vendredi, 06 mars 2015
Dico de bord (extrait 15)
Pour clore cette première partie d'extraits du #Dicodebord, celui qui lui a donné son nom : Debord (Guy) extrait 15
La Société du Spectacle, publié en 1967, s’est avéré prémonitoire. Ce que nous vivons y est décrit par le menu et analysé. En voici le début : « Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation. Les images qui se sont détachées de chaque aspect de la vie fusionnent dans un cours commun, où l’unité de cette vie ne peut plus être rétablie. » Un peu plus loin : « Alors que dans la phase primitive de l’accumulation capitaliste, l’économie politique ne voit dans le prolétaire que l’ouvrier, qui doit recevoir le minimum indispensable pour la conservation de sa force de travail, sans jamais le considérer dans ses loisirs, dans son humanité, cette position des idées de la classe dominante se renverse aussitôt que le degré d’abondance atteint dans la production des marchandises exige un surplus de collaboration de l’ouvrier. Cet ouvrier soudain lavé du mépris total qui lui est clairement signifié par toutes les modalités d’organisation et surveillance de la production, se retrouve chaque jour en dehors de celle-ci apparemment traité comme une grande personne, avec une politesse empressée, sous le déguisement du consommateur. » Il élargit ensuite et précise le propos : « La première phase de la domination de l’économie sur la vie sociale avait entraîné dans la définition de toute réalisation humaine une évidente dégradation de l’être en avoir. La phase présente de l’occupation totale de la vie sociale par les résultats accumulés de l’économie conduit à un glissement généralisé de l’avoir au paraître, dont tout avoir effectif doit tirer son prestige immédiat et sa fonction dernière » : Étonnant Guy Debord, intransigeant, implacable ; sa vie aura été une suite de fulgurances, il savait et a mis en pratique le fait que tout groupe subversif est « égaré, provoqué, infiltré, manipulé, usurpé, retourné. » Dans les Commentaires sur la Société du Spectacle, en 1988, il pressent la chute du Mur de Berlin et l’arrivée du « spectaculaire intégré » qui va régner sans partage sur la planète, par le renouvellement technologique incessant, l’absorption de l’Etat par le marché, le modèle mafieux qui s’étend dans le champ politique et l’abolition de toute conscience historique. « Assez fréquemment, les maîtres de la société se déclarent assez mal servis par leurs employés médiatiques ; plus souvent, ils reprochent à la plèbe des spectateurs sa tendance à s’adonner sans retenue, et presque bestialement, aux plaisirs médiatiques. On dissimulera ainsi, derrière une multitude virtuellement infinie de prétendues divergences médiatiques, ce qui est tout au contraire le résultat d’une convergence spectaculaire voulue avec une remarquable ténacité. De même que la logique de la marchandise prime les diverses ambitions concurrentielles de tous les commerçants, ou que la logique de la guerre domine toujours les fréquentes modifications de l’armement, de même la logique sévère du spectacle commande partout la foisonnante diversité des extravagances médiatiques. » Debord est nourri des classiques, il s’exprime dans une langue ample et précise. L’assassinat toujours inexpliqué de son éditeur, Gérard Lebovici, l’a beaucoup affecté : il se suicidera quelques années plus tard.
