mercredi, 12 avril 2006
Sans moyen de vous en détacher...
Implacable. "Le Quatre de coeur" est un roman implacable. Tout commence sur le ton le plus léger possible. Nous sommes dans les studios à Hollywood en 1938. Monde frivole et quasi surréaliste : Acteurs, producteurs, scénaristes, journalistes. Où peut être l'erreur puisqu'elle est partout ? La situation complexe qui lie les quatre personnages principaux intrigue quand même, on poursuit, et les fils se resserrent peu à peu jusqu'à vous lier vous, le lecteur, sans moyen de vous en détacher... "Dans les romans d'Ellery Queen, écrit Borges dans ses chroniques de la revue El Hogar (La Pléiade, tome I), l'action est toujours intéressante ; l'ambiance en général est désagréable. Ceci jusqu'à présent n'était pas forcément un désavantage. L'auteur exagérait habituellement le désagrément pour obtenir des effets terrifiants ou grotesques. Mais il y a dans The Four of Hearts une insensibilité presque minérale qui dépasse presque toutes les possibilités humaines, voire biologiques. Ellery Queen, dans ce dernier ouvrage, ne semble pas se douter à quel point tous ses personnages sont pénibles. Il nous inflige gauchement l'indignité d'assister à leurs amours et d'être les témoins de leurs colères et de leurs baisers. Cela dit, je dois avouer un fait additionnel qui corrige, en quelque sorte, ou atténue mon jugement. J'ai lu en deux soirées les vingt-trois chapitres de The Four of Hearts et aucune page ne m'a ennuyé. Je n'ai pas non plus deviné la solution exacte du problème, laquelle cependant, est logique."
Borges ignorait (mais il aurait apprécié j'imagine) que Ellery Queen était en fait deux personnes. Voici une petite bio, extraite du site Polars.org :
Ne cherchez pas Ellery Queen, le bonhomme n’existe pas. Car Ellery Queen est double. Il s’agit en fait du pseudonyme conjoint de deux cousins américains, qui devaient mettre leurs talents en commun pour créer une des sagas policières les plus lues dans le monde. Le premier naît le 11 janvier 1905. Il se nomme Manford Lepofsky. Le second naît le 20 octobre de la même année et s’appelle Daniel Nathan. Mais à ce stade, les choses sont encore trop simples et avant de ne faire qu’un, ces deux fils d’immigrés polonais préfèrent très vite américaniser leurs noms. Ils deviennent Manfred Bennington Lee et Frederic Dannay. Le tandem fréquente le même collège de Brooklyn. Les deux travaillent ensuite dans la publicité, le premier pour les studios de cinéma, le second comme directeur artistique dans une agence. Ils scellent leur destin en participant en 1929 à un concours du magazine McClure’s : leur roman, Le Mystère romain, remporte le prix, et est édité sous leur pseudonyme commun, Ellery Queen, qui conte à la troisième personne ses exploits de limier, clone du Sherlock Holmes de Conan Doyle et du Philo Vance de SS Van Dine. Plus de 30 aventures vont suivre, Ellery Queen parvenant à évoluer pour rester en phase avec son temps. Les spécialistes découpent d’ailleurs l’oeuvre en trois ou quatre périodes distinctes. La première, de 1929 à 1936, est celle des traditionnels romans à énigme : le narrateur met au défi le lecteur d’assembler les pièces du puzzle. Durant la deuxième (1936-1942), les deux cousins prennent leur distance avec cette structure classique. Leur talent culmine alors avec la troisième période (1942-1952) et le cycle de Wrightsville, chronique sociale d’une petite cité de la Nouvelle Angleterre. Enfin, la quatrième consacre le retour à la primeur de l’intrigue, et l’arrivée de nombreux auteurs qui travaillent pour le tandem, les cousins s’attachant à tour de rôle à superviser l’affaire. Ils ne se contenteront pas d’Ellery Queen et créeront en 1931, cette fois sous le pseudonyme de Barnaby Ross, un détective ancien acteur shakespearien, Drury Lane, apparaissant dans quatre romans. Ils fonderont surtout en 1941 la revue Ellery Queen Mystery Magazine, qui devait révéler de nombreux auteurs et être à l’origine d’anthologies remarquables qui marquent toujours la littérature policière. M.B Lee est mort le 3 avril 1971 d’une crise cardiaque, et Frederic Dannay le 4 septembre 1982 d’un cancer.
