lundi, 04 décembre 2006
Comme le clair de lune anéantit un paysage
« La route traversait les orangeraies, le parfum nuptial des fleurs anéantissait tous les autres comme le clair de lune anéantit un paysage : l’odeur de cheval en sueur, l’odeur de cuir, l’odeur de prince et l’odeur de jésuite, tout était balayé par ce parfum islamique qui évoquait des houris et de charnels outre-tombe. »
Lampedusa, Le Guépard
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vendredi, 24 novembre 2006
Le passager clandestin
L’homme disparaîtra, lui le passager clandestin, l’invité de la dernière heure. Il s’en ira sur la pointe des pieds après avoir coloré d’un peu de poésie l’or du temps.
Extrait de "L'or du temps" (Raymond Alcovère, 2002) Photo de Gildas Pasquet
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jeudi, 23 novembre 2006
Les ailes du désir
Tout a été dit et il reste des mots encore. Tout a été dit et le clair-obscur se recompose. Le feu est à la terre ce que la nuit est au ciel, cet instant ayant été. Pour toujours.
Perche appressando se al suo disire
Nostro intelleto si profonda tanto
Che dietro la memoria non puo ire.
La vie n’est qu’une incarnation passagère, un instant de lumière. L’écriture frôle les ailes du désir.
Extrait de "Une cathédrale de songes" (Raymond Alcovère, 2002) Photo de Gildas Pasquet
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mardi, 21 novembre 2006
Le brochet
Immobile à l'ombre d'un saule, c'est le poignard dissimulé au flanc du vieux bandit
Jules Renard, Histoires naturelles
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Sous le ciel en flammes
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Un pin sur un pic
Lune claire
Si je renais je voudrais être
Un pin sur un pic
Ryôta
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jeudi, 16 novembre 2006
Un certain sens de l’apostolat horticole
Je bichonne mes géraniums. À la tombée du soir, je bassine le tilleul, qu’il profite au maximum de la fraîcheur toute relative de nos nuits d’été. Midi est d’une barbarie qui brûle tout par ici ; minuit, guère plus amène, offre parfois le bref répit d’une manière de courant d’air. C’est un tourment quotidien et quasi permanent dans cette encoignure de province où ne poussent que des cailloux et crève tout le reste que s’acharner à faire fleurir un bégonia ou vouloir conserver un peu de son éclat au feuillage du tilleul. Je m’y emploie cependant avec beaucoup d’abnégation et même un certain sens de l’apostolat horticole. Ne voyez dans cet aveu nulle prétention de ma part ; ce serait là, j’en ai parfaite conscience, surajouter à l’inutile de mon existence sottise et ridicule.
Pierre Autin-Grenier, extrait de 11 inédits pour le Banquet, éditions Verdier
Photo : Gildas Pasquet
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Ardeur
Elle aimait les libellules et les crayons pastel ses ocres calcinées estomper sur sa peau la foudre des couleurs d'une ardeur violette, transformer les Sienne naturelles en lavis nus
Et surtout elle ardorait l'odeur des voix le toucher bruissantes caresses qu'elles abandonnaient dans une pièce longtemps après le départ de celui qui avait parlé, offert ses mots.
Attentive, elle recueillait cérémonieusement leurs éclats dans une boîte translucide et, de ses airs de libellule enfiévrée, elle inspirait leur parfum, le visage penché vers l'intérieur.
Chaque parfum de voix avait sa couleur... Alice eau de fushia, Leïla huile profonde nuit... marine.
Quand elle avait suffisamment joui des parfums de voix, elle refermait la boîte chut, sommeil rose-indien et n'y pensait plus, jusqu'à la prochaine marée de couleurs.
Parfois pourtant, en approchant de la boîte avant l'heure bleue, elle découvrait les rêves de voix endormies, lovées les unes dans les autres, comme des bébés chats. Leur seul frémissement éveillait ses ailes de chasseur. Alors, sans prendre garde au feu de garance de ses joues, elle plongeait dans les voix, en apnée.
Quand elle fendait la surface, longtemps après, sa vie était couverte de grands bleus. Elle penchait son visage nuage, découvrait l'horizon à l'envers, le ciel dans ses racines. Enfin, elle repliait ses ailes dans ses poches et se mêlait aux turbulences de la ville.
Un pays des voix naissait sous ses pas, prenait feu en couleurs et odeurs vives. Il inventait les marches instinctives et passionnées, l'ardeur où nul mur, jamais, ne pourrait transformer en ruines le profond des voix.
A l'oreille de Van Gogh, elle écoutait...
13:41 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, poésie, Mireille Disdero, photo, Gildas Pasquet
lundi, 13 novembre 2006
Cargos de silence
Lumière odeurs du sommeil. Quand l'étoile au bleu plonge les rêves, en affleurement.
Couleurs nues le matin. Au moment d'ouvrir les yeux.
Puis une respiration, très loin. Seulement un battement d'ailes. Cambrure en haute mer.
