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mardi, 05 mai 2015

Les femmes de Manet

manet.railroad.jpg"Chez Manet, les femmes sont partout : Victorine Meurent, Berthe Morisot, Méry Laurent, etc. (...) C'est très difficile de peindre une femme qui tient le coup ! C'est extraordinairement difficile !"

Philippe Sollers, La Révolution Manet

Obscénités

"C'est ainsi que les personnes du monde disent les mêmes obscénités que le peuple, mais en termes ternes, élégants et différés."

Paul Valéry

14:41 Publié dans Papillote | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : paul valéry

lundi, 04 mai 2015

Le bleu du Titien

wpc52e4434_05_06.jpgDétail de La Vierge à l'enfant avec Sainte-Catherine et le jeune Saint-Jean Baptiste, National Gallery

01:55 Publié dans Peinture | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : titien

vendredi, 01 mai 2015

Dico de bord (extrait 31)

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Giorgone

 

Il a peint ce tableau étonnant : La Tempête, à l’Académie à Venise, aux interprétions toujours ouvertes, pour lequel on a décelé de nombreux repentirs, repentirs dont il est à l’origine : « Deux innovations ouvrent la voie à une deuxième révolution dans la peinture à l’huile à Venise : l’emploi d’un support de toile et la mise en place préalable des ombres et des lumières grâce à un dessous. C’est Giorgone (1477-1510) qui accomplit cette révolution. Il peint directement sur la toile et inverse l’ordre des gradations de teintes. Au lieu de modeler les volumes en appliquant des glacis transparents sur un fond clair, il ajoute sur des tons relativement foncés des touches de blanc opaque qui forment saillie, et donnent du relief à la surface modulée. Cette méthode autorise des modifications radicales en cours d’exécution, car il suffit de gratter la peinture ou de la dissimuler sous une autre couche. L’acte de peindre devient une opération plus évolutive et expérimentale. Ainsi sont jetées les bases de l’esthétique moderne. » : David Rosand, L’art plus fort que la nature. Titien fut son élève.

Raymond Alcovère, extrait de Dico de bord, à paraître

lundi, 27 avril 2015

Venise

Venise, Sabine Laporte-AlcovèreVeni itiam (reviens toujours)

Photo de Sabine Laporte-Alcovère

dimanche, 12 avril 2015

La surprise

Surprise_1771.jpg« Quand on le déroule, ce livre remplit l’univers dans toutes ses directions, et, quand on l’enroule, il se retire et s’enfouit dans son secret. Sa saveur est inépuisable, tout y est réelle étude. Le bon lecteur, en l’explorant pour son plaisir, y a accès ; dès lors, jusqu’à la fin de ses jours, il en fait usage, sans jamais pouvoir en venir à bout. »
Texte chinois cité par Philippe Sollers dans Passion fixe
Jean-Honoré Fragonard, La Surprise, 1771

vendredi, 10 avril 2015

Oiseau

CCObL44UAAEbT7k.jpgL'enseignement consiste à méditer sans répit sur l'oiseau

Hamsa Upanishad

Photo : Lionel André

mercredi, 08 avril 2015

Kafka à Milena

Kafka, Annie Caizergues"Je t'aime comme la mer aime le gravier de ses profondeurs"

Peinture de Annie Caizergues parue dans la revue L'instant du monde

dimanche, 05 avril 2015

L'écriture penchée des nuages

l'aube a un goût de cerise, Paul KleeJe voudrais être au plus près du monde mais il m’échappe toujours. Une ombre de banyan s’étend mollement sur la mer.

Tout est entré dans le ciel. La nuit est musicale, heureusement. On y lit la portée du jour, nervures, entrelacs, déchirures, reconquêtes, fractures, apaisement.

Les bateaux sont des libellules d’eau. Le navire décrit une courbe pour éviter les îles qui avancent, promontoires menaçants.

Je vois les reflets d’une aurore dont je ne verrai pas se lever le soleil. François-René, ta langue est un paroxysme, cet océan aussi le tien.

La sirène du steamer mugit. La fumée s’échappe à gros bouillons et rejoint les nuages, effacées leurs traces. Le sillon se dévide dans une infinie lenteur.L’horizon s’enflamme de jets saccadés, monstrueux, barbaresques. Le ciel est une lutte, un amas de lances, un combat fratricide. Ainsi le ciel. De grandes orgues joufflues gonflées de nuit. Une symphonie du nouveau monde.

Lumière plombagine. Les éclairs  ouvrent des plaies, un écrin d’enluminures. Reflets zinzolins de l’aurore, devant.

A un moment il  ne reste que la fuite, se dissimuler. Fixer des silences, des pauses, masquer le tumulte, l’arrogance, la brutalité du monde.

Pluie incessante et chaude. Écriture penchée des nuages. Flaques grises dans les sous-bois de la nuit. Des arbres si haut qu’on en décèle à peine la hauteur.

Les bruits émeraude parviennent étouffés. La chouette est seule dans le silence à ignorer l’obscur. Pour elle l’univers brille d’une étrange lumière, argentée, déployée par une main invisible mais partout présente, l’or du temps.

