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lundi, 08 mars 2010

Il neigeait

 

Soir de neige à Honcho Street de Kobayashi Kiyochika.jpgIl neigeait, et voici, nous en dirons merveilles : l’aube muette dans sa plume, comme une grande chouette fabuleuse en proie aux souffles de l’esprit, enflait son corps de dahlia blanc.

Saint-John Perse

Soir de neige à Honcho Street de Kobayashi Kiyochika

dimanche, 21 septembre 2008

Tenir le monde entre mes doigts de silence

cd_arr.jpgTerre de collines. Ocre et rouge. Achevalé sur ma monture, je parcours les steppes. Les ombres jouent avec les replis de la terre, le gris de la roche avec le bleu des montagnes.

 

Alpha et oméga du monde, rien ne semble avoir été posé ici par hasard. Ni les vallées, ni les lacs, ni les temples. Vallées fumeuses de brume, étagées de rizières. Pays cosmique. Vérité inscrite dans les pierres. Élan de la pensée. Le tumulte s’est arrêté.

 

Le dénuement de la pierre, de la terre ici, me plaît, j’aime ce désordre lent des vallées, l’air de solitude qui flotte sur les collines.

 

Reflets velours, incarnat du couchant, montagnes au loin, calquées en lignes bleues. Grand remuement de vagues, statufiées.

 

Oiseaux blancs qui couvent la terre spongieuse, virevoltant. D’autres lignes, d’autres montagnes donnent de l’épaisseur au ciel safran, une profondeur de champ.

 

Les grandes étendues désertiques de la Chine du Nord sont le lit de mes rêves. Une harmonie bienveillante s’est posée ici. Je peux rester des  heures entières seul au milieu des plaines, à fouir du regard les détours de l’horizon.

 

Blondeur des collines. Pureté froide, odeurs de sapins. Grandes étendues dorées du pays des glaces. Vagues de givre giflant la peau tendue de froid. Lucidité coupante de l’air.

 

Voici un temple taoïste,  juché sur une colline. Encorbellements de la pierre. Les rizières au loin dessinent leurs courbes lentes. Après-midi tiède et vert.

 

Seuls les temples, juchés sur des collines, tracent le passage de l’homme. Le désir d’immobilité et de silence innervé dans cette terre est proche de l’hallucination. Mon existence tout d’un coup me semble artificielle. L’action que je mène bien vaine. Découverte de l’espace. Le temps est une pluie de guirlandes sur la mer.

 

Pourquoi être si près du monde et si loin des siens ? Rien ne peut me retenir à la terre. Devant cette solitude étoilée, mes pensées vont vers vous, si loin, et que j’aime. Puissé-je traverser ces océans et tenir à nouveau le monde entre mes doigts de silence.

Raymond Alcovère, texte écrit pour une

exposition à la chapelle Sainte-Anne à Arles en novembre 2002 autour de l’œuvre du poète et diplomate Saint-John Perse

Taonoir : peinture de François Plazy

mercredi, 19 mars 2008

Il neigeait

160845300.jpg« Il neigeait, et voici, nous en dirons merveilles : l’aube muette dans sa plume, comme une grande chouette fabuleuse en proie aux souffles de l’esprit, enflait son corps de dahlia blanc."

Saint-John Perse

Monet  "La pie, effets de neige"

samedi, 15 mars 2008

L'écriture penchée des nuages

455296052.jpgJe voudrais être au plus près du monde mais il m’échappe toujours. Une ombre de banyan s’étend mollement sur la mer.

Tout est entré dans le ciel. La nuit est musicale, heureusement. On y lit la portée du jour, nervures, entrelacs, déchirures, reconquêtes, fractures, apaisement.

Les bateaux sont des libellules d’eau. Le navire décrit une courbe pour éviter les îles qui avancent, promontoires menaçants.

Je vois les reflets d’une aurore dont je ne verrai pas se lever le soleil. François-René, ta langue est un paroxysme, cet océan aussi le tien.

La sirène du steamer mugit. La fumée s’échappe à gros bouillons et rejoint les nuages, effacées leurs traces. Le sillon se dévide dans une infinie lenteur. L’horizon s’enflamme de jets saccadés, monstrueux, barbaresques. Le ciel est une lutte, un amas de lances, un combat fratricide. Ainsi le ciel. De grandes orgues joufflues gonflées de nuit. Une symphonie du nouveau monde.