Présence encore, mais en pointillés. On bascule vers le jour. Traversant des zones libres. Evitant d'approfondir, pour virer de bord au midi.
Absence. Les paroles ne servent à rien quand elle vient.
Seulement les couleurs. Juste un silence. La fêlure de l'éveil.
Au tréfonds des mots se cherche en apnée la respiration d'écrire.
Mais aujourd'hui, rien. L'absence. Seulement les couleurs en nappes insensées, l'estompe d'un sillon de mots feux qui passent, s'effacent... vers le large... en cargos de silence.
Photo de Michèle Fuxa
00:29 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature, art, poésie, Mireille Disdero
samedi, 11 novembre 2006
Et le bouleverser, d'un claquement de cœur le bouleverser !
Avant l’enfance au rêve
Andalouse danser
du pied frapper la lumière
rouge carmin de Goya tournoyer
et le bouleverser, d'un claquement de cœur le bouleverser !
00:15 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, art, photomontage, Claude Corbier, Mireille Disdero, poésie
jeudi, 09 novembre 2006
Ailleurs
"Il est possible que des objets sans importance résistent à l'attraction désastre... bien longtemps après nous.
J'ai commencé à accélérer. Mes battements de coeur surtout, puis mon allure en marchant. Une personne attentive aurait pensé à la bande image qu'on rembobine à toute vitesse. Mais j'étais dans le film, je ne discernais plus les contours ni les limites.
Au bureau, la clim était mal réglée. Une équipe du service technique commençait à démonter le mécanisme. J'ai dit "bonjour" comme j'aurais murmuré "ailleurs". Personne n'a remarqué les yeux rouges ni perçu la voix fissurée... et l'accélération.
Le soir j'ai bouclé ma valise avec mon coeur dedans. Le voyage m'a rappelé la morsure des moments sans importance. Au-dehors les vivants s'estompaient tels des trains fous qui ne s'arrêtent dans aucune gare. J'étais un rail, des champs, la lumière qui couvre les bancs, là-bas, j'étais mille kilomètres qui fonçaient dans l'azur sans assurance vie et... Tellement. J'étais tellement.
C'était ma nature.
Mon premier pas ailleurs a fait taire le voyage. D'un seul coup. Le soir m'a prise dans un café du cinquième, rue des Ecoles, pendant que j'avalais un second coca light. J'ai dévisagé mon reflet dans le miroir qui me faisait face. C'est alors qu'un souvenir a commencé à s'agiter autour de moi. Un collier de chien en cuir usé a glissé de mon sac ouvert. Alors, quelque part sur la terre un barrage a cédé. Un train a déraillé, une enfant a rêvé d'un chien qui gardait ses nuits, ses jours et la douceur contr'elle."
Photo : Michèle Fuxa
00:30 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : Poésie, Mireille Disdero, littérature, photo, Michèle Fuxa
mercredi, 08 novembre 2006
Naissance
J'avale la nuit dans un café
Ma tasse résonne de ton éclat
Je sais brûler à corps absent
Remonter
Flamme, le courant
Mais
Des siècles à être toi
À me pencher
A te parler dans un reflet
Et
Foule en place de l'Étoile
Juste à l'endroit du cœur
Touchée
Attablée à ta vie
La nuit
Je te bois dans mon café
Puis
Je rentre
Ici ou nulle part
Mon sommeil dans ta poche
Au fond des caniveaux, le soleil
La pluie des yeux
Nos papiers froissés
Je voudrais ne jamais avoir pleuré
Ne jamais avoir parlé
Etre à naître de nouveau
Juste un bébé
Prendre la vie du début
Et
A corps présent
Te trouver.
Rodin, La Danaïde
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dimanche, 05 novembre 2006
Une expression bouffonne et égarée au possible
"Enfin, ô bonheur, ô raison, j'écartai du ciel l'azur, qui est du noir, et je vécus étincelle d'or de la lumière nature. De joie, je prenais une expression bouffonne et égarée au possible."