Ce n’est pas un départ, mais une suite. Présence, présence seule. Tisser les mots, le silence et les notes de la pluie. Tisser tout fragment de l’univers.

Voici les grandes plaines de l’ombre. Ce gris me plaît. J’arpente des frondaisons. L’obscur est éphémère. Les nuages sont l’architecture du monde.

Les variations Goldberg s’inscrivent dans le contour bleu du ciel, le pli de la mer, ses ondulations. Constellations blanches, irisées, qui flottent, tout autour.

Paul ton œuvre est devant mes yeux. Un repos, une paix de l’âme. Lés immenses, tendus de soleil. Les couleurs crient, répondent, se repoussent, ce dialogue entre elles est notre viatique, nous qui ne savons rien, qu’interroger le silence, à grands traits rageurs, impatients. J’aurais voulu décrire ta palette, son scintillement, comme toi éclairer la nuit. Elle parle de l’innocence, elle remonte loin dans l’histoire. Parfois on y distingue une obscurité de caverne, une profondeur d’ébène, chaude, puis éclate un fraternel printemps.

On ne construit pas de palais sur la mer. Ce sont pourtant les seuls visibles, le réel un rideau de fumée.

Ici, là, une trouée, halo argenté, portée musicale. Le reflet d’un poisson volant. L’ombre de Walt Whitman. Lourds nuages cendrés. Point d’interrogation.

Raymond Alcovère, extrait de L'aube a un goût de cerise, N&B éditions, 2010

Paul Klee, Rues principales, secondaires, 1929

vendredi, 03 avril 2015

Tranches napolitaines

napoli-palazzo-dello-spagnuolo-cortile-600x397.jpgJ’ouvre la fenêtre ; une lumière tamisée ondule en arabesques sur les collines et les maisons chaulées. Vert paradis, univers de sensations. La lumière pénètre en moi, flots de langueur, rosée qui me baigne, me submerge. Fenêtre grande ouverte, lumière ombrée, descendante. Languide, sucrée. Un amour insensé coule à flot, je suis arrachée par cette vague lourde et trépidante. Avec l’odeur de la nuit, je me retrouve.

Bord de l’eau, vie neigeuse et azurée de l’écume, reflets fauves de la végétation en taches rousses sur le poli de l’eau, ondulant en papillotes de feu. Pins parasols, flaques mauves dans les eaux brunes de la baie, air tiède, fragrances marines. Sommeil enchanteur, réparateur.

Réveil incertain, bleuâtre. Soleil tonitruant, écrasant, irradiant. Légère indolence, l’air a changé de saveur.

Infinie douceur de l’été, rivages lointains de l’enfance, envie de les retenir un peu, mais ils s’éloignent, horizon bleu. Restent des fanaux qui clignotent. Tous ces souvenirs remontent, lent reflux, indigo de la mer. Pendant ces quelques jours, je n’attends rien, ne m’attends à rien. Marches sur l’île, odeurs de sauvagine, bleu pulvérulent de la Méditerranée. Sur un îlot, hors du temps.

Sur le bateau vers Naples, par Pozzuoli, Gaète, Cumes, traversée de l’antiquité... La route tournoie et s’enroule comme un serpent, avant de se lover dans le chaudron. Voitures, bruits, odeurs, fournaise, pantomimes, vitesse. Jamais je n’ai senti une telle envie de vivre dans les regards, les gestes des gens, cette passion, l’insouciance. La saison du San Carlo n’est pas commencée. La Galleria Umberto I, voûte tournante, en forme de croix, monde à l’intérieur du monde. Pâtisserie Scaturchio, face à San Domenico, délires sucrés, florilège de saveurs, meringues neigeuses, icebergs de sucre, mûres pulpeuses et boursouflées, fraises fondantes acidulées, pistaches croquantes, abricots blonds veloutés, melons confits, fines lamelles d’amandes, fleurs d’oranger aux saveurs aériennes, marrons glacés...

Spaccanapoli. Merveilles du baroque, les escaliers de San Felice, le bien nommé. À l’image de la ville, vastes, ronds comme des coquilles, tournoyants, espace perdu mais peu importe, beauté, rondeurs, plaisir... Les églises ressemblent à des bonbonnières, des biscuits, écrins parfumés, bariolés, lardés de marbre, de stucs, blancs, écrus, roses, verts, pendeloques, niches, tableaux, gris-gris, tout est fait pour que l’esprit chavire, se perde. Ici les plus belles choses sont cachées, les napolitains préfèrent les garder pour eux. Souvent rien ne signale l’entrée d’une cour superbe, d’un escalier virevoltant, d’une église étincelante. Sans doute un des secrets du bonheur, vivre caché...

L’art à Naples n’est pas séparé de la vie, tous ces édifices sont habités, occupés, une statue soutient un fil à étendre le linge, dans cette cour des vespas sont entassées. Invasion rassurante, au contraire de ces villes-musées, léchées, sans aspérités, froides. Commerciales.

Rien de plus étranger aux napolitains que le rendement, l’efficacité. Les glaces qu’ils ont inventées, ils ont laissé aux milanais le soin de les commercialiser, de s’enrichir. Le plaisir de l’instant l’emporte sur tout.

