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dimanche, 30 septembre 2007

Si j'étais peintre

f4a4180e471b9ba4df3778d03ed5c7ad.jpgDevant, ciel gris, âpre. Une chaleur insensible flotte. Le monde ne peut être paisible sans cette trouée lilas, monocorde, à fixer les nuages, les rendre transparents. La terre s’approfondit.  Une musique monte dans le lointain, symphonie élastique. Gammes bleues et mauves. La terre est prête à s’engouffrer dans l’océan. Terre blonde et vermeille. Un lit de terre.

 

Loin encore l’Europe est là, je la sens. J’y jette tous mes espoirs, je ne reverrai jamais les îles je crois. Pourquoi revenir en arrière ? La symphonie de l’aurore jette une lumière ocre. Des plages longilignes dévorent la terre devant l’étrave du bateau. Si j’étais peintre, je poserais mon chevalet ici. Le ciel étagé en rumeurs, les couleurs comme des bruits, des notes, qui s’attirent, se repoussent, s’aiment.

Raymond Alcovère, extrait de "L'or du temps", 2002

Photo : Nina Houzel (Goa)

vendredi, 21 septembre 2007

Un inédit de Pierre Autin-Grenier

A lire ici

jeudi, 26 avril 2007

Tenir le monde entre mes doigts de silence

medium_tri_11.jpgTerre de collines. Ocre et rouge. Achevalé sur ma monture, je parcours les steppes. Les ombres jouent avec les replis de la terre, le gris de la roche avec le bleu des montagnes.

 

Alpha et oméga du monde, rien ne semble avoir été posé ici par hasard. Ni les vallées, ni les lacs, ni les temples.

Vallées fumeuses de brume, étagées de rizières. Pays cosmique. Vérité inscrite dans les pierres. Élan de la pensée. Le tumulte s’est arrêté.

 

Le dénuement de la pierre, de la terre ici, me plaît, j’aime ce désordre lent des vallées, l’air de solitude qui flotte sur les collines.

 

Reflets velours, incarnat du couchant, montagnes au loin, calquées en lignes bleues. Grand remuement de vagues, statufiées.

 

Oiseaux blancs qui couvent la terre spongieuse, virevoltant. D’autres lignes, d’autres montagnes donnent de l’épaisseur au ciel safran, une profondeur de champ.

 

Les grandes étendues désertiques de la Chine du Nord sont le lit de mes rêves. Une harmonie bienveillante s’est posée ici.

Je peux rester des  heures entières seul au milieu des plaines, à fouir du regard les détours de l’horizon.

medium_tri_5.jpgBlondeur des collines. Pureté froide, odeurs de sapins. Grandes étendues dorées du pays des glaces. Vagues de givre giflant la peau tendue de froid. Lucidité coupante de l’air.

 

Voici un temple taoïste,  juché sur une colline. Encorbellements de la pierre. Les rizières au loin dessinent leurs courbes lentes. Après-midi tiède et vert.

 

Seuls les temples, juchés sur des collines, tracent le passage de l’homme. Le désir d’immobilité et de silence innervé dans cette terre est proche de l’hallucination. Mon existence tout d’un coup me semble artificielle. L’action que je mène bien vaine. Découverte de l’espace. Le temps est une pluie de guirlandes sur la mer.

 

Pourquoi être si près du monde et si loin des siens ? Rien ne peut me retenir à la terre. Devant cette solitude étoilée, mes pensées vont vers vous, si loin, et que j’aime. Puissé-je traverser ces océans et tenir à nouveau le monde entre mes doigts de silence.

 

Raymond Alcovère ; ce texte est inspiré de la vie du poète Saint-John Perse

 

Triptyques de Jean-Louis Bec

vendredi, 20 avril 2007

Un inédit (de circonstance) de Pierre Autin-Grenier

medium_DOCU0002.JPG ÉCOULEMENT DU TEMPS            

Comme à la pendule de la cuisine le temps avait pris un coquet retard et qu’à moins de remplacer les piles fatiguées par des en pleine forme il paraissait évident que ce laisser-aller ne pouvait qu’empirer au fil de la journée, j’ai décidé de mettre à profit cette défaillance mécanique et employer les heures ainsi rendues disponibles à quelque éblouissante futilité susceptible d’un instant m’alléger l’âme. Nous étions une fois de plus en pleine période de guerre civile larvée et, certains jours, l’atmosphère en devenait d’une moiteur franchement étouffante.      

Le couvre-feu interdisant toute sortie en soirée, bien qu’en ce début mai le ciel soit déjà d’été, je suis allé m’enfermer l’après-midi dans la petite salle du Rivoli revoir un de ces navets à la gloire du régime qui, pris au second degré, me font toujours intérieurement pleurer de rire tant le grotesque y dispute au grandiloquent sans que les protagonistes semblent seulement se douter qu’une telle mise en scène de leur bêtise les condamne à court terme au poteau. Si trois veilleuses mouchardes ne tremblotaient en permanence au plafond l’assistance serait certainement secouée de fou rire, au lieu de quoi tout le monde se lève et applaudit à la fin du film tandis que la régie envoie l’Hymne au Travail, comme l’exige le nouveau règlement.     

