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jeudi, 14 décembre 2006

Internet et la littérature

 "Aujourd’hui, j’en suis à considérer qu’un site, via son effectivité très concrète, la façon dont il est lu, est une production esthétique aussi mûre que les autres. Elle ne concurrence pas, ne remplace pas le livre graphique, mais ces associations texte, son, image, sont potentiellement une combinaison, une production de temps, comme le cinéma et la musique produisent du temps, qui en fait un champ spécifique"

A lire ici sur son blog, une interview de François Bon, pionnier de la littérature sur le web, à propos de la littérature et de son rapport à internet...

mercredi, 13 décembre 2006

Roch-Gérard Salager, le 15 décembre 2006 à Montpellier

A 18h30 : Lecture de “Quelques aperçus d’un autre territoire” texte inédit suivie d’une discussion avec Hervé Piekarski. Boutique d’écriture
76, rue du fbg Figuerolles à Montpellier
Entrée libre

medium_couverture_de-voix-de-silence-et-d-eau_Roch-Gerard-Salager_small.jpgRoch-Gérard Salager a publié quatre titres à ce jour : Corps gisant lisse et nu et Paysages d'urgence, chez Jacques Brémond, De voix, de silence et d'eau et  Jour de l'an aux éditions La Dragonne. Il poursuit une oeuvre très exigeante et originale, très décalée même. Rien ici de facile, d'évident, Roch-Gérard Salager creuse, fouille les mots, l'écriture est extrêment précise, si concentrée qu'elle en acquiert une certaine rondeur, une puissante subtilité, rendue à sa musicalité finalement : La désignation libère ce que le sens concède au monde, toujours en référence à une histoire, des lieux : Est-il vraiment heureux, ou bien simplement vrai, que la mobilité s'apparente à une sorte de tumulte alors que tout suggérait à l'homme de côtoyer la lente patience du lieu ?

"De voix, de silence et d'eau est une promenade littéraire qui nous emmène à Maguelone, mais aussi sur le Canal du Midi, au Pont du Diable près de Saint-Guillem le Désert et à Montpellier. Il est juste d'affirmer que le lieu appartient à l'espace. Du pied des dunes pourtant, lorsqu'il emprunte le chemin carrossable qui conduit aux édifices de Maguelone, le visiteur est saisi du sentiment contraire : ici le lieu commande à l'espace dont il reste solidaire cependant.

Les lieux décrits et visités s'enrichissent au fur et à mesure d'éléments qui s'y rattachent - on est vraiment dans une promenade littéraire - si bien qu'on est toujours là et en même temps ailleurs, dans une histoire, des mythologies, mais aussi une réalité, un vrai regard sur le monde, au fin fond de nous-mêmes finalement.

medium_L53357.jpgLouazna remarque que son père se fâche lorsqu'il est photographié ou filmé sur les plateaux du nord de l'Afrique en compagnie des bêtes dont il surveille le pâturage. Sa colère se fonde sur la conviction que la pellicule incarcère un instant arraché à tous les instants du monde et, partant, qu'un maillon irremplaçable fera défaut dans le kaléidoscope universel. Les bergers touaregs, poursuit Louazna, considèrent qu'un instant détourné, pour mince qu'il soit, peut provoquer un désordre cosmique susceptible de contrarier un homme en passe d'améliorer sa condition après bien des efforts, d'un autre sur le point d'acquitter une dette envers lui-même, d'un autre encore tout près d'obtenir les faveurs de la bien-aimée, la miséricorde des pierres, l'eau claire d'une oasis... Cela rejoint sans doute cette observation que Cézanne couche sur le papier d'une lettre adressée à son père. "L'instant du monde que je souhaite peindre ne peut être figé."

mardi, 12 décembre 2006

Ricardo Mosner en couverture de "Senso"

medium_Senso.jpg

lundi, 11 décembre 2006

Chroniques d'une élection (14)

« L’autre jour, je m’amusais, on s’amuse comme on peut, à regarder le programme du concours d’attaché d’administration. Un sadique ou un imbécile, choisissez, avait mis dans le programme d’interroger les concurrents sur la Princesse de Clèves. Je ne sais pas si cela vous est souvent arrivé de demander à la guichetière ce qu’elle pensait de la Princesse de Clèves… Imaginez un peu le spectacle ! »