Lumière plombagine. Les éclairs  ouvrent des plaies, un écrin d’enluminures. Reflets zinzolins de l’aurore, devant.

A un moment il  ne reste que la fuite, se dissimuler. Fixer des silences, des pauses, masquer le tumulte, l’arrogance, la brutalité du monde.

Pluie incessante et chaude. Écriture penchée des nuages. Flaques grises dans les sous-bois de la nuit. Des arbres si haut qu’on en décèle à peine la hauteur.

Les bruits émeraude parviennent étouffés. La chouette est seule dans le silence à ignorer l’obscur. Pour elle l’univers brille d’une étrange lumière, argentée, déployée par une main invisible mais partout présente, l’or du temps.

Ce n’est pas un départ, mais une suite. Présence, présence seule. Tisser les mots, le silence et les notes de la pluie. Tisser tout fragment de l’univers.

Voici les grandes plaines de l’ombre. Ce gris me plaît. J’arpente des frondaisons. L’obscur est éphémère. Les nuages sont l’architecture du monde.

Les variations Goldberg s’inscrivent dans le contour bleu du ciel, le pli de la mer, ses ondulations. Constellations blanches, irisées, qui flottent, tout autour.

Paul ton œuvre est devant mes yeux. Un repos, une paix de l’âme. Lés immenses, tendus de soleil. Les couleurs crient, répondent, se repoussent, ce dialogue entre elles est notre viatique, nous qui ne savons rien, qu’interroger le silence, à grands traits rageurs, impatients. J’aurais voulu décrire ta palette, son scintillement, comme toi éclairer la nuit. Elle parle de l’innocence, elle remonte loin dans l’histoire. Parfois on y distingue une obscurité de caverne, une profondeur d’ébène, chaude, puis éclate un fraternel printemps.

On ne construit pas de palais sur la mer. Ce sont pourtant les seuls visibles, le réel un rideau de fumée.

Ici, là, une trouée, halo argenté, portée musicale. Le reflet d’un poisson volant. L’ombre de Walt Whitman. Lourds nuages cendrés. Point d’interrogation.

Raymond Alcovère. 2002. Ce texte raconte un épisode de la vie du poète Saint-John Perse, son exil en 1940. En arrivant à New-York, il apprend la mort de son ami Paul Klee (ce dernier élément est fictif, il n'a pas été l'ami du peintre).

 

samedi, 08 mars 2008

Devant, ciel gris, âpre

1615959017.jpgJ'avais écrit ce texte sur Saint-John Perse. Il a douze ans, quitte les Antilles pour la première fois, direction l'Europe. Lors d'une escale aux Açores, pour la première fois de sa vie, il découvre la neige...

 

Devant, ciel gris, âpre. Une chaleur insensible flotte. Le monde ne peut être paisible sans cette trouée lilas, monocorde, à fixer les nuages, les rendre transparents. La terre s’approfondit.

 

 Une musique monte dans le lointain, symphonie élastique. Gammes bleues et mauves. La terre est prête à s’engouffrer dans l’océan. Terre blonde et vermeille. Un lit de terre.

 

Loin encore l’Europe est là, je la sens. J’y jette tous mes espoirs, je ne reverrai jamais les îles je crois. Pourquoi revenir en arrière ?

 

La symphonie de l’aurore jette une lumière ocre. Des plages longilignes dévorent la terre devant l’étrave du bateau.

 

Si j’étais peintre, je poserais mon chevalet ici. Le ciel étagé en rumeurs, les couleurs comme des bruits, des notes, qui s’attirent, se repoussent, s’aiment.

 

La nuit recouvre le monde d’un baume nourricier. Le fin halo de l’aube pose des reflets de nacre. La mer déferle et envahit. La plaine s’évase, roule ses méandres d’eau, de limon et de soleil.

 

La neige, fluide, volatile – jamais je n’avais rêvé un tel bonheur – lance un soubresaut de calme sur l’azur. L’air piqué de nuages, d’oiseaux blancs, déchiquette l’ombre.

 

 La montagne, d’un coup fondue, disparue corps et âme, happée par le vent qui règne en maître. Le vent est le seul maître du ciel, de la terre et de la mer. Il attise les grandes passions et éteint les petites.

