samedi, 15 mars 2008
L'écriture penchée des nuages
Tout est entré dans le ciel. La nuit est musicale, heureusement. On y lit la portée du jour, nervures, entrelacs, déchirures, reconquêtes, fractures, apaisement.
Les bateaux sont des libellules d’eau. Le navire décrit une courbe pour éviter les îles qui avancent, promontoires menaçants.
Je vois les reflets d’une aurore dont je ne verrai pas se lever le soleil. François-René, ta langue est un paroxysme, cet océan aussi le tien.
La sirène du steamer mugit. La fumée s’échappe à gros bouillons et rejoint les nuages, effacées leurs traces. Le sillon se dévide dans une infinie lenteur. L’horizon s’enflamme de jets saccadés, monstrueux, barbaresques. Le ciel est une lutte, un amas de lances, un combat fratricide. Ainsi le ciel. De grandes orgues joufflues gonflées de nuit. Une symphonie du nouveau monde.
Lumière plombagine. Les éclairs ouvrent des plaies, un écrin d’enluminures. Reflets zinzolins de l’aurore, devant.
A un moment il ne reste que la fuite, se dissimuler. Fixer des silences, des pauses, masquer le tumulte, l’arrogance, la brutalité du monde.
Pluie incessante et chaude. Écriture penchée des nuages. Flaques grises dans les sous-bois de la nuit. Des arbres si haut qu’on en décèle à peine la hauteur.
Les bruits émeraude parviennent étouffés. La chouette est seule dans le silence à ignorer l’obscur. Pour elle l’univers brille d’une étrange lumière, argentée, déployée par une main invisible mais partout présente, l’or du temps.
Ce n’est pas un départ, mais une suite. Présence, présence seule. Tisser les mots, le silence et les notes de la pluie. Tisser tout fragment de l’univers.
Voici les grandes plaines de l’ombre. Ce gris me plaît. J’arpente des frondaisons. L’obscur est éphémère. Les nuages sont l’architecture du monde.
Les variations Goldberg s’inscrivent dans le contour bleu du ciel, le pli de la mer, ses ondulations. Constellations blanches, irisées, qui flottent, tout autour.
Paul ton œuvre est devant mes yeux. Un repos, une paix de l’âme. Lés immenses, tendus de soleil. Les couleurs crient, répondent, se repoussent, ce dialogue entre elles est notre viatique, nous qui ne savons rien, qu’interroger le silence, à grands traits rageurs, impatients. J’aurais voulu décrire ta palette, son scintillement, comme toi éclairer la nuit. Elle parle de l’innocence, elle remonte loin dans l’histoire. Parfois on y distingue une obscurité de caverne, une profondeur d’ébène, chaude, puis éclate un fraternel printemps.
On ne construit pas de palais sur la mer. Ce sont pourtant les seuls visibles, le réel un rideau de fumée.
Ici, là, une trouée, halo argenté, portée musicale. Le reflet d’un poisson volant. L’ombre de Walt Whitman. Lourds nuages cendrés. Point d’interrogation.
Raymond Alcovère. 2002. Ce texte raconte un épisode de la vie du poète Saint-John Perse, son exil en 1940. En arrivant à New-York, il apprend la mort de son ami Paul Klee (ce dernier élément est fictif, il n'a pas été l'ami du peintre).
00:49 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature, saint-john perse, paul klee
Commentaires
Ce texte est d'une beauté étonnante... Mystérieuse... Palpable.
Écrit par : S. | samedi, 15 mars 2008
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