(Raymond Alcovère : ce livre de bord, construit sous la forme d’un abécédaire, fait le tour de tout ce qui me tient à cœur, m’a construit : noms communs, mais aussi lieux, femmes et hommes célèbres, écrivains, peintres, musiciens. Les « définitions », nourries de nombreuses citations, ont des dimensions très variables : entre une ligne et trois pages)
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jeudi, 05 mars 2015
Dico de bord (extrait 14)
#Dicodebord extrait 14
Malraux (André)
Il n’a jamais séparé l’action de la pensée : « Les idées ne sont pas faites pour être pensées mais vécues » et a constamment exalté la fraternité : « Les hommes unis à la fois par l’espoir et par l’action accèdent, comme les hommes unis par l’amour à des domaines où ils n’accéderaient pas seuls. » Son amitié et son compagnonnage avec De Gaulle sont fascinants ; il a écrit : « Le grand intellectuel est l’homme de la nuance, du degré, de la qualité, de la vérité en soi, de la complexité. Il est par définition, par essence, antimanichéen. Or, les moyens de l’action sont manichéens parce que toute action est manichéenne. À l’état aigu dès qu’elle touche les masses ; mais même si elle ne les touche pas. Tout vrai révolutionnaire est un manichéen-né. Et tout politique. » Avec lui justement, les catégories, les schémas classiques ne tiennent pas. Sans doute a-t-il sans cesse voulu bousculer, prendre à revers, être libre et agir. On dirait qu’il a passé sa vie à dépasser des limites : « L’homme ne se construit qu’en poursuivant ce qui le dépasse. » Un passionné, avide d’absolu : « Le plus grand mystère n’est pas que nous soyons jetés au hasard entre la profusion de la matière et celle des astres ; c’est que, dans cette prison, nous tirions de nous-mêmes des images assez puissantes pour nier notre néant. » « L’homme ne se construit qu’en poursuivant ce qui le dépasse. » Ou encore : « L’artiste n’est pas le transcripteur du monde, il en est le rival. » Et ceci, dans Les Voix du silence : « Sans doute, un jour, devant les étendues arides ou reconquises par la forêt, nul ne devinera plus ce que l’homme avait imposé d’intelligence aux formes de la terre en dressant les pierres de Florence dans le grand balancement des oliviers toscans. » Souvent brillant, inattendu, provocateur : « Si l’on y réfléchit bien, le Christ est le seul anarchiste qui ait vraiment réussi. » L’Espoir.
(Raymond Alcovère : ce livre de bord, construit sous la forme d’un abécédaire, fait le tour de tout ce qui me tient à cœur, m’a construit : noms communs, mais aussi lieux, femmes et hommes célèbres, écrivains, peintres, musiciens. Les « définitions », nourries de nombreuses citations, ont des dimensions très variables : entre une ligne et trois pages)
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mercredi, 04 mars 2015
Dico de bord (extrait 13)
#Dicodebord extrait 13
Beauté
Ce qui est beau est donné. Georges Bataille : « La beauté seule, en effet, rend tolérable un besoin de désordre, de violence et d’indignité qui est la racine même de l’amour. » L’hexagramme 14 du Yi Jing (Le grand avoir) dit ceci : « N’oubliez pas de faire ressortir la beauté qui est en toutes choses. Ainsi serez-vous relié au ciel et saurez-vous à quel moment agir. » La beauté reliée au ciel et au temps. Et là on rejoint Bataille, qui renvoie au désordre, au trouble, au dérangement. Et bien sûr Breton : « La beauté sera érotique-voilée, explosante-fixe, magique-circonstancielle ou ne sera pas. » Donnée, elle peut être révélée ou dévoilée par l’artiste : « Il n’y a réellement ni beau style, ni beau dessin, ni belle couleur, il n’y a qu’une seule beauté, celle de la vérité qui se révèle. » : Rodin. Subtile, fragile beauté, presque irréelle, éphémère parfois, comme celle de la rose, sans explication, clandestine : « Entre la beauté et la laideur, il n’y a souvent qu’un point presque imperceptible. » : Casanova. Mais la définition la plus mystérieuse est sans doute celle du poète Philippe Jaccottet : « Il se peut que la beauté naisse quand la limite et l'illimité deviennent visibles en même temps, c’est-à-dire quand on voit des formes tout en devinant qu’elles ne disent pas tout, qu’elles ne sont pas réduites à elles-mêmes, qu’elles laissent à l’insaisissable… »
(Raymond Alcovère : ce livre de bord, construit sous la forme d’un abécédaire, fait le tour de tout ce qui me tient à cœur, m’a construit : noms communs, mais aussi lieux, femmes et hommes célèbres, écrivains, peintres, musiciens. Les « définitions », nourries de nombreuses citations, ont des dimensions très variables : entre une ligne et trois pages)