Ciel d’une limpidité infinie, sans nuages. Jours vides, comme si rien ne pouvait être révélé, bains de mer, repos, attente. Sommeil, sommeil profond. Je n’aimerais pas qu’il dure, ce ciel si bleu, si pur. J’ai envie de temps menaçant maintenant, instable, l’esprit y a plus de latitude. J’aime un ciel en mouvement, où l’âme erre, battue par les vents, sans trouver sa place, comme ces nuages qui défilent, chiens pris de folie.

Rien à faire, toujours ce soleil, insatiable.

J’aime regarder les napolitains. Un mystère, une harmonie indéfinissable règnent dans ce peuple, un mélange de cruauté, d’indolence, d’énergie et d’abandon. La ville est rebelle, irréductible aux lois, aucun pouvoir n’a pu la mettre au pas longtemps.

Bains de mer, parfum de jasmin qui flotte sur l’île, senteurs plus entêtantes des géraniums. Odeur du soleil sur la peau, cette sensation de brûlure inonde le corps tout entier.

En attendant, promenades dans Procida, figues de barbarie, pétunias éclatants, odeurs de mimosas, de genêts, frémissement de tout le corps.

Ça y est, le grand jour est arrivé, l’aliscafo fend les flots, bondit sur les vagues. Je laisse le reflet de l’eau me brûler les yeux, la fraîcheur irradier mes poumons. Le Vésuve apparaît en statue du commandeur, avec les fumées d’usines à ses pieds, un halo blanc dans le ciel pâle. La ville déborde la baie et les collines alentour. Une chaleur aiguë jaillit dans ma poitrine, mon ventre, ma peau nourrie de soleil, caressée par les embruns.

Naples surgit, tapie contre la mer et semblant s’en repaître.

Taxi pour la Mergellina...

Le kaléidoscope défile, bariolé, vibrionnant, gestes coupés par la vitesse, visages scandés, couleurs qui suivent de leur cortège le taxi fendant la ville.

Ça y est, la Mergellina, bourdonnante de bateaux, le bleu de la mer est limpide, presque évanescent, couche parfaite de bleu, tranche napolitaine, féerique. Je suis plongée dans les couleurs, assise, paisible, l’âme secouée, les yeux fixés sur le lointain du port.

Sous un micocoulier, les feuilles vert-pâle se trémoussent dans un bruit d’orgues puis lampées plus basses, fondantes, andante avec cette rafale ardente, pianissimo vent coulis, trémulement des frondaisons, poussées plus lascives des basses encore par les côtés, se laisser bercer, musique qui revient et ne s’arrête jamais, roulis de cloches, coulée mauve dans le crépitement du soleil, ondoiement sonore en diagonale se faufilant entre les maisons, lignes croisées qui se brisent, parterre de roses roses devant moi, feu sous le soleil, balancement léger, vivifiant.

La musique, c’est le sang dans mes veines ! J’écoute La Bohème de Puccini. Transportée, je suis la musique, cette voix qui taraude l’âme. Mon âme filtrée par l’émotion, lavée, défaite des mesquineries, des incohérences qui l’envahissent à tout instant. Je vole par-dessus la ville, le cratère du Vésuve, gouffre béant, vire, dessine des courbes. Pareille à la chaleur du soleil, l’émotion qui me nourrit s’insinue partout.

Silence, contrepoint à l’agitation des dernières heures. Arrivée au port. Lent balancement, quiétude, vague clapotis de l’eau. Respiration, à peine... Marche éthérée, les rues sont noires de monde, il y a comme une beauté essentielle dans les gestes des gens, venue du fond des âges, la finesse grecque...

L’agitation en moi s’est reposée. Je ne pense à rien, c’est bon de s’abandonner... Embrasement soudain. Je suis transie de désir. Désir voluptueux et en même temps sérénité. Sens électrisés. Nuit de caresses, ondes de plaisir. Parcourue, débordée. Mon esprit flotte au-dessus de la pièce. Moment où tout est facile, donné.

Béatitude enivrante. Ma vie, si calme pendant longtemps, a pris une brutale accélération.

La nuit est douce encore, les bruits de la ville feutrés par un vent sec qui les emporte loin et se faufile entre les rues, sous un ciel noir paisible, et sculpte des grottes de silence dans la nuit noire.

On est allés au Musée National, voir les fresques de Pompéi, les statues antiques. Assis sur des marches, deux hommes en train de parler. Avec émotion, passion. Ils n’ont pas l’air d’intellectuels. Partout les gens parlent ici. Ce n’est pas cette parole froide, distancée des pays du Nord. Au contraire, il y entre tout l’être, son histoire, ses désirs, sa passion. J’aime cette parole qui tisse la vie.

Départ pour la côte amalfitaine. Echancrures dorées, précipices vertigineux sur une mer d’opale. La roche comme une pâte dessine des courbes, des replis. Sur les crêtes des villages comme des défis à la mer, perchés. De là-haut elle paraît presque irréelle, paisible. Le vent du large vient se frotter aux arêtes dentelées de la presqu’île. Végétation paradisiaque, orangers, citronniers face à l’immensité bleue.

