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vendredi, 17 juin 2005

Les inédits de Brautigan - 4

THE FERRIS WHEEL

The world was opening
And closing
Its insane asylums
and churches
like a forgetful old man
buttoning up his pants
instead of unbuttoning them.

Are you going to go
to the toilet
in your pants,
old man?

The rain was a dark Ferris wheel
bringing us closer
to Baudelaire and General Motors

We were famous
and we kicked walnut
leaves.

LA GRANDE ROUE

Le monde ouvrait
Et fermait
Ses asiles de fous
et églises
comme un vieil homme distrait
reboutonnant son pantalon
au lieu de le déboutonner.

T’apprêtes-tu à aller
à la toilette
avec ton pantalon,
vieil homme ?

La pluie était une grande roue sombre
nous rapprochant
de Baudelaire et de General Motors.

Nous étions célèbres
Et nous donnions des coups de pied dans
Des feuilles de noyer.


Traduction : Eric Dejaeger

mercredi, 15 juin 2005

Les inédits de Brautigan - 3

HANSEL AND GRETEL

I have always wanted to write a poem about
Hansel and Gretel going through the forest,
leaving behind them pieces of apple pie to form
a sort of bridge between dream and reality, and
being followed by those gentle birds that
embrace both illusions like violins eating pieces
of apple pie.

HANSEL ET GRETEL

J'ai toujours voulu écrire un poème sur Hansel
et Gretel traversant la forêt, laissant derrière
eux des morceaux de tarte aux pommes pour
former un genre de pont entre le rêve et la
réalité, et suivis par ces gentils oiseaux qui
embrassent les deux illusions comme des violons
mangeant des morceaux de tarte aux pommes

APRIL GROUND

Digging in the April ground with a shovel that
looked like Harpo Marx, I cut a worm in two;
and one half crawled toward the infinitesimal,
and the other half crawled toward the eternal.

TERRE D’AVRIL

En creusant dans la terre d'avril avec une bêche
qui ressemblait à Harpo Marx, j'ai coupé un ver en
deux. et une moitié rampa vers l'infinitésimal et
l’autre moitié rampa vers l’éternel.


La septième livraison aux non-membres du NFCRB propose des extraits de Lay The Marble Tea, premier véritable recueil de Richard Brautigan paru chez Carp Press en 1959. Tirage: 500 exemplaires. Le recueil compte 24 textes dont 15 n'ont jamais été repris ailleurs. Le site internet de Ken Lopez (Book seller) vend(ait ?) cet exemplaire à... $4500 !!
Si je peux vous proposer des extraits de ce recueil, c'est grâce à mon pote Catfish McDaris de West Allis (Wisconsin) qui en a dégotté un exemplaire dans une bibliothèque publique et me l'a aimablement photocopié. Qu'est-ce qu'on dit à ce brave Catfish ? Tous en chœur : "Thanks a lot, Catfish!"


Traduction et notes : Éric Dejaeger

La politique

On n’invente rien, on compose, on confronte, on frotte, on se frotte, chocs, violences, ruptures, cris, hurlements, et puis il y a ces murs, partout, dedans surtout, on croit qu’ils sont dehors mais ils sont dedans, alors souvent le combat est vain. Mais bien sûr on n’a rien voulu, et ces murs du dedans évidemment ils nous viennent du dehors, alors on cherche dehors, et on trouve des causes, des preuves, des raisons, de lutter, d’espérer, de se battre…