Cette absurde pantomime sur écran géant m’aurait sans doute déridé pour un bon moment si, au sortir de la séance, je n’étais tombé sur un sévère accrochage entre une brigade de patriotes et les forces paramilitaires pour le maintien de l’ordre. Deux miliciens blessés avait porté leurs congénères au comble du vertige qui firent feu à l’étourdie sur tout ce qui bougeait et semblait encore vouloir vivre. En un éclair une dizaine de jeunes gens du côté de leur dix-huitième année à peine furent abattus à même le pavé et quelques autres prestement embarqués qu’on ne reverrait sans doute plus à l’air libre avant longtemps. Tous les passants à plat ventre sur les trottoirs, casquettes et chapeaux ayant roulé au caniveau, certains aplatis contre les murs des immeubles et mains en l’air selon l’habitude. J’étais resté debout devant le cinéma tel un automate sans ressort, songeant dans le vide à l’époque ma foi heureuse d’avant l’entrée en vigueur des pouvoirs exceptionnels.     

Sur le chemin du retour je suis passé par la quincaillerie Blondet voir s’il ne s’y trouverait pas par hasard deux piles neuves pour ma pendule. Certains jours on vieillit plus vite que d’autres certes, mais je me suis dit qu’il devenait quand même urgent que le temps reprenne au plus tôt son cours.

P.A.G

Extrait de « C’est tous les jours comme ça », inédit.

Dernier ouvrage paru : "L'ange au gilet rouge", nouvelles, L'Arpenteur Gallimard, avril 2007

Peinture de Annie Caizergues

samedi, 24 février 2007

Le lion

medium_lion.jpg" ...Bien sûr, bien sûr, je me doute de ce que vous pensez. Mais encore une fois les apparences sont trompeuses, je vous l'assure et vous l'assure encore même si cela pour l'instant ne peut vous rassurer. Oui , je sais bien, les pattes sont massives et puissamment armées, les crocs cruellement tranchants, la gueule est carnassière, le corps un condensé de puissance meurtrière. L'œil a la lumière trouble de la mort, noblesse oblige. Mais tout cela est en partie de la frime, du toc, du plaqué. Ecoutez-moi, vous le zèbre éventré et vous l'antilope égorgée, vous ne pouvez nier l'évidence : sous cette apparence guerrière, derrière ces comportements à la violence parfois excessive je le reconnais, le lion reste un être sensible à la force fragile. Regardez-le en face, approchez-vous, si si, approchez-vous, observez-le de près et vous pourrez surprendre parfois au détour d'un geste, d'un reflet ou d'une attitude les bribes d'une sensibilité enfouie qui révèlent sa nature profonde. Le lion est un tendre comme vous l'êtes vous-mêmes. Ainsi, l'autre jour, par le jeu d'un reflet, j'en ai entr'aperçu un affublé de dents de lapin. Oh, ce fut fugitif mais pourtant bien réel, révélateur à souhait. Un lapin ! Quoi de plus inoffensif qu'un lapin ? Il y a du lapin dans le lion, voilà ce que je me suis dit.

Dans tout lion il y a un lapin qui sommeille. Alors réfléchissez, ne le faites pas plus méchant qu'il n'est et ne l'envoyez pas déchoir dans les choux. pas avec des dents de lapin ! ".

Texte et photo de Jean-Louis Bec

vendredi, 09 février 2007

Un inédit de Jean-Jacques Marimbert (3)

medium_EMPREINTES_DE_SOUS_FRANCE._3_.JPGTel un automate déglingué, je me suis mis à ranger mes petites affaires dans la petite armoire près de la petite salle d’eau, épinglant ici et là des regards anxieux, sur les murs coquille d’œuf, la feuille de soins accrochée au pied de mon lit, mon nom au feutre noir, le carrelage impeccable de la douche, la bonde en plein milieu, le pistolet coincé derrière la cuvette des WC, le lavabo rond, le distributeur de serviettes en papier barré d’un “réservé au personnel”.

De temps en temps, un appel, une plainte, un cri en provenance d’une chambre voisine, suivis du clic-clac nerveux des Scholl de l’infirmière, me tordaient les boyaux. J’ai fini par me laisser tomber sur le bord du lit, exténué de n’avoir qu’à patienter, projeté dans une sorte de vide où mon ego ne gesticulait même plus. Je me suis surpris à sourire en pensant que, au sens littéral, j’étais le nombril du monde, d’un monde mou et sans contour.

Soudain, Manuel Portalès s’est tourné dans ce que je croyais être son sommeil. La lumière tamisée par le volet entrouvert découpait un profil d’oiseau rejeté en arrière sur l’oreiller. Un visage tout en os.

Une fois ingurgitée la prémédication, je me suis mis au lit avec le sentiment de m’allonger pour toujours. La veilleuse de porte a transformé ma nuit en un long tunnel onirique bleuté. Au réveil, la bouche en manque de café, de pain beurré, de miel, je me suis mollement précipité sous la douche histoire de me donner une contenance. C’est tout juste si j’osais déglutir. En réalité, je n’avais rien ni à avaler ni à cracher. J’étais au plus près de mon squelette, accroché au branchage osseux comme chemise au fil, séchant dans le vent du désert. Je ne sais pourquoi l’image des bergers du sahel m’est apparue alors que j’attrapais ma serviette, leur maigre silhouette flottant à contre-jour dans un pagne vaguement noué, dominant le troupeau épars sur une terre ocre et galeuse, leur fière silhouette bravant le soleil et la chaleur, la soif, la lumière. Pour ma part, je n’étais pas fier, pas fier du tout.