Positano et les rochers des sirènes. C’est ici qu’elles vivaient. De n’avoir pu attirer par leurs chants Ulysse et ses compagnons, elles se sont jetées à la mer de désespoir. Leucosia aux bras blancs a échoué sur la plage de Paestum, Ligeia la mélodieuse en Calabre, Parthénope, celle qui est restée vierge, ici. Naples y trouve son origine.

Retour dans la ville chaudron. Santa-Chiara. Bois d’orangers, végétation grimpante, bancs en quinconce recouverts de majoliques, florilège de scènes de chasse, pêche, vie quotidienne, ou mythologiques. Luxe et raffinement. Pas d’austérité, au contraire, dans cette vie recluse. La sensualité ruisselle. Un calme apaisant, de hauts murs protègent de la ville et de sa rumeur... Cette ambivalence du plaisir et de la claustration est bien napolitaine, stendhalienne même !

Hauteurs de la ville encore. Une fine poudre de nuages, légers comme l’air, stagnent suspendus au-dessus de la côte. Tout est arrêté dans la chaleur de midi, les heures contraires, celles du crime.

Procida est un joyau posé sur la mer. Seule la fraîcheur de l’eau fait oublier un moment la bouillante étuve. Chaleur de septembre. Aujourd’hui rien n’annonce l’arrivée de l’automne.

Raymond Alcovère, extraits de Fugue baroque, roman, n & b éditions, 1998

mardi, 31 mars 2015

Dico de bord (extrait 30)

dico de bord, Watteau#‎Dicodebord‬ extrait 30
Watteau (Antoine)
Peintre musical, subtil, profond. Le Pèlerinage à l’île de Cythère (1717), du Louvre, ressemble à une portée musicale, les lignes se croisent, se multiplient, se fondant dans les couleurs chaudes, mais aussi vertes et bleues, formant un ensemble unique, vivant, terminé par une envolée d’anges. Tout dans son œuvre porte à l’envol, la sensualité, l’hédonisme. Avec toujours, cette part de mystère, les personnages arrivent-ils ou quittent-il ce paradis ? Ils y sont tout simplement. Mort à trente-sept ans (1684-1721), son art ne ressemble en rien à ce qui l’a précédé. « L’ingénuité métaphysicienne de Novalis, la tendresse fiévreuse de Chopin, le sourire parfois tragique de Laforgue, la beauté idéaliste de Mozart, la passion pastorale de Schubert, tout cela est situé dans le pays que Watteau a extrait de la nature, et au fond duquel, avec une émotion indicible, on entend le murmure de l’Invitation au voyage. » Camille Mauclair (Revue Bleue, 1904). André Breton a écrit : « L’étoile qui fait oublier la boue, c’est la personnalité angélique de Watteau. » Et puis il y a le fameux Gilles, que l’on appelle maintenant Pierrot : il fait partie de ces grandes œuvres énigmatiques de la peinture, dont les interprétations n’épuisent jamais le sujet. (Vivant Denon l’a acheté pour le Louvre 150 ou 300 francs, place du Carrousel, en 1804).
(Raymond Alcovère : ce livre de bord, construit sous la forme d’un abécédaire, fait le tour de tout ce qui me tient à cœur, m’a construit : noms communs, mais aussi lieux, femmes et hommes célèbres, écrivains, peintres, musiciens. Les « définitions », nourries de nombreuses citations, ont des dimensions très variables : entre une ligne et trois pages)

samedi, 28 mars 2015

Dico de bord (extrait 29)

brassens2.jpg‪#‎Dicodebord‬ extrait 29
Oncques
Ce délicieux adverbe trop compliqué pour notre époque (il signifie quelquefois et jamais accompagné d’une négation !) a probablement vécu ces derniers instants avec Georges Brassens, dans Les Oiseaux de passage : « Ô vie heureuse des bourgeois / Qu’avril bourgeonne ou que décembre gèle, / Ils sont fiers et contents/ Ce pigeon est aimé, / Trois jours par sa pigeonne / Ça lui suffit il sait / Que l’amour n’a qu’un temps (…) Elle a fait son devoir / C’est-à-dire que oncques / Elle n’eut de souhait impossible elle n’eut / Aucun rêve de lune aucun désir de jonque / L’emportant sans rameurs sur un fleuve inconnu. » Le poème est extrait de La Chanson des gueux, de Jean Richepin (1849-1926), qui valut à son auteur un mois de prison et 500 francs d’amende.
(Raymond Alcovère : ce livre de bord, construit sous la forme d’un abécédaire, fait le tour de tout ce qui me tient à cœur, m’a construit : noms communs, mais aussi lieux, femmes et hommes célèbres, écrivains, peintres, musiciens. Les « définitions », nourries de nombreuses citations, ont des dimensions très variables : entre une ligne et trois pages)

vendredi, 27 mars 2015

Dico de bord (extrait 28)