C'est du Sarko bien sûr, dans le texte  ! Article complet à lire ici

samedi, 09 décembre 2006

Littérature et cinéma

medium_visconti195.jpgRarement les chefs-d'oeuvre de la littérature ont donné lieu à des chefs-d'oeuvre du cinéma. Le Guépard de Visconti, fait exception : c'est un film sublime. Néanmoins, relisant le roman de Lampedusa ces jours-ci, je constate à chaque page à quel point il recèle de richesses que la caméra de Visconti n'a pas pu rendre...

medium_gattopardo2.jpg

Le Sud

medium_VUESDUCIEL_S3_48_.JPG"Le Sud n'est pas un mythe... C'est peut-être en cela aussi qu'il les supporte tous..."

Marcelin Pleynet

In "Situation", L'infini n° 96 automne 2006

Photo : Vu du ciel, Gildas Pasquet.

vendredi, 08 décembre 2006

Le créateur d'échos

Je vais je viens parmi les vagues et les buées

Vivant ainsi je me donne pour m'appeler

Un titre : roi des lacs de l'ouest

Vent léger petite rame

Je quitte une crique de roseaux fleuris

Sur la nuit calme ma voix particulièrement est claire

Personne ne me récompensant je me réponds à moi-même

Et je m'applaudis et je finis par chanter si haut

Que mille montagnes me répondent.

Auteur anonyme, poésie en langue tchérémisse des prairies ; probablement XV ème siècle

In NRF, 1 novembre 1953

jeudi, 07 décembre 2006

Le style est une bien grande magie

medium_MILAN_01NOV06_27_.jpg"En vingt jours nous perdons Colette et l'Indochine. Si on avait dit à Colette en 1890 que sa mort, pendant quelques jours, tiendrait plus de place dans la presse que la perte de l'Indochine, elle aurait ouvert des yeux ronds. Tels sont pourtant le prestige du style et la lassitude d'une nation. Il faut croire que le style est une bien grande magie."

Alexandre Vialatte. In "L'été à vol d'oiseau", NRF, octobre 1954

Photo : Gildas Pasquet

mercredi, 06 décembre 2006

Un moment délirant de la création

« Quand les chasseurs arrivèrent au haut de la montagne, le vrai visage de la Sicile leur apparut de nouveau entre les tamaris et les chênes-lièges. Auprès de tels paysages, villes baroques et orangeraies ne sont que fanfreluches négligeables. La campagne aride ondulait à l’infini, croupes après croupes, désolée et irrationnelle ; l’esprit ne pouvait en saisir les lignes principales, conçues en un moment délirant de la création ; c’était comme une mer brusquement pétrifiée à l’instant où un changement de vent a rendu les vagues démentes. » :

Le Guépard, Lampedusa.

lundi, 04 décembre 2006

Comme le clair de lune anéantit un paysage

« La route traversait les orangeraies, le parfum nuptial des fleurs anéantissait tous les autres comme le clair de lune anéantit un paysage : l’odeur de cheval en sueur, l’odeur de cuir, l’odeur de prince et l’odeur de jésuite, tout était balayé par ce parfum islamique qui évoquait des houris et de charnels outre-tombe. »

