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jeudi, 03 avril 2008

La peinture est effraction

734915163.jpgLa peinture est effraction, solitude, dévastation. Pour peindre comme pour écrire, il faut d’abord tout détruire, tout effacer, tout déconstruire. Vouloir tout recommencer, reprendre le fil de la création. La peinture est incarnation et l’incarnation c’est l’éternel retour.

Raymond Alcovère, extrait de "Le bonheur est un drôle de serpent", roman en cours d'écriture

Peinture de Frédérique Azaïs : Tous les matins du monde 

mercredi, 02 avril 2008

«La tête de Iaokanann !»

676677467.jpgPuis, ce fut l'emportement de l'amour qui veut être assouvi. Elle dansa comme les prêtresses des Indes, comme les Nubiennes des cataractes, comme les bacchantes de Lydie. Elle se renversait de tous les côtés, pareille à une fleur que la tempête agite. Les brillants de ses oreilles sautaient, l'étoffe de son dos chatoyait ; de ses bras, de ses pieds, de ses vêtements jaillissaient d'invisibles étincelles qui enflammaient les hommes. Une harpe chanta ; la multitude y répondit par des acclamations. Sans fléchir ses genoux en écartant les jambes, elle se courba si bien que son menton frôlait le plancher ; et les nomades habitués à l'abstinence, les soldats de Rome experts en débauches, les avares publicains, les vieux prêtres aigris par les disputes, tous, dilatant leurs narines, palpitaient de convoitise.

Ensuite elle tourna autour de la table d'Antipas, frénétiquement, comme le rhombe des sorcières ; et d'une voix que des sanglots de volupté entrecoupaient, il lui disait : «Viens ! viens !» » Elle tournait toujours ; les tympanons sonnaient à éclater, la foule hurlait. Mais le Tétrarque criait plus fort : «Viens ! viens ! Tu auras Capharnaum ! la plaine de Tibérias ! mes citadelles ! la moitié de mon royaume !»

Elle se jeta sur les mains, les talons en l'air, parcourut ainsi l'estrade comme un grand scarabée ; et s'arrêta, brusquement.

Sa nuque et ses vertèbres faisaient un angle droit. Les fourreaux de couleur qui enveloppaient ses jambes, lui passant par-dessus l'épaule, comme des arcs-en-ciel, accompagnaient sa figure, à une coudée du sol. Ses lèvres étaient peintes, ses sourcils très noirs, ses yeux presque terribles, et des gouttelettes à son front semblaient une vapeur sur du marbre blanc.

Elle ne parlait pas. Ils se regardaient.

Un claquement de doigts se fit dans la tribune. Elle y monta, reparut ; et, en zézayant un peu, prononça ces mots, d'un air enfantin :

«Je veux que tu me donnes dans un plat, la tête...» Elle avait oublié le nom, mais reprit en souriant : «La tête de Iaokanann !»

Flaubert, Hérodias

mardi, 01 avril 2008

Enfin une bonne décision !

L'Elysée lance une mission pour sauver le point-virgule

La parole et la pensée

1352687506.jpg"La parole appelle, ne nomme pas. Le français le dit : nous ne nommons pas les choses, nous les appelons. Nous les appelons parce qu'elles ne sont pas là, parce que nous ne savons pas leur nom." "La pensée n'utilise pas les mots, ne cherche pas ses mots. Ce sont les mots qui cherchent, qui traquent la pensée. Nous nous dépouillons des mots en parlant. Celui qui parle, celui qui écrit, c'est un qui jette ses mots comme des outils divinatoires, comme des dés lancés."

Valère Novarina

photo de Gildas Pasquet

lundi, 31 mars 2008

L'aube a un goût de cerise

 1994697526.jpgJe suis parti et voilà que le monde s’ouvre à mes yeux. Le vent fait claquer les voiles, le jusant doucement nous éloigne. Les cris des marins se répondent. Les os du bateau craquent, son grand corps de sel et de vent s’ébroue. Le navire s’enfonce. Une femme chante un refrain des îles. J’emporte les bribes de ce rêve. Musique.

