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mardi, 09 janvier 2007

Carnets indiens, avec Nina Houzel (1)

medium_P5272863.jpgJe relis Noctune indien de Tabucchi. Il y a longtemps, ce livre m'avait impressionné, après j'avais lu presque tous les livres de Tabucchi. Avec lui les limites entre le réel et le rêve sont déplacées, on flotte entre les deux, on est bien dans cet inter-monde. Mais, alors que chez la plupart des écrivains qui habitent cette frontière indécise, on trouve plutôt de la froideur, chez lui l'émotion est toujours présente, palpable. Nocturne indien, c'est une histoire de voyage rêvé. J'aime les voyages rêvés. Je ne connais rien de l'Inde, je n'y ai jamais mis les pieds. Vers le milieu du livre, Tabucchi cite Victor Hugo, dans Les Travailleurs de la mer : "Le corps humain pourrait bien n'être qu'une apparence. Il cache notre réalité, il s'épaissit sur notre lumière ou sur notre ombre."

Raymond Alcovère

Photo : Nina Houzel :"Bangalore. Le parc de Lalbagh"

lundi, 08 janvier 2007

L'or du temps

medium_12-0038.jpgDevant, ciel gris, âpre. Une chaleur insensible flotte. Le monde ne peut être paisible sans cette trouée lilas, monocorde, à fixer les nuages, les rendre transparents. La terre s’approfondit.  

Une musique monte dans le lointain, symphonie élastique. Gammes bleues et mauves. La terre est prête à s’engouffrer dans l’océan. Terre blonde et vermeille. Un lit de terre.

Loin encore l’Europe est là, je la sens. J’y jette tous mes espoirs, je ne reverrai jamais les îles je crois. Pourquoi revenir en arrière ?

La symphonie de l’aurore jette une lumière ocre. Des plages longilignes dévorent la terre devant l’étrave du bateau.

Si j’étais peintre, je poserais mon chevalet ici. Le ciel étagé en rumeurs, les couleurs comme des bruits, des notes, qui s’attirent, se repoussent, s’aiment.

La nuit recouvre le monde d’un baume nourricier. Le fin halo de l’aube pose des reflets de nacre. La mer déferle et envahit. La plaine s’évase, roule ses méandres d’eau, de limon et de soleil.

La neige, fluide, volatile – jamais je n’avais rêvé un tel bonheur – lance un soubresaut de calme sur l’azur. L’air piqué de nuages, d’oiseaux blancs, déchiquette l’ombre.  

La montagne, d’un coup fondue, disparue corps et âme, happée par le vent qui règne en maître. Le vent est le seul maître du ciel, de la terre et de la mer. Il attise les grandes passions et éteint les petites.

La scène se déroule sans ordre apparent. Une clarté dahlia, pulvérisée en fines gouttelettes mauves, disperse les derniers désordres de la nuit.  

D’un coup de baguette magique, l’opéra déferle. Le chef d’orchestre, les bras chargés de neige, dirige la scène, pointant un doigt menaçant sur l’horizon.

Tout s’anime et se referme en un même mouvement. Le temps est immobile, dressé comme une forteresse en pleine lueur. Une symphonie du nouveau monde.

Une frondaison blanche s’est répandue, annonciatrice de temps nouveaux. Qui sait, la fin des temps est peut-être venue, ici, à la limite de l’océan, sur cet arrondi de la terre, archipel de hasard, de roc, de vent et de sable, noyé.  

Déchaînement des éléments. La terre va s’engloutir, revenir à sa vérité première. Matière, fusion, évanouissements.

L’homme disparaîtra, lui le passager clandestin, l’invité de la dernière heure. Il s’en ira sur la pointe des pieds après avoir coloré d’un peu de poésie l’or du temps.

Raymond Alcovère

Paul Klee

 

dimanche, 07 janvier 2007

Une obscurité de raisins

medium_Klee_20-_20Remembrance_20of_20a_20Garden_20-1914.jpgLes anges ont déployé leurs ailes. Ivres d’air, ils s’éloignent. Tout se concentre en un instant. Puis le temps s’étire. Il y aura encore nuit, fracas et douleur. Émiettement du monde dans la déraison, les ombres pélagiques. Déchirement, haine, honte. Les pièces du puzzle se dispersent puis se rassembleront à nouveau. J’irai jusqu’au bout du langage, c’est le destin de l’homme, sa plénitude et son silence.        

