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mercredi, 07 décembre 2005

Le serpent qui danse

Que j'aime voir, chère indolente,
De ton corps si beau,
Comme une étoffe vacillante,
Miroiter la peau!

Sur ta chevelure profonde
Aux âcres parfums,
Mer odorante et vagabonde
Aux flots bleus et bruns,

Comme un navire qui s'éveille
Au vent du matin,
Mon âme rêveuse appareille
Pour un ciel lointain.

Tes yeux, où rien ne se révèle
De doux ni d'amer,
Sont deux bijoux froids où se mêle
L'or avec le fer.

A te voir marcher en cadence,
Belle d'abandon,
On dirait un serpent qui danse
Au bout d'un bâton.

Sous le fardeau de ta paresse
Ta tête d'enfant
Se balance avec la mollesse
D'un jeune éléphant,

Et ton corps se penche et s'allonge
Comme un fin vaisseau
Qui roule bord sur bord et plonge
Ses vergues dans l'eau.

Comme un flot grossi par la fonte
Des glaciers grondants,
Quand l'eau de ta bouche remonte
Au bord de tes dents,

Je crois boire un vin de Bohême,
Amer et vainqueur,
Un ciel liquide qui parsème
D'étoiles mon coeur!

Baudelaire

09:54 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)

mardi, 06 décembre 2005

Pas d'enfer, pas de connaissance dans la jouissance

medium_jean_20honorfragonard_201799-1800_20mujer_20desnuda_20y_20pianista.jpgBaudelaire à propos de George Sand : "Elle a de bonnes raisons pour vouloir supprimer l'enfer". "Chaque fois que je la vois, j'ai envie de lui jeter un bénitier à la tête". La poésie fondamentale implique qu'on maintienne l'enfer, je crois. Pas d'enfer, pas de connaissance dans la jouissance.

Philippe Sollers, La Divine Comédie

Jean-Honoré Fragonard

Le mouvement du bras

medium_antiope-s.jpgJupiter et Antiope, Watteau

19:03 Publié dans Peinture | Lien permanent | Commentaires (0)

L'épaule de l'océan

 

Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Du moins n’ai-je observé aucune différence entre les vibrations de l’avion bourdonnant et le ressac des rêves entrecoupé de comptines chuchotées par ma voisine en boubou bleu, inquiète pour son petit, juste devant moi. Le mioche ronfle par à-coups, gémit réclame s’agite, et je l’envie de flotter ainsi dans le ciel saharien, ignorant que l’enveloppe d’acier pèse des tonnes et ne tient qu’à l’air fendu. Je jette de temps en temps un œil vers l’œil noir du hublot, n’y vois que ma tête déformée par le plexiglas. Alors, comme buvant dans un puits en plein désert, je me penche sur la revue d’Air France ouverte sur mes genoux, où j’ai dégoté une petite carte de l’Afrique de l’ouest, unique lien avec la réalité. La mienne est en soute, idiot que je suis.

L’épaule de l’Océan soutient le continent, des lanières verticales multicolores se dressent, tels des galons d’uniforme de la Coloniale. Je m’y habitue. Je récite d’ouest en est, Côte d’Ivoire, Ghana, Togo, Bénin, Nigeria, et Cameroun pour l’épaulette. Puis ce ne sont que villages éparpillés en pleine forêt primaire, entrelacs de lianes et de serpents, femmes nues mâchant du bétel et chasseurs de fauves. Oui mon commandant.

Autour de moi ça frôle l’anti-matière, un no man’s land, no man’s time, no man’s tout absolu dans le fuselage climatisé du long-courrier. Sur l’écran muet de la télé collée au plafond s’agite un type armé jusqu’aux dents. Je cale mon regard entre Togo et Nigeria, je fais du yoyo sud nord sud, bute contre le Burkina rose pâle, me pose au ras de l’eau sur Cotonou, à la frontière du bleu atlantique et du jaune béninois. Le Bénin est bouton d’or. Mais je le sais bien, la terre y est rouge, et au Togo aussi, au Nigeria, au Ghana, toute l’épaule est rouge. Au nord, elle vire à l’ocre, puis au sable jaune, coquille d’œuf, paprika, blanc par endroit. Je le sais, j’ai lu, j’ai vu des photos. Et puis j’ai un goût prononcé pour les éléments. Rouge terre, rouge humide, rouge poussière, le même rouge qu’à Toulouse, je ris. Le rouge ajoute à la chaleur, lui donne corps, sature l’air, rouille le blanc des murs, le blanc des yeux, le blanc du ciel, dont la blancheur est revendiquée tel un passé révolu, le pur enfoui. Rouge bruyant, bouillant, rire blanc. Je vole vers l’origine.