L’horizon se mire dans la mer, palette, giclées obliques. Puisse l’espace être toujours aussi immense, incertain autour de moi, reflets cristallins - l’inutile est si beau ! – dans l’ombre de cette immensité fauve, faunes dansant, bleu-noir en abîme. La nuit est cantilène, frémissante.

Ciel vineux, orages, grondements sourds, ordalie de la nature, cruauté des éléments, ivresse des nuages, flèches et oriflammes tendus en toile d’horizon.

Au loin s’avancent les Grands d’Espagne, lutte rageuse et férocité de la nature. Milliers et milliers de bateaux accostés ici, avant de se livrer à l’océan,  en un geste désespéré. Tout revient à sa vérité première.

Lueur étalée, rideau cramoisi, le navire, toutes voiles dehors, déchire d’un trait aquilin les flots turquoise, poissons volants, dauphins batifolant, nuit rouge s’abattant, ciel turquin, lueur d’or qui s’efface, vert paradis de la nuit. Liberté enfin.

Une aube irréelle. Elle est apparue, éparpillée et légère, fluide, en écharpes lentes. L’espace, transpercé de vide, vapeurs blanches dans un halo doré, a refermé sa coquille de silence. Vent, feu, soleil, font trembler les limites, la neige elle, évapore, dissout, recouvre. Reste une pureté glacée, à croquer le ciel, étoiles blanches immobiles, sucre candi, à figer le mouvement. La neige épouse les contours et les ombres, toute lutte remise à plus tard, dans un silence de feutrine.

Il fait froid mais je le sens à peine. Le ciel râpé de couleurs saigne à nouveau. Des voiles, échappées de l’île, s’effacent. Nous quittons cette anse redoutable, si bien protégée, en pointillé sur l’océan fabuleux.

Ivresse saline de la mer. Au milieu de l’océan, la terre paraît moribonde. Bleuités mauves. En fines particules. Dentelles à peine ouvragées dessinant une clarté verte, tourbillonnant, en une seule nappe de nuit. L’humidité de l’air happe les songes et nous plonge dans un halo de pluie.

L’atmosphère a cette pureté neigeuse, gravée dans ma mémoire. Laiteuse clarté lointaine. Sourire de la mésange. Limites mouvantes entre le ciel et la mer. Parfum d’amarante. L’aube a un goût de cerise.

Raymond Alcovère, 2002

Bona Mangangu : Et ce bleu là... (huile sur toile)

vendredi, 28 mars 2008

Monter serait plus juste

"Pourquoi dans toutes nos langues occidentales dit-on "tomber amoureux" ? Monter serait plus juste. L'amour est ascensionnel comme la prière. Ascensionnel et éperdu. Chez les insectes isoptères, tout individu sexué reçoit aussitôt sa paire d'ailes. Je la revoyais une nuit à mes côtés sur la jetée du port de ma ville natale. L'été, le silence, l'approche de l'aube. Je la connaissais d'une semaine (Kant, Hermann Hesse, tennis). Je la trouvais superbe. Nous marchions du même pas, sans aucun bruit. Je reconnaîtrais sans peine l'endroit où j'ai senti comme une aveuglante déchirure dans le noir, où j'ai eu les poumons dévorés de bonheur. La vie d'un coup, acérée, musicale, intelligible."

Nicolas Bouvier, Le Poisson-scorpion.

mercredi, 26 mars 2008

La Théorie du K.O.

1056975369.jpg"Il n'en reste pourtant pas des masses, des endroits où les pauvres persistent à s'entraider." Ce polar de Lilian Bathelot clôt le cycle sétois entamé par Avec les loups et poursuivi par  Spécial Dédicace. La Théorie du K.O. c'est le nom de code d'une opération décidée par le ministère de l'intérieur. Le nom a été trouvé par un des chefs des services spéciaux qui a fait ses classes à La Havane, il y a bien des années de là, et pour d'autres causes, tout passe... De fait quelques péquenots sétois comme les appellent les superflics parisiens vont leur donner du fil à retordre. Tout ceci se passe sur fond de manipulation bien sûr. Les services de sécurité du Président du Conseil local, noyautés par un parti fasciste, ont commis quelques bavures, du coup c'est un véritable chaos qui enflamme L'île singulière. Priorité sera donnée à la protection du président, et toute l'opération sera maquillée en règlement de comptes de mafias rivales. Lilian Bathelot articule son polar de main de maître, les scènes d'action, la description du dessous des cartes de la politique locale, tout s'imbrique judicieusement comme la manipulation qu'il décrit.  On en a le souffle coupé tout du long et on réfléchit en même temps à l'enchaînement des faits et des causes, au rapport entre les médias et le pouvoir, entre l'histoire secrète et l'histoire officielle. C'est bien un regard politique que nous livre ici Lilian Bathelot.