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mardi, 03 mars 2015
Dico de bord (extrait 12)
#Dicodebord extrait 12
Monet (Claude)
« J’aurais aimé avoir les yeux de Claude Monet » : dit un des personnages de Fugue baroque. Pour avoir peint ces tableaux-là, il devait voir des choses extraordinaires, une symphonie perpétuelle dansait probablement devant ses yeux, que nous n’imaginons même pas. On sent chez lui une sorte de jouissance immédiate de l’être, une plénitude intérieure, qui en fait un des plus grands peintres de tous les temps. Le Pont d’Argenteuil, du Musée du Louvre, déborde, explose de lumière intérieure ; le tableau entier est un apaisement. Entre les bleus et les verts, l’eau le ciel les arbres, tout se confond dans une symphonie bleutée et miroitante. Les régates à Argenteuil semble sorti de l’enfance, l’orangé, le vert et le bleu ciel ont leur reflet magique – japonais – dans l’eau. Dans Les barques, régate à Argenteuil, on est noyé dans un désordre d’eau, de ciel, en touches vives, alors que le vent emporte les voiles, en même temps que le tumulte des vagues. Cézanne a dit de lui : « Monet ce n’est qu’un œil, mais bon dieu, quel œil ! Le plus fort de tous. Je l’ajoute au Louvre ! Monet s’en tient à une seule vision des choses ; il se maintient aisément là où il parvient. Oui, un homme comme Monet est heureux, il accomplit sa belle destinée ».
(Raymond Alcovère : ce livre de bord, construit sous la forme d’un abécédaire, fait le tour de tout ce qui me tient à cœur, m’a construit : noms communs, mais aussi lieux, femmes et hommes célèbres, écrivains, peintres, musiciens. Les « définitions », nourries de nombreuses citations, ont des dimensions très variables : entre une ligne et trois pages)
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lundi, 02 mars 2015
Dico de bord (extrait 11)
#Dicodebord extrait 11
Hugo (Victor)
Booz endormi et À Villequier contiennent des trésors ; souffle poétique, puissance, grand style. Et puis Hugo, quel panache ! Dès 1851, il pressent le danger que représente Louis Napoléon Bonaparte : « Quoi ? Après Auguste, Augustule ! Quoi ! Parce que nous avons eu Napoléon le Grand, il faut que nous ayons Napoléon le Petit ! ». Le coup d’Etat du 2 décembre confirme ses craintes, l’armée tire aveuglément sur la foule. Banni, il quitte la France pour Jersey, et en rajoute une couche : « Le fleuve humain en marche, la vague française en avant, la civilisation, le progrès, l’intelligence, la révolution, la liberté, il a arrêté cela un beau matin, purement et simplement, tout net, ce masque, ce nain, ce Tibère avorton, ce néant ! » Il reviendra en vainqueur. À vingt ans, il s’était jeté dans la ferveur romantique : « Je serai Chateaubriand ou rien », et finira grand-père de la Nation. Il écrivait debout, on peut voir son bureau Place des Vosges à Paris. Il a noirci des milliers de pages, avec un incroyable facilité ; ici dans Océan : « L’équinoxe commence à traverser notre ciel et notre mer avec ses splendeurs et ses furies. Il pleut du rayon et de l’ouragan ; l’immensité et la terre, le soleil et l’océan, la nuée et l’écume ne font qu’un paysage ; paysage violent, féroce, charmant, lumineux, ténébreux, inouï. Il ne fait pas jour le jour et il ne fait pas nuit la nuit. On dirait que le bon Dieu consulte Rembrandt sur les horizons qu’il me fait. J’habite le plus magnifique des clairs obscurs. » Ou encore : « J’ai dans l’âme une fleur que nul ne peut cueillir » ou dans Booz endormi : « Un frais parfum sortait des touffes d'asphodèle / Les souffles de la nuit flottaient sur Galgala/ L'ombre était nuptiale, auguste et solennelle / Les anges y volaient sans doute obscurément/ Car on voyait passer dans la nuit, par moment/ Quelque chose de bleu qui paraissait une aile. » Un peu plus loin : « Tout reposait dans Ur et dans Jérimadeth / Les astres émaillaient le ciel profond et sombre / Le croissant fin et clair parmi ces fleurs de l'ombre/ Brillait à l'occident, et Ruth se demandait/ Immobile, ouvrant l'œil à moitié sous ses voiles/ Quel dieu, quel moissonneur de l'éternel été/ Avait, en s'en allant, négligemment jeté/ Cette faucille d'or dans le champ des étoiles. » Et ceci, dans les Proses philosophiques : « Vous êtes à la campagne, il pleut, il faut tuer le temps, vous prenez un livre, le premier livre venu, vous vous mettez à lire ce livre comme vous liriez le Journal officiel de la préfecture ou