Ses principaux ouvrages sont : Le Mystère égyptien, Le Mystère de la cape espagnole, Il était une vieille dame, La décade prodigieuse, Griffe de velours, L’Adversaire, Et le huitième jour.
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samedi, 08 avril 2006
Destination inconnue...
Entre autres nombreux vices, j'ai celui de déguster, de temps à autre, un roman de Agatha Christie. Et dans l'édition originale, Le Masque, dirigée par Albert Pigasse, le plaisir est encore plus fort. "Destination inconnue" ne ressemble pas aux autres romans de Christie. C'est une sombre affaire d'espionnage, le livre est sorti en 1955. Des savants disparaissent, sans doute retournés par Moscou. L'enquête nous emmène dans une léproserie au fin fond du désert marocain - elle dissimule comme dans les meilleurs James Bond un centre de recherche ultra-sophistiqué - et, de rebondissement en rebondissement, les identités se transforment, se déplacent, une jeune femme qui allait se suicider va devenir agent secret, c'est elle qui va mener le bal et franchir bien des embûches. Comme toujours chez Christie, l'intrigue est remarquablement ficelée, la psychologie même si elle est un peu sommaire est loin d'être sotte, il n'y a pas de temps mort, les dialogues sont serrés et précis, et la façon de dénouer l'énigme n'est jamais conventionnelle...
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jeudi, 30 mars 2006
Le roman « pour adolescents », une création hybride.
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vendredi, 24 mars 2006
Porte de la Paix céleste
Etrange et envoûtant roman, le premier de la jeune romancière chinoise Shan Sa, née en 1972. Tout commence dans le bruit et la fureur de la répression des événements de la place Tiananmen, en 1989, pour finir dans les forêts oubliées de la lointaine Chine, où la nature dirait-on a repris ses droits. Entre temps se seront croisés les destins d'une jeune et tempêtueuse égérie de Tiananmen et d'un lieutenant aux ordres du pouvoir. Mais aussi d'autres personnages, tous modelés par l'histoire récente de la Chine, tous solitaires aussi et exaltés, dépassés par un monde qu'ils ne comprennent pas, mais portés par une énergie foudroyante, énergie qu'on sent vibrer dans l'écriture précise, puissante et raffinée de Shan Sa : "Aujourd'hui je comprends l'erreur qui a failli signer ma perte : j'ai trop demandé à la vie, j'ai pensé qu'elle me devait le bonheur et la sérénité. En réalité, la vie n'offre ni le bien ni le mal. Le bonheur est un fruit qu'on cultive et récolte dans son âme. On ne peut le recevoir de l'extérieur."
Porte de la Paix céleste. Shan Sa, Folio.
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jeudi, 23 mars 2006
Les Muets de Trécorbier
Voici un thriller "à la française", j'allais dire "à la bretonne", puisque l'action se passe dans une petite île bretonne battue par les vents, et agitée par les passions humaines. On a un peu l'impression d'être dans un roman de Simenon d'ailleurs, et ses fameuses "atmosphères". A la française donc, car si le sang y coule peu, l'action se passe surtout dans les têtes, les états d'âme. Tout s'y déroule en demi-teintes, en non-dits. C'est la grande habileté de ce roman de nous faire toujours douter, hésiter, osciller entre le vrai et le faux, la folie et le bon sens ; deux versions d'une même histoire se croisent... Deux soeurs aussi qui vont aller l'une vers l'autre, à la recherche du passé. Après "L'ombre des tableaux" qui évoquait le peintre Paul Sérusier, voici un deuxième roman bien séduisant de Olivier Cousin.
Les muets de Trécorbier / Olivier Cousin. - Liv'éditions, 2005. (Liv'poche-suspense).