Lampedusa, Le Guépard

jeudi, 30 novembre 2006

Quelques aperçus d’un autre territoire

lecture par Roch-Gérard SALAGER
le 15 décembre 2006

medium_arton2321.jpgA 18h30 : Lecture de “Quelques aperçus d’un autre territoire” texte inédit de Roch-Gérard Salager, suivie d’une discussion avec Hervé Piekarski. Boutique d’écriture
76, rue du fbg Figuerolles à Montpellier
Entrée libre
Roch-Gérard Salager est né à Montpellier en 1953, où il vit ; c’est un auteur singulier, dont la sensibilité est sans doute éclairée par les quelques noms qu’il place lui-même en exergue de telle ou telle séquence : Bernanos, Rilke, Chardonne... Sa langue se révèle ainsi belle et précise, réduite souvent à l’essentiel ; mais un essentiel qu’il convient de soulever sans cesse pour atteindre la nudité originelle... Jour de l’An est son quatrième livre ; outre deux titres parus aux éditions Jacques Brémond, Paysages d’urgence et Corps gisant, lisse et nu, il a publié De voix, de silence et d’eau (La Dragonne, 2003). “Jour de l’an, impose une matière et une manière. Des mots, des phrases qui ne sont pas là pour déchirer le silence mais pour l’accentuer, en faire le terreau d’où monte, fragile, la fleur d’une certaine douleur d’être. Celle de quelques oubliés, de quelques solitaires, de quelques obstinés enlisés dans un temps immobile ou aux prises avec l’impitoyable machinerie du destin. Personnages rencontrés, croisés, frôlés, “figures sans convenance”, individus “coupant dans une urgence lente” et ayant, pour la plupart, perdu “cette autre moitié de soi extérieure à tout être, sans doute nécessaire à chacun, mais à la solde du sort, qui se trouve à la fois dans l’amour et nulle part, et que l’on voudrait n’appartenir à nul autre que soi-même”. Artiste de rue, infirme végétarien, baron bohémien, nain difforme réparateur de parapluie, endeuillés divers ou femme que l’amour a rendu folle, ils incarnent tous des cas de momification existentielle, des attitudes face à un réel travaillé par la séparation, la dissociation ou la coupure. Des manières plus ou moins fatales d’être au monde, de négocier avec ce qui toujours manque, d’assumer le malheur d’être né comme les rendez-vous anonymes de la mort. L’écriture minimale de Roch-Gérard Salager donne présence à cet impalpable, à l’emprise mortifiante de la solitude comme aux visages d’ombre du mutisme. Quelques lignes lui suffisent pour recueillir et comme pour dessiner l’ombre portée d’une vie. Mariant intelligence émotionnelle et effet de vérité, c’est la mélancolie doucereuse des souffrances muettes qu’il donne à percevoir tout autant que la petite musique de vies minuscules dont il cherche à préserver un peu de la petite flamme d’être et de désir qui l’illumina un moment. (Le Matricule des Anges)

Les Rencontres Poétiques de Montpellier sont proposées par Yann Granjon, librairie Sauramps et Hervé Piekarski, La Boutique d’écriture et ont le soutien de la Drac-LR

mercredi, 29 novembre 2006

Demandant si j'écrivais moi-même mes livres

medium_AMERES_ICONES_1_.jpg"Ce que j'ai entendu de plus drôle : Michel Rocard me demandant si j'écrivais moi-même mes livres. Vraiment ? Sans conseils ni modifications ? Mais oui. Il a eu ce commentaire : «Ça ne manque pas de souffle!» Authentique. J'en ai eu le souffle coupé."

Philippe Sollers

Article complet ici

Image : Gildas Pasquet

Et pourtant la nature est très belle

Le dernier numéro de Ironie, ici en ligne, est consacré à Cézanne. Avec notamment le texte de Philippe Sollers : Solitude de Cézanne.

mardi, 28 novembre 2006

Un inédit de Pierre Autin-Grenier

medium_IMG_4260.2.jpgLE CANDIDAT                                   

Tous les soirs à huit heures on redoute le docteur, le diable ou sa sœur. Ces temps-ci c’est plutôt le candidat qui s’invite. Sans gêne il s’installe comme chez lui, squatte tout un coin du salon. Le faire-valoir pâlichon qui partout l’accompagne l’interroge alors sur ses positions en matière de police judiciaire, sur son attitude à l’égard des problèmes de délinquance juvénile et d’alcoolisme (« Intransigeance absolue! » s’empresse-t-il), sur les yoyos du cours du concombre au palais Brongniart en fin d’après-midi (il compatit, ne reste court à aucune question), il promet qu’avec des poissons dans ses souliers lui aussi pourra bientôt marcher sur les eaux; tant d’autres billevesées et calembredaines qu’à subir ainsi le bonhomme bien vite ma femme en prend mal aux dents, renversé par toutes ces sottises je laisse tomber ma clope qui s’en va brûler un bout de nappe à côté du cendrier.     