la feuille d’affiches du chef-lieu, pensant à autre chose, distrait, un peu bâillant. Tout à coup vous vous sentez saisi, votre pensée semble ne plus être à vous, votre distraction s’est dissipée, une sorte d’absorption, presque une sujétion, lui succède, vous n’êtes plus maître de vous lever et de vous en aller. Quelqu’un vous tient. Qui donc ? Ce livre. Un livre est quelqu’un. Ne vous y fiez pas. Un livre est un engrenage. Prenez garde à ces lignes noires sur du papier blanc ; ce sont des forces ; elles se combinent, se composent, se décomposent, entrent l’une dans l’autre, pivotent l’une sur l’autre, se dévident, se nouent, s’accouplent, travaillent. Telle ligne mord, telle ligne serre et presse, telle ligne entraîne, telle ligne subjugue. Les idées sont un rouage. Vous vous sentez tiré par le livre. Il ne vous lâchera qu’après avoir donné une façon à votre esprit. Quelquefois les lecteurs sortent du livre tout à fait transformés. » On lui pardonne : « Un affreux soleil noir d’où rayonne la nuit. » Et on apprécie : « Il sortit de la vie comme un vieillard en sort. » Il a inspiré un amour fou à Juliette Drouet qui écrivit : « Je suis trop heureuse qu’il daigne me rendre malheureuse. »
(Raymond Alcovère : ce livre de bord, construit sous la forme d’un abécédaire, fait le tour de tout ce qui me tient à cœur, m’a construit : noms communs, mais aussi lieux, femmes et hommes célèbres, écrivains, peintres, musiciens. Les « définitions », nourries de nombreuses citations, ont des dimensions très variables : entre une ligne et trois pages)
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dimanche, 01 mars 2015
Dico de bord (extrait 10)
#Dicodebord extrait 10
Bons sentiments
Ah la prodigieuse bêtise de Gide avec sa phrase : « On ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments », dont Michel Houellebecq déplore dans Ennemis publics : « qu’on l’interprète automatiquement comme un appel à l’utilisation des mauvais sentiments. La vérité est bien entendu qu’on fait de la bonne littérature avec tous les sentiments du monde, les meilleurs comme les pires, et qu’on est absolument libre d’en choisir le dosage. »
(Raymond Alcovère : ce livre de bord, construit sous la forme d’un abécédaire, fait le tour de tout ce qui me tient à cœur, m’a construit : noms communs, mais aussi lieux, femmes et hommes célèbres, écrivains, peintres, musiciens. Les « définitions », nourries de nombreuses citations, ont des dimensions très variables : entre une ligne et trois pages)
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samedi, 28 février 2015
Dico de bord (extrait 9)
#Dicodebord extrait 9
Morisot (Berthe)
« Berthe Morisot avait une personnalité volontaire, mais elle était aussi énigmatique. Sa peinture dégage un certain mystère. Quels que soient les milieux sociaux figurés, ses portraits ne sont jamais mondains. Au contraire, ils font toujours appel à l’intime. Ses personnages ont des regards que l’on n’arrive pas à saisir, ils sont tournés vers le dedans : telle est la quête de la peintre » : Maïthé Vallès-Bled. En effet, un mystère flotte toujours sur ses toiles, entremêlé à la finesse, à la sensualité et à un sens extrême de la couleur, comme dans L’été ou Jeune femme près d’une fenêtre de 1878 (Musée Fabre de Montpellier), où on est presque déjà dans la peinture abstraite, le personnage n’existant qu’au travers des masses colorées. Elle a organisé sa vie pour pouvoir peindre ; après avoir repoussé bien des prétendants, elle épouse Eugène Manet, le frère d’Édouard, qui la soutiendra, l’aidera pour s’affirmer. Tout la poussait pourtant, en tant que femme, à renoncer à la peinture. Sa volonté inébranlable lui permettra de réussir là où tant d’autres ont échoué. Fidèle, elle n’abandonnera pas le groupe des Impressionnistes naissant et leurs expositions parallèles. Édouard Manet a fait d’elle un portrait saisissant, sur fond noir. Dominique Bona a écrit dans sa biographie : Berthe Morisot, Le mystère de la dame en noir : « Berthe répugne à peindre des natures mortes. À l’objet elle préfère la nature changeante. À la pose inanimée le mouvement. Elle préfère la vie, tout ce qui bouge, tout ce qui fuit. Elle aime les jardins, les bateaux, les plans d’eau, la mer, les nuages et la brume, la légèreté des rubans d’une robe sous le vent, l’apesanteur, la grâce d’un geste, d’un regard, d’une chevelure. » « Mon ambition se limite au désir de transcrire quelque chose d’éphémère, et cependant cette ambition est démesurée », écrira Berthe Morisot.