mardi, 14 juin 2005

Des automates plus ou moins programmés

Ce jour, j’ai compris – c’était une pointe acérée de ma conscience, profonde et limpide, j’écoutais La passion selon Saint-Jean de Bach – tout ce qui est autour est absolument vide, incroyablement léger du coup, et même agréable. La plupart des gens se battent pour du vent. Savoir lire, simplement lire, vous mettra bientôt au rang des dieux. Lire et écrire sont un même mouvement, il est des gens qui atteignent cette grâce en faisant l’amour, ou en étant parfaitement chastes. L’amour ou la chasteté ou la générosité c’ est la même chose.
Expérience alchimique, le vide se répand autour, la vie des marionnettes, immense et constant ballet, tonitruant, lancinant, tout d’un coup on sait, on ne pourra jamais plus revenir en arrière, le reste est faux, rideau de fumée. Nécessaire sans doute puisque la plupart des gens y croient – sauf les fous, les enfants, les amoureux, les artistes et les saints. Il n’est même pas besoin d’entrer en rupture avec le monde, c’est lui qui s’acclimate, la légèreté qui se dégage de soi apaise les cœurs et les corps autour, les rend disponibles, légers même, une onde de désir se propage. Certains peut-être, pas ceux qu’on attendait, peut-être les plus proches, ceux qui ont vraiment senti ce qui se passait, vous en tiendront rigueur, tenteront de vous faire rentrer dans le rang, revenir parmi eux, actes malveillants, souvent inconscients, pourquoi nous quitte-t-il ? En fait vous ne les quittez pas, vous êtes toujours là, comme jamais même, mais sans impatience. Vous sentez tout de suite cette agression gratuite, elle n’a pas de prise, ce qui peut faire redoubler l’agressivité, peu importe vous tiendrez bon, il n’y a aucune raison de céder, cette force-là vous la tenez maintenant, elle ne vous lâchera pas.
Monde de couleurs vives, rires, sostenuto, porté, emporté, comme dans une église baroque, ors partout, repères éclatés, uniquement le plaisir, nul besoin d’autre chose pour supporter le décor, comme dans un tableau de Watteau, hors du temps, plaisir en filigrane, plaisir fondateur. Le monde se structure autour, danse du soir, satyres fauves, faunes dansant, sarabande effrénée, ronde des plaisirs.
Notre temps est devenu fou. Ordre, contrôle, rentabilité. Alors que bonheur et plaisirs sont faits de rien. De riens. Ce rien on vous le laisse comme disait Léo Ferré. Eh bien prenons-le ! Prenons la parole, s’il ne reste que ça ! Même si ça ne sert à rien, ou justement à cause de cela ! Reste à jouer ! Et puis qui sait, parfois miracle… La parole des grands écrivains est faite de silence. Quand on lit un grand texte, aussitôt le silence se fait, un silence de neige, tout autour. Comme si le monde s’arrêtait de tourner, si tout le bruit inutile apparaissait d’un coup comme ce qu’il est vraiment, vide, creux et inutile. Il y a ces grands textes et puis la peinture. Certains tableaux happent le monde, l’insèrent, l’intègrent à eux, subrepticement... Les regardant, vous êtes happés, intégrés à eux. Attention la chose peut même se faire à votre insu. Regardez mieux un tableau de Watteau, Delacroix, Poussin, Véronèse ou Fragonard… observez attentivement, peut-être vous y découvrirez-vous, dans un coin, tenant une guitare, ou dialoguant avec l’ange… Vous y êtes…
Légèreté, plaisir, rythme, temps effacé, rompu. La société veut nous faire croire au sérieux de toutes choses. L’amour, la grâce, l’écriture nous prouvent le contraire.
Et s’il n’y avait rien. Rien sinon dieu qui frappe là où il veut, quand il veut et nous qui errons comme des fourmis, des automates plus ou moins programmés.

lundi, 13 juin 2005

Un autre inédit en français de Richard Brautigan

DEATH IS A BEAUTIFUL CAR PARKED
ONLY

Death is a beautiful car parked only
to be stolen on a street lined with trees
whose branches are like the intestines
of an emerald.

You hotwire death, get in, and drive away
like a flag made from a thousand burning
funeral parlors.

You have stolen death because you're bored.
There's nothing good playing at the movies
in San Francisco.

You joyride around for a while listening
to the radio, and then abandon death, walk
away, and leave death for the police
to find.

LA MORT EST UNE BELLE VOITURE GARÉE
SEULEMENT

pour Emmett [Grogan]

La mort est une belle voiture garée seulement
pour être volée dans une rue bordée d'arbres
dont les branches sont comme les intestins
d'une émeraude.

Tu court-circuites la mort, tu montes et tu démarres
comme un drapeau fait de mille
funérariums en feu.

Tu as volé la mort parce que tu t'ennuyais.
On ne joue rien de bien dans les cinémas
de San Francisco.