 

La scène se déroule sans ordre apparent. Une clarté dahlia, pulvérisée en fines gouttelettes mauves, disperse les derniers désordres de la nuit.

 

D’un coup de baguette magique, l’opéra déferle. Le chef d’orchestre, les bras chargés de neige, dirige la scène, pointant un doigt menaçant sur l’horizon.

 

Tout s’anime et se referme en un même mouvement. Le temps est immobile, dressé comme une forteresse en pleine lueur. Une symphonie du nouveau monde.

 

Une frondaison blanche s’est répandue, annonciatrice de temps nouveaux. Qui sait, la fin des temps est peut-être venue, ici, à la limite de l’océan, sur cet arrondi de la terre, archipel de hasard, de roc, de vent et de sable, noyé.

 

 Déchaînement des éléments. La terre va s’engloutir, revenir à sa vérité première. Matière, fusion, évanouissements.

 

 L’homme disparaîtra, lui le passager clandestin, l’invité de la dernière heure. Il s’en ira sur la pointe des pieds après avoir coloré d’un peu de poésie l’or du temps.

 

Raymond Alcovère

Tableau de Frédérique Azaïs : "Le petit prince a dit"

 

vendredi, 07 mars 2008

Ne crains pas...

1458673875.JPG"Ne crains pas", dit l'Histoire, levant un jour son masque de violence - et de sa main levée elle fait ce geste concilant de la Divinité asiatique au plus fort de sa danse destructrice. "Ne crains pas, ni ne doute - car le doute est stérile et la crainte est servile. Ecoute plutôt ce battement rythmique que ma main haute imprime, novatrice, à la grande phrase humaine en voie toujours de création. Il n'est pas vrai que la vie puisse se renier elle-même. Il n'est rien de vivant qui de néant procède, ni de néant s'éprenne. Mais rien non plus ne garde forme ni mesure, sous l'incessant afflux de l'Etre. La tragédie n'est pas dans la métamorphose elle-même. Le vrai drame du siècle est dans l'écart qu'on laisse croître entre l'homme temporel et l'homme intemporel. L'homme éclairé sur un versant va-t-il s'obscurcir sur l'autre ? Et sa maturation forcée, dans une communauté sans communion, ne sera-t-elle que fausse maturité ?...

Saint-John Perse

Photo : Gildas Pasquet

lundi, 01 janvier 2007

Une cathédrale de songes...

medium_216_2020-04-03_20Long_20Island_20vu_20de_20l_avion.jpgLe 14 juillet 1940, Saint-John Perse est sur un cargo en vue des côtes de l’Amérique. Dans sa jeunesse, il avait commencé d’écrire des poèmes. Puis obligé d’entrer dans la vie active, il choisit la carrière diplomatique. A la veille de la guerre il est Secrétaire Général du Quai d’Orsay. Dès 1936 favorable à l’intervention contre Hitler ,  il ne sera pas suivi.  Limogé de son poste en mai 40, déchu de la nationalité française, ses biens seront confisqués. Il est obligé de fuir, de quitter son pays. Commence l’exil. Il abandonnera la diplomatie pour se consacrer tout entier à la poésie.

La veille de ce 14 juillet, il a appris par câble la mort de son ami Paul Klee. Incapable d’aller dormir, il a passé la nuit seul sur le pont du bateau, envahi de pensées,  d’images. Le jour se lève…

 

Ciel de lave et de cendre. Tout est gris sur Long Island. Le cargo file imperturbable, sillon effiloché dans la brume. Noyé de lune, je peux rêver encore.

La côte est un gisant d’écume. Le sel de la terre monte, irrésistibles odeurs d’érable et de limon. Des paysages cotonneux se dessinent, à peine.

Tout est plat, sombre et sobre à perte de vue. Les plumes de la nuit vont bientôt s’affaisser et plonger dans le ciel incarnat. Il y a de quoi se perdre dans ce silence mauve.

Univers de méandres, indifférencié. Toujours un début de limpidité émerge. J’avais cru fuir et j’arrive.

Je tisserai les mots dans un poème léger, fluide et sonore, une pluie de coquillages. Il aura la précision et la pureté du cristal.

Les sons, la musique, pour se substituer à la lumière. Que chaque mot soit une porte, une perte et un refuge. En finir avec cette existence de calculs, de détours et de peines.