Le brancardier m’ayant aidé à me hisser sur son outil de travail, je me souviens d’avoir traversé le service à l’horizontale, passé des sas interdits au commun des mortels et d’être parvenu au bloc si bien nommé. Là j’aurais aimé être escargot, hérisson, huître ou palourde, qui ont l’intelligence de rentrer en eux-mêmes à l’approche du danger, mais je n’ai su faire que l’autruche. Un masque portant lunettes d’écaille et calotté de vert m’a murmuré que tout allait bien se passer, les yeux rivés sur la veine de mon bras qu’il tâtait avec un soupçon d’érotisme. Je n’ai pas eu le temps de lui répondre que l’idée du “tout”, à elle seule, me donnait le vertige. Dans le hall immense et vide de mon crâne résonnait déjà la voix du chirurgien racontant le dernier épisode de Six feet under avec un cheveu sur la langue.

Jean-Jacques Marimbert

Photo : Gildas Pasquet gildaspasquet@gmail.com 

jeudi, 08 février 2007

Un inédit de Jean-Jacques Marimbert (2)

À mon arrivée, il n’a pas dit un mot. Cela me convenait parfaitement. Entre la froide lumière du chevet, et la brochette de prises pour l’oxygène, l’aspiration, la sonnette, les branchements électriques, je n’étais pas à prendre avec des pincettes.

De l’infirmerie et de l’office provenait une rhapsodie de bruits métalliques. J’arrivais pile au moment où les malades en avaient fini avec la corvée alimentaire et la distribution des médicaments. Je me répétais en vain que j’étais là pour une bricole — sans y croire, l’ombilic m’ayant toujours posé un problème, passons. La seule présence de cet arsenal chromé au-dessus de mon lit faisait grouiller dans la marmelade de mon esprit une flopée de tuyaux et de câbles, de sondes et de canules serpentant vers les cinq orifices de mon pauvre corps, ou plutôt non, vers moi, tout simplement, un moi reclus dans le sixième, borgne celui-là, normalement.

Je n’arrivais pas à jouer les stoïciens et me distinguer de ce qui n’aurait dû être qu’un accident matériel étranger à ma vie intérieure. Je recevais en pleine tête le parfum mourant du potage de légumes mâtiné de relents d’alcool et de désinfectants divers, subtil mélange qui m’agressait depuis l’ascenceur, dans le couloir et jusqu’à la chambre, me retournait le cœur, lequel, au demeurant, gigotait lamentablement dans mon estomac presque vide et qui allait le rester un bout de temps. De toute façon, pas une goutte d’eau après minuit, rien, m’avait asséné l’endormeur à la consultation pré-opératoire.

J’ai pénétré dans la chambre les jambes 100% coton et j’ai vu, derrière un paravent à moitié replié, un deuxième lit près de la fenêtre, où quelqu’un, enfoui dans les draps, dormait ou faisait semblant ou était raide mort depuis des lustres. J’ai fait un effort surhumain pour ne pas jurer, par respect, ou plus égoïstement pour avoir la paix. J’avais demandé une chambre à un lit.

En réalité, je l’ai su plus tard, non seulement Manuel Portalès ne dormait pas, mais il savait très bien ce que je faisais, ce que j’éprouvais, par ma respiration, mon piétinement devant le lit fraîchement refait, le déclic des fermoirs de la valise qu’à plusieurs reprises je n’ai pu déclencher. De mon côté, n’ayant aucune envie de partager quoi que ce soit, en paroles ou en mimiques de compassion, je l’ai ignoré. Enfin, presque, en creux. Comment ignorer une présence qui amputait d’emblée la mienne ?

Jean-Jacques Marimbert

Début du texte à lire ici

mercredi, 31 janvier 2007

L'allée des pins

medium_les_arbres_et_la_terre.jpgElle part se promener. Soleil éclatant, vent froid qui balaie la ville, épure l’atmosphère, disperse le figé. Arbres tordus, déchirés. Elle revoit L’allée des pins, la route de son enfance, près de Fos-sur-mer : deux colonnades de pins parasols, statufiés, algues séchées, effilochées, prêts d’être arrachés par le vent, mais enracinés dans le sol.

Raymond Alcovère, Le sourire de Cézanne, à paraître, mai 2007, éditions n&b

Peinture de Lambert Savigneux

jeudi, 25 janvier 2007

Un inédit de Jean-Jacques Marimbert

J’ai connu Manuel Portales. C’est le fait du hasard. Enfin, je ne suis plus sûr de rien. J’invoque le hasard par lâcheté intellectuelle, peut-être.