mains.jpg‪#‎Dicodebord‬ extrait 28
Prendre
Le soleil, l’air, la température, ses marques, les devants, date, la fuite, pied, racine, effet, femme, à témoin, sur soi, sa source, à son jeu, son pied, la mouche, un verre, un train en marche, en main son destin…
(Raymond Alcovère : ce livre de bord, construit sous la forme d’un abécédaire, fait le tour de tout ce qui me tient à cœur, m’a construit : noms communs, mais aussi lieux, femmes et hommes célèbres, écrivains, peintres, musiciens. Les « définitions », nourries de nombreuses citations, ont des dimensions très variables : entre une ligne et trois pages)

mercredi, 25 mars 2015

Dico de bord (extrait 27)

veronese..les.noces.de.cana-.detail2.-1563-.jpg‪#‎Dicodebord‬ extrait 27
Vin
Le « vin aux sombres feux » d’Homère mériterait un livre à lui tout seul. Le crétois Nikos Kazantzakis, dans Alexis Zorba, fait dire à son splendide personnage : « Qu'est-ce que c'est encore que cette eau rouge, patron, dis-moi ! Une vieille souche pousse des rameaux, il y a des espèces d'ornements acides qui pendent, et le temps passe, le soleil les mûrit, ils deviennent doux comme du miel et alors on les appelle raisins ; on les foule, on retire le jus qu'on met dans des tonneaux, il fermente tout seul, on le découvre à la fête de Saint-Georges-le-Buveur, il est devenu du vin ! Qu'est-ce que c'est encore que ce prodige ! Tu bois ce vin rouge et voilà ton âme qui grandit, elle ne tient plus dans la vieille carcasse, elle défie Dieu à la lutte. Qu'est-ce que c'est que ça, patron, dis-moi ? » Mais le vin est aussi français, bien sûr ! Ce que Philippe Sollers illustre, dans Le cavalier du Louvre, à propos du bourguignon Vivant Denon : « Naître dans le vin français est toute une histoire ; une expérience de fond qui fortifie, dégrise. La raison, et une certaine vérité d'en deçà des choses, rôdent par là. Peu de délire, l'œil ouvert, l'oreille rapide, le pied vite levé, la main exacte. Enfant, on n'a même pas à lire Rabelais, il se vit et se parle autour de vous, on l'entend, on le constate. De vin devin on devient. »
(Raymond Alcovère : ce livre de bord, construit sous la forme d’un abécédaire, fait le tour de tout ce qui me tient à cœur, m’a construit : noms communs, mais aussi lieux, femmes et hommes célèbres, écrivains, peintres, musiciens. Les « définitions », nourries de nombreuses citations, ont des dimensions très variables : entre une ligne et trois pages)
Paul Véronèse Les noces de Cana, détail

mardi, 24 mars 2015

Dico de bord (extrait 26)

DSCN0856.1.jpg‪#‎Dicodebord‬ extrait 26
Rond
« J’accepte absolument le Temps, lui seul est rond et complet. » : Hölderlin. Dans un conte zen, le disciple demande au maître : « Pourquoi la balle roule-t-elle ? Il répond : La balle est libre, elle est la vraie liberté. Pourquoi ? Parce qu’elle est ronde, elle peut rouler partout, dans n’importe quelle direction, librement. Inconsciemment, naturellement, automatiquement. »
(Raymond Alcovère : ce livre de bord, construit sous la forme d’un abécédaire, fait le tour de tout ce qui me tient à cœur, m’a construit : noms communs, mais aussi lieux, femmes et hommes célèbres, écrivains, peintres, musiciens. Les « définitions », nourries de nombreuses citations, ont des dimensions très variables : entre une ligne et trois pages)

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dimanche, 22 mars 2015

Dico de bord (extrait 25)

dico de bord, Epictète‪#‎Dicodebord‬ extrait 25
Epictète
Ce philosophe stoïcien né à Hiérapolis n’a laissé aucun écrit ; mais grâce à son disciple Arrien il nous reste son Manuel, qui contient des pépites : « Ne désire que ce qui dépend de toi. » ou encore : « Ce ne sont pas les choses elles-mêmes qui nous troublent, mais l’opinion que nous nous en faisons. » C’est bien un manuel, un livre pratique, aux profondes résonances : « Quand tu es sur le point d’entreprendre une chose, mets-toi bien dans l’esprit ce qu’est la chose que tu vas faire. Si tu vas te baigner, représente-toi ce qui se passe d’ordinaire dans les bains publics, qu’on s’y jette à l’eau, qu’on s’y pousse, qu’on y dit des injures, qu’on y vole. Tu iras ensuite plus sûrement à ce que tu veux faire, si tu te dis auparavant : « Je veux me baigner, mais je veux aussi conserver ma liberté et mon indépendance, véritable apanage de ma nature. » Et de même sur chaque chose qui arrivera. Car, de cette manière, si quelque obstacle t’empêche de te baigner, tu auras cette réflexion toute prête : « Je ne voulais pas seulement me baigner, mais je voulais aussi conserver ma liberté et mon indépendance ; et je ne les conserverais point, si je me fâchais. »
(Raymond Alcovère : ce livre de bord, construit sous la forme d’un abécédaire, fait le tour de tout ce qui me tient à cœur, m’a construit : noms communs, mais aussi lieux, femmes et hommes célèbres, écrivains, peintres, musiciens. Les « définitions », nourries de nombreuses citations, ont des dimensions très variables : entre une ligne et trois pages)