 

Paul tes couleurs sont des fanaux, des lanternes dans le soir mauve, la cime étoilée des songes. Des cris, des hurlements, alliant l’ombelle au plus noir de la nuit, l’or au soufre, l’obscur à l’éclat. Ton amitié est là, par delà le temps, les embruns et les flammes. Ton œuvre perdurera, comme un soleil noir.

Être le mouvement ou ne pas être. Le ciel a pris sa hauteur, dans une obscurité de raisins.  Vivre en pleine lumière. Se jeter dans l’abîme. Les écrans de fumée se dissipent, vite. La pluie drue et fine distille les vagues. Le jour se lève.

Chuchoter des mots pour apprivoiser le silence. Long Island. Villes imaginaires. La vie est un songe, accompli. Aurore, or du temps.

 

Raymond Alcovère

Paul Klee

samedi, 06 janvier 2007

Ciel de pagodes

medium_startseite.jpgBlanc de l’aube. Tremblement du temps. Les nuages s’éloignent. Des signes apparaissent, à peine tangibles, un alphabet nouveau, frôlements de mer, odeurs de sauvagine, remuement des vagues.             

 

La brume se mêle au soleil. Océan de neige, un grand calme. Je changerai non de vie, mais d’identité. Je bois l’aube. Tremblements, orages, luxuriance. Ordalie de vents. Bégaiement du temps.          

 

Tout peut s’arrêter car rien ne s’arrêtera jamais. L’abîme est un fracas. Ivre de colère, il s’abandonne. Les anges y volent obscurément, symphonie bleu nuit de la pluie et du vent.

Un virage s’amorce. La grande mue de la mer de nuages. Le vent s’efface pour laisser la place au jour. Ciel de pagodes, échelles vers le soleil.  

 

Arrivée de toujours, qui t’en ira partout. La lumière chez Rimbaud, Cézanne, est partout présente, donnée, irradiante, primordiale.

Je devine un trois-mâts au mouillage, dans un mitan de bonace, illuné, la clairière des Antilles. Parfums frêles de vanille et de jasmin. Les palétuviers plongent leurs racines dans notre mémoire myosotis, aux reflets vert sauge.    

Va-et-vient de l’aurore. Élévation. Hêtres pourpres, en robe garance. Le seul mot de liberté est tout ce qui m’exalte encore.  

 

Grand désordre de  neige. Les météores s’effacent, perdues en circonvolutions.

 

Page blanche, moment de l’exaltation. La recherche du sens est peut-être la plus grande erreur, finalement.

Raymond Alcovère

 

vendredi, 05 janvier 2007

L’édition étant, pour mon cas, une forme particulière de création

"Et c’est bien parce que j’écris moi-même (avec des mots ou la lumière), que je suis venu à l’édition: je désirais œuvrer pour d’autres et je ne comprends toujours pas pourquoi tous les artistes vivants sur cette planète n’ont pas une démarche similaire. Il y a donc, au bout du compte, peu de heurt, entre les joies et les peines de l’édition et – c’est bien le mot juste – la tyrannie de l’écriture. Je vois là, plutôt, une continuité, et j’évoquerais volontiers une existence unifiée, l’édition étant, pour mon cas, une forme particulière de création: œuvrer pour que d’autres écritures émergent, qui pour une multitude de raisons, ne verront jamais le jour entre mes mains..."

A lire ici, sur le blog de Dominique Autié, une interview de Jean-Luc Aribaud, poète, photographe et éditeur. De quelques considérations sur l'édition, la poésie et internet...

lundi, 01 janvier 2007

Tenir le monde entre mes doigts de silence

medium_Copia_20de_20klee_205.2.jpgTerre de collines. Ocre et rouge. Achevalé sur ma monture, je parcours les steppes. Les ombres jouent avec les replis de la terre, le gris de la roche avec le bleu des montagnes.