éditions Jigal

Voir ici le site de l'écrivain

vendredi, 21 mars 2008

Je vis un moment de temps pur

1037550473.JPGJe vis un moment de temps pur, je sens autour de moi les ramifications du monde, ses ondes nerveuses, toute cette énergie. La capter, la traduire, la rendre ! La plus grande beauté est éphémère, et pourtant permanente. J’ai trouvé l’angle, l’arme fatale, pour déjouer le complot : le temps ! Quitter celui de la consommation, de la culpabilité, de la haine, du ressentiment. Le temps c’est l’art tout simplement. Seul il permet de sortir du cercle. Là est le satori, caché sous la cendre, retenu prisonnier sous des couches de civilisation. Le monde s’illumine, s’ouvre, aérien, léger et dense… Comme la matière, faite de vide. Nous ne sommes que des particules. Un bloc de temps  pur, vivace, intense, sulfureux, tremblant dans la fine lumière du soir, vent coulis instillé à l’intérieur des fuseaux horaires retrouvés, vivable tout d’un coup, jouissif, sensuel.

Raymond Alcovère, extrait de "Le bonheur est un drôle de serpent", roman en cours d'écriture

Photo de Gildas Pasquet (Albi)

mercredi, 19 mars 2008

Il neigeait

160845300.jpg« Il neigeait, et voici, nous en dirons merveilles : l’aube muette dans sa plume, comme une grande chouette fabuleuse en proie aux souffles de l’esprit, enflait son corps de dahlia blanc."

Saint-John Perse

Monet  "La pie, effets de neige"

samedi, 15 mars 2008

L'écriture penchée des nuages

455296052.jpgJe voudrais être au plus près du monde mais il m’échappe toujours. Une ombre de banyan s’étend mollement sur la mer.

Tout est entré dans le ciel. La nuit est musicale, heureusement. On y lit la portée du jour, nervures, entrelacs, déchirures, reconquêtes, fractures, apaisement.

Les bateaux sont des libellules d’eau. Le navire décrit une courbe pour éviter les îles qui avancent, promontoires menaçants.

Je vois les reflets d’une aurore dont je ne verrai pas se lever le soleil. François-René, ta langue est un paroxysme, cet océan aussi le tien.

La sirène du steamer mugit. La fumée s’échappe à gros bouillons et rejoint les nuages, effacées leurs traces. Le sillon se dévide dans une infinie lenteur. L’horizon s’enflamme de jets saccadés, monstrueux, barbaresques. Le ciel est une lutte, un amas de lances, un combat fratricide. Ainsi le ciel. De grandes orgues joufflues gonflées de nuit. Une symphonie du nouveau monde.

Lumière plombagine. Les éclairs  ouvrent des plaies, un écrin d’enluminures. Reflets zinzolins de l’aurore, devant.

A un moment il  ne reste que la fuite, se dissimuler. Fixer des silences, des pauses, masquer le tumulte, l’arrogance, la brutalité du monde.

Pluie incessante et chaude. Écriture penchée des nuages. Flaques grises dans les sous-bois de la nuit. Des arbres si haut qu’on en décèle à peine la hauteur.

Les bruits émeraude parviennent étouffés. La chouette est seule dans le silence à ignorer l’obscur. Pour elle l’univers brille d’une étrange lumière, argentée, déployée par une main invisible mais partout présente, l’or du temps.

Ce n’est pas un départ, mais une suite. Présence, présence seule. Tisser les mots, le silence et les notes de la pluie. Tisser tout fragment de l’univers.

