Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mercredi, 18 janvier 2006

Une vie divine de Philippe Sollers : un peu plus "roman" que les autres...

La question revient toujours à propos des "romans" de Philippe Sollers, est-ce que ce sont vraiment des romans ? Au demeurant, celui-ci me me semble plus abouti que les précédents. Peut-être parce qu'il s'appuie sur un élément très romanesque : La date symbolique du 30 septembre 1888, le jour où Nietzsche finit l'Antéchrist, inversion de toutes les valeurs, date qu'il reprendra en datant ainsi sa préface au Crépuscule des Idoles. On connaît la suite : le 3 janvier 1889, voulant prêter secours à un cheval maltraité par son cochet, Nietzsche s'effondre, en plein centre de Turin. A dater de ce jour il bascule dans la folie. Sollers fonde ce 30 septembre 1888 comme le début d'un nouveau calendrier, l'an I de la nouvelle ère du Salut. Pour le reste ce roman ressemble aux précédents de Sollers en ce qu'il se compose d'une suite de considérations métaphysiques. Sollers s'appuie sur les écrits nietzschéens (sa correspondance notamment) pour suivre ses thèmes de prédilection : à savoir la façon dont notre époque érige en icônes la mort, la destruction, la dépression, la mélancolie, la violence et la folie. "On n'imagine pas ce qu'était la misère sexuelle et musicale de la fin du XIXe siècle. Mais on n'ose pas imaginer non plus la misère sexuelle et musicale de notre temps qui feint d'être libre en s'enfonçant dans l'absence de pensée. J'attache la plus grande importance aux notations finales de "Monsieur N." comme je l'appelle dans ce livre, car il ne meurt pas, il ne devient pas fou, il habite parmi nous, clandestinement". Et on le suit ce Monsieur N. qui devient le narrateur du livre, et en ça on est vraiment dans le roman, puisque Sollers, comme souvent, joue avec les masques, les narrateurs, les identités. Et puis il y a aussi Ludi et Nelly, les deux personnages féminins, plus vrais, plus réussis à mon sens que ceux de ses précédents romans ; l'une au départ, simple vendeuse d'un magasin de mode, va devenir (et de manière très proustienne) personnage important du spectacle publicitaire et l'autre, philosophe, qui se livre avec le narrateur à des expériences étranges sur le pouvoir philosophique dans « des séances de temps ». Sollers met au centre de son oeuvre une des points clés de la pensée de Nietzsche, "L'éternel retour", une recherche passionnée, ludique, sensuelle et métaphysique en même temps, et éminément roborative de l'être, de l'être au monde. A mon avis, son meilleur roman depuis "Le secret".

12:05 Publié dans Critique | Lien permanent | Commentaires (6)

Commentaires

Petite rectification que je viens de faire sur ce texte, pour ceux qui l'avaient lu dans sa première version ; s'y était glissée une erreur. C'est bien le 3 janvier 1889 que Nietzsche s'effondre dans la rue à Turin, commencement de sa "folie" et du 30 septembre 1888 qu'il date "L'Antéchrist" et sa préface au Crépuscule des idoles, date qu'utilise PS pour ce livre.

Écrit par : Ray | mercredi, 18 janvier 2006

Pour ma part, en tant que pur Gémeaux, je suis partagé constamment entre l'adhésion et le rejet et ne vois là-dedans qu'une possibilité de roman que le lecteur écrit en somme, ce qui est déjà ça... J'éprouve un peu le même mélange d'attirance et de rejet à l'égard de Michel Butor, qui ne recourt jamais pourtant aux effets de Sollers, mais chez lequel il y a aussi peu de réelle sensualité et aussi peu d'affectivité que chez Sollers. Pourtant tous deux sont intéressants. Les livres de Butor sur Balzac sont des romans, pourrait-on dire, comme La guerre du goût de Sollers est un roman de savoir et de sensibilité. Mais vous avez raison: Une vie divine est sûrement le plus roman des essais de romans de Sollers, comme Le secret ou Les folies françaises. C'est nettement moins flagada que L'étoile des amants, qu'il annonçait comme un 11 septembre éditorial, mais je trouve ça quand même très délayé malgré tout ce qui s'y trouve de notable aussi. Je serai demain à Séville, puis à Salamanque, et ça m'intéresse de lire ce livre sous d'autres angles, après Soleure et Soglio. Merci pour les signes amicaux et bon dimanche au sud des alpilles...