Quand les voisins affolés viennent frapper chez nous, « L’avez-vous entendu ?! », on dit non en refermant doucement la porte sur leur panique pour ne pas ajouter à la pagaille qui, peu à peu, s’empare de tout l’immeuble. On sait que, des étages, certains ont déjà balancé dans le vide le candidat, son faire-valoir et tout le décorum par la lucarne des toilettes pensant de la sorte se protéger du pire, conjurer le péril, échapper peu-être aux drames promis. C’est bien assez pour qu’une dizaine de cars bourrés de condés déboule toutes sirènes hurlantes et boucle illico le quartier. Nous voilà dans de beaux draps maintenant.     

Quelques échines à la matraque pliées en deux, divers crânes de-ci de-là cabossés, des nez saigneux et, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, ordre et sécurité retrouvent enfin leurs droits. Notre gardien d’immeuble, homme de grande prudence et entremetteur hors pair, après avoir remis la liste circonstanciée des locataires à ces messieurs les rassure quant à nos intentions de faire tantôt un triomphe au candidat, jure ses grands dieux qu’on lui prépare ici un plébiscite qui passera à coup sûr à la postérité. Ils se retirent donc, ne laissant sur place qu’une petite patrouille de surveillance, un ou deux mouchards aussi sans doute.     

Ma femme et moi en venons à regretter les visites du diable ou de sa sœur ; leurs arguments sont moins expéditifs, avec eux la discussion souvent reste plus ouverte. À notre âge, il est vrai, nous nous accommodons mal des nouvelles contraintes qu’impose l’époque.

P.A.G Extrait de « C’est tous les jours comme ça », inédit.     

Photo : Michèle Fuxa

dimanche, 26 novembre 2006

Pour les amateurs de SF

C'est Joëlle Wintrebert qui le signale, sur ce site sont mises en ligne au fur et à mesure l'intégrale des nouvelles de Michel Jeury.

Joëlle Wintrebert préside aux destinées de l'association Autour des Auteurs, qui défend les intérêts des écrivains en Languedoc-Roussillon.

Concours de nouvelles

Sur ce site, plein d'infos sur les concours de nouvelles en cours :

http://www.bonnesnouvelles.net/lesconcours.htm

Tout au plus pour se suffire moralement

medium_delvaux.jpgEncore une fois, tout ce que nous savons est que nous sommes doués à un certain degré de la parole et que,
par elle, quelque chose de grand et d’obscur tend impérieusement à s’exprimer à travers nous, que chacun
de nous a été choisi et désigné à lui-même entre mille
pour formuler ce qui, de notre vivant, doit être formulé.
C’est un ordre que nous avons reçu une fois pour toutes
et que nous n’avons jamais eu loisir de discuter.
Il peut nous apparaître, et c’est même assez paradoxal,
que ce que nous disons n’est pas ce qu’il y a de plus nécessaire à dire et qu’il y aurait manière de le mieux dire. Mais c’est comme si nous y avions été condamnés
de toute éternité. Écrire, je veux dire écrire si difficilement, et non pour séduire, et non, au sens où on l’entend d’ordinaire, pour vivre, mais, semble-t-il, tout au plus pour se suffire moralement, et faute de pouvoir rester sourd à un appel singulier et inlassable, écrire ainsi n’est jouer ni tricher, que je sache.


André Breton,
Légitime défense (1926), repris dans Point du jour, pp. 55-56.
Paul Delvaux, Le viaduc

vendredi, 24 novembre 2006

Accuser toute la mer

« L’odeur d’un coquillage putréfié suffit pour accuser toute la mer. »

Jules Renard

Le passager clandestin

medium_VUDUECIEL01_LIGHTS_3_.JPGDéchaînement des éléments. La terre va s’engloutir, revenir à sa vérité première. Matière, fusion, évanouissements.

L’homme disparaîtra, lui le passager clandestin, l’invité de la dernière heure. Il s’en ira sur la pointe des pieds après avoir coloré d’un peu de poésie l’or du temps.

Extrait de "L'or du temps" (Raymond Alcovère, 2002) Photo de Gildas Pasquet

jeudi, 23 novembre 2006

Ton dévoué...

medium_peo-Flay-04G.jpgJacques Lull, l’écrivain célèbre, loue chaque année un chalet dans le Jura suisse, seul, isolé, afin de travailler en paix. C’est une région plutôt désertée des touristes, surtout au début décembre. Il descend seulement à la ville une fois par semaine pour faire des courses.