Certaines nuits, tiré de mon lit par l’idée qu’une puissance se jouerait de nous, je me précipite dans la salle de bains et, agrippé au lavabo, je plante mon regard dans la glace mouchetée de dentifrice. J’interroge mon visage, au cœur, pleines pupilles. Je scrute mon front, mes joues, mes paupières et sous le néon hollywoodien, me frayant un chemin spirituel entre la mousse hypoallergénique et la brosse échevelée, tel un idiot épris de métaphysique, je suis à l’affût. Rien jamais ne se passe, bien sûr, pas le moindre frémissement hormis l’agacement ironique des commissures, pas le plus petit signe d’un au-delà circulant dans mes rides, à moins de considérer que cette esquisse au coin des lèvres… Balivernes ! N’empêche. Une fois, perdu dans cette contemplation stupide, hagard à force de benzodiazépine, j’ai basculé de la lisière des cils au désert de dunes frangé de touffes sèches au nord du Sahara et, manque de sommeil ou larmoiement blafard, je me suis retrouvé à la sortie d’El Golea une fin d’après-midi. Soleil déclinant, j’ai vingt-cinq ans face à l’horizon de sable aux allures de mer rouge, ou mieux, m’étais-je dit appuyé sur l’aile cabossée de ma 2CV, d’océan asséché, me remémorant le fond sablonneux d’une plage de mon enfance tangéroise, quand par le hublot du masque, dans le crachottement salé du tuba, j’observais la tôle ondulée où venaient fondre de pâles rayons habités d’algues et de plancton. Je n’ai opposé aucune résistance au phénomène, trop heureux de pouvoir justifier ma lubie. Par jeu plus que par conviction, je m’engouffrai dans l’hallucination pour nourrir des idées du genre “tout est dans tout”, “le temps ne s’écoule pas sinon il s’écoulerait en lui-même”, “l’éternité est l’implosion du temps”, et autres absurdités qu’aussitôt remis sur rails je balayai d’un café serré. Profitant tout de même de l’entre-deux qui blanchit le ciel, je revisitai ce coin paisible de l’oasis d’El Golea, œil creusé en bordure de l’erg, au moment où, de la palmeraie, le parfum des tomates et des orangers fait de l’espace un écrin de roseaux. De là à admettre que notre vie ne tiendrait qu’à un fil agité par je ne sais quoi ou qui, Destin, Dieu ou Génie, toutes ces sottises de bibliothèque médiévale et de chapelle bourdonnante, il y a loin. Pourtant, qui a connu Manuel Portales comprendra mes doutes et mon inquiétude. Je rapporte ce qui suit pour les autres, tout autant que pour moi, je l’avoue.

À l’hôpital, nous étions voisins de chambre. Moi, pour une hernie ombilicale. Lui, je n’ai jamais su avec certitude. Il attendait des résultats d’examens qui, à ma connaissance, ne lui ont jamais été communiqués. J’ai alors su ce qu’attendre veut dire. Mieux vaut se pendre ou partir en courant.

Jean-Jacques Marimbert

mardi, 28 novembre 2006

Un inédit de Pierre Autin-Grenier

medium_IMG_4260.2.jpgLE CANDIDAT                                   

Tous les soirs à huit heures on redoute le docteur, le diable ou sa sœur. Ces temps-ci c’est plutôt le candidat qui s’invite. Sans gêne il s’installe comme chez lui, squatte tout un coin du salon. Le faire-valoir pâlichon qui partout l’accompagne l’interroge alors sur ses positions en matière de police judiciaire, sur son attitude à l’égard des problèmes de délinquance juvénile et d’alcoolisme (« Intransigeance absolue! » s’empresse-t-il), sur les yoyos du cours du concombre au palais Brongniart en fin d’après-midi (il compatit, ne reste court à aucune question), il promet qu’avec des poissons dans ses souliers lui aussi pourra bientôt marcher sur les eaux; tant d’autres billevesées et calembredaines qu’à subir ainsi le bonhomme bien vite ma femme en prend mal aux dents, renversé par toutes ces sottises je laisse tomber ma clope qui s’en va brûler un bout de nappe à côté du cendrier.     

Quand les voisins affolés viennent frapper chez nous, « L’avez-vous entendu ?! », on dit non en refermant doucement la porte sur leur panique pour ne pas ajouter à la pagaille qui, peu à peu, s’empare de tout l’immeuble. On sait que, des étages, certains ont déjà balancé dans le vide le candidat, son faire-valoir et tout le décorum par la lucarne des toilettes pensant de la sorte se protéger du pire, conjurer le péril, échapper peu-être aux drames promis. C’est bien assez pour qu’une dizaine de cars bourrés de condés déboule toutes sirènes hurlantes et boucle illico le quartier. Nous voilà dans de beaux draps maintenant.     

Quelques échines à la matraque pliées en deux, divers crânes de-ci de-là cabossés, des nez saigneux et, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, ordre et sécurité retrouvent enfin leurs droits. Notre gardien d’immeuble, homme de grande prudence et entremetteur hors pair, après avoir remis la liste circonstanciée des locataires à ces messieurs les rassure quant à nos intentions de faire tantôt un triomphe au candidat, jure ses grands dieux qu’on lui prépare ici un plébiscite qui passera à coup sûr à la postérité. Ils se retirent donc, ne laissant sur place qu’une petite patrouille de surveillance, un ou deux mouchards aussi sans doute.     

