samedi, 06 mai 2023
Philippe Sollers
On s’en rendra compte probablement plus tard, il est l’écrivain français le plus important de la période. Il propose une vision du monde complète et homogène, sans rien laisser de côté, en rassemblant et harmonisant des univers aussi vastes et divers que la Chine, la Grèce, le 18ᵉ, la peinture, la poésie, la musique, la religion catholique, la sexualité ou la politique. Toujours sous forme d’ouverture, il offre à lire ou regarder, notamment grâce à un sens consommé de la citation, nombre d’écrivains, penseurs et artistes : « Il n’y a qu’une seule expérience fondamentale à travers le Temps. Formes différentes, noms différents, mais une même chose. Et c’est là, précisément le roman. » Audace de pensée, originalité, esprit critique, sens de la formule, de l’esquive et de l’attaque. Avec lui, la poésie n’est pas séparée de la pensée, ni de l’action. Il ajoute, provoquant : « La poésie, c’est la guerre. » S’inspirant de Sun Tzu : « Si vous connaissez vos ennemis et que vous vous connaissez vous-même, mille batailles ne pourront venir à bout de vous. » Sa stratégie est clairement posée : « Ce que l’ennemi attaque, je le défends, ce qu’il défend je l’attaque. » Le difficile bien sûr est de connaître l’ennemi. Il le décrit dans Éloge de l’Infini : « Car l’Adversaire est inquiet. Ses réseaux de renseignement sont mauvais, sa police débordée, ses agents corrompus, ses amis peu sûrs, ses espions souvent retournés, ses femmes infidèles, sa toute-puissance ébranlée par la première guérilla venue. Il dépense des sommes considérables en contrôle, parle sans cesse en termes de calendrier ou d’images, achète tout, investit tout, vend tout, perd tout. Le temps lui file entre les doigts, l’espace est pour lui de moins en moins un refuge. Les mots « siècle » ou « millénaire » perdent leur sens dans sa propagande. Il voudrait bien avoir pour lui cinq ou dix ans, l’Adversaire, alors qu’il ne voit pas plus loin que le mois suivant. On pourrait dire ici, comme dans la Chine des Royaumes combattants, que « même les comédiens de Ts’in servent d’observateurs à Houei Ngan ». Le Maître est énorme et nu, sa carapace est sensible au plus petit coup d’épingle, c’est un Goliath à la merci du moindre frondeur, un Cyclope qui ne sait toujours pas qui s’appelle Personne, un Big Brother dont les caméras n’enregistrent que ses propres fantasmes, un Pavlov dont le chien n’obéit qu’une fois sur deux. Il calcule et communique beaucoup pour ne rien dire, l’Adversaire, il tourne en rond, il s’énerve, il ne comprend pas comment le langage a pu le déserter à ce point, il multiplie les informations, oublie ses rêves, fabrique des films barbants à la chaîne, s’endort devant ses films, croit toujours dur comme fer que l’argent, le sexe et la drogue mènent le monde, sent pourtant le sol se dérober sous ses pieds, est pris de vertige, en vient secrètement à préférer mourir. » Son livre fondateur, outre Paradis, est Femmes, avec cette fameuse phrase : « Le monde appartient aux femmes. C’est-à-dire à la mort. Là-dessus, tout le monde ment. » Le Cœur absolu, Le Secret, Les Voyageurs du temps, l’Étoile des amants, Guerres secrètes sont les autres sommets de son œuvre. Ses recueils d’articles : La Guerre du goût, Éloge de l’infini, Discours parfait, Fugues, Complots, permettent d’explorer son univers et la diversité de ses sources d’inspiration. Son écriture déborde de légèreté et d’ironie quand il écrit pour la presse (textes regroupés pour certains dans Littérature et politique). Son but, toujours, inciter à lire : « Mauvais rapport avec le langage, mauvais rapport avec l’Être : c’est la même chose. » La question est centrale : « C’est dans les textes que s’opèrent les identifications décisives. » « Savoir