Je n’ose m’avouer, tant la naïveté m’accable, qu’en tous ces mots égrenés sonnant le lointain, Afrique, papaye, igname, palme, mille autres, coule une source enfantine, les heures de l’écolier peinant devant une carte de France, cherchant ailleurs, le plus loin possible, de quoi apaiser sa vaine inquiétude existentielle, étalé de tout son long sur les minuscules cartes africaines du vieux Larousse dont la couverture latérite passée, déjà, bâillait, effrangée, ouvrant à l’enfant que j’étais des territoires souterrains, le sous-sol d’une Afrique de papier.

Je lève les yeux. Le hublot pâlit enfin et à travers l’humidité sauvage m’apparaît l’immense feuille rouge du sol gravelée, tachée de vert sombre, rayée d’improbables pistes, moi nez collé, confondant l’air et l’eau, la buée de ma gorge et les lambeaux de brume accrochés aux ailes. J’écarquille les yeux, au seuil d’un univers déjà peuplé des spectres légendaires d’un cartographe en culotte courte.

Jean-Jacques Marimbert, Extrait de Latérite à Cotonou

Le Même

"La grande question n'est pas l'Autre, comme on nous en rebat les oreilles,  mais le Même. C'est sur le Même qu'il faut penser. Le Même n'est pas le pareil. C'est aussi la fameuse métaphore proustienne ou borgésienne, selon laquelle il n'y aurait qu'un seul écrivain, parfois contradictoire, vivant aussi longtemps que l'humanité."

Philippe Sollers, La Divine Comédie

Très loin de là

Ailleurs, très loin de là, de vastes

 

Troupeaux de rennes parcourent

 

Des lieux de mousse dorée,

 

Silencieux, à toute allure.

 

Auden

 

 

04:49 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (7)

lundi, 05 décembre 2005

Désordres

En résumé, s'il y a des désordres, c'est parce que les illusions s'écroulent

Philippe Sollers, L'étoile des amants

08:49 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (6)

Torrent du temps inlassable

Ce qu'on perçoit, dans les moins mauvaises photos, ce n'est pas la présence mais l'absence, la force qui n 'a jamais été intériorisée, n'a pas franchi le mur de la vision et du son, est restée enfouie, méconnue, torrent du temps inlassable.

Philippe Sollers, L'étoile des amants

06:05 Publié dans Photo | Lien permanent | Commentaires (7)

Les faux prophètes

Les faux prophètes n'arrêtent pas de se montrer

Djalal al-din Rumi

05:05 Publié dans Papillote | Lien permanent | Commentaires (1)

Secret

La libération procède du secret

Philippe Sollers, L'étoile des amants

dimanche, 04 décembre 2005

La maîtrise complète de toutes les dimensions du temps

En réalité, c'est une question de temps. Il est arrivé quelque chose au temps, et la révolution, ici, tout de suite, n'a pas d'autre objectif, mais « grandiose », que la maîtrise complète de toutes les dimensions du temps.

(A lire en entier ici, cet article sur la Correspondance de Guy Debord)

samedi, 03 décembre 2005

Les inédits de P.A.G. (La loge)

     C’est une loge d’artiste présentant la bizarrerie d’être située haut en étage et non dans les coulisses, de dimensions tellement réduites qu’il ne peut y tenir qu’un seul artiste à la fois et c’est moi. J’ai mis vingt ans au moins pour habituer mon vertige à ces étages avant de me lancer et pouvoir enfin endosser un petit rôle un rien comique sur la scène de cette malheureuse existence. Autant l’avouer : dès mes débuts je n’étais déjà plus vraiment un jeune premier.
      Des années durant j’ai porté le costume rapetassé de toutes parts de l’essuyeur de baffes. Succès garanti pour un salaire ne faisant pas de bruit. Je jouais, cela suffisait à mon contentement. Pour l’ordinaire, un bol de bouillon creux ou deux patates au four faisait l’affaire. Au rebours de certains camarades qui très tôt triomphèrent dans Pirandello, malgré un âge avancé je piétinai des lustres dans Polichinelle. Silencieux, je supportais et ne me suis jamais plaint qu’on ait sous-estimé mon talent.
      Aujourd’hui qu’après avoir enduré stoïquement toutes les vicissitudes d’une vie sans éclat voici mon nom en haut de l’affiche, la critique à mes pieds et le public subjugué par la finesse de mon art, j’ai décidé de renoncer aux lauriers, aux sunlights et aux planches plutôt que faire facilement mon profit de ce retournement de situation.