 

Alpha et oméga du monde, rien ne semble avoir été posé ici par hasard. Ni les vallées, ni les lacs, ni les temples. Vallées fumeuses de brume, étagées de rizières. Pays cosmique. Vérité inscrite dans les pierres. Élan de la pensée. Le tumulte s’est arrêté.

 

Le dénuement de la pierre, de la terre ici, me plaît, j’aime ce désordre lent des vallées, l’air de solitude qui flotte sur les collines.

 

Reflets velours, incarnat du couchant, montagnes au loin, calquées en lignes bleues. Grand remuement de vagues, statufiées.

 

Oiseaux blancs qui couvent la terre spongieuse, virevoltant. D’autres lignes, d’autres montagnes donnent de l’épaisseur au ciel safran, une profondeur de champ.

Les grandes étendues désertiques de la Chine du Nord sont le lit de mes rêves. Une harmonie bienveillante s’est posée ici. Je peux rester des  heures entières seul au milieu des plaines, à fouir du regard les détours de l’horizon.

 

Blondeur des collines. Pureté froide, odeurs de sapins. Grandes étendues dorées du pays des glaces. Vagues de givre giflant la peau tendue de froid. Lucidité coupante de l’air.

 

Voici un temple taoïste,  juché sur une colline. Encorbellements de la pierre. Les rizières au loin dessinent leurs courbes lentes. Après-midi tiède et vert.

 

Seuls les temples, juchés sur des collines, tracent le passage de l’homme. Le désir d’immobilité et de silence innervé dans cette terre est proche de l’hallucination. Mon existence tout d’un coup me semble artificielle. L’action que je mène bien vaine. Découverte de l’espace. Le temps est une pluie de guirlandes sur la mer.

 

Pourquoi être si près du monde et si loin des siens ? Rien ne peut me retenir à la terre. Devant cette solitude étoilée, mes pensées vont vers vous, si loin, et que j’aime. Puissé-je traverser ces océans et tenir à nouveau le monde entre mes doigts de silence.

 

Raymond Alcovère

Paul Klee

 

A vous tous je souhaite une année 2007 pétillante et chaleureuse...

Je m'éclipse pour quelques jours, à bientôt...

Une cathédrale de songes...

medium_216_2020-04-03_20Long_20Island_20vu_20de_20l_avion.jpgLe 14 juillet 1940, Saint-John Perse est sur un cargo en vue des côtes de l’Amérique. Dans sa jeunesse, il avait commencé d’écrire des poèmes. Puis obligé d’entrer dans la vie active, il choisit la carrière diplomatique. A la veille de la guerre il est Secrétaire Général du Quai d’Orsay. Dès 1936 favorable à l’intervention contre Hitler ,  il ne sera pas suivi.  Limogé de son poste en mai 40, déchu de la nationalité française, ses biens seront confisqués. Il est obligé de fuir, de quitter son pays. Commence l’exil. Il abandonnera la diplomatie pour se consacrer tout entier à la poésie.

La veille de ce 14 juillet, il a appris par câble la mort de son ami Paul Klee. Incapable d’aller dormir, il a passé la nuit seul sur le pont du bateau, envahi de pensées,  d’images. Le jour se lève…

 

Ciel de lave et de cendre. Tout est gris sur Long Island. Le cargo file imperturbable, sillon effiloché dans la brume. Noyé de lune, je peux rêver encore.

La côte est un gisant d’écume. Le sel de la terre monte, irrésistibles odeurs d’érable et de limon. Des paysages cotonneux se dessinent, à peine.

Tout est plat, sombre et sobre à perte de vue. Les plumes de la nuit vont bientôt s’affaisser et plonger dans le ciel incarnat. Il y a de quoi se perdre dans ce silence mauve.

Univers de méandres, indifférencié. Toujours un début de limpidité émerge. J’avais cru fuir et j’arrive.

Je tisserai les mots dans un poème léger, fluide et sonore, une pluie de coquillages. Il aura la précision et la pureté du cristal.