Tu fais un tour en t'amusant tout en écoutant
la radio, et puis tu abandonnes la mort, tu pars
à pied, et tu laisses la mort pour que la police
la trouve.

RICHARD BRAUTIGAN

Traduit par Éric Dejaeger en juin 99 sous l'influence d'un Château Grand Montreuil 1997 offert par le papa de Coco.


samedi, 11 juin 2005

Les désirs sont trompeurs

"La vie est une lutte. Si l'on veut être soi-même, libre, éprouver du plaisir, il faut se parer, employer moult stratégies. On est d'abord envahi par les désirs, l'imagination, tout ce qui constitue la jeunesse, puis l'on apprend à accomoder, à se défendre, parer les attaques. (...) Les désirs sont trompeurs, la jouissance doit passer avant ; sagesse, réflexion, vertu et tempérance sont ici indispensables."
Baltasar Gracian, L'homme de cour.

vendredi, 10 juin 2005

Un verre de vin noir

C'est un texte de Pierre Autin-Grenier paru dans le numéro 6 de la revue L'instant du monde. Un caviste de Montpellier a tellement aimé ce texte qu'il a appelé son magasin "Le vin noir", qui vient d'ouvrir. Bien sûr PAG est attendu maintenant pour une lecture dégustation...
Voici le texte :

"Âge tendre, femmes faciles et bonbons acidulés, toute une jeunesse, nez en l’air et mains aux poches, très vite s’envole qui nous est dérobée par le travail aux pièces, le capital et sa sordide industrie, les guerres de cent ans aussi. Le temps de l’adolescence à l’adultère et déjà nous voici en salopette courant dans les brouillards matinaux vers des pointeuses anonymes; le cœur serré, trop tôt souillé par la suie des usines.
Elles ont fait long feu les fracassantes utopies de nos vingt ans qui devaient nous conduire, flamberge au vent, aux rivages de nouvelles Ethiopies. Quelqu’un, un jour d’été, a brisé une bouteille au flanc du navire, l’espoir un instant a pétillé dans nos yeux et sans nous le navire s’en est allé. Depuis, des manigances de voyou ont meublé nos rêves, on a chiné des bribes de souvenirs aux brocantes de l’aube; mais tout en vain et, telle l’eau s’écoule, s’est enfuie l’inutile éternité.
Quand même il en faudrait parfois bien peu pour qu’on se laisse distraire une seconde du quotidien, que nous enflamme alors à nouveau le souffle de la révolte. Un verre de vin noir certains soirs y suffirait."

« Les Radis bleus » ( extrait inédit )

jeudi, 09 juin 2005

J'ai tout mon temps

La rivière se love et sinue à fleur des prés couverts de gelée blanche. Elle est bordée de saules et de moutons couchés qui font deviner son cours imprévisible comme il doit l'être: un méandre de plus est ce qu'une rivière peut faire de mieux; c'est d'ailleurs ce qu'on en attend. La route, elle aussi, étroite, bleue, brillante de glace, tourne sans rime ni raison là où elle pourrait filer droit et prend par la plus forte pente les tertres qu'elle devrait éviter. Elle n'en fait qu'à sa tête. Le ciel, gouverné par vent d'ouest, vient de faire sa toilette, il est d'un bleu dur. Le froid - moins quinze degrés - tient tout le paysage comme dans un poing fermé. Il faut conduire très lentement; j'ai tout mon temps.
Nicolas Bouvier, Journal d'Aran et autres lieux; Petite Bibliothèque Payot, 1991




Par amour

Les classiques sont des livres qui, quand ils nous parviennent, portent en eux la trace des lectures qui ont précédé la nôtre et traînent derrière eux la trace qu'ils ont laissée dans la ou les cultures qu'ils ont traversées (ou, plus simplement, dans le langage et les moeurs) (...) on ne lit pas les classiques par devoir ou par respect, mais seulement par amour.
Italo Calvino
; Pourquoi lire les classiques

Après le cri de la gargouille, voici celui du philosophe !