Ma femme et moi en venons à regretter les visites du diable ou de sa sœur ; leurs arguments sont moins expéditifs, avec eux la discussion souvent reste plus ouverte. À notre âge, il est vrai, nous nous accommodons mal des nouvelles contraintes qu’impose l’époque.

P.A.G Extrait de « C’est tous les jours comme ça », inédit.     

Photo : Michèle Fuxa

samedi, 14 octobre 2006

La mer de Marmara

medium_sunovermarmarasea.2.jpgLe navire s’élance sur la mer de Marmara, perlée de lumières. La nuit tombe, enfin le silence. Un vent puissant, roboratif, soulève l’écume. Il est heureux dans cette solitude étoilée. Devant ses yeux elle danse toujours.

Les reflets de la lune courent sur le glacis des vagues. Il imagine les criques brûlées de soleil, l’odeur des pins, des cyprès, des crépuscules amarante et puis l’histoire, puissante, majestueuse, inscrite dans les paysages. Mais ces sensations le laissent de marbre aujourd’hui. Il retourne près d’elle.

Extrait du roman : Le sourire de Cézanne, à paraître, mai 2007, éditions  n & b

mardi, 15 août 2006

Ce que femme veut

"Ce que femme veut, Dieu y a-t-il nécessairement pensé ?

Elle ne m’a pas demandé un siamois avec pedigree. Elle voulait juste un tigre nain, beige, orange et noir, aux yeux vairons, le gauche azur, le droit absinthe.

Elle ne m’a pas demandé la Lune. Elle voulait juste le dix-septième anneau de Saturne girant dans le sens opposé des aiguilles d’une montre autour de Miranda. « L’un des satellites d’Uranus » a-t-elle précisé en voyant mon ébahissement.

Je ne me suis pas découragé.

Elle ne m’a pas demandé un château en Espagne. Elle voulait juste un petit nid de lumière ivoire, sans toit ni mur, sans porte ni fenêtre, à l’abri des regards indiscrets et des courants d’air.

Elle ne m’a pas demandé de rivière de diamants. Elle voulait juste un éclat de tourmaline naturellement prisonnier d’une translucide gangue de sardoine. « À porter en sautoir » a-t-elle ajouté.

Je n’avais rien à lui donner excepté mon humble personne. Que je lui offris en cadeau.

Qu’elle refusa, la garce !"

Éric Dejaeger

14:35 Publié dans Inédits | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : dejaeger, inédits

samedi, 03 décembre 2005

Les inédits de P.A.G. (La loge)

     C’est une loge d’artiste présentant la bizarrerie d’être située haut en étage et non dans les coulisses, de dimensions tellement réduites qu’il ne peut y tenir qu’un seul artiste à la fois et c’est moi. J’ai mis vingt ans au moins pour habituer mon vertige à ces étages avant de me lancer et pouvoir enfin endosser un petit rôle un rien comique sur la scène de cette malheureuse existence. Autant l’avouer : dès mes débuts je n’étais déjà plus vraiment un jeune premier.
      Des années durant j’ai porté le costume rapetassé de toutes parts de l’essuyeur de baffes. Succès garanti pour un salaire ne faisant pas de bruit. Je jouais, cela suffisait à mon contentement. Pour l’ordinaire, un bol de bouillon creux ou deux patates au four faisait l’affaire. Au rebours de certains camarades qui très tôt triomphèrent dans Pirandello, malgré un âge avancé je piétinai des lustres dans Polichinelle. Silencieux, je supportais et ne me suis jamais plaint qu’on ait sous-estimé mon talent.
      Aujourd’hui qu’après avoir enduré stoïquement toutes les vicissitudes d’une vie sans éclat voici mon nom en haut de l’affiche, la critique à mes pieds et le public subjugué par la finesse de mon art, j’ai décidé de renoncer aux lauriers, aux sunlights et aux planches plutôt que faire facilement mon profit de ce retournement de situation.

      Je moisirai donc le restant de mes jours rencogné dans l’humeur sombre de cette loge minuscule, à l’abri du monde. Tous ces gens assemblés sont trop sots pour que je me laisse aller et cède à leur adulation. Ils peuvent sans discontinuer lancer leurs bravos et leurs hourras devant la porte du théâtre vide, se tordre le cou au ciel, je me garde bien de seulement leur montrer ma tête par l’unique petite lucarne de dessous les combles. C’est comme ça.

P.A.G
Extrait de « C’est tous les jours comme ça » (inédit).