Les sons, la musique, pour se substituer à la lumière. Que chaque mot soit une porte, une perte et un refuge. En finir avec cette existence de calculs, de détours et de peines.

Le ciel s’éveille comme une marmotte au sortir de l’hiver. Je pars et n’abandonne rien. Infinis tons de gris. Le vent plisse le ciel. La nuit va glisser, subreptice, l’atmosphère spongieuse irriguer la terre.

Le ciel et la mer sont de la même eau. Des murs de mer viennent se briser contre la coque, dans un fracas neigeux. Paysage japonais d’ombre et de lumière. Les images de Claude Monet sont là, devant mes yeux, nappes de blanc, ondées, nymphéas, lumière frêle et placide du bassin parisien.

Je ne suis plus rien ni personne et aujourd’hui tout m’appartient. Il reste ma langue, repos et plénitude. J’en ferai une cathédrale de songes.  

Perche appressando se al suo disire

Nostro intelleto si profonda tanto

Che dietro la memoria non puo ire.

La vie n’est qu’une incarnation passagère, un instant de lumière.

L’écriture frôle les ailes du désir.

 

Raymond Alcovère 

dimanche, 31 décembre 2006

L'écriture penchée des nuages

medium_Paul_Klee_ptg.jpgJe voudrais être au plus près du monde mais il m’échappe toujours. Une ombre de banyan s’étend mollement sur la mer.

Tout est entré dans le ciel. La nuit est musicale, heureusement. On y lit la portée du jour, nervures, entrelacs, déchirures, reconquêtes, fractures, apaisement.

Les bateaux sont des libellules d’eau. Le navire décrit une courbe pour éviter les îles qui avancent, promontoires menaçants.

Je vois les reflets d’une aurore dont je ne verrai pas se lever le soleil. François-René, ta langue est un paroxysme, cet océan aussi le tien.

La sirène du steamer mugit. La fumée s’échappe à gros bouillons et rejoint les nuages, effacées leurs traces. Le sillon se dévide dans une infinie lenteur.

L’horizon s’enflamme de jets saccadés, monstrueux, barbaresques. Le ciel est une lutte, un amas de lances, un combat fratricide. Ainsi le ciel. De grandes orgues joufflues gonflées de nuit. Une symphonie du nouveau monde.

Lumière plombagine. Les éclairs ouvrent des plaies, un écrin d’enluminures. Reflets zinzolins de l’aurore, devant.

A un moment il ne reste que la fuite, se dissimuler. Fixer des silences, des pauses, masquer le tumulte, l’arrogance, la brutalité du monde.

Pluie incessante et chaude. Écriture penchée des nuages. Flaques grises dans les sous-bois de la nuit. Des arbres si haut qu’on en décèle à peine la hauteur.

Les bruits émeraude parviennent étouffés. La chouette est seule dans le silence à ignorer l’obscur. Pour elle l’univers brille d’une étrange lumière, argentée, déployée par une main invisible mais partout présente, l’or du temps.

Ce n’est pas un départ, mais une suite. Présence, présence seule. Tisser les mots, le silence et les notes de la pluie. Tisser tout fragment de l’univers.

Voici les grandes plaines de l’ombre. Ce gris me plaît. J’arpente des frondaisons. L’obscur est éphémère. Les nuages sont l’architecture du monde.

Les variations Goldberg s’inscrivent dans le contour bleu du ciel, le pli de la mer, ses ondulations. Constellations blanches, irisées, qui flottent, tout autour.

Paul ton œuvre est devant mes yeux. Un repos, une paix de l’âme. Lés immenses, tendus de soleil. Les couleurs crient, répondent, se repoussent, ce dialogue entre elles est notre viatique, nous qui ne savons rien, qu’interroger le silence, à grands traits rageurs, impatients. J’aurais voulu décrire ta palette, son scintillement, comme toi éclairer la nuit. Elle parle de l’innocence, elle remonte loin dans l’histoire. Parfois on y distingue une obscurité de caverne, une profondeur d’ébène, chaude, puis éclate un fraternel printemps.

On ne construit pas de palais sur la mer. Ce sont pourtant les seuls visibles, le réel un rideau de fumée.