      Je moisirai donc le restant de mes jours rencogné dans l’humeur sombre de cette loge minuscule, à l’abri du monde. Tous ces gens assemblés sont trop sots pour que je me laisse aller et cède à leur adulation. Ils peuvent sans discontinuer lancer leurs bravos et leurs hourras devant la porte du théâtre vide, se tordre le cou au ciel, je me garde bien de seulement leur montrer ma tête par l’unique petite lucarne de dessous les combles. C’est comme ça.

P.A.G
Extrait de « C’est tous les jours comme ça » (inédit).

21:45 Publié dans Inédits | Lien permanent | Commentaires (10)

Les inédits de P.A.G. (Un jeudi au jardin)


      Ce jeudi, comme je n’avais nulle affaire intéressante à mener ni quelque lecture légère sous la main susceptible de me désennuyer un moment, alors j’ai enfilé mon pardessus, tiré la porte derrière moi et suis allé au jardin public en bas de mon immeuble m’asseoir sur un banc. Il en reste là un ou deux que la municipalité n’a encore osé faire disparaître  — ainsi qu’elle s’y est employée un peu partout dans d’autres quartiers dans le but de faire disparaître avec les vieillards désargentés de mon espèce qui viennent lamentablement y tuer le temps et donnent ainsi une mauvaise image de la ville, c’est du moins ce qu’affirment nos édiles.
      Emmitouflé jusqu’aux oreilles dans mon pardessus au col relevé et les mains comme cousues dans les poches, j’ai longuement regardé défiler sous mes yeux mes souvenirs tout en rêvant un peu parfois. Petits trottins promenant tranquilles leurs cuisses au goût de pain d’épice tels que j’en avais connus, aimés aussi, aux jours anciens. Étudiant attardé dans le supérieur, fringué gavroche, et me dévisageant un instant avec du Reggiani dans le regard ; pitié ou reproche ? Costumes-cravates pressant le pas vers quelque pièce étroite et sombre du quartier des affaires, grises ménagères à cabas retour des commissions, tant d’autres clampins encore… Bref, ainsi passaient les passants qui sans s’en apercevoir participaient à ma distraction et me changeaient les idées, comme on dit.
      Parce que j’étais finalement resté un bon bout de temps assis sur mon banc, de crainte de me laisser entraîner vers une nostalgie malsaine, aussi par peur de voir mes jambes engourdies de froid et d’inaction refuser soudain de me porter et surtout redoutant l’arrivée des gardiens qui pourchassent sans ménagement les improductifs comme moi, je décidai pour le coup de m’en retourner. Tout a une fin, il faut bien l’admettre.
      C’est ainsi que, sortant par le portillon opposé à celui par lequel j’étais entré et longeant de ce fait le bac à sable où, d’ordinaire, ceux qui sont encore autorisés à en avoir un viennent faire crotter leur chien, je vis qu’une bonne femme y avait abandonné son bébé. Il n’y a pas de doute, je me dis in petto en pressant le pas autant que faire se peut, le monde est devenu déprimant.
P.A.G
Extrait de « C’est tous les jours comme ça » (inédit).

20:30 Publié dans Inédits | Lien permanent | Commentaires (0)

Café du Tonkin

Je n’ai jamais vu personne

au Café du Tonkin

et personne ne se le rappelle

à Quimper-Corentin.

La rivière coulait devant sa porte

avec un bruit de jonque,

et de chauve-souris.

Parfois un légionnaire

s’asseyait à sa table en bambou

et d’un juron passait commande

d’une fille, d’un alcool de contrebande.

Le Café du Tonkin

n’avait pas son pareil

à dix lieues à la ronde

et s’il n’a jamais existé

est-ce une raison pour l’oublier ?

