Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

lundi, 21 août 2006

Hier la nuit

Hier la nuit au devant tu fuis tu déchaînes les obscurités

elles claquent

les galets auxquels la caresse des sables a renoncé déforment les lisses lèvres de la promenade

lune saigne une ligne de lumière

le ciel n'écrit pas droit

nos bateaux du port separés ébranlent la tranquillité du phare

les arbres se tendent leurs feuilles infinies    le froid nous prend par la main    cîmes des arbres serrées            personne dans les allées   la raison trourbillonne et brouille les deuils des étoiles     feuillages élevés déferlent en vagues acharnées

l’amour confond un instant les secrets      les nuages en tribus glissent sur le sol ferme        qu’y a-t-il      quelle terre à l’envers de la peau tu tords je dépèce terre de nous deux prisonnière en tressaillant nous renverse et pousse transformée de sa mort féroce    

tous nos morceaux d'histoire éparpillés font pointes de son dans le gosier des oiseaux de l’île     le vent fouette le temps

 

Extrait du blog Ritta parmi les bombes

22:42 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : Ritta, Liban, guerre

samedi, 22 juillet 2006

En montagne

medium_impression.jpgDu vallon broussailleux, des rochers blancs émergent ;

Epars dans le ciel froid, quelques feuillages rouges...

Sur le sentier de la montagne, il n'a pas plu ;

Mais l'azur de l'espace inonde mes habits.

Wang Wei 

Claude Monet

15:20 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : Wang Wei, poésie, Chine, Monet

lundi, 19 juin 2006

Cicatrisation progressive du désert

Brillante tu étais. Pareille  à la lune. Est-ce que j’étais brillant ? Brillant. J’ai traversé longtemps tes prairies humides. J’ai respiré les rosées de ton jardin. Mélangé la chair de truite au jus de myrtille.

Les labours, les semailles, le blé doré, l’étrange averse de l’amour sur l’éteule. Tout cela brillait.

Avant que l’aspirateur des étangs ne se mette en marche.

Et le grill des champs.

Je n’aurai point assez sulfaté tes grappes ? Leur bleu faisait pourtant enrager le crépuscule. Le goutte à goutte de tes souches amenait le mate en plus du brillant.

Tu étais cairns de pierres blanchies par la neige. Ta peau de neige. Ses flocons de rousseurs. Ignorance du bonheur de l’eau qui coule. Brillante. Brillant.

Le canal carpien de tes mains recueillait ton surplus de sirop que tu distribuais aux anxieux. J’ai bu longtemps le nectar de tes jards pour calmer mon angoisse de la soif.

Fraîcheur des treilles, buvard des peupliers, toutes formules de sourciers.

Est-ce que tu brillais ?

Terre veinée de minéraux, riche, opulente. Mica, feldspath. Argile…

Couper dans l’aube pour fleurir de pluie tes visages. Visage de mousse, visage aimé, toi, l’aimée, visage de la présence éclectique, éclair d’écorces mouillées, tonnerre de fontaines. Tout cela encore dans le fond de teint des forêts.

Jean Azarel, texte extrait des Cahiers du sens, numéro 16 :

Le Nouvel Athanor,  rue du Disque, 75645 Paris Cédex 13
01 45 70 83 84, 21 € frais de port compris

04:45 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (1)

mercredi, 14 juin 2006

Le ciel de cette ville est bas

Le ciel de cette ville est bas. Il est sur les pistes d'ocre blonde et de latérite, sur les trottoirs, dans les nombreux bars et buvettes, sur les déhanchements des filles de petite vertu, dans les fumées des viandes boucanées sur les étals posés à même le sol, qui cuisent à la braise dans les rues commerçantes au milieu des mouches et des miasmes fétides, dont les relents empestent les maisons des quartiers vétustes et attirent les quelques rares chats et chients errants qui rôdent autour, avant d'être transformés en viande des jours sans nourriture. Ce ciel est omniprésent, à hauteur d'homme.

Bona Mangangu, Kinshasa, Carnets nomades, l'Harmattan.

07:23 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)