Ici, là, une trouée, halo argenté, portée musicale. Le reflet d’un poisson volant. L’ombre de Walt Whitman. Lourds nuages cendrés. Point d’interrogation.

Raymond Alcovère

Paul Klee

samedi, 30 décembre 2006

Le pressentiment

medium_arton752.jpgOn n'écoute pas assez ses amis. Depuis des années, Roch-Gérard Salager me conseille de lire Emmanuel Bove, je l'ai fait aujourd'hui seulement, pour la première fois, avec Le pressentiment. Rarement j'avais lu une écriture aussi précise, limpide et puissante. L'histoire est simple : Pendant l'entre deux-guerres, un avocat quitte soudain son milieu, son métier et sa famille pour vivre dans un quartier populaire, et savourer enfin la solitude. Ce n'est pas vraiment la solitude qu'il va trouver, sinon une solitude intérieure, la même qu'il avait connue avant dans la bourgoisie, mais qui va se manifester ici différemment. Le narrateur semble flotter au-dessus des événements, être là tout en n'y étant pas, c'est peut-être ça la "touche" Bove, qu'aimait tant Beckett. En réalité tout cela est d'une telle finesse, cette lecture est une expérience tellement étonnante qu'elle en est presque intraduisible. C'est comme s'il y avait deux livres. Celui qu'on lit, puis un autre, qui se détache du premier, une petite musique, forte et prégnante qui vous ensorcelle, tourne autour de vous, vous envoûte. Cette expérience du détachement, qui il me semble est la marque des oeuvres fortes, je l'avais souvent eue, mais à ce point rarement...

Voir aussi ce site sur l'écrivain

vendredi, 29 décembre 2006

Les jours de fête

medium_Weiss.2.jpgLes jours de fête, par exemple, sont pour moi un supplice. Tout me sollicite et il me semble que je suis privé de tout puisque je ne puis faire qu'une chose. Il ne me vient pas à l'idée que tous ceux que j'envie, que tous ceux que je regarde sont exactement dans ma situation et qu'ils ne font, eux aussi, qu'une chose à la fois. Tous réunis, ils me font croire qu'ils font tout. Ils font tout, c'est vrai, mais ils ont besoin d'être des milliers pour le faire.
Emmanuel Bove, Journal écrit en hiver

Photo : Sabine Weiss

jeudi, 28 décembre 2006

La neige

medium_friedrich_morning_preview.jpgVent, feu, soleil, font trembler les limites, la neige elle, évapore, dissout, recouvre. Reste une pureté glacée, à croquer le ciel, étoiles blanches immobiles, sucre candi, à figer le mouvement. La neige épouse les contours et les ombres, toute lutte remise à plus tard, dans un silence de feutrine.

Raymond Alcovère

Friedrich, matin, 1821

mercredi, 27 décembre 2006

La Théorie du K.O.

medium_LaTheorieduK_O.gif"Il n'en reste pourtant pas des masses, des endroits où les pauvres persistent à s'entraider." Ce polar de Lilian Bathelot clôt le cycle sétois entamé par Avec les loups et poursuivi par  Spécial Dédicace. La Théorie du K.O. c'est le nom de code d'une opération décidée par le ministère de l'intérieur. Le nom a été trouvé par un des chefs des services spéciaux qui a fait ses classes à La Havane, il y a bien des années de là, et pour d'autres causes, tout passe... De fait quelques péquenots sétois comme les appellent les superflics parisiens vont leur donner du fil à retordre. Tout ceci se passe sur fond de manipulation bien sûr. Les services de sécurité du Président du Conseil local, noyautés par un parti fasciste, ont commis quelques bavures, du coup c'est un véritable chaos qui enflamme L'île singulière. Priorité sera donnée à la protection du président, et toute l'opération sera maquillée en règlement de comptes de mafias rivales. Lilian Bathelot articule son polar de main de maître, les scènes d'action, la description du dessous des cartes de la politique locale, tout s'imbrique judicieusement comme la manipulation qu'il décrit.  On en a le souffle coupé tout du long et on réfléchit en même temps à l'enchaînement des faits et des causes, au rapport entre les médias et le pouvoir, entre l'histoire secrète et l'histoire officielle. C'est bien un regard politique que nous livre ici Lilian Bathelot.