vendredi, 20 mars 2015

Dico de bord (extrait 24)

c-est-arrive-a-naples-60-02-g.jpg‪#‎Dicodebord‬ extrait 24
Annonciation
Philippe Sollers, dans Le Secret, propose une version revigorante de ce moment-clé : « L’Archange Gabriel à la Vierge Marie : « Écoutez, vous allez concevoir, venant de Dieu, un lapsus mémorable. » — « Quoi ? » — « Pas un organe, un homme. » — « Pas possible ! » — « Vous n’acceptez pas ? » — « Si, si ! » — « Vous serez rétribuée par une superbe Pietà, je discerne dans l’avenir l’artiste qui la sculptera, cadavre exquis de votre fils-dieu-père légèrement allongé sur vos genoux. Juste le temps de poser, hein, vous ne pourrez pas garder le corps, il doit ressusciter et monter au ciel. » — « C’est dur. » — « Sans doute, mais, par la suite, vous monterez vous aussi au ciel avec votre vrai corps d’aujourd’hui. » — « Mon corps ? Mais que voulez-vous que j’en fasse ? Il me déplaît, il me gêne, j’ai encore grossi ces temps-ci. » — « Vous serez réparée là-haut, très belle, éternellement. » — « Hum. » — « Toujours vierge, jeune, belle, blanche, bleue, rayonnante et toujours plus belle, couronnée du soleil, des étoiles, objet d’une adoration perpétuelle, faisant des miracles, apparaissant même de temps en temps aux mortels. » — « Vous allez trop loin. » — « Pas moi, mais Dieu votre père qui a besoin de devenir votre fils pour être pleinement père dans son omnipotence, sa munificence, son insondable présence, son incomparable distance. » — « Bon, mettons. » »
(Raymond Alcovère : ce livre de bord, construit sous la forme d’un abécédaire, fait le tour de tout ce qui me tient à cœur, m’a construit : noms communs, mais aussi lieux, femmes et hommes célèbres, écrivains, peintres, musiciens. Les « définitions », nourries de nombreuses citations, ont des dimensions très variables : entre une ligne et trois pages)

jeudi, 19 mars 2015

Blanc, bleu gris, soleil voilé

3486100079.JPGBlanc, bleu gris, soleil voilé. Un peu plus tard, à Sainte-Marie, au bord de l’Océan Indien. Mer miroitante, bleu plus léger des vagues, ombre du ciel sur la mer. Mes pensées enlacées, nous ne faisons qu’un.

Blanc, bleu gris, presque infini et toujours renouvelé. Tout revient toujours à son point de départ. Aujourd’hui, le vent balaye le monde et disperse la brume. Place à la nouveauté. Une vérité émerge. Je vais rendre les armes. Passer outre.

Le ciel est gris de nuages. L’océan s’en mêle. L’horizon, profond et immense, est subjugué, défait, anéanti.

Je suis heureux, touché par cette éternelle beauté qui affleure partout. Ici au bout du monde, je l’ai trouvée. Je n’ai fait que découvrir des bouts du monde. Ils sont au centre. La vérité toujours dissimulée, y éclate en pleine lumière. À présent, le flux va se dérouler sans hâte. Mon rôle est de raconter. Par le dessin, la peinture. Les rencontres sont métaphysiques et l’art en est une manifestation. Dans le temps.

Le bonheur, la chose la plus étonnante, la plus vraie, arrive quand on ne l’attend plus. Ma mort est là, juste à côté de moi. Tout autour, les anges veillent, j’entends le frôlement de leurs ailes. Ils me disent : repousse-la, envoie-la au diable, qui lui est bien vivant. Tu le peux, la force de résister est inscrite dans tes cellules, au plus profond. Une fois cette certitude acquise, la mort s’effiloche, se dissout, le diable s’effondre dans sa chute.

Les vieux textes indiens ne me quittent plus : « Dès qu’on s’attache au Soi suprême, ne serait-ce qu’un instant, on consume entièrement ses fautes, comme l’étincelle de feu une montagne de bois». Ce Soi suprême, c’est soi et le monde, une seule et même dimension. Tout est fini, c'est-à-dire commence. Me voici débarrassé de mes vieux démons. Chassés les faux prophètes.

« Fini d’être consumés par le feu, nous sommes le feu lui-même ». Là est notre liberté. Feu qui couve et flammes, en même temps.

Au loin passe une voile, grand silence autour, tissé de ces millions de vies, si éloignées de la mienne, et pourtant… Contre la force des vagues, les gestes des piroguiers, immuables. Je suis heureux, là, au milieu de ce royaume de la pluie et du vent, je me revois – et tous les instants sont les mêmes – sur ce cargo au retour du Mexique. J’ai aimé ce navire, la sensation de posséder l’univers entier, accoudé au bastingage, à regarder les reflets changeants de la mer et cette avancée imperturbable du bateau. Et sur cette île battue par les vents, qui n’intéresse personne, je suis plus près d’une certaine vérité, du néant, cette dimension négligée, pourtant si présente.