Écrit par : JLK | samedi, 21 janvier 2006

1) A propos de dates :
Ecce Homo "commencé le 15 octobre[1888] et achevé le 15 octobre à Turin [...]Ce grand chef d'oeuvre[...]écrit en trois semaines dans le premier mois du vrai calendrier, an I de l'ère du Salut. Nous sommes aujourd'hui en 117, et le ciel est blanc-bleu" nous dit Sollers. 2005, l'an 117 du "nouveau calendrier". Tout ceci est cohérent, sauf que le livre se termine par "Paris le 30 septembre 118" !!!
Erreur à l'insu de son plein gré ? Alors pourquoi ? Ou, plus banalement, Sollers qui s'emmêle dans les chiffres ?

2) A propos du vocabulaire
M'a aussi frappé, un usage beaucoup plus grand du vocabulaire familier que Sollers réservait jusque là, surtout aux descriptions érotico-sexuelles. Appeler une "chatte", une chatte, ou "baiser" est pour Sollers, de loin préférable au vocabulaire médico-anatomique.

Dans "Une vie divine", on a droit à plus : "Œdipe doit fonctionner, c’est une loi. Veut-il baiser sa mère, Oui ou merde ? Je serais à sa place, je n’hésiterais pas ; Je tue ce vieux con, à moi la déesse."
Comme il y va ! Relâchement ? Pas vraiment. Relent de violence du temps, parler-banlieue de « Nique-Ta-Mère ». Une autre facette de la vie divine.

3) Recyclage
Pas vu non plus, cité par les critiques, que les vingt premières pages de "La vie divine" sont reprises in extenso d'un article, intitulé "Le Sujet", paru dans l'Infini N°88. Toutefois l'exergue qui donne la tonalité du livre a été changé. Infléchissement du projet initial de l'auteur ?

Voir http://www.pileface.com/sollers/article.php3?id_article=99

Écrit par : viktor kirtov | lundi, 23 janvier 2006

En effet il me semblait bien qu'il y avait un problème sur les dates. Ce que vous dites est juste, et on peut constater ici ou là qu'on peut faire de très nombreuses lectures de ce livre (qui ne manque pas de défauts non plus c'est vrai !), ce qui montre quand même sa richesse ! Merci pour le lien

Écrit par : Ray | lundi, 23 janvier 2006

Pas le choix dans la date !
(Warning, contrepet)
30 septembre 118, Sollers persiste et signe dans un auto-entretien publié sur le site www.gallimard.fr qui commence ainsi :
" Il s'agit bien d'un roman, et de la façon dont Nietzsche a toujours été traité en penseur abstrait, falsifié à longueur de temps par les philosophes alors que sa vie et sa pensée sont inséparables et qu'elles font de lui un personnage d'aventures extraordinaires.
La question est très simple : elle touche au temps et, carrément, à ce que nous nous racontons du calendrier. Vous remarquerez que ce livre est daté du 30 septembre 118, en référence à ce que Nietzsche, le 30 septembre 1888, prononce comme l'an I de la nouvelle ère du Salut. "
(Sic).

PS : Ai référencé votre article sur "une vie divine" dans la revue de presse du livre sur pileface.com.

Écrit par : viktor kirtov | lundi, 23 janvier 2006

Merci ! j'avais déjà consulté votre site, très intéressant, bravo ! (et aussi pour le contrepet !)

Écrit par : Ray | lundi, 23 janvier 2006

Les commentaires sont fermés.