Collection Sombres climats, éditions Climats, 1999.
Voir ici le site de l'écrivain

Cette nuit blanchie a déchaussé ton pas...

medium_juliette.jpgTu habites la vague hissée à ton rêve
l'embrasure à bord du train de vie
plein cœur sous le manteau des solitudes
cette nuit blanchie a déchaussé ton pas

Tu habites ma joue un claquement de larmes
contre le nid du vent les ombres en guenilles
dans tes semelles abandonnées
cette nuit blanchie a déchaussé ton pas

Mireille Disdero 

Courbet, Portrait de Juliette Courbet comme une enfant dormant

mardi, 26 décembre 2006

Le sentiment qu’il y a de la vie dans ce qui a été créé

medium_Bleu.jpgIl dit : les poètes dont on dit qu’ils nous donnent la réalité n’ont pas non plus la moindre idée de ce qu’est la réalité ; mais ils sont malgré tout plus supportables que ceux qui veulent la transfigurer. Il dit : le bon Dieu a fait le monde comme il devait l’être et nous ne gribouillerons assurément rien de mieux ; notre unique effort doit consister à l’imiter autant que possible dans nos créations. J’exige en tout – vie, possibilité d’exister, cela suffit. Et il n’est plus besoin dès lors de se poser la question de savoir si c’est beau ou laid. Au-delà de ces deux termes, le seul critère en matière d’art est le sentiment qu’il y a de la vie dans ce qui a été créé.

Büchner, Lenz

Frédérique Azaïs : "Bleu"

dimanche, 24 décembre 2006

Passerelle

medium_pissaro-fullsize.jpgQuand avril fait deuil de ses lilas, que moutonne l'eau du lac sous les rafales du mistral et que merles transis pas plus que rousserolles ne vous donnent envie de chanter, alors où voulez-vous aller puiser la force d'encore continuer jusqu'à la passerelle, là-bas, où les grands roseaux bleus font signe et nous appellent ?
Une averse sauvage désole soudain sentes et sous-bois qu'au sortir de la forêt ne viendra consoler aucun arc-en-ciel, ils sont tombés des nues les cerfs-volants de fine étoffe qu'enfant nous lancions à l'assaut du soleil et maintenant même l'iris des marais prend sous nos pas une pâleur d'ennui tandis que s'évanouissent en ricanant dans le vent les souvenirs jaunis des jours passés.
Quelque chose de nous déjà doucement gagne l'agonie qu'on voudrait voir encore cavaler vers la vie, au cœur cependant la tranquille espérance qu'un frisson de lumière, agitant là-bas les grands roseaux bleus, suffira sans doute pour atteindre bientôt la passerelle.

Pierre Autin-Grenier, Les Radis bleus

Pissaro, le vieux pont de Chelsea

Un cri, de Pierre Autin-Grenier

medium_arton259.3.jpgOn en avait mis du temps, avant de se décider... Trop, peut-être. Nous étions sortis sur le pas de la porte. Ausculter l’ombre. Un froid de chacal nous avait mordus jusqu’aux entrailles. Immobiles telles des statues de marbre, nous avions attendu. Anxieux, et comme impatients qu’il ne se passe rien. Oui, on espérait alors le silence, l’absolu silence, pour tout dire...

Une nuit d’hiver, les habitants d’une ferme partent dans les bois pour découvrir l’origine d’une inquiétante plainte, « du côté des collines ». Accompagnés de l’éclat d’une lune « étrangement écarlate », de lanternes, de chiens, et du souvenir du « crime des Granges Rouges », les hommes s’enfoncent dans l’obscurité. « Il se passe, en décembre, des faits bien étranges à l’écart de nos bourgs »... Le cri devient grognement, ricanement ; malgré la nuit et l’inextricable maquis, les bruits de bête et les craquements d’arbres, le curieux cortège ne cèdera pas à la panique, et sera bientôt à deux doigts de percer le mystère...