(Raymond Alcovère : ce livre de bord, construit sous la forme d’un abécédaire, fait le tour de tout ce qui me tient à cœur, m’a construit : noms communs, mais aussi lieux, femmes et hommes célèbres, écrivains, peintres, musiciens. Les « définitions », nourries de nombreuses citations, ont des dimensions très variables : entre une ligne et trois pages)
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vendredi, 27 février 2015
Dico de bord (extrait 8)
#Dicodebord, huitième extrait :
Churchill (Sir Winston)
Sa phrase sublime dans sa Lettre à Neville Chamberlain adressée peu après la signature des Accords de Munich (1938): « Vous aviez à choisir entre la guerre et le déshonneur ; vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre ». Et celle-ci n’est pas mal non plus prononcée à l'occasion d'une conférence donnée en mars 59 : « Après la guerre, deux choix s'offraient à moi : finir ma vie comme député ou finir comme alcoolique. Je remercie Dieu d'avoir si bien guidé mon choix : je ne suis plus député ! » Également peintre et écrivain, il reçut même le prix Nobel de littérature en 1953 ; à la fois déçu (il espérait le Nobel de la paix) et surpris : « Tiens je ne savais pas que j’écrivais si bien ! »
(Raymond Alcovère : ce livre de bord, construit sous la forme d’un abécédaire, fait le tour de tout ce qui me tient à cœur, m’a construit : noms communs, mais aussi lieux, femmes et hommes célèbres, écrivains, peintres, musiciens. Les « définitions », nourries de nombreuses citations, ont des dimensions très variables : entre une ligne et trois pages)
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jeudi, 26 février 2015
Dico de bord (extrait 7)
#Dicodebord suite, septième extrait
Barthes (Roland)
Il rêvait d’écrire un roman. Il l’a écrit pourtant, par bribes, fragments, exercice dont il était un des maîtres, comme dans Barthes par lui-même, seul opus de la fameuse collection du Seuil qui justifie son titre, ou dans les Fragments d’un discours amoureux. À propos de l’écrivain : « Il est seul, abandonné des anciennes classes et des nouvelles. Sa chute est d’autant plus grave qu’il vit aujourd’hui dans une société où la solitude elle-même, en soi, est considérée comme une faute. Nous acceptons (c’est là notre coup de maître) les particularismes, mais non les singularités ; les types, mais non les individus. Nous créons (ruse géniale) des chœurs de particuliers, dotés d’une voix revendicative, criarde et inoffensive. Mais l’isolé absolu ? Celui qui n’est ni breton, ni corse, ni femme, ni homosexuel, ni fou, ni arabe, etc. ? Celui qui n’appartient même pas à une minorité ? La littérature est sa voix, qui par un renversement paradisiaque, reprend superbement toutes les voix du monde, et les mêle dans une sorte de chant qui ne peut être entendu que si l’on se porte, pour l’écouter, très au loin, en avant, par-delà les écoles, les avant-gardes, les journaux et les conversations. »
Rappel : Ce livre de bord, construit sous la forme d’un abécédaire, fait le tour de tout ce qui me tient à cœur, m’a construit : noms communs, mais aussi lieux, femmes et hommes célèbres, écrivains, peintres, musiciens. Les « définitions », nourries de nombreuses citations, ont des dimensions très variables : entre une ligne et trois pages.