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mardi, 21 mars 2006
Mort d'une héroïne rouge
Décidément, les romans policiers de Qiu Xiaolong sont passionnants. Celui-ci est le premier des trois, mieux vaut donc ne pas faire comme moi et le lire d'abord. L'action se passe en 1990, soit un an après Tiananmen, la Chine est en train de basculer dans l'économie de marché, ce n'est que le début du basculement, beaucoup de gens fonctionnent encore sur les anciens critères. On est donc entre deux mondes, dans ce moment improbable et pourtant bien réel où les deux systèmes qui ont dominé la deuxième partie du XX ème siècle coexistent, mais où bien sûr l'un est déjà moribond et l'autre en plein développement. Et le livre, à l'image de cette société, en traduit les multiples contradictions. L'inspecteur principal Chen est (comme l'auteur) poète et traducteur de romans policiers, et on le sent parfois hésiter, se demander si sa vraie place est dans la police (où le hasard l'a amené) ou dans la littérature. Epris de morale confucéenne qui le fait résister héroïquement parfois aux tentations érotiques, il s'adapte tout de même - de manière très taoïste - aux changements en cours, n'hésitant pas à faire des compromis auprès des tenants des nouvelles mafias ou de membres influents du Parti pour faire avancer son enquête. En même temps, même si l'action est toujours bien serrée, les digressions nombreuses nous permettent de découvrir Shanghai ou Canton, la diversité de leur cuisine, de l’habitat, et toute une galerie de personnages secondaires qui reflètent le bouillonnement de cet immense pays. Ce n'est pas le moindre charme de ces trois romans d'être toujours bien équilibrés ; malgré le fil tendu de l'enquête policière, on circule agréablement grâce au talent de l'écrivain dans la société chinoise et son histoire récente, car toujours les événements actuels sont mis en perspective avec ceux des cinquante dernières années mais aussi avec les fondements de la culture chinoise. L'inspecteur principal Chen recherche le meurtrier d'une travailleuse modèle de la nation, par là il va se trouver mêler aux intrigues politiques, à la complexité des rapports de force au moment des basculements en question. Car un peu comme chez Stendhal ici, tout est politique, et "Celui qui combat les monstres, a dit Nietzsche, devrait veiller à ne pas en devenir un lui-même." C'est toute la difficulté de la mission de l'inspecteur principal Chen, et l'habileté de Qiu Xiaolong est de nous rendre compte de ce combat sans angélisme ni hypocrisie, avec une finesse toute chinoise.
L'auteur, Qiu Xiaolong est né à Shanghai ; victime de la révolution culturelle, il a été interdit d'école pendant des années sous prétexte que son père était un réactionnaire. Il parvient quand même à étudier l'anglais et à rédiger une thèse sur T.S Eliot. Auteur de plusieurs romans ("Mort d'une héroïne Rouge", "Visa pour Shanghai" et "Encre de Chine"), il vit aujourd'hui aux Etats-Unis.
Qiu Xiaolong, "Mort d'une héroïne rouge", collection Points Policier.
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dimanche, 12 mars 2006
Lire et relire
17:45 Publié dans Critique | Lien permanent | Commentaires (1)
samedi, 11 mars 2006
Encres de Chine
Après "Visa pour Shangaï ", Encres de Chine de Qiu Xialong, continue le portrait de cette fameuse Chine en mutation. Cette fois encore, le polar n'est qu'un prétexte pour décrire une réalité sociale et politique et ses multiples contradictions. Avec toujours, en arrière-plan, la "Révolution culturelle", le moment où le destin de beaucoup de chinois a basculé et dont ils portent encore les stigmates. L'action se passe à Shangaï, lieu par excellence des mouvements qui agitent la Chine d'aujourd'hui. Apparition des nouveaux riches, présence insistante des "triades", corruption, spéculation immobilière et "néo-libéralisme" en vigueur partout, avec cette particularité qu'en Chine, il s'est développé à une vitesse hallucinante. C'est ce basculement insensé que Qiu Xiaolong raconte avec maestria.