lire, c’est aussi pouvoir tout lire sans rejets et sans préjugés : Claudel et Céline, Artaud et Proust, Sade et la Bible, Joyce et Mme de Sévigné. Prouvez-le, montrez que vous n’êtes pas un esprit religieux. Savoir lire, c’est vivre le monde l’histoire et sa propre existence comme un déchiffrement permanent. Savoir lire, c’est la liberté ». Il n'a de cesse de bousculer les idées reçues, ce qui lui vaut tant d'ennemis, notamment avec « le catholicisme comme négation de la religion » que Jean-Hugues Larché commente ainsi : « L'écrivain maintient que le catholicisme est un athéisme et que la religion catholique est celle qui contient le moins de religion. » Ces mots dans Le Secret le résument bien : « J’aime écrire, tracer les lettres et les mots, l’intervalle toujours changeant entre les lettres et les mots, seule façon de laisser filer, de devenir silencieusement et à chaque instant le secret du monde. N’oublie pas, se dit avec ironie ce fantôme penché, que tu dois rester réservé, calme, olympien, lisse, détaché ; tibétain en somme… Tu respires, tu fermes les yeux, tu planes, tu es en même temps ce petit garçon qui court avec son cerf-volant dans le jardin et le sage en méditation quelque part dans les montagnes vertes et brumeuses, en Grèce ou en Chine… Socrate debout toute la nuit contre son portique, ou plutôt Parménide sur sa terrasse, ou encore Lao-Tseu passant, à dos de mulet, au-delà de la grande muraille, un soir… Les minutes se tassent les unes sur les autres, la seule question devient la circulation du sang, rien de voilé qui ne sera dévoilé, rien de caché qui ne sera révélé, la lumière finira bien par se lever au cœur du noir labyrinthe. Le roman se fait tout seul, et ton roman est universel si tu veux, ta vie ne ressemble à aucune autre dans le sentiment d’être là, maintenant, à jamais, pour rien, en détail. Ils aimeraient tellement qu’on soit là pour. Qu’on existe et qu’on agisse pour. Qu’on pense en fonction d’eux et pour. Tu dois refuser, et refuser encore. Non, non et non. Ce que tu sais, tu es le seul à le savoir. » Il exalte la poésie, la gratuité, l’amour pour s’opposer à l’Adversaire : « La règle générale est de raconter des amours impossibles, des impasses, des drames, des récriminations, des échecs, et moi je fais le contraire. » Comme il l’a écrit lui-même dans Passion fixe, ses livres ressemblent à des tableaux cubistes, où la réalité est montrée sous des angles différents qui se multiplient avant de se rassembler de sorte que l’apparent désordre laisse peu à peu place à une savante construction. Selon une technique chinoise très ancienne : « Quand on le déroule, ce livre remplit l’univers dans toutes ses directions, et, quand on l’enroule, il se retire et s’enfouit dans son secret. Sa saveur est inépuisable, tout y est réelle étude. Le bon lecteur, en l’explorant pour son plaisir, y a accès ; dès lors, jusqu’à la fin de ses jours, il en fait usage, sans jamais pouvoir en venir à bout. » Dans un entretien avec Philippe Lejeune en 2009, il précise : « Il est fort possible – mais le temps seul le dira – qu'il s'agisse d'une entreprise métaphysique portant sur une expérience très singulière, dont les rapports avec la littérature seraient tangents, épisodiques, dépendant des situations historiques et en tout cas où l'essentiel ne serait pas là. Il ne s'agirait pas de littéraire à proprement parler et peut-être même pas de littérature. » Roland Barthes l'a noté dans Sollers écrivain : « celui-ci, pratique, de toute évidence, une écriture de vie. »
Raymond Alcovère
Photo : Jean-Luc Bertini / Pasco
13:49 Publié dans Grands textes, Histoire littéraire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philippe sollers
vendredi, 24 mars 2023
C'est une délicieuse chose que d'écrire !