La première parution d’Un cri, dans le recueil de nouvelles L’Ange au gilet rouge (aux éditions Syros) a marqué un tournant dans l’œuvre de Pierre Autin-Grenier : l’auteur de poésie « noire » nous a offert, depuis, des récits où se côtoient le fantastique et le surréalisme (Toute un vie bien ratée, L’Éternité est inutile). Le rythme des scènes entretient merveilleusement le suspense, jusqu’au tableau final d’une beauté rare, une « vision d’apocalypse » dévoilée dans la toute dernière phrase.

Plus d'infos à lire ici

Ici, un extrait des Radis Bleus, Pierre Autin-Grenier, Folio Gallimard :

Infinie patience des fenêtres, jamais fatiguées d'ouvrir à nos regards absents des matins sans cesse renouvelés, des soirs chargés de parfums, des journées entières avec vue sur la mer et souvenirs d'enfance. Heureux celui qui sait, par une fenêtre large ouverte sur rien du tout, découvrir la vie, sentir soudain frissonner la peau du monde ; il peut sans frayeur aucune s'élancer dans l'air : déjà il vole, oiseau léger ! Car les fenêtres conduisent très loin au-delà des déserts quotidiens, pour peu que l'on veuille emprunter leurs chemins tranquilles, embrasser l'immense horizon de leur œil inattendu. Fenêtres : perpétuelle apothéose du printemps !

jeudi, 21 décembre 2006

Rocambole

medium_rocambole.jpgUn jour, se considérant mal payé, Ponson du Terrail exigea une augmentation d'un des directeurs de journaux pour qui il écrivait. - Le directeur, trouva la demande de son feuilletonniste exagérée et  décida sur le champ de se passer de ses services. Il fit appel à divers nègres dont la mission serait de poursuivre les récits de l'autre. - Or, dans l'épisode interrompu par la démission de Ponson, le héros, Rocambole, avait eu le malheur d'être enfermé dans un coffre-fort. Comment le sortir de là ? - Le directeur, ses nègres, toute l'équipe du journal ne purent trouver une solution à ce problème. - Ponson du Terrail fut rappelé, on lui donna l'augmentation qu'il exigeait, et le lendemain, la suite du récit débutait : «Ayant réussi à s'échapper du coffre-fort, Rocambole...»

mardi, 19 décembre 2006

Une mutation métaphysique

medium_velasquez-1656-las-meninas.jpgDès lors qu'une mutation métaphysique s'est produite, elle se développe sans rencontrer de résistance jusqu'à ses conséquences ultimes. Elle balaie sans même y prêter attention les systèmes économiques et politiques, les jugements esthétiques, les hiérarchies sociales. Aucune force humaine ne peut interrompre son cours, aucune autre force que l'apparition d'une nouvelle mutation métaphysique. On ne peut pas spécialement dire que les mutations métaphysiques s'attaquent aux sociétés affaiblies, déjà sur le déclin. Lorsque le christianisme apparut, l'Empire romain était au faîte de sa puissance; suprêmement organisé, il dominait l'univers connu; sa supériorité technique et militaire était sans analogue; cela dit, il n'avait aucune chance. Lorsque la science moderne apparut, le christianisme médiéval constituait un système complet de compréhension de l'homme et de l'univers; il servait de base au gouvernement des peuples, produisait des connaissances et des oeuvres, décidait de la paix comme de la guerre, organisait la production et la répartition des richesses; rien de tout cela ne devait l'empêcher de s'effondrer.

Michel Houellebecq, Les particules élémentaires, prologue

Vélasquez, Les Menines

dimanche, 17 décembre 2006

Gratuit

medium_DesireeDolron-CercaVillegas-2003.gif«  Le monde n’ayant aucun sens, autant le considérer comme gratuit. »

Philippe Sollers, Une vie divine

Photo : Desiree Dolron

samedi, 16 décembre 2006

Tant de contradictions

medium_Lichtenstein_Crak3.jpg« Il n’y a je crois, nul pays au monde où l’on trouve tant de contradictions qu’en France »

Voltaire, Lettres Anglaises.

Roy Lichtenstein