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dimanche, 05 mars 2006
Visa pour Shangaï
Voilà un fort intéressant polar "made in China". Une partie de go plutôt avec un inspecteur principal de Shangaï (le livre date de 2002), une inspectrice américaine, le gouvernemant chinois, diverses triades, dans une affaire d'immigration clandestine vers les Etats-Unis. Sans doute en référence à une tradition chinoise où les responsables admistratifs étaient des lettrés, l'inspecteur principal Cheng est poète, spécialiste de T.S. Eliot, et la poésie se mêlera habilement à l'intrigue. L'autre intérêt de ce polar est qu'il donne une photographie sans complaisance de la Chine d'aujourd'hui ; le noeud de l'affaire se situe pendant la Révolution Culturelle qui est donc largement évoquée. Tout en étant très réaliste, et sans effets particuliers (dont souvent les auteurs de polars abusent), l'intrigue, parfaitement équilibrée est rondement menée, dans une atmosphère qui va du sordide au lyrique avec une belle aisance, respectant comme il se doit l'équilibre entre le yin et le yang : "Selon Bertrand Russel, une passion amoureuse atteint son zénith lorsque les amants ont l'impression que tout le monde est contre eux".
Qiu Xiaolong, Collection Points seuil, policiers.
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samedi, 25 février 2006
Il serait dommage que vous en pâtissiez
10:06 Publié dans Critique | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 24 février 2006
Fol l'Ain
Tout part à vélo dans ce petit polar de Roland Fuentès. Rien ne ressemble à rien. Le vélo grâce auquel le narrateur sillonne les routes de la Bresse date de 1936, celui-ci qui travaille dans un magasin de bricolage est gauche au possible. Il est parti pour se vider la cervelle et elle va se mettre à bouillir, et la nôtre avec, car dans cette équipée sauvage, la campagne profonde bressane a des airs de Cour des Miracles. L’histoire pourrait se décliner sur le mode : Un seul hêtre vous manque et tout est des peupliers ! :
De hauts peupliers frémissaient au bord de la route. Leurs têtes ébouriffées se balançaient au-dessus de moi comme pour me dire : « Retourne d’où tu viens ou tu le regretteras ! » (…) Je sentais encore ce regard vide sur ma nuque, ce regard de mammifère gigantesque, boulimique, et patient. C’était celui d’un gouffre sans fin, sans âme. (…) Le reproche muet des deux géants, finalement, ne m’encombrerait guère. J’avais assisté à deux meurtres, et il était fort possible que la nuit me réservât encore des mésaventures. Aussi ces foutus phraseurs de peupliers ne m’ont pas impressionné outre mesure.
Alors faux polar, vrai nouvelle fantastique ? Les deux mon commissaire ! Roland Fuentès brouille les pistes à loisir pour nous laisser en tête à tête avec le plaisir de la lecture ! Ça suffit amplement à notre bonheur !
Roland Fuentès
La Bresse dans les pédales
Editions Nykta
Collection Petite Nuit
60 pages / 5 €
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dimanche, 19 février 2006
Le miroir et le masque
Un an plus tard, la nouvelle ode qu'il propose est très différente de la précédente. Elle subvertit toutes les règles, qu'elles soient grammaticales, poétiques ou rhétoriques. Le poète ne la récite plus avec la maîtrise qui était la sienne un an auparavant ; il la lit devant le roi et le cénacle des hommes de lettres avec inquiétude et hésitation. Ce nouveau texte, étrange et surprenant, n'est pas situé dans l'ordre de la représentation, mais dans celui de l'illusion. Il ne donne pas à entendre les prouesses du roi, il fait surgir l'événement dans sa force inouïe : "Ce n'était pas une description de la bataille, c'était la bataille." L' ekphrasis s'est substitué à la représentation. Comme les fictions du Siècle d'or, l'ode déploie une séduction merveilleuse, mais dangereuse. Elle doit être conservée, mais en un unique exemplaire. Pour son oeuvre, qui a la force du théâtre, le poète reçoit un objet de théâtre : un masque d'or. Le roi désire pourtant une oeuvre plus sublime encore.