« J'ai un casque de fer sur le crâne. Depuis 2 heures de l'après-midi (sauf 25 minutes à peu près pour dîner), j'écris de la Bovary. Je suis à leur Baisade, en plein, au milieu. On sue et on a la gorge serrée. Voilà une des rares journées de ma vie que j'ai passée dans l'Illusion, complètement, et depuis un bout jusqu'à l'autre. Tantôt, à six heures, au moment où j'écrivais le mot attaque de nerfs, j'étais si emporté, je gueulais si fort, et sentais si profondément ce que ma petite femme éprouvait, que j'ai eu peur moi-même d'en avoir une. (...) N'importe, bien ou mal, c'est une délicieuse chose que d'écrire ! que de ne plus être soi, mais de circuler dans toute la création dont on parle. Aujourd'hui, par exemple, homme et femme tout ensemble, amant et maîtresse à la fois, je me suis promené à cheval dans une forêt, par un après-midi d'automne, sous des feuilles jaunes, et j'étais les chevaux, les feuilles, le vent, les paroles qu'ils se disaient et le soleil rouge qui faisait s'entre-fermer leurs paupières noyées d'amour. »
Gustave Flaubert
A Louise Colet. 23 décembre 1853
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dimanche, 12 mars 2023
Harmonie
« A la fin du mois de septembre, les tempêtes d’équinoxe faisaient rage ; leur violence était exceptionnelle. Toute la journée, le vent avait hurlé et la pluie avait battu les fenêtres. Même en plein cœur de Londres, nous étions contraints de hisser nos pensées au-dessus de la routine quotidienne, et de nous soumettre à la présence de ces grandes forces élémentaires qui s’attaquent à l’homme à travers les barreaux de la civilisation. Au fur et à mesure que la nuit approchait, la tempête grandissait : le vent sanglotait dans la cheminée comme un enfant en pénitence. Maussade, Sherlock Holmes était assis à côté du feu et mettait à jour ses notes tandis que je me délectais dans les belles histoires d’aventures en mer de Clark Russel : le grondement de la tempête à l’extérieur s’harmonisait parfaitement avec le texte, et les rafales se pluie se mêlaient au clapotis des vagues. »
Les 5 pépins d’orange, Conan Doyle
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samedi, 11 mars 2023
Bonne conscience
16:08 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : simone veil
dimanche, 05 mars 2023
Le sens de la mécanique quantique
Les priorités d'un objet sont la façon dont il agit sur d'autres objets. L'objet lui-même est un ensemble d'interactions avec d'autres objets. La réalité est ce réseau d'interactions, en dehors duquel nous ne comprenons même pas de quoi nous sommes en train de parler. Au lieu de considérer le monde physique comme un ensemble d'objets aux propriétés définies, la théorie quantique nous invite à voir le monde physique comme un réseau de relations dont les objets sont les nœuds.
Carlo Rovelli, Helgoland, le sens de la mécanique quantique.
Photo de Paul Almasy
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dimanche, 26 février 2023
Baudelaire Ébauche d’un épilogue pour la deuxième édition des Fleurs du Mal
07:52 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : baudelaire
samedi, 11 février 2023
Le sens artistique
« Le sens artistique, c’est-à-dire la soumission à la réalité intérieure. »
Marcel Proust
Photo de Linda Moro
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mardi, 07 février 2023
Le propre lecteur de soi-même
"En réalité, chaque lecteur est, quand il lit, le propre lecteur de soi-même. L’ouvrage de l’écrivain n’est qu’une espèce d’instrument d’optique qu’il offre au lecteur afin de lui permettre de discerner ce que, sans ce livre, il n’eût peut-être pas vu en soi-même."
Marcel Proust
Photo de Jasper Tejano
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dimanche, 05 février 2023
La seule différence
19:33 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : georg büchner
samedi, 04 février 2023
Intensité
« La valeur des choses n'est pas dans la durée, mais dans l'intensité où elles arrivent. C'est pour cela qu'il existe des moments inoubliables, des choses inexplicables et des personnes incomparables. »
Fernando Pessoa
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dimanche, 29 janvier 2023
La splendeur de la vie
Il est parfaitement concevable que la splendeur de la vie se tienne prête à côté de chaque être et toujours dans sa plénitude, mais qu’elle soit voilée, enfouie dans les profondeurs, invisible, lointaine. Elle est pourtant là, ni hostile, ni malveillante, ni sourde ; -qu’on l’invoque par le mot juste, par son nom juste, et elle vient. C'est là l'essence de la magie, qui ne crée pas, mais invoque.
Franz Kafka, Journal. 18 octobre 1921
Photo de Pawel Klarecki
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mardi, 03 janvier 2023
Drôle de royaume révolutionnaire...