De temps à autre, un surgissement. Il en est de même dans l’Histoire ; sombre et chaotique, elle s’épanouit en de rares moments, des orgasmes du temps. Parfois un grand artiste, un penseur, un homme politique ou un inventeur de génie apparaît improbable, de même dans nos vies, des instants de grâce.

Pourquoi une histoire ? La rose est sans pourquoi. Le vent s’est calmé. L’Océan Indien est là, il frémit, les vagues frissonnent, caressent la plage, ces millions de grains, coquillages qui lentement s’amenuisent, se dispersent, reviennent. L’histoire s’arrête mais en réalité continue. Je t’ai aimée Laure, et je t’aimerai encore.

 « Le fini s’anéantit en présence de l’infini et devient un pur néant ». Où que je sois dans le monde maintenant, je revois cette terre rouge, les montagnes pelées, ces rizières, ces femmes, hommes, enfants, qui suivent inlassablement les zébus, depuis la nuit des temps. Cette terre rouge de Madagascar que j’aimais regarder du ciel. Ainsi je l’avais vue d’avion la première fois, tout droit sortie de mes rêves de gamin.

Parfois rien ne peut m’apporter la paix, seulement ton image Laure, hors de tout désir conscient, et miracle, c’est en rêve que je la trouve. J’ai hâte de dormir pour rêver de toi. Là je caresse tes cheveux sans fin, tu me parles, tes yeux illuminent tout, je bois ton visage. Il rayonne en moi comme partout où ton regard se pose. Tout à l’heure je dormirai et pourvu que je te rejoigne…

Nous serons à Lisbonne, dans les rues sombres descendant vers le Tage, au milieu d’ombres erratiques, avec cette lumière blanche qui baigne la ville et à l’Hôtel Borges on fera l’amour encore, on ne verra pas le soleil mais aucune importance, avec cet air humide qu’on ne trouve que là-bas, les immeubles délabrés, cette atmosphère anglaise et surannée, Fernando Pessoa, son chapeau, son parapluie seul dans la nuit grise, ici on perd tout sentiment de la réalité. L’œuvre de Pessoa est nocturne et je dessine la nuit. Je ne suis allé qu’une fois à Lisbonne mais c’est comme si j’y étais toujours.

Le temps s’y étend, se dissout, on ne voit que le ciel, il habite tout, mêlé de mer, comme à Venise et ce sont peut-être les deux seules villes habitables avec Paris.

Je bois ton regard Laure, me fous du monde entier, si aujourd’hui plus personne n’ose aimer l’autre, ose se nier au point de l’accueillir, quelle importance. Ils ignorent les délices qui les attendent, quand je me noie dans ton sourire si fin et l’harmonie qui s’en dégage, ce ciel au fond de tes yeux, la toile qui accompagnera ma vie jusqu’au bout.

Le réel me faisait peur, je refusais de voir le versant lumineux de ma vie. Il est là, les grands artistes nous le montrent. Ils ont vraiment existé, vécu, aimé, créé, leur art a occupé tout leur être ; Homère, Tchouang-Tseu, Titien, Montaigne, Bach, Mozart, Rimbaud, Cézanne, Nietzsche, ces corps ont engendré ces œuvres, rien n’est plus réel. C’est vers elles qu’il faut se retourner, en permanence. La beauté du monde, cette illumination constante, est sous nos yeux, peu importe les époques. Ces éclairs ont laissé des traces indélébiles, je n’ai qu’un désir, m’y attarder et entrer dans cette gratuité.

Toute ma vie j’ai cherché l’inaccessible étoile, dont tu n’es peut-être, qu’un nom, l’autre visage, bienheureux. Ce visage je l’ai approché, caressé, aimé. Je n’en demande pas plus.

Aujourd’hui du temps est passé et je me laisse peu à peu guider par le vide, source de toute joie. Au-delà d’un certain point, rien n’est plus explicable. J’ai envie de m’allonger près de toi, Laure, sentir ta chaleur et attendre. J’ai tout. Tout.

Tout revient toujours à sa vérité première, pas de fin, éternel recommencement. Demain, je pars pour le Mexique. Lumière d’or. Faire le vide qui est la vie. Frémissante, celle des arbres, de la pluie insistante et d’un éternel soleil. Je me réveille, là, à cet instant, et tout s’illumine.

Raymond Alcovère, extrait du roman "Le bonheur est un drôle de serpent", 2009, Lucie éditions.