Au moment de rentrer ce jour-là, il rencontre un employé des postes. Un courrier d’Amérique du Sud vient d’arriver pour lui. Sur le chemin du bureau, il entre dans une boutique, croise des connaissances, s’arrête boire un verre. Au bout du compte, il quitte la petite ville une heure plus tard que prévu.

Les premiers flocons de neige apparaissent alors qu’il prend la route. Il n’y a pas grand risque, son chalet n’est qu’à une douzaine de kilomètres. Pourtant le temps change vite en cette saison, les flocons s’épaississent, une bourrasque se lève. En quelques minutes c’est une tempête de neige, bientôt un véritable blizzard.

Dans un des derniers virages avant le chalet, la voiture dérape, fait un tête à queue et plonge dans le vide. Le lendemain, on découvre son cadavre et dans ses affaires, cette lettre :

Cher Jacques, Tu dois être étonné de recevoir aujourd’hui de mes nouvelles après tant d’années de silence et mon brusque départ il y a sept ans. Je pense, qu’après avoir lu cette lettre, tu en comprendras mieux les raisons.

Tu n’as pas oublié, j’en suis sûr, “ nos jeunes années ”. On écrivait tous les deux, surtout des contes fantastiques, c’était notre passion. Ton écriture a évolué, tu as connu le succès, je t’en félicite.

Quant à moi, il en a été tout autrement. J’ai été, tu t’en souviens, accablé de malheurs. Hélène que j’aimais, a disparu. J’ai perdu de nombreux amis.  Ennuis matériels et revers de fortune se sont succédé, jusqu’à ce jour – quel terrible jour, je me demande encore comment j’y ai survécu – où j’ai compris que toutes ces catastrophes étaient écrites à l’avance dans mes propres contes. J’avais donc sans le vouloir le pouvoir d’anticiper les événements, de les prévoir, alors qu’en laissant aller mon imagination, je croyais seulement écrire des fictions. Or c’était à mes dépens ou à ceux de mes proches.

J’ai longuement réfléchi, tourné le problème dans tous les sens, et pris une décision, ou plutôt deux pour faire cesser cet enchaînement implacable. D’abord brûler tous mes écrits et ne plus jamais écrire une seule ligne. Ensuite – je ne sais pas laquelle des deux résolutions a été la plus difficile à prendre, voilà sans doute pourquoi j’ai pris les deux en même temps – partir sans laisser d’adresse, changer complètement de vie, ne plus jamais revoir mon entourage. C’était terrible, mais je ne pouvais plus supporter de semer la mort et les catastrophes autour de moi.

J’ai donc refait ma vie, comme on dit, loin d’ici. Ce fut très difficile au début comme tu peux l’imaginer, puis un jour chassant l’autre… Aujourd’hui je ne me plains pas, je crois avoir trouvé un nouvel équilibre, et puis surtout le remède a été efficace, plus rien ne m’est arrivé, en tout cas que je n’ai anticipé dans mes contes. Ainsi peu à peu, j’ai repris confiance dans l’existence. Même si plus d’une fois, l’envie m’en a pris, j’ai tenu bon, et n’ai plus rien écrit depuis mon départ de France. On n’est jamais trop prudent.

Il m’arrive aujourd’hui de trouver tout cela ridicule, de me demander si ce n’est pas un mauvais rêve. Pourtant, peut-être ne l’as-tu pas oublié, mon imagination était foisonnante à l’époque. Je me demande où j’allais chercher tout ça ! Comme ce conte où j’imaginais les destins croisés de deux amis écrivains. L’un connaissait le succès, l’autre pas. Ce dernier, inconsciemment, provoquait par une série de hasards la mort de l’autre. Où va se nicher l’imagination ?

Ce passé est révolu maintenant, j’ai fait une croix dessus, et c’est bien sûr un grand soulagement. Voilà pourquoi je me suis permis de reprendre contact avec toi. J’espère que cette lettre te trouvera en bonne santé et que nous aurons l’occasion peut-être de nous revoir un jour prochain, si tu le souhaites bien sûr…

Ton dévoué

 

Raymond Alcovère, nouvelle parue dans la revue L'encrier n°46, juin 1995

Orozco, la DS, 1993