12:32 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philippe sollers, dima begma
dimanche, 01 janvier 2023
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« La vérité porte des masques pour voyager saine et sauve. Elle porte le masque du jeu, celui du rire qui coupe, elle porte celui de la nuit noire et du midi aveuglant. Elle porte aussi celui de la musique, celui de la beauté, celui de la bonté. Elle porte le masque du poème, la joie la plus proche du soleil. Elle porte le masque du secret qui porte lui-même toutes sortes de masques dont ceux de l’invisibilité et de l’omniprésence. Le mensonge lui n’a qu’un seul masque, celui de la pure vérité. (...) Il ne manque rien à celui qui participe à une aventure sans commencement ni fin, à un tout à la fois unique et multiple, à un unique infini. La tâche la plus exigeante est de le concevoir sans commencement. Ensuite il n’y a plus de fin qui tienne. La lumière n’a pas de source si elle est la source. Elles n’ont pas de limite, les vies que la nature inspire. L’apprécier ne suffit pas, il faut se sentir contribuer à sa force. »
Mathieu Terence
Photo de Mark Littlejohn
Tous mes vœux pour l'an nouveau !
10:45 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : mathieu terence
jeudi, 29 décembre 2022
Son aliment c’est admiration, chasse, ambiguïté
« Nul esprit généreux ne s’arrête en soi : il prétend toujours et va outre ses forces ; il a des élans au-delà de ses effets ; s’il ne s’avance et ne se presse et ne s’accule et ne se choque, il n’est vif qu’à demi ; ses poursuites sont sans terme et sans forme ; son aliment c’est admiration, chasse, ambiguïté. »
Montaigne
Photo : Jack Vettriano
12:14 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : montaigne, jack vettriano
samedi, 17 décembre 2022
Vivre c’est être autre
« Vivre c’est être autre. Et sentir n’est pas possible si l’on sent aujourd’hui comme l’on a senti hier. »
Fernando Pessoa
10:49 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : fernando pessoa
mercredi, 30 novembre 2022
Il change à chaque fois
« Qu'est ce qu'un livre si nous ne l'ouvrons pas ? Un simple cube de papier et de cuir avec des feuilles ; mais si nous le lisons, il se passe quelque chose d'étrange, je crois qu'il change à chaque fois »
Jorge Luis Borges
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jeudi, 13 octobre 2022
Un vagabond de mots dans un voyage de songes
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samedi, 08 octobre 2022
Plus musculaires dans le parler, plus respirés et surprenants
« Je fréquente les auteurs anciens parce qu’ils ont plus d’oreille que nous, parce qu’ils sont plus musculaires dans le parler, plus respirés et surprenants. Dans Bossuet, dans Pascal, dans La Fontaine, il y a une vigueur sonore, une respiration, un naturel, une joie immédiate. Je les fréquente plus que jamais aujourd’hui où la somptueuse forêt des langues risque de disparaître d’Europe, remplacée par une végétation rabougrie et passe-partout, un petit parterre uniforme. »
Valère Novarina
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mercredi, 03 août 2022
Le combat
« Rien ne nous plaît que le combat mais non pas la victoire. On aime à voir les combats des animaux, non le vainqueur acharné sur le vaincu. Que voulait‑on voir sinon la fin de la victoire et dès qu’elle arrive on en est saoul. Ainsi dans le jeu, ainsi dans la recherche de la vérité. On aime à voir dans les disputes le combat des opinions mais de contempler la vérité trouvée ? Point du tout. Pour la faire remarquer avec plaisir il faut la faire voir naître de la dispute. De même dans les passions il y a du plaisir à voir deux contraires se heurter, mais quand l’une est maîtresse ce n’est plus que brutalité.
Nous ne cherchons jamais les choses, mais la recherche des choses. Ainsi dans les comédies les scènes contentes, sans crainte, ne valent rien, ni les extrêmes misères sans espérance, ni les amours brutaux, ni les sévérités âpres. »
Blaise Pascal
Photo de Mark Littlejohn
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vendredi, 22 juillet 2022
On n’évite pas l’avenir
« Effacer le passé, on le peut toujours : c’est une affaire de regret, de désaveu, d’oubli. Mais on n’évite pas l’avenir. »
Oscar Wilde
Willem de Kooning, untitled
08:30 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : de kooning, oscar wilde