lundi, 01 janvier 2007
Une cathédrale de songes...
Le 14 juillet 1940, Saint-John Perse est sur un cargo en vue des côtes de l’Amérique. Dans sa jeunesse, il avait commencé d’écrire des poèmes. Puis obligé d’entrer dans la vie active, il choisit la carrière diplomatique. A la veille de la guerre il est Secrétaire Général du Quai d’Orsay. Dès 1936 favorable à l’intervention contre Hitler , il ne sera pas suivi. Limogé de son poste en mai 40, déchu de la nationalité française, ses biens seront confisqués. Il est obligé de fuir, de quitter son pays. Commence l’exil. Il abandonnera la diplomatie pour se consacrer tout entier à la poésie.
La veille de ce 14 juillet, il a appris par câble la mort de son ami Paul Klee. Incapable d’aller dormir, il a passé la nuit seul sur le pont du bateau, envahi de pensées, d’images. Le jour se lève…
Ciel de lave et de cendre. Tout est gris sur Long Island. Le cargo file imperturbable, sillon effiloché dans la brume. Noyé de lune, je peux rêver encore.
La côte est un gisant d’écume. Le sel de la terre monte, irrésistibles odeurs d’érable et de limon. Des paysages cotonneux se dessinent, à peine.
Tout est plat, sombre et sobre à perte de vue. Les plumes de la nuit vont bientôt s’affaisser et plonger dans le ciel incarnat. Il y a de quoi se perdre dans ce silence mauve.
Univers de méandres, indifférencié. Toujours un début de limpidité émerge. J’avais cru fuir et j’arrive.
Je tisserai les mots dans un poème léger, fluide et sonore, une pluie de coquillages. Il aura la précision et la pureté du cristal.
Les sons, la musique, pour se substituer à la lumière. Que chaque mot soit une porte, une perte et un refuge. En finir avec cette existence de calculs, de détours et de peines.
Le ciel s’éveille comme une marmotte au sortir de l’hiver. Je pars et n’abandonne rien. Infinis tons de gris. Le vent plisse le ciel. La nuit va glisser, subreptice, l’atmosphère spongieuse irriguer la terre.
Le ciel et la mer sont de la même eau. Des murs de mer viennent se briser contre la coque, dans un fracas neigeux. Paysage japonais d’ombre et de lumière. Les images de Claude Monet sont là, devant mes yeux, nappes de blanc, ondées, nymphéas, lumière frêle et placide du bassin parisien.
Je ne suis plus rien ni personne et aujourd’hui tout m’appartient. Il reste ma langue, repos et plénitude. J’en ferai une cathédrale de songes.
Perche appressando se al suo disire
Nostro intelleto si profonda tanto
Che dietro la memoria non puo ire.
La vie n’est qu’une incarnation passagère, un instant de lumière.
L’écriture frôle les ailes du désir.
Raymond Alcovère
00:05 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature, poésie, Raymond Alcovère, Paul Klee, Saint-John Perse
Commentaires
C'est excellent de commencer l'année comme cela, Ray, avec Alexis saint Léger que j'aime.
A mon tour je te présente mes meilleurs voeux avant de m'envoler tout à l'heure vers ce Nord de l'Europe froid et pluvieux, brrr!Je déteste ça!
La petite famille s'impatiente.
je t'écris à mon retour.
Prends soin de toi mon grand!
Écrit par : Bona | lundi, 01 janvier 2007
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