Un an plus tard, l'ode n'est plus écrite et ne consiste qu'en une seule ligne. Seuls, le poète et le roi la "murmurèrent comme s'il se fût agi d'une prière secrète ou d'un blasphème". Le poète, envahi comme l'aède homérique par une parole qui n'est pas la sienne, est devenu un autre : "Quelque chose, qui n'était pas le temps, avait marqué et transformé ses traits. Ses yeux semblaient regarder très loin ou être devenus aveugles" - aveugles comme les yeux des poètes inspirés dans leur nuit : Homère, Milton, Joyce, et Borges lui-même. La troisième ode ne sera ni transcrite, ni répétée. Son mystère a conduit ceux qui l'ont énoncée à la contemplation interdite, celle de la Beauté. "Maintenant il nous faut l'expier", dit le roi. Avec la dague qui lui a été offerte, le poète se suicide. L'expiation du souverain prend une autre forme, propre au "grand théâtre du monde" où tous les rôles sont éphémères et interchangeables : "Du roi, nous savons qu'il est aujourd'hui un mendiant parcourant les routes de cette Irlande qui fut son royaume, et qu'il n'a jamais redit le poème."
Extrait de L'Auteur au "centre d'innombrables relations" par Roger Chartier
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vendredi, 17 février 2006
L'Histoire n'est déjà plus qu'un département narratif du nihilisme
La littérature n'existe pas pour conforter les humains dans leur petite vie : c'est une puissance mélodique d'arrachement. On sort du cauchemar de l'Histoire avec des phrases. Les phrases de Claude Simon, dans leur plastique ondulante, composent une matière épaisse, hérissée, compacte, comme un mortier de prose où se cherche, par saccades, spasmes, roulis, une cadence qui échappe à l'extinction des choses.
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lundi, 13 février 2006
La possibilité de l’île Littérature
Je lis depuis le début de l’année Une vie divine de Philippe Sollers, l’écrivain français que j’ai le plus vilipendé naguère, et je l’évoque tous les jours sur mon blog parce que ce livre, malgré l’apparente fatuité de son auteur et son hédonisme de façade, est écrit lui aussi « sous le regard de Dieu », jusque dans ses blasphèmes et ses effets. Sollers y devient M.N. qui n’est ni Nietzsche, qu’il revisite pas à pas et réanime à la diable, ni lui-même non plus, ni toi ni elle - et tous à la fois pourtant. Ce n’est pas tant de Sollers qu’il est alors question que de la possibilité de l’île Littérature, et demain ce sera Proust ou Shakespeare, Tchékhov ou le Kurosawa du sublime Vivre, Bonnard et Beethoven en alternance...
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samedi, 11 février 2006
"Les amants du Spoutnik", de Haruki Murakami
Au printemps de sa vingt-deuxième année, Sumire tomba amoureuse pour la première fois de sa vie. Cet amour aussi dévastateur qu'une tornade dans une vaste plaine ravagea tout sur son passage (...) L'objet de cet amour absolument mémorable était marié, avait dix-sept ans de plus que Sumire et, surtout, était une femme. C'est de là que partit toute cette histoire, et là aussi qu'elle s'acheva (ou presque). Ainsi commence "Les amants du Spoutnik, de Haruki Murakami. Voilà un écrivain qui a un ton, du rythme, et surtout on sent tout un univers grouiller sous les mots. Sous l'apparente légèreté, c'est comme si on lisait plusieurs livres à la fois, un livre léger et drôle, un autre profond, encore un désespéré ou cynique et l'ensemble baigne dans une atmosphère onirique très originale. On est au Japon - un Japon qui n'apparaît presque qu'en filigrane, très irréel, ténu -, mais en même temps ailleurs, du reste l'histoire se déplace ensuite en Europe. Sumire vit hors du temps, et les deux autres personnages principaux sont toujours enveloppés dans quelque chose de plus grand qu'eux, qui les dépasse, qu'ils cherchent désespérément à comprendre, à dépasser, et là tout l'imaginaire de l'écrivain (et le nôtre) se déploie. Et puis le livre bascule. Sumire disparaît, elle le personnage principal, et un autre livre commence, et on entre vraiment dans le roman, le trouble, l'inconscient des personnages ; l'écriture se fait plus précise, plus ressérée, chargée d'émotion, profonde. Et les vies des trois personnages se tissent, se détissent entre elles dans un ballet étrange et envoûtant...