À propos de labo démocratique : je voudrais dire à quel point il est rassurant de vivre dans un beau pays comme le nôtre. Prenez un exemple parmi d'autres : ce matin, première épreuve du bac, en philosophie. Ah ! Cette exception française si prisée (vous savez, pays des Droits de l'Homme, de la liberté, de la Révolution, etc.) et pourtant sans cesse trahie par mille opinions, que la philosophie justement s'évertue à déraciner depuis… l'Antiquité. À croire que c'est "son destin". Bref, entendu ce matin encore, comme tous les ans à pareilles date et heure, l'interview d'un ou deux candidats bien dans le vent, dont il ressort, comme toujours, que, en philosophie, il n'y a pas besoin de "réviser", parce qu'il n'y a "rien à réviser", on va tout trouver sur place, ben voyons !, bref, les médias cautionnent une connerie crasse et avilissante pour ceux qui "l'expriment" en toute "innocence" (ignorance), et rabaissent le travail accompli par des enseignants qui ont à lutter contre millle et mille idées reçues qui résistent à tout, dont celles-ci, bien sûr : philosopher, c'est donner son "opinion", dire ce qu'on "pense" à propos de tout et de n'importe quoi, une sorte de Starac des idées, où de toute façon personne ne sort vraiment agrandi, sinon celui qui s'en est "sorti", avant même d'y être entré, ce dont "on" se fout d'ailleurs royalement, tant l'intérêt général est ailleurs, dans les paillettes et les schémas réducteurs sur tout. Cela me met de mauvaise humeur. Cette indignation me semble être le dernier signe d'une santé chancelante, car le jour où on ne s'indigne plus, alors on a atteint le désespoir le pire qui soit, celui dont on n'a même plus conscience ! Quelle maladie ! Comme si on pouvait parler, que dis-je, réfléchir (eh oui, verbe oublié par les médias friands d'anecdotes bas de gamme) sur la justice, le savoir, la morale, l'art, comme ça, miraculeusement, sans avoir eu à fournir l'effort de s'interroger sur le sens et la valeur de ces notions, comme si la réflexion pouvait naître d'un tas de fumier, les lieux communs, comme les microbes au XIXe siècle, spontanément ! Bref, tant qu'on entretiendra cette "idée" de la culture et de la pensée, on peut être sûr qu'il faudra se faire du souci pour la démocratie, justement ! Comment peut-on sans honte laisser dire qu'il n'y a rien à "réviser" en philosophie, alors que le simple examen de nos idées, première forme de "révision", premier pas philosophique, nous enseigne à quel point elles sont souvent courtes et pauvres ! Que de banalités, que de superficialité dans les "opinions" ici ou là répandues ! Certes, il ne s'agit pas de faire de tout citoyen un "philosophe", c'est autre chose, de même que de savoir compter ne fait pas un mathématicien, mais je trouve qu'entre cet excès et l'autre, il vaudrait mieux viser le haut plutôt que le bas et, hélas !, tirer vers le bas, c'est tellement plus facile ! Démocratie et démagogie ! Bon, j'arrête.
Jean-Jacques Marimbert

10:05 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (13)

mardi, 07 juin 2005

Hugh !

Un indien entre dans un saloon avec dans une main un fusil et dans l'autre un seau de bouse de bison.
- "Hugh ! moi cheval maussade , moi vouloir café "
Le serveur lui amène un café. L'indien boit le café, prend le seau de bouse de bisons , jette le contenu en l'air et avant que ce ne soit retombé il tire un coup de fusil dans la bouse puis il s'en va comme si de rien n'était...
Le lendemain l'indien revient dans le saloon avec son seau de bouse et son fusil et redemande un café.
- Eh ! oh ! On a pas encore fini de nettoyer la merde que tu nous as laissée hier, alors tu vas pas nous refaire le coup du café ! Qu'est ce qu'il t'a pris d'abord de nous balancer ta bouse comme ça !?!?
- Moi faire stage management comme hommes blancs ; moi bientôt cadre supérieur et moi faire travaux pratiques : moi arriver matin , boire café, semer la merde et disparaître pour la journée.

10:09 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0)

Houellebecq or not Houellebecq ?