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mercredi, 25 février 2015
Dico de bord (extrait 6)
Bernini (dit Le Bernin)
Ce napolitain est un des plus grands artistes qui aient existé : à la fois architecte, peintre et sculpteur, et capable de marier les trois : Saint-Pierre de Rome, le fameux « doigt de Dieu », la colonnade de la place et le Baldaquin, c’est lui. Si on lui avait laissé réaliser son projet pour le Louvre – mais une cabale menée par Charles Perrault l’en a empêché – il aurait introduit des courbes, une façade ondulante. Du coup, relativement peu de baroque en France et Bernini est retourné (entre autres) en Italie. Ses sculptures, comme Pluton et Proserpine à la villa Borghese et bien sûr L’extase de Sainte-Thérèse sont si délicates et sensuelles qu’on en mangerait. Le musée Fabre de Montpellier possède de lui un petit autoportrait étonnant.
Raymond Alcovère, à paraître
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mardi, 24 février 2015
Dico de bord (extrait 5)
Dico de bord, suite, cinquième extrait :
Maigret (Commissaire)
Magnifique personnage, la plus belle création de Simenon : Il est massif, placide, entêté, rugueux parfois mais détaché, on dirait qu’il survole les situations ; on croirait qu’il rêve. Pourtant il n’arrête pas de réfléchir, de sentir ; son quotidien c’est le tragique, la bassesse de l’existence ; lui, c’est un bloc, une montagne ; il trimballe dans tout Paris sa carrure massive, faussement débonnaire, la pipe à la bouche. Sa méthode, c’est l’imprégnation, dans les rues, les bistrots, les loges de concierge. Il s’insinue, renifle, met ses pas dans ceux de la victime, il cherche pourquoi elle a pu être l’objet de la haine ou de la vengeance des autres. On plonge dans le Paris de l’entre-deux guerres ou de l’immédiat après-guerre, qu’il nous fait visiter de son allure de promeneur nonchalant. C’est une espèce de anti-héros, décalé en apparence, avec sa femme dans l’ombre, les enfants qu’ils n’ont pas eus, et son amour pour les déshérités ; il est capable de tricher devant la loi pour protéger les faibles et les innocents quand ils sont menacés. Bien sûr il est désabusé, mais son empathie est la plus forte ; elle lui permet de comprendre les gens, leurs mobiles, leurs faiblesses et de dénouer, même si le plus souvent c’est trop tard. Et puis il y a ce talent inouï de Simenon dans tous ses romans ; en quelques lignes, les premières, il plante le décor, l’ambiance, et il n’y aura pas de relâchement jusqu’au bout : « C’était un de ces mois de mai exceptionnels comme on n’en connaît que deux ou trois dans sa vie et qui ont la luminosité, le goût, l’odeur des souvenirs d’enfance. » (Maigret et les vieillards).
Raymond Alcovère, à paraître
02:50 Publié dans Dico de bord | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : maigret, georges simenon, dico de bord
lundi, 23 février 2015
Dico de bord (extrait 4)
Dico de bord, suite (quatrième extrait)
Tintoret
Il s’opposera, au contraire de Véronèse, à Titien. Plus sombre et tourmenté que Titien, si on omet les dernières toiles du Maître. Tout est mouvement chez le Tintoret, énergie ; il tutoie sans complexe le tragique, a besoin de se confronter sans cesse aux forces agissantes. On imagine ainsi son corps, sa puissance physique et celle de son mental aussi. Il peint les scènes de la Bible souvent sous des angles nouveaux, improbables ; il cherche l’intensité, la profondeur, le trouble. Il a peint Le paradis au Palais Ducal, le plus grand tableau du monde. Ses scènes mythologiques, influencées par le Maniérisme, sont empreintes d’un érotisme subtil. Ses autoportraits, de face, sont saisissants.