Voici les grandes plaines de l’ombre. Ce gris me plaît. J’arpente des frondaisons. L’obscur est éphémère. Les nuages sont l’architecture du monde.

Les variations Goldberg s’inscrivent dans le contour bleu du ciel, le pli de la mer, ses ondulations. Constellations blanches, irisées, qui flottent, tout autour.

Paul ton œuvre est devant mes yeux. Un repos, une paix de l’âme. Lés immenses, tendus de soleil. Les couleurs crient, répondent, se repoussent, ce dialogue entre elles est notre viatique, nous qui ne savons rien, qu’interroger le silence, à grands traits rageurs, impatients. J’aurais voulu décrire ta palette, son scintillement, comme toi éclairer la nuit. Elle parle de l’innocence, elle remonte loin dans l’histoire. Parfois on y distingue une obscurité de caverne, une profondeur d’ébène, chaude, puis éclate un fraternel printemps.

On ne construit pas de palais sur la mer. Ce sont pourtant les seuls visibles, le réel un rideau de fumée.

Ici, là, une trouée, halo argenté, portée musicale. Le reflet d’un poisson volant. L’ombre de Walt Whitman. Lourds nuages cendrés. Point d’interrogation.

Raymond Alcovère. 2002. Ce texte raconte un épisode de la vie du poète Saint-John Perse, son exil en 1940. En arrivant à New-York, il apprend la mort de son ami Paul Klee (ce dernier élément est fictif, il n'a pas été l'ami du peintre).

 

jeudi, 13 mars 2008

L'extraordinaire du roman

2008952953.jpg"L'extraordinaire du roman, c'est que pour comprendre le réel objectif, il invente d'inventer. Ce qui est menti dans le roman libère l'écrivain, lui permet de montrer le réel dans sa nudité. Ce qui est menti dans le roman est l'ombre sans quoi vous ne verriez pas la lumière. Ce qui est menti dans le roman sert de substratum à la vérité. On ne se passera jamais du roman, pour cette raison que la vérité fera toujours peur, et que le mensonge romanesque est le seul moyen de tourner l'épouvante des ignorantins dans le domaine propre au romancier. Le roman, c'est la clef des chambres interdites de notre maison."

Aragon

Photo : Jean-Luc Aribaud

mercredi, 12 mars 2008

Ecrire sur la toile

Signalé par Christian Cottet-Emard (dit "l'auteur en forêt" ; pour ma part je me contenterais de "l'auteur en faux Ray") cet article de la Croix sur les blogs littéraires

13:47 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, blog

Parfois c’est ainsi

1593917156.jpgParfois c’est ainsi, rien ne peut m’apporter la paix, seulement ton image, ton image vraie, hors de tout désir conscient, alors miracle c’est en rêve que je la trouve. J’ai hâte de dormir pour pouvoir rêver de toi. Là je caresse tes cheveux sans fin, tu me parles, tu me souris, tes yeux illuminent tout, je bois ton visage, il s'illumine en moi comme il rayonne partout où ton regard se pose. Tout à l’heure je dormirai et pourvu que je te retrouve… Nous serons à Lisbonne, dans les rues sombres qui descendent vers le Tage, au milieu d’ombres erratiques, avec cette lumière blanche qui baigne toujours la ville et puis à l’hôtel Borges on fera l’amour encore, on ne verra pas le soleil mais aucune importance, avec cet air humide qu’on ne trouve que là-bas, les immeubles délabrés, cette atmosphère anglaise et surannée, Fernando Pessoa avec son chapeau et son parapluie seul dans la nuit grise, ici on perd tout sentiment de la réalité.

Raymond Alcovère, extrait de "Solaire", roman en cours d'écriture 

Image extraite des Carnets 99 de Véa

lundi, 10 mars 2008

Le perpétuel devenir des sentiments

80767496.JPG« Nous tendons instinctivement à solidifier nos impressions, pour les exprimer par le langage. De là vient que nous confondons le sentiment même, qui est dans un perpétuel devenir, avec son objet extérieur permanent, et surtout le mot qui exprime cet objet. »

Henri Bergson

Photo : Gildas Pasquet

dimanche, 09 mars 2008

Que du neuf !