mercredi, 22 mars 2006

Le pays de couleur chagrin

(pour Giya Kancheli)
Toute ta présence dans l'attrait de ce village sous la neige.
Il  s'agissait  de trouer  l'espace,  de  dissiper  les  ténèbres
mais l'intense mélodie, véhémente, s'effaçait,
niait le possible retour,
affirmait ses retards, ses motifs de soupir,
se répétait dans des volées de cuivre,
se déformait soudain en notes pantelantes.
Pour qui revenait au pays, tout n'était-il dés lors que contours,
approche austère et insoumise,
double travesti et dissonant ?
La plaine se révélait tantôt résignée,
tantôt revêche et inconstante.
Où étaient donc les couleurs de l'enfance ?
Celles de ta musique ne cessaient de s'altérer, de virer.
Tu l'avais dis Giya : " Le pays de couleur chagrin ".
Pourtant, tout près, le rire des enfants,
la démarche et la souplesse des femmes,
là, l'orange oblique du soleil sur les toits de neige,
plus loin les troupeaux silencieux, les hommes dans de grands gestes.
Cette fugitive et musicale avancée
d'un mirage qui bat dans la poitrine,
cette voix qui appelle entre plume et pierre,
résonnent aujourd'hui de ce que Delacroix avait su reconnaître
dans une autre " musique, tout à coup surgie de l'embuscade,
non plus comme un rapace s'élevant sous l'archet,
ni pour l'oreille où la béatitude
mais pour les muscles, pour les tempes palpitantes ".
Pierre Bouheret, texte paru dans la revue L'instant du monde n° 3, 2003

11:05 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (3)

mercredi, 15 mars 2006

Voix de la Méditerranée

medium_fond_4.jpgLa pétition c'est ici

15:27 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)

mardi, 31 janvier 2006

Tout doit lui servir

Dès maintenant, le poète sait que tout doit lui servir. L’hallucination, la candeur, la fureur, la mémoire, les vieilles histoires, l’actualité, la table et l’encrier, les paysages inconnus, la nuit tournée, les souvenirs inopinés, les prophéties de la passion, les conflagrations d’idées, de sentiments, d’objets, la nudité aveugle, la réalité crue, l’allègement des systèmes, le dérèglement de la logique jusqu’à l’absurde, l’usage de l’absurde jusqu’à l’indomptable raison, c’est cela, - et non l’assemblage plus ou moins savant, plus moins heureux, des syllabes, des mots - qui concourt à l’harmonie d’un poème. Il faut parler une pensée musicale qui n’ait que faire des tambours, des violons, des rythmes et des rimes du terrible concert pour oreilles d’ânes.

Paul Éluard

11:39 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (4)

mercredi, 04 janvier 2006

Tübingen

Embarcadère ou chemin ?  

Ici la terre est traversée de courants,

si l´on s´avance vers la rive du fleuve

l´océan ouvre grand ses sentiers fluides,

branches tremblant dans les plis de l´eau.

Derrière la fenêtre, la main suit d´une caresse les lignes dans le bois de la table,

l´œil lit les figures inscrites et tremblantes dans le verre de la vitre,

dans les mouvements de l´eau, dans le flottement des feuilles;  

figures pareilles aux ondulations des voix des hommes

qui se lèvent tôt le matin et s´éteignent tard dans la nuit.

Hölderlin

Photo : La tour de Hölderlin vue du pont du Neckar

19:49 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (1)

lundi, 26 décembre 2005

Comme un vent frais dans un ciel clair

medium_matisse1.2.jpgTa tête, ton geste, ton air
Sont beaux comme un beau paysage ;
Le rire joue en ton visage
Comme un vent frais dans un ciel clair.


Baudelaire, A celle qui est trop gaie

Matisse, La musique

11:33 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)

dimanche, 11 décembre 2005

O

medium_tiepolobellerophon.jpgO, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
- O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux !

Rimbaud, Voyelles

Tiepolo, Bellérophon et Pégase

22:17 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)

jeudi, 08 décembre 2005

Salomé

medium_4gustave_moreau_salom.jpgCrime ! bûcher ! aurore ancienne ! supplice !
Pourpre d'un ciel ! Etang de la pourpre complice !
Et sur les incarnats, grand ouvert, ce vitrail.

Mallarmé

Gustave Moreau

21:20 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (2)

mercredi, 07 décembre 2005

La beauté

medium_blufonda.jpgJe suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Eternel et muet ainsi que la matière.

Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris;
J'unis un coeur de neige à la blancheur des cygnes;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.

Les poètes, devant mes grandes attitudes,
Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d'austères études;

Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles :
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles!

Baudelaire

Warhol, Blue Fonda

21:08 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (2)

Le port

   medium_dido-carthage.jpgUn port est un séjour charmant pour une âme fatiguée des luttes de la vie. L'ampleur du ciel, l'architecture mobile des nuages, les colorations changeantes de la mer, le scintillement des phares, sont un prisme merveilleusement propre à amuser les yeux sans jamais les lasser. Les formes élancées des navires, au gréement compliqué, auxquels la houle imprime des oscillations harmonieuses, servent à entretenir dans l'âme le goût du rythme et de la beauté. Et puis, surtout, il y a une sorte de plaisir mystérieux et aristocratique pour celui qui n'a plus ni curiosité ni ambition, à contempler, couché dans le belvédère ou accoudé sur le môle, tous ces mouvements de ceux qui partent et de ceux qui reviennent, de ceux qui ont encore la force de vouloir, le désir de voyager ou de s'enrichir.

