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mardi, 08 mars 2005

Les greguerias, de Ramon Gomez de la Serna

La forme brève invite paradoxalement à la lenteur. On y revient, on la savoure. Le texte court, par le peu de place qu’il occupe, n’envahit pas les pages ni l’emploi du temps. L’aphorisme, le trait, la maxime, légers, primesautiers en apparence, mais parfois incisifs comme un coup de poignard peuvent nous laisser sans défense en quelque sorte. Le court n’a pas bonne presse en Occident – rien de tel au Japon avec l’art du haïku – pourtant que serait-on sans La Rochefoucauld, Vauvenargues, Joubert ou Chamfort ?
Pas ou très peu de moralisme chez Ramon Gomez de la Serna. Les « greguerias » , écrites entre 1910 et 1962, sont plutôt du côté du clin d’œil, de la poésie, du merveilleux, elles ouvrent le regard, le transforment parfois…

 Lorsqu’une femme se repoudre après un entretien, on dirait qu’elle efface tout ce qui a été dit

 Pelez une banane, elle vous tirera la langue

 Le problème avec l’hélicoptère c’est qu’il a toujours l’air d’un jouet

 Les aboiements des chiens sont de véritables morsures

 La lune baigne les sous-bois d’une lumière de cabaret

 La bouteille de champagne a ceci d’aristocratique qu’elle refuse qu’on la rebouche

 Les ailes des automobiles sont comme les moignons des ailes d’avion qu’elles auraient pu être

 Le drapeau grimpe au mât comme s’il était l’acrobate le plus agile au monde

 Lorsqu’une femme marche pieds nus sur les dalles le bruit de ses pas provoque une fièvre sensuelle et cruelle

 Ne disons pas de mal du vent, il n’est jamais très loin

 « Tuer le temps » est une rodomontade de bravache

 L’histoire est un prétexte pour continuer à tromper l’humanité

 Le crépuscule est l’apéritif de la nuit

 Le poisson est toujours de profil

 Le q est un p qui revient de la promenade

 Le pire avec les médecins c’est qu’ils vous regardent comme si vous étiez quelqu’un d’autre

 Les larmes désinfectent la douleur


Editions Cent pages, Grenoble, 1992. Présentation de Valéry Larbaud, 160 pages.

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lundi, 07 mars 2005

Faire trait

Les mots liquides et coulants sont les plus beaux et les meilleurs, si l’on considère le langage comme une musique ; mais si on le considère comme une peinture, il y a des mots rudes qui sont fort bons, car ils font trait

Joseph Joubert

Tu débloques ?

Vraiment, le petit poète blanc aurait préféré être un grand nègre et cabrioler aux trois quarts nu de traboules en savanes dans l'intimité des zébus et la frayeur des éléphants, plutôt qu'être né de cet Occident moqueur et roturier qui compte et recompte ses privilèges dans l'arrière-salle d'une boutique depuis longtemps naufragée. Alors parfois, je lui dis comme ça : « Est-ce que tu aurais épousé un nègre ?... — Oui, elle répond sans hésiter, si c'était toi. » Cela me laisse pantois et un peu perplexe même ; est-ce bien réplique adéquate quand je regarde dans la glace mon visage enfariné de pierrot lunaire ?... Qu'à cela ne tienne, je lui dis, un jour tu seras Malienne et moi Malien, et nous irons loin au fin fond des forêts d'Afrique, peut-être même vivre en tribu avec Koltès et quelques autres joyeux barbares, et ce sera pour de bon une aube nouvelle ! « Tu débloques » elle dit.

Pierre Autin-Grenier

dimanche, 06 mars 2005

L’élection de Pierre Autin-Grenier à l’Académie Française

Le hasard m’a fait intercepter le blog de Pierre Assouline du 16 avril 2008, le voici en substance…