"Je me souviens que tous les nombres dont les chiffres donnent un total de neuf sont divisibles par neuf (parfois je passais des après-midi à le vérifier...)."

Georges Pérec

Les Bienveillantes

1764523823.jpgLes Bienveillantes sont les mémoires fictifs d'un officier SS durant la deuxième guerre mondiale. Agent de liaison, chargé de diverses missions tout au long de la guerre, il est plutôt observateur des massacres. Le roman, très long et très complet, permet de suivre de l'intérieur toute une partie de la guerre, notamment le front russe et l'organisation des camps de concentration. Le narrateur, fin et lettré, est un nazi convaincu. Après une relation incestueuse avec sa soeur, il devient homosexuel.

Une des raisons essentielles développée dans le roman pour expliquer l'Holocauste est la ressemblance, voire la symétrie entre les Allemands (au sens d’Allemands aryens) et les Juifs. On ne tue finalement l’autre que parce qu’il incarne ce que l’on ne supporte pas dans son propre être. D’ailleurs Turek, qui massacre les Juifs avec tant de sadisme, a pour le narrateur un physique typiquement Juif. La sœur du narrateur est d’avis qu’« en tuant les Juifs [les Allemands ont] voulu [se] tuer eux-mêmes, tuer le Juif en [eux]. Tuer […] le bourgeois pansu qui compte ses sous, qui court après les honneurs et rêve de pouvoir […], tuer l’obéissance, tuer la servitude du Knecht, tuer toutes ces belles vertus allemandes. »

Un des personnages du roman, le haut dignitaire nazi Mandelbrod – qui porte un nom juif – souligne que les Allemands ont une dette envers les Juifs : « Toutes nos grandes idées viennent des Juifs. Nous devons avoir la lucidité de le reconnaître. » Parmi ces idées, on trouve l’idéologie völkisch (« La Terre comme promesse et comme accomplissement, la notion du peuple choisi entre tous, le concept de la pureté du sang »). Or pour les nazis, il ne peut y avoir deux peuples élus.

Le meurtre de masse est problématique pour la plupart des soldats. Pour remédier à cet état de fait, la création de camps de concentration est un moyen de diluer la responsabilité des différents acteurs du génocide, chacun pouvant arguer n’avoir fait que son travail. A part quelques brutes sadiques, la plupart  font ce qu'ils considèrent comme leur devoir avec dégoût, et surmonter ce dégoût est vécu par eux comme une victoire personnelle sur eux-mêmes, une forme de vertu.

Le livre, outre son intérêt historique, est passionnant par ce qu'il pose la question du mal : "J'en suis arrivé à la conclusion que le garde SS ne devient pas violent ou sadique parce qu'il pense que le détenu n'est pas un être humain ; au contraire, sa rage croît et tourne au sadisme lorsqu'il s'aperçoit que le détenu, loin d'être un sous-homme comme on le lui a appris, est justement, après tout, un homme, comme lui au fond, et c'est cette résistance, vous voyez que le garde trouve insupportable, cette persistance muette de l'autre, et donc le garde le frappe pour essayer de faire disparaître leur humanité commune. Bien entendu, cela ne marche pas : plus le garde frappe, plus il est obligé de constater que le détenu refuse de se reconnaître comme un non-humain. A la fin, il ne lui reste plus comme solution qu'à le tuer, ce qui est un constat d'échec définitif."

Folio, 1 400 pages, 12 €

On pourra lire ici une étude plus complète

samedi, 08 mars 2008

Devant, ciel gris, âpre

1615959017.jpgJ'avais écrit ce texte sur Saint-John Perse. Il a douze ans, quitte les Antilles pour la première fois, direction l'Europe. Lors d'une escale aux Açores, pour la première fois de sa vie, il découvre la neige...

 

Devant, ciel gris, âpre. Une chaleur insensible flotte. Le monde ne peut être paisible sans cette trouée lilas, monocorde, à fixer les nuages, les rendre transparents. La terre s’approfondit.