Photo : Raymond Alcovère

mercredi, 18 mars 2015

Dico de bord (extrait 23)

dico de bord, Yi Jing‪#‎Dicodebord‬ extrait 23
Yi jing
C’est le plus ancien texte philosophique de la Chine (1 000 ans avant J-.C.), et le socle sur lequel toute la pensée chinoise va s’élaborer. C’est aussi un guide de vie, un livre pratique, comme il n’en est pas de pareil ; chaque fois qu’on est confronté à une difficulté, autrement dit tout le temps ou presque, il propose des solutions, des pistes. Les recommandations données ne sont jamais fermées, et quoi qu’il en soit, pleines de sagesse et raison. On pourrait multiplier les exemples ; voici l’hexagramme 23 : Po (l’éclatement) : « L’homme qui s’adapte a le temps pour lui (…) Concentrez-vous sur la valeur symbolique des choses et leur pouvoir de vous relier aux forces célestes. » Ou l’hexagramme 56 : Liu (le voyageur) : « Dans le monde des apparences, ce qui est souple et flexible est ce qui parvient le mieux au cœur des choses. » ou 32 : Hong (la durée) : « C’est le cycle des quatre saisons, les changements qu’elles opèrent qui rendent possibles l’accompagnement de toutes choses dans la durée. » Ou encore 24 : Fou (le retour) : Ce qui est solide et fort est réversible. » Ou le 44 : Keou (la rencontre) : « L’instant de la rencontre, son intensité sont en correspondance avec la manière dont nous sommes reliés aux principes premiers. » Le principe d’harmonie chinois trouve ici sa plus simple et forte justification. Pour savoir si je suis en harmonie avec le monde au moment où je pose la question, en jetant les pièces, le monde donne la réponse, ou tout au moins une possibilité de réflexion et d’action. Borges a écrit : « Confucius déclara à ses disciples que si le destin lui avait accordé cent années supplémentaires de vie, il en aurait occupé la moitié à l’étude du Yi-jing, et l’autre moitié à celle de ses commentaires ». (Stephen Karcher, Yi jing, Rivages poche).
(Raymond Alcovère : ce livre de bord, construit sous la forme d’un abécédaire, fait le tour de tout ce qui me tient à cœur, m’a construit : noms communs, mais aussi lieux, femmes et hommes célèbres, écrivains, peintres, musiciens. Les « définitions », nourries de nombreuses citations, ont des dimensions très variables : entre une ligne et trois pages)

mardi, 17 mars 2015

Dico de bord (extrait 22)

Giacomo-Casanova-1250x430.jpg‪#‎Dicodebord‬ extrait 22
Casanova (Giacomo)
Immense philosophe et écrivain. Persuadé que s’il était malheureux, c’était de sa faute, il a cherché sans relâche le bonheur, l’a trouvé et a consacré ses dernières années à raconter sa vie : « En me rappelant les plaisirs que j’ai eus, je les renouvelle, j’en jouis une seconde fois, et je ris des peines que j’ai endurées et que je ne sens plus. Membre de l’univers, je parle à l’air, et je me figure rendre compte de ma gestion, comme un maître d’hôtel le rend à son maître avant de disparaître. » Témoignage incomparable, écrit en français, langue des sages et des savants de l’Europe du 18e : « J’ai vécu en philosophe, je meurs en chrétien. » « Cultiver les plaisirs de mes sens fut dans toute ma vie ma principale affaire ; je n’en ai jamais eu de plus importante. » Il insiste sur le fait que « Son esprit et sa matière sont une seule substance. » « Le plaisir que je donnais composait toujours les quatre cinquièmes du mien ». « Rien ne pourra faire que je ne me sois amusé. » Il est vraiment un homme des Lumières, insiste sur la raison : « La raison est une parcelle de la divinité du Créateur. Si nous nous en servons pour être humbles, et justes, nous ne pouvons que plaire à celui qui nous en a fait le don. Dieu ne cesse d’être Dieu que pour ceux qui conçoivent possible son inexistence. Ils ne peuvent pas subir une plus grande punition. » Casanova, c’est sa force, est pragmatique : « Une philosophie consolante d’accord avec la religion prétend que la dépendance de l’âme, des sens, et des organes n’est que fortuite et passagère, et qu’elle sera libre et heureuse quand la mort du corps l’aura franchie de leur pouvoir tyrannique. C’est fort beau, mais, religion à part, ce n’est pas sûr. Ne pouvant donc me trouver dans la certitude parfaite d’être immortel qu’après avoir cessé de vivre, on me pardonnera, si je ne suis pas pressé de parvenir à connaître cette vérité. Une connaissance qui coûte la vie coûte trop cher. En attendant, j’adore Dieu, me défendant toute action injuste, et abhorrant les hommes injustes, sans cependant leur faire du mal. Il me suffit de m’abstenir de leur faire du bien. Il ne faut pas nourrir les serpents. » Et de citer Pline le Jeune : « Si tu n’as pas fait des choses dignes d’être écrites, écris-en du moins qui soient dignes d’être lues. » : Il l’a fait. Ce maître en stratégie a écrit aussi : « Il y a dans les grandes entreprises des articles qui décident de tout, et sur lesquels le chef qui mérite de réussir est celui qui ne se fie à personne. »
(Raymond Alcovère : ce livre de bord, construit sous la forme d’un abécédaire, fait le tour de tout ce qui me tient à cœur, m’a construit : noms communs, mais aussi lieux, femmes et hommes célèbres, écrivains, peintres, musiciens. Les « définitions », nourries de nombreuses citations, ont des dimensions très variables : entre une ligne et trois pages)