Une foule avenante et bigarrée se pressait hier, sous la Coupole, pour la réception à l’Académie Française de Pierre Autin-Grenier, au fauteuil de Jean d’Ormesson. Nombre de ses amis étaient là, déjà académiciens comme Jean-Pierre Ostende, Jean-Claude Pirotte et Gil Jouanard ou avec l’espoir de l’être un jour comme Eric Holder ou Philippe Delerm. Très élégant dans son costume dessiné par Christian Lacroix, l’œil pétillant et la démarche altière, l’ancien soixante-huitard dont on connaît le talent et l’ironie mordante a laissé quelque peu perplexes ses auditeurs en prononçant l’éloge du directeur du Figaro Magazine : « Homme de plume mais aussi de combat et ce qui ne gâte rien, d’une immense culture, Jean d’O - comme l’appelaient ses nombreux amis – s’il n’a cessé de côtoyer les puissants, n’en aura pas moins été un défricheur, un chercheur inlassable de vérité. Seul contre tous, il n’hésitera pas à jouer les trouble-fête après mai 1981, à se dresser courageusement, tel Hugo face à Napoléon III, contre François Mitterrand et à faire du Figaro, le grand journal de la contestation d’alors, un rempart contre la pensée unique et une nécessaire alternative, un scrupuleux antidote (...) C’est à cet homme de résistance que je veux rendre hommage aujourd’hui, c’est ce compagnonnage que je revendique, celui de l’irrévérence et de la libre parole, même si nos convictions ont souvent été diamétralement opposées, concluait-il… Quolibets et noms d’oiseaux ont alors fusé ci ou là, vite recouverts par les applaudissements d’usage et le sourire entendu de quelques uns. Tout cela fut oublié grâce à l’éloquence vibrante de Bertrand Poirot-Delpech qui, prononçant l’éloge de Pierre Autin-Grenier, mit l’accent sur « l’ironie convulsive, l’impertinence consubstantielle du nouvel académicien : il n’a jamais voulu appartenir à aucune école, sinon celle des Moins que rien , sous lequel un journaliste fort pertinent – cela existe, c’est prouvé, ajoutait-il - avait regroupé, dans les années quatre vingt dix, quelques unes des plus solides – et des plus caustiques - plumes d’aujourd’hui. Tels ces écrivains du bâtiment dont Hemingway conseillait au siècle dernier la fréquentation aux débutants, Pierre Autin-Grenier n’a cessé d’être prolixe. Son œuvre, au tournant du millénaire, surfant toujours sur ce fil invisible entre désespoir et légèreté, est devenue de plus en plus âpre, corrosive, poignante même, atteignant à l’universel, plus proche du réel à mesure que celui-ci se transformait. On retiendra ce chef d’œuvre : L’insoutenable avenir de la gauche , dont la sortie avait coïncidé avec l’élection à la présidentielle de Bertrand Delanoé. Sans oublier dans sa production récente : Prolétariat mirage ingrat, et peut-être le plus drôle : La France vue de nulle part, qui enterrait définitivement les années Raffarin, et enfin le plus réussi : Il n’y aura plus de révolution, qui imposait son auteur comme le maître à penser de cette nouvelle gauche que l’Europe attendait ».
C’est dans un des quartiers du vieux Lyon qu’il affectionne tant, qu’une partie de cette joyeuse assemblée, par un TGV spécialement affrété, s’est rendue ensuite, pour fêter cet irrésistible événement. Et le vin blanc, comme il se doit, a coulé jusqu’à une heure fort avancée de la nuit ! Les plus vieilles institutions ont parfois aussi leurs moments de folie…

samedi, 05 mars 2005

Vingt-cinq notes

la musique a sept lettres, l'écriture a vingt-cinq notes

Joseph Joubert

Perte

Je ne puis regretter la perte d’un amour ou d’une amitié sans songer qu’on ne perd que ce qu’on n’a pas réellement possédé

Borges

Azur


A peine plus
Que quelques lignes

L’azur
Scande les syllabes

La mouette
Et le baiser
Au vol

L’éclat de la mer


Valérie Canat de Chizy

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vendredi, 04 mars 2005

Du plaisir

Les méchants font quelquefois de bonnes actions. On dirait qu' ils veulent voir s'il est vrai que cela fasse autant de plaisir que le prétendent les honnêtes gens.

Chamfort

La plaisanterie

Celui qui ne sait point recourir à propos à la plaisanterie, et qui manque de souplesse dans l’esprit, se trouve très souvent placé entre la nécessité d’être faux ou d’être pédant, alternative fâcheuse à laquelle un honnête homme se soustrait, pour l’ordinaire, par de la grâce et de la gaieté

Chamfort

Un esprit libre

J’avais un ami, il s’appelait Luc, il est mort il y a sept ans maintenant. Je pense à lui souvent. Il a passé sa vie à lire et à écrire, mais sans jamais chercher à publier quoi que ce soit. Il jouait du piano aussi. Ethnologue, il a traversé maintes fois l’Afrique, avant de choisir Madagascar. Il s’intéressait à tout, aux sciences, à la politique, à la poésie. Longtemps il a été mon « dictionnaire », quand je ne savais pas, il comblait mes lacunes ; il savait tout sur tout. Il était un peu asocial, plutôt sauvage, mais c’était un esprit libre

Cézanne, à la fin

Cézanne, à la fin, ne peint plus que des couleurs, un vent de folie balaye ses toiles. La couleur est le lieu où notre cerveau et l’univers se rencontrent. La lumière absolue, irradiante, déborde tout. Le dessin et la couleur ne sont plus distincts : quand la couleur est à sa richesse, la forme est à sa plénitude.