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Les inédits de P.A.G. (Un jeudi au jardin)


      Ce jeudi, comme je n’avais nulle affaire intéressante à mener ni quelque lecture légère sous la main susceptible de me désennuyer un moment, alors j’ai enfilé mon pardessus, tiré la porte derrière moi et suis allé au jardin public en bas de mon immeuble m’asseoir sur un banc. Il en reste là un ou deux que la municipalité n’a encore osé faire disparaître  — ainsi qu’elle s’y est employée un peu partout dans d’autres quartiers dans le but de faire disparaître avec les vieillards désargentés de mon espèce qui viennent lamentablement y tuer le temps et donnent ainsi une mauvaise image de la ville, c’est du moins ce qu’affirment nos édiles.
      Emmitouflé jusqu’aux oreilles dans mon pardessus au col relevé et les mains comme cousues dans les poches, j’ai longuement regardé défiler sous mes yeux mes souvenirs tout en rêvant un peu parfois. Petits trottins promenant tranquilles leurs cuisses au goût de pain d’épice tels que j’en avais connus, aimés aussi, aux jours anciens. Étudiant attardé dans le supérieur, fringué gavroche, et me dévisageant un instant avec du Reggiani dans le regard ; pitié ou reproche ? Costumes-cravates pressant le pas vers quelque pièce étroite et sombre du quartier des affaires, grises ménagères à cabas retour des commissions, tant d’autres clampins encore… Bref, ainsi passaient les passants qui sans s’en apercevoir participaient à ma distraction et me changeaient les idées, comme on dit.
      Parce que j’étais finalement resté un bon bout de temps assis sur mon banc, de crainte de me laisser entraîner vers une nostalgie malsaine, aussi par peur de voir mes jambes engourdies de froid et d’inaction refuser soudain de me porter et surtout redoutant l’arrivée des gardiens qui pourchassent sans ménagement les improductifs comme moi, je décidai pour le coup de m’en retourner. Tout a une fin, il faut bien l’admettre.
      C’est ainsi que, sortant par le portillon opposé à celui par lequel j’étais entré et longeant de ce fait le bac à sable où, d’ordinaire, ceux qui sont encore autorisés à en avoir un viennent faire crotter leur chien, je vis qu’une bonne femme y avait abandonné son bébé. Il n’y a pas de doute, je me dis in petto en pressant le pas autant que faire se peut, le monde est devenu déprimant.
P.A.G
Extrait de « C’est tous les jours comme ça » (inédit).

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mercredi, 23 novembre 2005

Les inédits de Buk : comme disait Dieu...

à la salope qui a pris mes poèmes

certains disent que nous devrions garder quelques remords personnels du

poème,

rester abstraits, et il y a un peu de vrai là-dedans,

mais jésus ;

douze poèmes partis et je ne garde pas de copies " carbone " et tu as mes

peintures aussi, mes meilleures ; j’en suffoque :

essayes-tu de me presser tel un citron comme tous les autres ?

pourquoi n’as-tu pas pris mon argent ? ils le font d’habitude

dans mon pantalon saoul et endormi qui vomit dans le coin.

la prochaine fois prends mon bras gauche ou un billet de cinquante

mais pas mes poèmes :

je ne suis pas Shakespeare

mais un jour simplement

il n’y en aura plus aucun, abstrait ou autre ;

il y aura toujours de l’argent et des salopes et des pochards

jusqu’à l’ultime bombe,

mais comme disait Dieu,

en croisant les jambes,

je vois où j’ai fabriqué plein de poètes

mais pas tellement de

poésie.

Charles Bukowski

Extrait de It Catches My Heart in Its Hands (1963) repris dans Burning in Water Drowning in Flame (Selected Poems 1955-1973), Santa Rosa, Black Sparrow Press, 1999, 16.

Traduction : Éric Dejaeger

to the whore who took my poems

 

some say we should keep personal remorse from the

poem,

stay abstract, and there is some reason in this,

but jezus;

twelve poems gone and I don't keep carbons and you have

my

paintings too, my best ones; it's stifling:

are you trying to crush me out like the rest of them?

why didn't you take my money? they usually do

from the sleeping drunken pants sick in the corner .

next time take my left arm or a fifty

but not my poems:

I'm not Shakespeare

but sometime simply

there won't be any more, abstract or otherwise;

there'll always be money and whores and drunkards

down to the last bomb,

but as God said,

crossing his legs,

I see where I have made plenty of poets

but not so very much

poetry.

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Les inédits de Buk : bouteille de bière

bouteille de bière

une chose vraiment miraculeuse vient de se produire :

ma bouteille de bière est tombée à la renverse

et a atterri sur son fond par terre,

et je l’ai replacée sur la table pour laisser reposer la mousse,

mais les prises de vue n’ont pas eu autant de chance aujourd’hui

et il y a une petite fente le long du cuir

de ma chaussure gauche, mais tout cela est très simple :

nous ne pouvons acquérir trop : il y a des lois

dont nous ne savons rien, toutes sortes de coups de coude

nous enflamment ou nous glacent ; ce qui place

le merle dans la gueule du chat

n’est pas à dire pour nous, ni pourquoi certains hommes

sont emprisonnés comme des écureuils domestiques

alors que d’autres fouillent du groin d’énormes seins

durant des nuits sans fin — voici la

corvée et la terreur, et on ne nous

apprend pas pourquoi, enfin, c’est une chance que la bouteille

ait atterri bien droit, et bien que

j’en aie une de vin et de whisky,

ceci présage, quelque part, d’une bonne nuit,

et peut-être demain mon nez sera-t-il plus long :

nouvelles chaussures, moins de pluie, plus de poèmes.

Traduction : Éric Dejaeger

 

Extrait de At Terror Street and Agony Way (1968) repris dans Burning in Water Drowning in Flame (Selected Poems 1955-1973), Santa Rosa, Black Sparrow Press, 1999, 97.