Rimbaud
Pollock
05:04 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, art, poésie, Rimbaud, Pollock
vendredi, 03 novembre 2006
Un ogre dans la ville
Marseille est une ville sublime, étonnante. Onirique même. Au contraire de l'idée de ceux qui ne la connaissent que de loin, la ville qui vit naître Artaud et mourir Rimbaud est pleine de mystères, d'étrangeté. Cendrars en a parlé magnifiquement dans "L'homme foudroyé" : "Marseille, presque aussi ancienne que Rome, ne possède aucun monument. Tout est rentré sous terre, tout est secret." Mireille Disdero nous plonge dans une autre ville encore, loin de tous les clichés, tour à tour solaire et terrifiante. L'orage approchait, dans les aigus. L'orage ici c'est l'ogre. Il s'appelle Angelo. Il harcèle la narratrice, veut la dévorer, lui dévorer sa vie. Il est son double en quelque sorte. Tour à tour Marie et Angelo évoquent chacune des faces de l’histoire, la médaille et son envers. Cet ogre est un monstre affectueux et dangereux. Quelque chose bouge et se lève tout autour. Respiration haletante de fantômes sans au-delà des vies. Larmes rouges du tatoueur pour un amour de peau. Bruit des existences loin, autour, dans les rues. Battements d’ailes noires des secondes qui nous escortent. La ville s’éveille, grandit de ses tentatives sans apaisement. J’ai toujours peur.C’est une ville souvent crépusculaire, venteuse, presque vide (une atmosphère à la De Chirico) qui déroule ses méandres. Et si c’est à un suspens haletant que nous convie Mireille Disdero, rythmé par les encres de Catherine Carruggi, le vrai fil conducteur du roman c’est la poésie : Je m’allonge sur la pierre chaude, les yeux vers le ciel. J’écoute les vagues se jeter contre l’île. Shhhhhhhhuuuuuuuu… Des mouettes tournoient au-dessus de moi pour m’inviter au voyage. La lumière est presque palpable. Je la sens me toucher, m’aimer. Je suis bien. Aujourd’hui, il n’y a personne, pas un seul touriste. J’aime cet endroit. Je pense à la première fois que je suis arrivée à Marseille avec mes parents. On devait atterrir à Marignane mais l’avion est venu faire un demi-tour au-dessus de Marseille et du Frioul, en fin d’après-midi. L’ombre des ailes frôlait les vagues. Ce jour-là, j’ai été heureuse d’avoir des yeux capables de découvrir cette ville adossée à la mer. Je garde encore la marque de sa beauté, même des années après, en traversant ses quartiers aux murailles écorchées. J’aime Marseille, je l’ai dans les yeux, comme une couleur.
19:21 Publié dans Critique | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature, ogre, poésie, Mireille Disdero, critique
À cet accès soudain de calme
À quoi reconnaît-on ce que l'on aime. À cet accès soudain de calme, à ce coup porté au coeur et à l'hémorragie qui s'ensuit - une hémorragie de silence dans la parole. Ce que l'on aime n'a pas de nom. Cela s'approche de nous et pose sa main sur notre épaule avant que nous ayons trouvé un mot pour l'arrêter, pour le nommer, pour l'arrêter en le nommant.
(Une petite robe de fête, Christian Bobin)
Photo : Sabine Weiss
00:05 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie, Christian Bobin
jeudi, 02 novembre 2006
Fil
Il y a ce fil
Où s’accrochent les plumes
Fil aux facettes miroitantes
La couleur jette des flaques
Sur d’invisibles murs
Et les ballerines dansent
Au vertige
Nénuphar issu des limbes
Le cœur en offrande
Tendre comme une chair de figue
Aux ailes
Cède la nuque
Une mèche glisse
Valérie Canat de Chizy
Andrea Mantegna
00:35 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature, poésie, Valérie Canat de Chizy, Mantegna
mardi, 31 octobre 2006
Qu’est-ce donc que la vie ordinaire
« Ma vie est semblable à l’enfant tumultueux de retour à la maison, gagné par l’ardeur d’un jeu au dehors : elle me quitte très souvent, elle me revient de loin en loin, encombrée par une émotion que les premiers mots apaisent. Je n’écris que très peu, et ce peu est encore trop, en regard des quelques instants qui éclairent le chemin où je vais : il y a très peu d’événements dans une vie. Parfois il n’y a que l’événement de son désastre, de son lent engloutissement dans le désastre quotidien. Ainsi perd-on toutes forces, dans l’impur mélange des jours. Qu’est-ce donc que la vie ordinaire, celle où nous sommes sans y être ? C’est une langue sans désir, un temps sans merveille. C’est une chose douce comme un mensonge. »
Christian Bobin, Le huitième jour de la semaine.
Modigliani
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lundi, 30 octobre 2006
Cristaux de roche
Les heures,
Tu les traînes dans ton sillage
Dans l’attente
D’une prochaine éclipse.
Le sucre te mange.
Se fige le temps
Couleur de caramel.
Sous ta peau
Se forment
Les cristaux
Et les morceaux de roche
Dévalent
Des sommets.
Valérie Canat de Chizy
Yves Klein
00:05 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, poésie, Valérie Canat de Chizy, Yves Klein
dimanche, 29 octobre 2006
"Tu m'as tué... mais, comme toi, j'ai oublié de mourir."
Arabian love song: "Mahmoud Darwich, malade d'espoir!"
02:33 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature, poésie, Mahmoud Darwich
samedi, 28 octobre 2006
La profondeur du sentiment pour sillon
Une fois le chandail ôté, l'offrande d'une poitrine rouge
Conséquence possible d'un coup de soleil,
Trace probable d'une vieille peinture de guerre
Une fois notre chant sur pilotis
suspendu entre brume et feutre
la profondeur du sentiment pour sillon
Que savoir d'autre de la vie ?
Jean Azarel, extrait de Passage du mortel
Yves Klein
21:20 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie, Jean Azarel, Yves Klein