Baudelaire

Turner

20:40 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (7)

Au lecteur

La sottise, l'erreur, le péché, la lésine,
Occupent nos esprits et travaillent nos corps,
Et nous alimentons nos aimables remords,
Comme les mendiants nourrissent leur vermine.

Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches;
Nous nous faisons payer grassement nos aveux,
Et nous rentrons gaiement dans le chemin bourbeux,
Croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches.

Sur l'oreiller du mal c'est Satan Trismégiste
Qui berce longuement notre esprit enchanté,
Et le riche métal de notre volonté
Est tout vaporisé par ce savant chimiste.

C'est le Diable qui tient les fils qui nous remuent!
Aux objets répugnants nous trouvons des appas;
Chaque jour vers l'Enfer nous descendons d'un pas,
Sans horreur, à travers des ténèbres qui puent.

Ainsi qu'un débauché pauvre qui baise et mange
Le sein martyrisé d'une antique catin,
Nous volons au passage un plaisir clandestin
Que nous pressons bien fort comme une vieille orange.

Serré, fourmillant, comme un million d'helminthes,
Dans nos cerveaux ribote un peuple de Démons,
Et, quand nous respirons, la Mort dans nos poumons
Descend, fleuve invisible, avec de sourdes plaintes.

Si le viol, le poison, le poignard, l'incendie,
N'ont pas encor brodé de leurs plaisants dessins
Le canevas banal de nos piteux destins,
C'est que notre âme, hélas! n'est pas assez hardie.

Mais parmi les chacals, les panthères, les lices,
Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents,
Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants,
Dans la ménagerie infâme de nos vices,

II en est un plus laid, plus méchant, plus immonde!
Quoiqu'il ne pousse ni grands gestes ni grands cris,
Il ferait volontiers de la terre un débris
Et dans un bâillement avalerait le monde;

C'est l'Ennui! L'oeil chargé d'un pleur involontaire,
II rêve d'échafauds en fumant son houka.
Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat,
- Hypocrite lecteur, - mon semblable, - mon frère!

Baudelaire

14:01 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)

Le serpent qui danse

Que j'aime voir, chère indolente,
De ton corps si beau,
Comme une étoffe vacillante,
Miroiter la peau!

Sur ta chevelure profonde
Aux âcres parfums,
Mer odorante et vagabonde
Aux flots bleus et bruns,

Comme un navire qui s'éveille
Au vent du matin,
Mon âme rêveuse appareille
Pour un ciel lointain.

Tes yeux, où rien ne se révèle
De doux ni d'amer,
Sont deux bijoux froids où se mêle
L'or avec le fer.

A te voir marcher en cadence,
Belle d'abandon,
On dirait un serpent qui danse
Au bout d'un bâton.

Sous le fardeau de ta paresse
Ta tête d'enfant
Se balance avec la mollesse
D'un jeune éléphant,

Et ton corps se penche et s'allonge
Comme un fin vaisseau
Qui roule bord sur bord et plonge
Ses vergues dans l'eau.

Comme un flot grossi par la fonte
Des glaciers grondants,
Quand l'eau de ta bouche remonte
Au bord de tes dents,

Je crois boire un vin de Bohême,
Amer et vainqueur,
Un ciel liquide qui parsème
D'étoiles mon coeur!

Baudelaire

09:54 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)

mardi, 06 décembre 2005

Très loin de là

Ailleurs, très loin de là, de vastes

 

Troupeaux de rennes parcourent

 

Des lieux de mousse dorée,

 

Silencieux, à toute allure.

 

Auden

 

 

04:49 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (7)

samedi, 03 décembre 2005

Dans autrefois et puis dans le futur aussi

medium_morisot-headofagirl1876.jpgTon sourire éblouissant prolonge

La même rose avec son bel été qui plonge

Dans autrefois et puis dans le futur aussi

Mallarmé

Berthe Morisot, Portrait d'une jeune fille

17:58 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)

vendredi, 02 décembre 2005

L'or du temps

Devant, ciel gris, âpre. Une chaleur insensible flotte. Le monde ne peut être paisible sans cette trouée lilas, monocorde, à fixer les nuages, les rendre transparents. La terre s'approfondit.

Une musique monte dans le lointain, symphonie élastique. Gammes bleues et mauves. La terre est prête à s’engouffrer dans l’océan. Terre blonde et vermeille. Un lit de terre.

Une musique monte dans le lointain, symphonie élastique. Gammes bleues et mauves. La terre est prête à s’engouffrer dans l’océan. Terre blonde et vermeille. Un lit de terre.

Une musique monte dans le lointain, symphonie élastique. Gammes bleues et mauves. La terre est prête à s’engouffrer dans l’océan. Terre blonde et vermeille. Un lit de terre.

