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jeudi, 08 février 2007

Un inédit de Jean-Jacques Marimbert (2)

À mon arrivée, il n’a pas dit un mot. Cela me convenait parfaitement. Entre la froide lumière du chevet, et la brochette de prises pour l’oxygène, l’aspiration, la sonnette, les branchements électriques, je n’étais pas à prendre avec des pincettes.

De l’infirmerie et de l’office provenait une rhapsodie de bruits métalliques. J’arrivais pile au moment où les malades en avaient fini avec la corvée alimentaire et la distribution des médicaments. Je me répétais en vain que j’étais là pour une bricole — sans y croire, l’ombilic m’ayant toujours posé un problème, passons. La seule présence de cet arsenal chromé au-dessus de mon lit faisait grouiller dans la marmelade de mon esprit une flopée de tuyaux et de câbles, de sondes et de canules serpentant vers les cinq orifices de mon pauvre corps, ou plutôt non, vers moi, tout simplement, un moi reclus dans le sixième, borgne celui-là, normalement.

Je n’arrivais pas à jouer les stoïciens et me distinguer de ce qui n’aurait dû être qu’un accident matériel étranger à ma vie intérieure. Je recevais en pleine tête le parfum mourant du potage de légumes mâtiné de relents d’alcool et de désinfectants divers, subtil mélange qui m’agressait depuis l’ascenceur, dans le couloir et jusqu’à la chambre, me retournait le cœur, lequel, au demeurant, gigotait lamentablement dans mon estomac presque vide et qui allait le rester un bout de temps. De toute façon, pas une goutte d’eau après minuit, rien, m’avait asséné l’endormeur à la consultation pré-opératoire.

J’ai pénétré dans la chambre les jambes 100% coton et j’ai vu, derrière un paravent à moitié replié, un deuxième lit près de la fenêtre, où quelqu’un, enfoui dans les draps, dormait ou faisait semblant ou était raide mort depuis des lustres. J’ai fait un effort surhumain pour ne pas jurer, par respect, ou plus égoïstement pour avoir la paix. J’avais demandé une chambre à un lit.

En réalité, je l’ai su plus tard, non seulement Manuel Portalès ne dormait pas, mais il savait très bien ce que je faisais, ce que j’éprouvais, par ma respiration, mon piétinement devant le lit fraîchement refait, le déclic des fermoirs de la valise qu’à plusieurs reprises je n’ai pu déclencher. De mon côté, n’ayant aucune envie de partager quoi que ce soit, en paroles ou en mimiques de compassion, je l’ai ignoré. Enfin, presque, en creux. Comment ignorer une présence qui amputait d’emblée la mienne ?

Jean-Jacques Marimbert

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