Oui la manière est un peu faible, et voilà des romans qui ressemblent plus à des essais sociologiques qu'à des textes littéraires. Mais qui s'attaquent à des sujets que la "littérature" avait abandonnés. Et avec un regard, original, intéressant, une réflexion sur le monde d'aujourd'hui. On peut ne pas être d'accord mais ce regard existe et voilà le nouveau. Voilà quelqu'un qui utilise le roman pour dire quelque chose, parfois un peu pesamment, mais qui rencontre le succès. Là où depuis des années, à quelques exceptions près, les écrivains français s'empêtraient dans des considérations qui n'intéressaient pas grand monde (il y a - je ne cesse de le répéter - Philippe Sollers, mais pour des raisons qui lui sont propres, il n'a de cesse de brouiller les cartes, de se faire passer pour qui il n'est pas, ce qui fait et c'est en effet plutôt amusant, qu’une grande partie de l'intelligentsia ne le lit pas et le méprise, bon !). Houellebecq lui, est né en 1958, et est beaucoup moins complexé. Il y a bien les provocations d'usages (presque un passage obligé) : "Jacques Prévert est un con", l'alcool, les cigarettes et la religion musulmane : manière d'être dans son temps). Après trois romans fort intéressants, le voici maintenant au tournant, on verra avec le prochain s'il tient le cap ou si comme bien d'autres il sera happé par le système : étrangement tout est fait comme si, "racheté" par Hachette je crois, le roman sort à la rentrée simultanément dans plusieurs pays et langues d'Europe (tiens d'Europe ?)…

C'est ce qui est vaincu d'avance qui le plus souvent l'emporte

Pourquoi ne pas l'avouer : ma préférence, toujours, va vers ce qui vacille, chancelle, flageole et menace à tout instant de sombrer. L'apparente faiblesse d'un feu finissant en braises soumises est autrement encourageante que la danse désordonnée des flammes au coeur d'un immense brasier. Ce maigre filet d'eaux résurgentes, s'écoulant silencieux et fragile à travers des éboulis de roches, vaut le prétentieux fracas des grands fleuves à leur entrée dans les villes.

Ce qui paraît inébranlable et robuste, dans sa détermination même n'est nullement assuré de parvenir au but. Au contraire, le précaire porte en lui toutes les ressources de la foi et toutes les promesses de l'effort.

Qu'on le veuille ou non, c'est ce qui est vaincu d'avance qui le plus souvent l'emporte.


Extrait de : "Les radis bleus", Pierre Autin-Grenier, Folio Gallimard.
(D'autres extraits des Radis bleus à lire ici)

lundi, 06 juin 2005

Ce processus de destruction se poursuit de nos jours

"Le 14 décembre 1967, l'Assemblée Nationale adopta en première lecture la loi Neuwirth sur la légalisation de la contraception ; quoique non encore remboursée par la Sécurité sociale, la pilule était désormais en vente libre dans les pharmacies. C'est à partir de ce moment que de larges couches de la population eurent accès à la libération sexuelle, auparavant réservée aux cadres supérieurs, professions libérales et artistes - ainsi qu'à certains patrons de PME. Il est piquant de constater que cette libération sexuelle a parfois été présentée sous la forme d'un rêve communautaire, alors qu'il s'agissait en réalité d'un nouveau palier dans la montée historique de l'individualisme. Comme l'indique le beau mot de "ménage", le couple et la famille représentaient le dernier ilôt de communisme primitif au sein de la société libérale. La libération sexuelle eut pour effet la destruction de ces communautés intermédiaires, les dernières à séparer l'individu du marché. Ce processus de destruction se poursuit de nos jours."

Michel Houellebecq, les particules élémentaires, 1998.

Cette puissance souterraine a aussi perdu sa puissance

"Au moment où la société découvre qu'elle dépend de l'économie, l'économie, en fait, dépend d'elle. Cette puissance souterraine, qui a grandi jusqu'à paraître souverainement, a aussi perdu sa puissance. Là où était le ça économique doit venir le je. Le sujet ne peut émerger que de la société, c'est-à-dire de la lutte qui est en elle-même. Son existence possible est suspendue aux résultats de la lutte des classes qui se révèle comme le produit et le producteur de la fondation économique de l'histoire."

Guy Debord, la société du spectacle, 1967.