Gérard Le Gouic

Cafés (Rougerie éd. 1988)

 

A chacun comme s'il était seul

Toute société est, par définition, un inlassable effort, plus ou moins répressif, de normalisation. L'intellectuel aime les rassemblements, il signe ensemble. L'écrivain s'écarte, parle à chacun comme s'il était seul.

Philippe Sollers, Eloge de l'infini

Dans autrefois et puis dans le futur aussi

medium_morisot-headofagirl1876.jpgTon sourire éblouissant prolonge

La même rose avec son bel été qui plonge

Dans autrefois et puis dans le futur aussi

Mallarmé

Berthe Morisot, Portrait d'une jeune fille

17:58 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)

Sans espace ni temps est le règne de la Nuit

Le matin doit-il toujours revenir ? La puissance du Terrestre ne prend-elle jamais fin ? Une malheureuse turbulence dévore l’intuition céleste de la Nuit. L’intime sacrifice de l’Amour ne brûlera-t-il jamais éternellement ? Son temps a été mesuré, à la Lumière ; mais sans espace ni temps est le règne de la Nuit. - Éternelle est la durée du Sommeil. Sommeil sacré - ne comble pas trop rarement ceux qui sont voués à la Nuit en ce terrestre labeur quotidien. Seuls les fous te méconnaissent et ne savent d’aucun sommeil que l’ombre, que, compatissant, tu jettes sur nous dans ce crépuscule de la vraie Nuit. Ils ne te sentent pas dans le flot doré des grappes, - dans l’huile merveilleuse de l’amandier et le suc brun du pavot. Ils ne savent pas que c’est toi qui voltiges près de la gorge de la tendre vierge et fais de ce sein le paradis - ils ne pressentent pas qu’issu des anciennes légendes tu viens vers nous en ouvrant le ciel et que tu portes la clef pour les demeures des bienheureux, muet messager de mystères infinis.

Novalis, Hymnes à la nuit (suite)

 

Aimable soleil de la Nuit

Que jaillit-il soudain de si prémonitoire sous mon cœur et qui absorbe le souffle douceâtre de la nostalgie ? As-tu, toi aussi, un faible pour nous, sombre Nuit ? Que portes-tu sous ton manteau qui, avec une invisible force, me va à l’âme ? Un baume précieux goutte de ta main, du bouquet de pavots. Tu soulèves dans les airs les ailes alourdies du cœur. Obscurément, ineffablement nous nous sentons envahis par l’émoi - je vois, dans un joyeux effroi, un visage grave, qui, doux et recueilli, se penche vers moi, et sous des boucles infiniment emmêlées montre la jeunesse chérie de la Mère. Que la Lumière maintenant me semble pauvre et puérile - heureux et béni l’adieu du jour ! - Ainsi c’est seulement parce que la Nuit détourne de toi les fidèles, que tu as semé dans les vastitudes de l’espace les globes lumineux, pour proclamer ta toute-puissance - ton retour - aux heures de ton éloignement. Plus célestes que ces étoiles clignotantes, nous semblent les yeux infinis que la Nuit a ouverts en nous. Ils voient plus loin que les plus pâles d’entre ces innombrables armées stellaires - sans avoir besoin de la Lumière ils sondent les profondeurs d’un cœur aimant - ce qui remplit d’une indicible extase un espace plus haut encore. Louange à la reine de l’univers, à la haute révélatrice de mondes sacrés, à la protectrice du céleste amour - elle t’envoie vers moi - tendre Bien-Aimée - aimable soleil de la Nuit, - maintenant je suis éveillé - car je suis tien et mien - tu m’as révélé que la Nuit est la vie - tu m’as fait homme - consume mon corps avec le feu de l’esprit, afin que, devenu aérien, je me mêle à toi de plus intime façon et qu’ainsi dure éternellement la Nuit Nuptiale.

Novalis, Les Hymnes à la nuit

 

vendredi, 02 décembre 2005

La fleur du soleil

L'amour constant ressemble à la fleur du soleil,
Qui rend à son déclin, le soir, le même hommage
Dont elle a, le matin, salué son réveil!

Gérard de Nerval

22:05 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (2)

Ces portes d'ivoire

Le Rêve est une seconde vie. Je n'ai pu percer sans frémir ces portes d'ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible.

Gérard de Nerval

21:45 Publié dans Rêve | Lien permanent | Commentaires (9)