Le ciel s’éveille comme une marmotte au sortir de l’hiver. Je pars et n’abandonne rien. Infinis tons de gris. Le vent plisse le ciel. La nuit va glisser, subreptice, l’atmosphère spongieuse irriguer la terre.

Le ciel et la mer sont de la même eau. Des murs de mer viennent se briser contre la coque, dans un fracas neigeux. Paysage japonais d’ombre et de lumière. Les images de Claude Monet sont là, devant mes yeux, nappes de blanc, ondées, nymphéas, lumière frêle et placide du bassin parisien.

Je ne suis plus rien ni personne et aujourd’hui tout m’appartient. Il reste ma langue, repos et plénitude. J’en ferai une cathédrale de songes.  

Perche appressando se al suo disire

Nostro intelleto si profonda tanto

Che dietro la memoria non puo ire.

La vie n’est qu’une incarnation passagère, un instant de lumière.

L’écriture frôle les ailes du désir.

 

Raymond Alcovère 

dimanche, 31 décembre 2006

L'écriture penchée des nuages

medium_Paul_Klee_ptg.jpgJe voudrais être au plus près du monde mais il m’échappe toujours. Une ombre de banyan s’étend mollement sur la mer.

Tout est entré dans le ciel. La nuit est musicale, heureusement. On y lit la portée du jour, nervures, entrelacs, déchirures, reconquêtes, fractures, apaisement.

Les bateaux sont des libellules d’eau. Le navire décrit une courbe pour éviter les îles qui avancent, promontoires menaçants.

Je vois les reflets d’une aurore dont je ne verrai pas se lever le soleil. François-René, ta langue est un paroxysme, cet océan aussi le tien.

La sirène du steamer mugit. La fumée s’échappe à gros bouillons et rejoint les nuages, effacées leurs traces. Le sillon se dévide dans une infinie lenteur.

L’horizon s’enflamme de jets saccadés, monstrueux, barbaresques. Le ciel est une lutte, un amas de lances, un combat fratricide. Ainsi le ciel. De grandes orgues joufflues gonflées de nuit. Une symphonie du nouveau monde.

Lumière plombagine. Les éclairs ouvrent des plaies, un écrin d’enluminures. Reflets zinzolins de l’aurore, devant.

A un moment il ne reste que la fuite, se dissimuler. Fixer des silences, des pauses, masquer le tumulte, l’arrogance, la brutalité du monde.

Pluie incessante et chaude. Écriture penchée des nuages. Flaques grises dans les sous-bois de la nuit. Des arbres si haut qu’on en décèle à peine la hauteur.

Les bruits émeraude parviennent étouffés. La chouette est seule dans le silence à ignorer l’obscur. Pour elle l’univers brille d’une étrange lumière, argentée, déployée par une main invisible mais partout présente, l’or du temps.

Ce n’est pas un départ, mais une suite. Présence, présence seule. Tisser les mots, le silence et les notes de la pluie. Tisser tout fragment de l’univers.

Voici les grandes plaines de l’ombre. Ce gris me plaît. J’arpente des frondaisons. L’obscur est éphémère. Les nuages sont l’architecture du monde.

Les variations Goldberg s’inscrivent dans le contour bleu du ciel, le pli de la mer, ses ondulations. Constellations blanches, irisées, qui flottent, tout autour.

Paul ton œuvre est devant mes yeux. Un repos, une paix de l’âme. Lés immenses, tendus de soleil. Les couleurs crient, répondent, se repoussent, ce dialogue entre elles est notre viatique, nous qui ne savons rien, qu’interroger le silence, à grands traits rageurs, impatients. J’aurais voulu décrire ta palette, son scintillement, comme toi éclairer la nuit. Elle parle de l’innocence, elle remonte loin dans l’histoire. Parfois on y distingue une obscurité de caverne, une profondeur d’ébène, chaude, puis éclate un fraternel printemps.

On ne construit pas de palais sur la mer. Ce sont pourtant les seuls visibles, le réel un rideau de fumée.

Ici, là, une trouée, halo argenté, portée musicale. Le reflet d’un poisson volant. L’ombre de Walt Whitman. Lourds nuages cendrés. Point d’interrogation.

Raymond Alcovère

Paul Klee