Raymond Alcovère, à paraître
Autoportrait
03:07 | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 22 février 2015
Dico de bord (extrait 3)
Dico de bord, suite, troisième extrait :
Football
Ce jeu est né sur le principe du handicap. Le geste le plus naturel pour un humain (on le voit avec les très jeunes enfants) est de saisir un ballon avec les mains. On décide donc qu’on pourra jouer ce ballon avec toutes les parties du corps sauf les mains et les bras ; du coup, cela devient très compliqué et ce modeste jeu va devenir le sport plus populaire sur toute la planète et malgré la médiatisation et la présence de puissants intérêts financiers, donner lieu à d’incroyables innovations techniques. Marquer un but de la tête, par exemple, belle trouvaille et acte jouissif…
Raymond Alcovère, à paraître
02:52 Publié dans Dico de bord | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : football
samedi, 21 février 2015
Dico de bord (extrait 2)
Dico de bord, suite, deuxième extrait :
Columbo
Avec lui tout est stratagème. Première audace, on commence par inverser le code de toute énigme policière en révélant d’entrée le coupable. Ensuite, le personnage lui-même au centre de tout. Il trompe l’adversaire par son accoutrement invraisemblable, sa voiture (française), son cigare (mâchonné) – bref il fait tâche au milieu des riches et les puissants à qui il rend visite chez eux. Ils baissent la garde, lui en rajoute, jamais arrogant, humble, il parle de sa femme, fait l’imbécile ; et puis il y a ses fameux faux départs, il revient, une fois, deux fois, il a oublié quelque chose, un détail, et ses victimes excédées finissent par craquer à force d’empiler les mensonges. Il va même jusqu’à leur tendre un piège fatal en leur proposant lui-même une énième justification qui va évidemment se retourner contre eux. Vengeance du faible contre les forts, sans violence ni coups de feu, jamais, nous sommes bien au cœur de la stratégie chinoise.
06:32 Publié dans Dico de bord | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : columbo
vendredi, 20 février 2015
Dico de bord (extrait)
Je viens de terminer un livre de bord construit sous la forme d’un dictionnaire. Il fait le tour de tout ce qui me tient à cœur, m’a construit, rassemblé sous la forme d’un abécédaire : noms communs, mais aussi lieux, femmes et hommes célèbres, écrivains, peintres, musiciens. Les « définitions », nourries de nombreuses citations, ont des dimensions très variables : entre une ligne et trois pages. En voici une :
Beaumarchais
Sa vie est un roman : musicien, auteur dramatique, éditeur, courtisan, agent secret, homme d’affaires, trafiquant… Avec La Folle journée ou Le Mariage de Figaro, il remporte le plus grand triomphe de toute l’histoire de la Comédie Française. À l’image de son créateur, Figaro est : « ambitieux par vanité, laborieux par nécessité, mais paresseux… avec délices ; poète par délassement ; musicien par occasion, amoureux par folles bouffées… » « Que les gens d'esprit sont bêtes ! » Écrira-t-il. Voltaire a dit de lui : « Quel homme ! Il réunit tout, la plaisanterie, le sérieux, la raison, la gaieté, la force, le touchant, tous les genres d’éloquence ; et il n’en recherche aucun, et il confond tous ses adversaires, et il donne des leçons à ses juges. » Maître en ironie, Beaumarchais a écrit ceci sur la censure : « Pourvu que je ne parle en mes écrits ni de l’autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l’opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement sous l’inspection de deux ou trois censeurs. » Il annonce et prépare la Révolution (à laquelle il a adhéré avant d’être banni) par cette fameuse tirade du Barbier de Séville : « Aux vertus qu’on exige d’un domestique, votre Excellence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d’être valets ? » On sait moins qu’il fut le premier à obtenir la reconnaissance des Droits d’auteur, tournant décisif dans l’histoire de la littérature : avant lui l’écrivain était bénévole ou dépendait du bon vouloir d’éventuels mécènes. Et puis ceci, délicieux, toujours dans Le Mariage de Figaro (préface): « Quel diable d’homme, et qu'il est contrariant ! Il dit du bien de tout le monde ! »
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mardi, 17 février 2015
Lune
La lune, au visage changeant,
Paraît sur un trône d'argent,
Et tient cercle avec les étoiles ;
Le ciel est toujours clair tant que dure son cours,
Et nous avons des nuits plus belles que vos jours.
