une simple maison solitaire, plutôt laide, l’air timide mais romanesque, qui cache à tous les yeux quelque secret impérissable de bonheur et de désenchantement. Ce pays sans vérité, ajouta-t-il avec une délicatesse machiavélique, ce pays de pure fiction est d’une mauvaise lecture pour un enfant, et ce n’est certes pas lui que je choisirais et recommanderais pour mon petit ami déjà si enclin à la tristesse, pour son cœur prédisposé. Les climats de confidence amoureuse et de regret inutile peuvent convenir au vieux désabusé que je suis, ils sont toujours malsains pour un tempérament qui n’est pas formé. Croyez-moi, reprit-il avec insistance, les eaux de cette baie, déjà à moitié bretonne, peuvent exercer une action sédative, d’ailleurs discutable, sur un cœur qui n’est plus intact comme le mien, sur un cœur dont la lésion n’est plus compensée. Elles sont contre-indiquées àvotre âge, petit garçon. Bonne nuit, voisins», ajouta-t-il en nous quittant avec cette brusquerie évasive dont il avait l’habitude et, se retournant vers nous avec un doigt levé de docteur, il résuma sa consultation: «Pas de Balbec avant cinquante ans et encore cela dépend de l’état du cœur», nous cria-t-il.
Mon père lui en reparla dans nos rencontres ultérieures, le tortura de questions, ce fut peine inutile: comme cet escroc érudit qui employait à fabriquer de faux palimpsestes un labeur et une science dont la centième partie eût suffi à lui assurer une situation plus lucrative, mais honorable, M. Legrandin, si nous avions insisté encore, aurait fini par édifier toute une éthique de paysage et une géographie céleste de la basse Normandie, plutôt que de nous avouer qu’à deux kilomètres de Balbec habitait sa propre sœur, et d’être obligé à nous offrir une lettre d’introduction qui n’eût pas été pour lui un tel sujet d’effroi s’il avait été absolument certain,—comme il aurait dû l’être en effet avec l’expérience qu’il avait du caractère de ma grand’mère—que nous n’en aurions pas profité.
Du côté de chez Swann
Frédérique Azaïs : Le toi du monde
15:55 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, art, Proust, Frédérique Azaïs
lundi, 13 novembre 2006
L'humour de Proust...
« Dire que j'ai gâché des années de ma vie, que j'ai voulu mourir, que j'ai eu mon plus grand amour, pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n'était pas mon genre ! »
(Dernière phrase de Un amour de Swann)
12:44 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, humour, Proust
Cargos de silence
Lumière odeurs du sommeil. Quand l'étoile au bleu plonge les rêves, en affleurement.
Couleurs nues le matin. Au moment d'ouvrir les yeux.
Puis une respiration, très loin. Seulement un battement d'ailes. Cambrure en haute mer.
Présence encore, mais en pointillés. On bascule vers le jour. Traversant des zones libres. Evitant d'approfondir, pour virer de bord au midi.
Absence. Les paroles ne servent à rien quand elle vient.
Seulement les couleurs. Juste un silence. La fêlure de l'éveil.
Au tréfonds des mots se cherche en apnée la respiration d'écrire.
Mais aujourd'hui, rien. L'absence. Seulement les couleurs en nappes insensées, l'estompe d'un sillon de mots feux qui passent, s'effacent... vers le large... en cargos de silence.
Photo de Michèle Fuxa
00:29 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature, art, poésie, Mireille Disdero
dimanche, 12 novembre 2006
Montpellier...
Montpellier est une ville parfaite. Elle a cette légèreté essentielle. Lubitchienne. Pas d'âme, ou si peu, presque pas d'histoire.
Extrait de "Allegro ma non troppo" in "13, cours des Chevaliers du Mail", roman collectif, éditions du Ricochet, 1998.
05:49 Publié dans Voyage | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Montpellier, photo, littérature, Corbier, 13 Cours des Chevaliers du mail
samedi, 11 novembre 2006
Et le bouleverser, d'un claquement de cœur le bouleverser !
Avant l’enfance au rêve
Andalouse danser
du pied frapper la lumière
rouge carmin de Goya tournoyer
et le bouleverser, d'un claquement de cœur le bouleverser !
00:15 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, art, photomontage, Claude Corbier, Mireille Disdero, poésie