 

 Une musique monte dans le lointain, symphonie élastique. Gammes bleues et mauves. La terre est prête à s’engouffrer dans l’océan. Terre blonde et vermeille. Un lit de terre.

 

Loin encore l’Europe est là, je la sens. J’y jette tous mes espoirs, je ne reverrai jamais les îles je crois. Pourquoi revenir en arrière ?

 

La symphonie de l’aurore jette une lumière ocre. Des plages longilignes dévorent la terre devant l’étrave du bateau.

 

Si j’étais peintre, je poserais mon chevalet ici. Le ciel étagé en rumeurs, les couleurs comme des bruits, des notes, qui s’attirent, se repoussent, s’aiment.

 

La nuit recouvre le monde d’un baume nourricier. Le fin halo de l’aube pose des reflets de nacre. La mer déferle et envahit. La plaine s’évase, roule ses méandres d’eau, de limon et de soleil.

 

La neige, fluide, volatile – jamais je n’avais rêvé un tel bonheur – lance un soubresaut de calme sur l’azur. L’air piqué de nuages, d’oiseaux blancs, déchiquette l’ombre.

 

 La montagne, d’un coup fondue, disparue corps et âme, happée par le vent qui règne en maître. Le vent est le seul maître du ciel, de la terre et de la mer. Il attise les grandes passions et éteint les petites.

 

La scène se déroule sans ordre apparent. Une clarté dahlia, pulvérisée en fines gouttelettes mauves, disperse les derniers désordres de la nuit.

 

D’un coup de baguette magique, l’opéra déferle. Le chef d’orchestre, les bras chargés de neige, dirige la scène, pointant un doigt menaçant sur l’horizon.

 

Tout s’anime et se referme en un même mouvement. Le temps est immobile, dressé comme une forteresse en pleine lueur. Une symphonie du nouveau monde.

 

Une frondaison blanche s’est répandue, annonciatrice de temps nouveaux. Qui sait, la fin des temps est peut-être venue, ici, à la limite de l’océan, sur cet arrondi de la terre, archipel de hasard, de roc, de vent et de sable, noyé.

 

 Déchaînement des éléments. La terre va s’engloutir, revenir à sa vérité première. Matière, fusion, évanouissements.

 

 L’homme disparaîtra, lui le passager clandestin, l’invité de la dernière heure. Il s’en ira sur la pointe des pieds après avoir coloré d’un peu de poésie l’or du temps.

 

Raymond Alcovère

Tableau de Frédérique Azaïs : "Le petit prince a dit"

 

vendredi, 07 mars 2008

Ne crains pas...

1458673875.JPG"Ne crains pas", dit l'Histoire, levant un jour son masque de violence - et de sa main levée elle fait ce geste concilant de la Divinité asiatique au plus fort de sa danse destructrice. "Ne crains pas, ni ne doute - car le doute est stérile et la crainte est servile. Ecoute plutôt ce battement rythmique que ma main haute imprime, novatrice, à la grande phrase humaine en voie toujours de création. Il n'est pas vrai que la vie puisse se renier elle-même. Il n'est rien de vivant qui de néant procède, ni de néant s'éprenne. Mais rien non plus ne garde forme ni mesure, sous l'incessant afflux de l'Etre. La tragédie n'est pas dans la métamorphose elle-même. Le vrai drame du siècle est dans l'écart qu'on laisse croître entre l'homme temporel et l'homme intemporel. L'homme éclairé sur un versant va-t-il s'obscurcir sur l'autre ? Et sa maturation forcée, dans une communauté sans communion, ne sera-t-elle que fausse maturité ?...

Saint-John Perse

Photo : Gildas Pasquet

jeudi, 06 mars 2008

La nouvelle

« La nouvelle, c’est un petit avion de papier que tu envoies dans les airs, tandis que le roman, c’est comme si tu devais arracher du sol un bombardier rempli jusqu’aux oreilles tu imagines… ? » 

Philippe Djian, Echine

La lecture

730969258.jpg« J’aime la lecture parce que c’est la seule conversation à laquelle on peut couper court à tout instant, et dans l’instant »

Pascal Quignard

Photo : Nina Houzel