 

beerbottle

 

a very miraculous thing just happened:

my beerbottle flipped over backwards

and landed on its bottom on the floor ,

and I have set it upon the table to foam down,

but the photos were not so lucky today

and there is a small slit along the leather

of my left shoe, but it's all very simple:

we cannot acquire too much: there are laws

we know nothing of, all manner of nudges

set us to burning or freezing; what sets

the blackbird in the cat's mouth

is not for us to say, or why some men

are jailed like pet squirrels

while others nuzzle in enormous breasts

through endless nights — this is the

task and the terror, and we are not

taught why. still, it's lucky the bottle

landed straightside up, and although

I have one of wine and one of whiskey,

this foretells, somehow, a good night,

and perhaps tomorrow my nose will be longer:

new shoes, less rain, more poems.

Charles Bukowski

  

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samedi, 05 novembre 2005

Les inédits de Buk

un poème est une ville

un poème est une ville remplie de rues et d’égouts

remplie de saints, de héros, de mendiants, d’aliénés,

remplie de banalité et d’ivrognerie,

remplie de pluie et de tonnerre et de périodes de

sécheresse, un poème est une ville en guerre,

un poème est une ville qui demande pourquoi à une horloge,

un poème est une ville en flammes,

un poème est une ville en armes

ses salons de coiffure pour hommes remplis d’ivrognes cyniques,

un poème est une ville où Dieu chevauche nu

le long des rues comme Lady Godiva,

où les chiens aboient la nuit, et pourchassent

le drapeau ; un poème est une ville de poètes,

la plupart assez semblables

et envieux et aigris...

un poème est cette ville maintenant,

à 50 miles de nulle part,

à 9H09 du matin,

le goût de l’alcool et des cigarettes,

pas de police, pas d’amoureux, marchant dans les rues,

ce poème, cette ville, fermant ses portes,

barricadée, presque vide,

funèbre sans larmes, vieillissante sans pitié,

les montagnes de roche dure,

l’océan comme une flamme de lavande,

une lune dénuée de grandeur,

une petite musique venue des vitres brisées...

un poème est une ville, un poème est une nation,

un poème est le monde...

et maintenant je fourre ceci sous verre

pour l’examen minutieux de l’éditeur fou,

et la nuit est partout

et de pâles dames grises se tiennent en file,

un chien suit un chien jusque l’estuaire,

les trompettes appellent le gibet,

alors que de petits hommes glosent sur des choses

qu’ils ne peuvent pas faire.

Charles Bukowski
Extrait de The Days Run Away Like Wild Horses Over the Hills, Santa Rosa, Black Sparrow Press, 2000 [26e edition], 54-55. [Édition originale : 1969]
Traduction : Éric Dejaeger

19:20 Publié dans Inédits | Lien permanent | Commentaires (11)