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vendredi, 10 février 2006
Portraits de femmes
Les romans contemporains nous amènent de magnifiques portraits femmes, écrits par des hommes. Je viens de commencer "Les amants du Spoutnik" de Haruki Murakami, sa "Sumire" étrange, énigmatique et tellement vraie me fait penser à la sublime "Consuela" de Philip Roth dans "La bête qui meurt" ou à "Esther" de Michel Houellebecq dans "La possibilité d'une île", portraits forts, justes, irradiants.
Felix Vallotton
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samedi, 04 février 2006
Compères de blog !
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vendredi, 03 février 2006
Flaubert à propos de Graziella
« Causons un peu de Graziella.. C'est un ouvrage médiocre, quoique la meilleure chose que Lamartine ait faite en prose. (...) Et d'abord, pour parler clair, la baise-t-il, ou ne la baise-t-il pas ? Ce ne sont pas des êtres humains, mais des mannequins. - Que c'est beau ces histoires d'amour, où la chose principale est tellement entourée de mystère que l'on ne sait à quoi s'en tenir ! l'union sexuelle étant reléguée systématiquement dans l'ombre, comme boire, manger, pisser, etc ! Ce parti pris m'agace. Voilà un gaillard qui vit continuellement avec une femme qui l'aime, et qu'il aime, et jamais un désir ! Pas un nuage impur ne vient obscurcir ce lac bleuâtre ! O hypocrite ! S'il avait raconté l'histoire vraie, que c'eût été plus beau ! Mais la vérité demande des mâles plus velus que M. de Lamartine. »
Flaubert, Correspondance, Lettre à Louise Colet.
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lundi, 30 janvier 2006
Lacan de vacances ?
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mercredi, 18 janvier 2006
Une vie divine de Philippe Sollers : un peu plus "roman" que les autres...
La question revient toujours à propos des "romans" de Philippe Sollers, est-ce que ce sont vraiment des romans ? Au demeurant, celui-ci me me semble plus abouti que les précédents. Peut-être parce qu'il s'appuie sur un élément très romanesque : La date symbolique du 30 septembre 1888, le jour où Nietzsche finit l'Antéchrist, inversion de toutes les valeurs, date qu'il reprendra en datant ainsi sa préface au Crépuscule des Idoles. On connaît la suite : le 3 janvier 1889, voulant prêter secours à un cheval maltraité par son cochet, Nietzsche s'effondre, en plein centre de Turin. A dater de ce jour il bascule dans la folie. Sollers fonde ce 30 septembre 1888 comme le début d'un nouveau calendrier, l'an I de la nouvelle ère du Salut. Pour le reste ce roman ressemble aux précédents de Sollers en ce qu'il se compose d'une suite de considérations métaphysiques. Sollers s'appuie sur les écrits nietzschéens (sa correspondance notamment) pour suivre ses thèmes de prédilection : à savoir la façon dont notre époque érige en icônes la mort, la destruction, la dépression, la mélancolie, la violence et la folie. "On n'imagine pas ce qu'était la misère sexuelle et musicale de la fin du XIXe siècle. Mais on n'ose pas imaginer non plus la misère sexuelle et musicale de notre temps qui feint d'être libre en s'enfonçant dans l'absence de pensée. J'attache la plus grande importance aux notations finales de "Monsieur N." comme je l'appelle dans ce livre, car il ne meurt pas, il ne devient pas fou, il habite parmi nous, clandestinement". Et on le suit ce Monsieur N. qui devient le narrateur du livre, et en ça on est vraiment dans le roman, puisque Sollers, comme souvent, joue avec les masques, les narrateurs, les identités. Et puis il y a aussi Ludi et Nelly, les deux personnages féminins, plus vrais, plus réussis à mon sens que ceux de ses précédents romans ; l'une au départ, simple vendeuse d'un magasin de mode, va devenir (et de manière très proustienne) personnage important du spectacle publicitaire et l'autre, philosophe, qui se livre avec le narrateur à des expériences étranges sur le pouvoir philosophique dans « des séances de temps ». Sollers met au centre de son oeuvre une des points clés de la pensée de Nietzsche, "L'éternel retour", une recherche passionnée, ludique, sensuelle et métaphysique en même temps, et éminément roborative de l'être, de l'être au monde. A mon avis, son meilleur roman depuis "Le secret".
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