lundi, 30 août 2010
Le sans-pourquoi
" Primo Levi a soif. Une congère s'est formée au bord d'une fenêtre. Il sort du baraquement, veut casser le morceau de glace pour étancher sa soif. Un kapo allemand l'interrompt. " Pourquoi ? " demande Primo Levi. Hier ist kein warum, répond le nazi ( " Ici, il n'y a pas de pourquoi. ").La réponse nazi vaut pour l'ensemble du camp. Le sans-pourquoi est le mot d'ordre d'un monde où aucune autre expérience n'est possible que la dévastation.Mais le sans-pourquoi est aussi, plus secrètement, le nom de ce qui brille dans les ténèbres. Un mystique du XVII° siècle, Angelus Silesius, écrit : " La rose est sans pourquoi, elle fleurit parce qu'elle fleurit. " Aucune causalité ne détermine la floraison de la rose ; elle existe pour rien, et cette libre gratuité coïncide avec la poésie elle-même. Le sans-pourquoi désigne ici le contraire de l'arbitraire nazi ; il est le nom de ce qui résiste à l'emprise. "
Prélude à la délivrance / Yannick Haenel François Meyronnis / L'Infini / Gallimard
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mercredi, 15 juillet 2009
Moby Dick
Déjeuner chez des amis, sous des arbres encore. Je leur ai offert "Prélude à la délivrance" de Yannick Haenel et François Meyronnis, mon livre préféré cette année, lu trois fois. Au moment que nous vivons de la plus grande dévastation, au moment où le danger est le plus grand, une étincelle peut s'allumer, la dimension du divin. Celle de Nietzsche et de l'éternel retour, de Lautréamont, Rimbaud et quelques autres. Et puis il y a Moby Dick de Melville que H et M décortiquent et font apparaître comme un véritable traité de théologie. Dans un de ces autres livres : L'Axe du néant, François Meyronnis écrit : "Le langage est le lieu du combat. Ce fut la grande intuition de Heidegger : "Le passage de la ligne du nihilisme interviendra, s'il intervient, par et dans le langage."
"L'été est une saison qui prête au comique. Pourquoi ? Je n'en sais rien. Mais cela est" a écrit Gustave Flaubert. L'été c'est aussi le moment où tout s'arrête, où le vide permet de renaître.
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vendredi, 27 mars 2009
Prélude à la délivrance (6)
Pour que s'étale le manifesté - le monde et tout ce qu'il contient - , il faut comme réserve un abîme de vacance. Loin de se figer dans une stérilité mortifère, le néant coïncide avec le venir de toutes les choses. Rien d'abusif, par conséquent, à le qualifier d'événementiel. à chaque moment, il est le retrait qui prodigue la présence, et aussi l'absence. Il dispose de toutes les richesses, mais, flux et reflux, il néantise sans arrêt. Il vient au jour par intermittence, à la pointe d'un instant, que ce soit dans l'éclair suspendu de l'extase ou dans celui d'une explosion atomique.
Yannick Haenel, François Meyronnnis, Prélude à la délivrance, Gallimard 2009, collection L'Infini
La Donna Velata, (1516)
Galleria Palatina at Florence
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lundi, 09 mars 2009
Prélude à la délivrance (5)
L'impossibilité à vivre en dehors des critères de la valeur d'échange, et même à concevoir sa vie en dehors du marché, mène au malheur le plus boursouflant, ainsi qu'à l'atermoiement le plus boueux. Ni le confort, ni l'argent, ni même le pouvoir ne sont capables de combler les inconsolés du nihilisme. Rien ne compense l'inaccès à la poésie, même par l'abjection qui la condamne. Les inconsolés du nihilisme se sentent abandonnés, quand c'est eux-mêmes qui se sont abandonnés en recherchant ce qui précisément, ne les comble pas : l'argent, le confort et le pouvoir ; et en se détournant de cette jouissance poétique pourtant disponible à chaque instant, et qui fait signe, là, à portée de main, dans ce petit écart scintillant qui sépare chacun de son propre salut. Le sentiment d'être berné pousse en dernier ressort les plus amochés à se venger autant qu'à désirer avidement leur sanction.
Photo de Lionel André, la forêt des Carroz,mars 2009
Voir ici son blog, le texte vient aussi de son blog et du livre suivant :
Yannick Haenel, François Meyronnnis, Prélude à la délivrance, Gallimard 2009, collection L'Infini
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samedi, 07 mars 2009
Prélude à la délivrance (4)
"Il y a ainsi des surgissements de poésie dans de brefs instants de musique, dans des gestes, des détails de peinture, des fragments d'architecture, des séquences furtives de cinéma. Ils agissent au vol, dans la rencontre. L'art existe par épiphanies. Et chacun évolue avec sa provision d'éclairs, de mémoires de jouissances. (...) L'épiphanie, on peut la trouver dans la vie. Il peut y avoir des gestes passionnants dans la rue, des situations brusquement ouvertes, des inflexions de lumière qui traversent le corps d'une passante. Pour reprendre les mots qu'Ezra Pound appliquait au paradis, l'art existe en "fragments inattendus". Il relève du coup de foudre."
Yannick Haenel, François Meyronnnis, Prélude à la délivrance, Gallimard 2009, collection L'Infini
Canova, Eros et Psyché, fragment
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vendredi, 27 février 2009
Prélude à la délivrance (3)
"De manière générale, plus aucun acte ne fait trembler les limites du monde parce que le monde n'a plus de limites. Cela modifie considérablement l'idée qu'on peut se faire de ce qui est "révolutionnaire". Aujourd'hui, les artistes deviennent des figures de l'intégration sociale, des espèces de fétiches de la marchandise, qui non seulement sont assujettis à la société, mais surtout en propagent le mensonge. Dans le marché intégral, il n'y a pas d'exception, sauf pour faire monter les prix. C'est en ce sens que le diagnostic des situationnistes, dès le milieu des années soixante, était juste : on est entré depuis longtemps dans la fin du monde de l'art. Lorsqu'on ne voit plus dans la rue que des "artistes", c'est que le faux, comme dit Debord, est "sans réplique".
Yannick Haenel, François Meyronnnis, Prélude à la délivrance, Gallimard 2009
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mercredi, 25 février 2009
Prélude à la délivrance (2)
"Nous plaignons ceux qui ne discernent dans la lecture qu'une "pratique culturelle", comme ils disent ; c'est évidemment tout autre chose : une opération magique, créant autour d'elle son propre élément, l'un des derniers gestes de l'existence où acte et pensée commutent et où, en un éclair, le divin se retrouve."
Yannick Haenel, François Meyronnnis, Prélude à la délivrance, Gallimard 2009
Giorgione, Portrait d'un jeune homme
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mardi, 24 février 2009
Prélude à la délivrance (1)
"Seulement, s'il n'a jamais été facile de voir un dieu, la chose semble aujourd'hui frappée d'interdit. La société gestionnaire n'admet plus que sa gestion : elle organise le maniement des échanges à l'échelle de la planète, et la rotation des stocks, y compris des stocks humains, sans autre souci que celui du chiffre. Elle pose comme axiome que seul mérite d'exister ce qui passe par le resserrement de ses défilés. Le reste, elle le proscrit ; et fait en sorte qu'il n'ait plus lieu, avec l'accord des somnambules qu'elle abaisse sous son joug."
Yannick Haenel, François Meyronnnis, Prélude à la délivrance
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