vendredi, 04 novembre 2005

Un autre inédit de Buk

eux, eux tous, savent

demande à celui qui dessine sur les trottoirs de Paris

demande au soleil sur le chien endormi

demande aux 3 cochons

demande au petit livreur de journaux

demande à la musique de Donizetti

demande au coiffeur

demande au meurtrier

demande à l’homme appuyé contre le mur

demande au prédicateur

demande au fabricant de coffrets

demande au pickpocket ou au

prêteur sur gage ou au souffleur de verre

ou au marchand d’engrais ou

au dentiste

demande au révolutionnaire

demande à l’homme qui se fourre la tête dans

la gueule d’un lion

demande à l’homme qui lâchera la prochaine

bombe atomique

demande à l’homme qui pense être le Christ

demande à l’oiseau bleu qui regagne la maison

à la nuit tombante

demande au curieux

demande à l’homme qui meurt d’un cancer

demande à l’homme qui a besoin d’un bain

demande à l’unijambiste

demande à l’aveugle

demande à l’homme qui zozote

demande au mangeur d’opium

demande au chirurgien qui a la tremblote

demande aux feuilles sur lesquelles tu marches

demande à un violeur ou un

gars qui passe en voiture ou un vieillard

qui arrache les mauvais herbes dans son jardin

demande à un vampire

demande à un dresseur de puces

demande à un avaleur de feu

demande à l’homme le plus misérable que tu puisses

trouver dans son moment

le plus misérable

demande à un professeur de judo

demande à un cornac

demande à un lépreux, un condamné à perpète, un poitrinaire

demande à un professeur d’histoire

demande à l’homme qui ne se cure jamais

les ongles

demande à un clown ou au premier visage que tu vois

à la lumière du jour

demande à ton père

demande à ton fils et

son fils à venir

demande-moi

demande à une ampoule grillée dans un sac en papier

demande à l’éprouvé, au damné, au fou

au sage, au flagorneur

demande aux bâtisseurs de temples

demande aux hommes qui n’ont jamais porté de chaussures

demande à Jésus

demande à la lune

demande à l’ombre dans le placard

demande à la mite, au moine, au dingue

demande à l’homme qui dessine des gags pour

The New Yorker

demande à un poisson rouge

demande à une fougère secouée par un numéro de claquettes

demande à la carte de l’Inde

demande à un gentil visage

demande à l’homme qui se cache sous ton lit

demande à l’homme que tu déteste le plus en ce

monde

demande à l’homme qui a bu avec Dylan Thomas

demande à l’homme qui a noué les gants de Jack Sharkey

demande à l’homme au visage triste qui boit du café

demande au plombier

demande à l’homme qui rêve d’autruches chaque

nuit

demande à celui qui prend les tickets au show des phénomènes de foire

demande au contrefacteur

demande à l’homme qui dort dans une allée sous

une couverture en papier

demande aux conquérants des nations et planètes

demande à l’homme qui vient juste de se couper un doigt

demande à un marque-page de la bible

demande à l’eau qui goutte d’un robinet pendant

que le téléphone sonne

demande au parjure

demande à la peinture bleu foncé

demande au parachutiste

demande à l’homme qui a mal au ventre

demande à l’œil divin si onctueux qui nage

demande au garçon portant un pantalon moulant dans

une académie hors de prix

demande à l’homme qui a glissé dans la douche

demande à l’homme déchiqueté par le requin

demande à celui qui m’a vendu les gants

dépareillés

demande à tous ceux-ci et à tous ceux-là que j’ai oubliés

demande au feu au feu au feu —

demande même aux menteurs

demande à qui ça te plaît quand

ça te plaît le jour qui te plaît

qu’il pleuve ou que

la neige soit là ou

que tu quittes l’abri d’un porche

jaune de brûlante chaleur

demande à ceci demande à cela

demande à l’homme avec la fiente d’oiseau dans les cheveux

demande à celui qui torture les animaux

demande à l’homme qui a vu beaucoup de corridas

en Espagne

demande aux propriétaires de Cadillac neuves

demande à celui qui est célèbre

demande au timide

demande à l’albinos

et à l’homme d’état

demande aux proprios et aux pronostiqueurs

demande aux faussaires

demande aux tueurs à gages

demande aux chauves et aux gros

et aux grands et aux

petits hommes

demande aux borgnes, à ceux qui ont

trop ou pas assez de rapports sexuels

demande aux hommes qui lisent l’éditorial

de tous les journaux

demande aux hommes qui élèvent des roses

demande aux hommes qui ne ressentent presque aucune douleur

demande aux moribonds

demande aux tondeurs de pelouses et à ceux qui assistent

à des matches de football

demande à n’importe lequel ou à tous ceux-ci

demande demande demande et

ils te le diront tous :

une femme hargneuse qui grogne au balcon est plus

qu’un homme ne peut supporter.

Charles Bukowski

Extrait de Crucifix in a Deathhand (1965) repris dans Burning in Water Drowning in Flame (Selected Poems 1955-1973), Santa Rosa, Black Sparrow Press, 1999, 89-92.

Traduction : Éric Dejaeger

 

18:35 Publié dans Inédits | Lien permanent | Commentaires (1)

Poème inédit de Charles Bukowski

amour & gloire & mort

c’est assis dehors près de ma fenêtre

comme une vieille femme qui va au marché ;

c’est assis et ça me regarde,

ça transpire nerveusement

par fil et brume et aboiement

jusqu’à ce que soudain

je frappe la vitre avec un journal

comme pour écraser une mouche

et on a pu entendre le hurlement

dans toute la moche cité,

et puis ça s’est en allé.

 

la manière de terminer un poème

comme celui-ci

c’est de soudainement

se calmer.

Charles Bukowski

Extrait de It Catches My Heart in Its Hand (1963) repris dans Burning in Water Drowning in Flame (Selected Poems 1955-1973), Santa Rosa, Black Sparrow Press, 1999, 42.

Traduction : Éric Dejaeger

 

love & fame & death

it sits outside my window now

like an old woman going to market;

it sits and watches me,

it sweats nervously

through wire and fag and dog-bark

until suddenly

I slam the screen with a newspaper

like slapping at a fly

and you could hear the scream

over this plain city,

and then it left.

 

the way to end a poem

like this

is to became suddenly

quiet.

 

15:44 Publié dans Inédits | Lien permanent | Commentaires (14)

vendredi, 14 octobre 2005

Les inédits de Brautigan (Moby Dick en réalité)

HERMAN MELVILLE EN RÊVE,

MOBY DICK EN RÉALITÉ

En réalité Moby Dick

Etait un poisson rouge semblable au Christ

qui nageait. dans tout l’aquarium

en sauvant les âmes d’escargots,

et 1e capitaine Achab

était un chat siamois dévot

qui aidait les vieilles dames

à faire démarrer leurs voitures.

 

HERMAN MELVILLE IN DREAMS,

MOBY DICK IN REALITY
In reality Moby Dick
was a Christ-like goldfish
that swam through the aquarium
saving the souls of snails,

and Captain Ahab
was a religious Siamese cat
that helped old ladies
start their automobiles.


 

Extraits inédits du recueil Lay The Marble Tea (Ce recueil n’a jamais été traduit mais une partie des poèmes ont été repris dans d’autres recueils)

San Francisco, Carp Press, 1959
16 pages.
Tiré à 500 exemplaires.

Traduction Eric Dejaeger

05:30 Publié dans Inédits | Lien permanent | Commentaires (0)