Racine, Lettre à M. Vitart, 17 janvier 1662, d'Uzès
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vendredi, 13 février 2015
Energie noire
"Plus de mystère ? D'accord. Mais c'est justement cette situation qui multiplie le mystère. J'avance, je tombe, je m'enfonce, je me redresse, je n'y comprends rien. Il n'y a, d'ailleurs, peut-être rien à comprendre, sauf que l'Univers, ou plutôt le Multivers, a toujours lieu, comme rayonnement, 380 000 ans après le Big Bang. Je sais que la matière ordinaire (mes atomes) n'occupe que 4,8 % de ce tourbillon, que 25,8 % sont constitués de "matière noire" encore inconnue, et que "l'énergie noire", poussant le tout à grossir, prend 68,4 % de l'ensemble. Je n'en ai pas l'air, mais je suis bel et bien un boson gravitationnel, un neutrino qui peut franchir des montagnes. Je me souviens surtout, et ça me ravit, que les galaxies s'éloignent les unes des autres à 66 kilomètres par seconde. Un, deux, trois : 198 kilomètres. Pas mal."
Extrait de L'Ecole du Mystère, Philippe Sollers, 2015
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vendredi, 06 février 2015
Toute sa vie il peindra des pommes.
Étonnante amitié entre Cézanne et Zola, nouée dans l’enfance. Zola a pressenti le génie de Cézanne, il l’a encouragé, poussé à persévérer. Puis comme s’il avait reconnu en lui sa part maudite, ses doutes, sa difficulté à créer, il ne l’a plus supporté.
Il le tue symboliquement dans L’Œuvre, ce roman qui provoquera la rupture, où Cézanne découvre son portrait déformé. Après avoir lu le livre, il écrit sa dernière lettre à Zola et termine par ses mots : Tout à toi sous l’impulsion des temps écoulés. La vie de l’écrivain était devenue de plus en plus publique, celle du peintre retirée. Au début, c’était le contraire.
Tout avait commencé avec les pommes. Zola adolescent chétif, renfermé, italien par son père et parisien par son accent, est mal accepté ; il est mis en quarantaine par les autres. Un jour, Cézanne, plutôt solide, bien dans son corps et de deux ans son aîné, transgresse l’interdit : “ Je ne pouvais m’empêcher de lui parler quand même ”. Il reçoit une raclée de toute la cour, petits et grands. Le lendemain, pour le remercier, Zola lui offre un plateau de pommes. Lesquelles reviendront constamment dans sa peinture. Leur amitié venait de naître, elle ne cesserait pas. Malgré la rupture, l’éloignement, quand il apprendra sa mort, bien des années plus tard, Cézanne, fou de douleur, s’enfermera dans sa chambre.
Toute sa vie il peindra des pommes.
Raymond Alcovère, extrait de "Le Sourire de Cézanne", éditions n&b, 2007
16:55 Publié dans Le Sourire de Cézanne | Lien permanent | Commentaires (2)
dimanche, 01 février 2015
La vraie bonté
"Quand plus tard, j'ai eu l'occasion de rencontrer, au cours de ma vie, dans des couvents par exemple, des incarnations vraiment saintes de la charité active, elles avaient généralement un air allègre, positif, indifférent et brusque de chirurgien pressé, ce visage où ne se lit aucune commisération, aucun attendrissement devant la souffrance humaine, aucune crainte de la heurter, et qui est le visage sans douceur, le visage antipathique et sublime de la vraie bonté."
Marcel Proust
Giotto
21:36 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : marcel proust, giotto
Social
"Notre personnalité sociale est une création de la pensée des autres."
Marcel Proust
17:09 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : marcel proust