22:47 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0)

Nation politique par excellence

"UNE FOIS ENCORE, en disant « non » de manière retentissante, le 29 mai 2005, au projet de traité constitutionnel pour l’Europe, la France rebelle a fait honneur à sa tradition de « nation politique par excellence ». Elle a secoué le Vieux Continent, suscitant à nouveau l’espoir des peuples et l’inquiétude des élites établies. Elle a renoué avec sa « mission historique » en faisant la preuve, par l’action audacieuse de ses citoyens, qu’il est possible d’échapper à la fatalité et aux pesanteurs des déterminismes économiques ou politiques."

La suite, sur le site du Monde diplo, cliquer dans Informations, à gauche, l'article de Ignacio Ramonet

22:17 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0)

Ils sont apparus, comme dans un rêve...

Ils sont apparus, comme dans un rêve, au sommet de la dune, à demi cachés par la brume de sable que leurs pieds soulevaient. Lentement ils sont descendus dans la vallée, en suivant la piste presque invisible. En tête de la caravane, il y avait les hommes, enveloppés dans leurs manteaux de laine, leurs visages masqués par le voile bleu. Avec eux marchaient deux ou trois dromadaires, puis les chèvres et les moutons harcelés par les jeunes garçons. Les femmes fermaient la marche. C’étaient des silhouettes alourdies, encombrées par les lourds manteaux, et la peau de leurs bras et de leurs fronts semblait encore plus sombre dans les voiles d’indigo.

Ils marchaient sans bruit dans le sable, lentement, sans regarder où ils allaient. Le vent soufflait continûment, le vent du désert, chaud le jour, froid la nuit. Le sable fuyait autour d’eux, entre les pattes des chameaux, fouettait le visage des femmes qui rabattaient la toile bleue sur leurs yeux. Les jeunes enfants couraient, les bébés pleuraient, enroulés dans la toile bleue sur le dos de leur mère. Les chameaux grommelaient, éternuaient. Personne ne savait où on allait.


J.M.G. Le CLézio, Désert, la suite de cet extrait est à lire ici

mercredi, 01 juin 2005

Inactuel

Il s’appelle Michel Sakarovitch et dirige, à Bures-sur-Yvette, une petite librairie qu’il a baptisée LiRaBuR (01-69-07-36-66). L’espace y est si réduit qu’il lui serait impossible d’exposer les 30000 nouveaux titres que les éditeurs français publient chaque année. Quand bien même disposerait-il d’une grande surface qu’il n’en aurait guère l’usage. Car il est plutôt du genre à se désencombrer. Outre qu’il refuse de céder à «la pression d’une actualité littéraire trop abondante et de valeur inégale», il s’obstine à entretenir avec le lecteur, son semblable, son frère, des relations étroites, complices, ardentes et… désintéressées. Appliquant à son échelle la vogue croissante du bookcrossing (il s’agit d’abandonner dans un lieu public un livre qu’on a aimé), cet apôtre du partage a ainsi ouvert une bourse d’échange d’ouvrages gratuits: rangés dans une bibliothèque fixée sur la façade de la librairie, ils sont offerts à la curiosité des passants.
M. Sakarovitch, dont l’amour de la littérature est beaucoup plus impérieux que le souci du chiffre d’affaires – on voit par là combien il est inactuel –, a poussé l’altruisme jusqu’à créer le prix du livre oublié. Les fidèles clients-lecteurs deLiRaBuR désignent les titres (disponibles) qu’ils souhaiteraient sauver de l’amnésie et de l’ingratitude contemporaines. Dix restent en lice, parmi lesquels «le Pont sur la Drina» par Ivo Andric, «Siloé» par Paul Gadenne, «les Javanais» par Jean Malaquais, «Capitaine Conan» par Roger Vercel et «l’Habitude d’être» par Flannery O’Connor. Les résultats seront proclamés le 7 juin au centre culturel de la ville où des comédiens liront des extraits de ces livres ressuscités. Après quoi, M. Sakarovitch les mettra en vitrine, en lieu et place du «Zahir» de Paulo Coelho ou du «Vitriol menthe» de Patrick Sébastien. Le philosophe américain Ralph Waldo Emerson préconisait de ne jamais lire un livre «qui a moins d’un an». C’était excessif. Mais c’est tentant.
Source : Jérôme Garcin Le Nouvel Observateur, article signalé par Calou.