Loin encore l’Europe est là, je la sens. J’y jette tous mes espoirs, je ne reverrai jamais les îles je crois. Pourquoi revenir en arrière ?

La symphonie de l’aurore jette une lumière ocre. Des plages longilignes dévorent la terre devant l’étrave du bateau.

Si j’étais peintre, je poserais mon chevalet ici. Le ciel étagé en rumeurs, les couleurs comme des bruits, des notes, qui s’attirent, se repoussent, s’aiment.

La nuit recouvre le monde d’un baume nourricier. Le fin halo de l’aube pose des reflets de nacre. La mer déferle et envahit. La plaine s’évase, roule ses méandres d’eau, de limon et de soleil.

La neige, fluide, volatile – jamais je n’avais rêvé un tel bonheur – lance un soubresaut de calme sur l’azur. L’air piqué de nuages, d’oiseaux blancs, déchiquette l’ombre.

La montagne, d’un coup fondue, disparue corps et âme, happée par le vent qui règne en maître. Le vent est le seul maître du ciel, de la terre et de la mer. Il attise les grandes passions et éteint les petites.

La scène se déroule sans ordre apparent. Une clarté dahlia, pulvérisée en fines gouttelettes mauves, disperse les derniers désordres de la nuit.

D’un coup de baguette magique, l’opéra déferle. Le chef d’orchestre, les bras chargés de neige, dirige la scène, pointant un doigt menaçant sur l’horizon.

Tout s’anime et se referme en un même mouvement. Le temps est immobile, dressé comme une forteresse en pleine lueur. Une symphonie du nouveau monde.

Une frondaison blanche s’est répandue, annonciatrice de temps nouveaux. Qui sait, la fin des temps est peut-être venue, ici, à la limite de l’océan, sur cet arrondi de la terre, archipel de hasard, de roc, de vent et de sable, noyé.

Déchaînement des éléments. La terre va s’engloutir, revenir à sa vérité première. Matière, fusion, évanouissements.

L’homme disparaîtra, lui le passager clandestin, l’invité de la dernière heure. Il s’en ira sur la pointe des pieds après avoir coloré d’un peu de poésie l’or du temps.

 

(Texte écrit en 2002 à propos de la vie de Saint-John Perse ; à l'âge de 11 ans, alors qu'il a toujours vécu aux Antilles, il découvre pour la première fois la neige, aux Açores)

 

16:56 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)

Le clair de lune sur la flûte du silence

Il vient dans la vie une heure [...] où les yeux las ne tolèrent plus qu'une lumière, celle qu'une belle nuit comme celle-ci prépare et distille avec l'obscurité, où les oreilles ne peuvent plus écouter de musique que celle que joue le clair de lune sur la flûte du silence.
(Marcel Proust, Du côté de chez Swann)

15:01 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (1)

vendredi, 25 novembre 2005

Encre

Une goutte d’encre est un lac où un ange a chu si brillamment que la corolle noire de l’impact a le poli de la bakélite, la gracile élégance d’une ombelle fraîchement vernissée, en son centre, — en son ventre où disparaît, engloutie, l’aile agile et frêle du messager divin à jamais immergé dans une obscurité liquide et sirupeuse, collant aux plumes, tenant de l’huile usée et du goudron sécrétés par les soutes d’un jadis si majestueux paquebot, éclatant de blancheur lisse, étoilée, rehaussée du sourire perlé des coquillages servis dans des grands plats d’argent
sur le rebord desquels, parmi  les algues et les poissons en incrustation d’émail, les guirlandes électriques multicolores bercées par la brise mystérieuse, les lèvres nacrées des femmes en vison, les cols satinés des smokings et les épaulettes d’or des uniformes d’apparat se pressaient, s’agglutinaient et s’évanouissaient en un chapelet de reflets, jouant déjà la scène du naufrage, du fatal destin des lourdes chaloupes au chargement livide, — les coquilles, jetées par-dessus bord depuis le pont des cuisines, attendant patiemment leurs nouveaux hôtes, et légèrement les corps s’enfonçant, se frayant un chemin vertical, hésitant et nécessaire, enrobés d’une solitude qui est celle des astres, auréolés d’un lent nuage verdâtre de poussière marine, impalpable et fuyant suaire de leur déliquescence, premier signe de l’inéluctable entropie dont la pierre renferme les strates, ces cris oppressés de la matière qui, en se disloquant, s’affine et, sur la berge, alanguie, s’étale, poudre de nacre scintillante, pure, et conserve un instant l’empreinte incertaine et fugace de l’aile d’un ange imprudent, tandis que les corps rongés et mous, un à un, gonflés d’un ironique besoin de s’élever, remontent à la  surface et jouent dans les vagues.

 Jean-Jacques Marimbert, texte paru dans la revue Encres Vagabondes en juin 1999.

19:05 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (25)