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jeudi, 03 mars 2005

Épicurisme

Si l’épicurisme est une religion, ses églises sont naturellement baroques

Cézanne

Les objets se pénètrent entre eux... Ils ne cessent pas de vivre, comprenez-vous... Ils se répandent insensiblement autour d'eux par d'intimes reflets, comme nous par nos regards et par nos paroles

Cézanne

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Miro

Les tableaux de Miro sont des symphonies, des hymnes à la vie. Ciel bleu, céruléen, nuages rouges. Il se voulait catalan universel. Miro, étonnant de simplicité, de clairvoyance, avouant que les mots n’étaient pas sa spécialité. Pourtant : Les choses suivent leur cours naturel. Elles poussent, elles mûrissent. Il faut greffer. Il faut irriguer, comme pour la salade. Ca mûrit dans mon esprit. Aussi je travaille toujours énormément de choses à la fois. Et même dans des domaines différents : peinture, gravure, lithographie, sculpture, céramique. Avec cette idée, de l’impression globale du tableau, qui revient. Pour moi, un tableau doit être comme des étincelles. Il faut qu’il éblouisse comme la beauté d’une femme ou d’un poème. Qu’il ait un rayonnement... Plus que le tableau lui-même, ce qui compte, c’est ce qu’il jette en l’air, ce qu’il répand. Miro, magicien, avec son désir d’être au plus près de la vie, des objets de tous les jours, ramenant de ses promenades sur la plage de Majorque des bouts de bois, de ficelle. Il voulait un art populaire et l’avait trouvé finalement. Partout du rouge, du bleu, de l’indigo, du jaune, la passion, voilà le catalan universel.




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mercredi, 02 mars 2005

La poésie

L’art se situe à l’écart de tout, et nous y transfère immédiatement. La poésie n’est pas un art. Elle est un état. Constamment provisoire et fragile. A l’écart des mots. A cet état il peut se faire que le poème permette d’accéder. Mais cet état n’est pas inscrit dans le poème. Il est en nous. Illisible et muet.

Gil Jouanard

Dire la vérité ?

Les écrivains sont des fabulateurs qui essaient désespérément de dire la vérité. C'est très difficile, de dire la vérité, si difficile qu'il faut passer par le mensonge, ou quelque chose qui y ressemble

Georges-Olivier Châteaureynaud

Où est le réel ?

Le miracle du langage, ce n’est point de traduire une émotion actuelle, ni une chose présente. C’est d’évoquer des émotions possibles et des choses absentes. Il révèle la vertu qui lui est propre dans l’absence beaucoup mieux que dans la présence : et de l’absence même, il fait une présence plus subtile. Le propre du langage, c’est de représenter ce qui n’est pas plutôt encore que ce qui est. Il applique ma pensée au passé et au futur. Il donne une réalité à l’objet du souvenir et à l’objet du désir. Il n’est pas tout à fait faux de dire que le langage est créateur, il consiste moins à nommer les choses qu’à reproduire leur image quand elles ont disparu, ce qui est proprement les rappeler à la lumière, c’est-à-dire à l’existence.
Plus qu’aucun objet, qu’aucune image ou qu’aucune émotion, il possède une puissance d’évocation qui est véritablement sans limites : car il nous délivre du lieu et de l’instant et il associe à une infinité d’expériences réalisées une infinité d’expériences imaginées. Cela est vrai même des noms propres : ce qui leur donne un prestige qui dépasse souvent celui de la personne de chair et d’os.

Louis Lavelle

L'innocence

L’innocence est peut-être malgré tout ce qui perce le mieux dans ce monde à travers le tumulte des éléments

Kafka

mardi, 01 mars 2005

En vue de quels mirages...

Ce que l’on sait des autres est peu de chose. Ce que l’on croit de soi ne vaut guère mieux : quelques pétales, un brin d’acier, l’incertitude de l’instant où, tout compte fait, il faudra bien sourire.

La lumière imite l’inouï

Aux fins de quels éclats ?

En vue de quels mirages…

Roch-Gérard Salager

Une promenade dans la vallée de l'Ouche

Une promenade dans la vallée de l’Ouche m’a amenée dans un village de l’arrière côte. On n’imagine pas autrement un vrai village. Rien n’y manque : ni les vallonnements, ni le château, ni le clocher aux tuiles vernissées qui donne des envies de dessiner, ni, surtout, le « vieux tilleul ». Avez-vous remarqué qu’un tilleul ne peut être que vieux ? Mais celui là, en juillet, c’est l’âme du village par son feuillage touffu, son odeur entêtante et le bourdonnement intense de ses fleurs habitées d’abeilles.

Jean Azarel