mercredi, 28 août 2024
À voir changer la couleur des pierres
À voir changer la couleur des pierres, surgir la lumière crue et acide du Sud, l’âpreté qui annonce les rivages de la Méditerranée, je revivais. L’odeur des aiguilles de pin brûlées, leur bruit sec, craquant sous le pas, la torpeur sous la canicule, l’attente interminable des siestes sans sommeil de l’enfance, le temps arrêté, puis le soir, vent marin qui s’insinue, rédemption, flots de fraîcheur à travers les rues, fluidité et mouvement partout, toutes ces sensations remontaient à la surface. J’étais heureux du chemin parcouru. S’y mêlaient l’apaisement du retour, une envie de quiétude. Michel était le meilleur ami de mon oncle. Il m’hébergea le temps que je m’installe. C’était bon de parler ma langue, entendre son accent, retrouver les phrases, les intonations de l’enfance. Pendant toute une semaine, temps humide et doux, partir à la pêche au petit matin, casser la croûte avec un verre de vin clairet à la première chaleur, puis rentrer dès que le vent tourne au Nord, la mer devenue plaque incandescente, criblée de moutons bondissants, respirer les odeurs de sel comme un peu de soi, imaginer cette côte encore sauvage, avec les moustiques, les macreuses aux reflets myosotis qui glissent sous leurs flancs le bleu du ciel, les étangs regorgeant d’anguilles, sans le bruit des avions, des voitures et des bateaux à moteur.
Raymond Alcovère, Le Bonheur est un drôle de serpent, roman, Lucie éditions, 2009, extrait
Photo : Eric Frey
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mercredi, 10 avril 2024
Ici, la mer fait l’amour avec la terre
16:38 Publié dans Le Bonheur est un drôle de serpent | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : le bonheur est un drôle de serpent
dimanche, 18 février 2024
A notre première rencontre
18:28 Publié dans Le Bonheur est un drôle de serpent | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : le bonheur est un drôle de serpent, erik witsoe
dimanche, 04 février 2024
Tous ces instants mis bout à bout
18:10 Publié dans Le Bonheur est un drôle de serpent | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : le bonheur est un drôle de serpent
mardi, 22 août 2023
Ici, la mer fait l’amour avec la terre
19:11 Publié dans Le Bonheur est un drôle de serpent | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : le bonheur est un drôle de serpent
mardi, 16 août 2022
Le vent avait forci
17:54 Publié dans Le Bonheur est un drôle de serpent | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : le bonheur est un drôle de serpent
vendredi, 12 août 2022
Une brume opaque
18:53 Publié dans Le Bonheur est un drôle de serpent | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : le bonheur est un drôle de serpent
lundi, 07 mars 2022
Ainsi le ciel
Je fondais mes rêves dans le bleu délavé de l’horizon, l’amas désordonné des nuages et ce bateau qui filait au milieu de tous ces cataclysmes. La pluie au loin traçait un rideau épais, en grandes orgues joufflues gonflées de nuit. Une trépidation de lames. Le ciel, une lutte, un amas de lances, un combat fratricide. Ainsi le ciel. Une symphonie du nouveau monde. Même si c’est vers l’ancien que je me dirigeais. Terrifiante cette immensité sauvage, encore plus que la Sierra, ces vagues dans le désordre de la nuit, remous effrayants, terrifiante et rassurante à la fois avec le bruit continu du bateau, les odeurs de machines, ce bloc de métal monstrueux, fumant et rugissant, traçant son sillon imperturbable à travers les flots déchaînés. Plaisir redoublé par le sentiment de sécurité, sur ce bâtiment sourd aux hurlements de la tempête. Rêvant que mon âme soit pareille, un bloc insubmersible. Tout ce chemin parcouru en si peu de temps. Comme au Mexique, malgré ou à cause de l’absurdité du lieu, je me sentais à ma place, au cœur de cette rhapsodie bleu nuit de la pluie et du vent.
Raymond Alcovère, extrait de "Le bonheur est un drôle de serpent", roman, 2009, éditions Lucie
Photo : Sophie Carr
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mercredi, 09 février 2022
Le grand pow-wow de la lumière
La neige vint cet hiver-là, en brouillard qui apaise les contours. La mer était grise, grise et blanche. Des nuées de mouettes voletaient en rangs serrés au-dessus de l’eau. Quelques pas derrière, les flamants, suspendus, jetaient des taches roses sur le vert des étangs. Je marchais de longues heures jusqu’à la cathédrale de Maguelone. Les étangs offraient leur placidité sauvage, le silence retenu de ce qu’était le rivage autrefois, maintenant oublié, à peine ridé par le vent du Nord. Puis arrivait un soleil éclatant, avec les passants, incongrus, lointains dans ce désordre de couleurs. Le grand pow-wow de la lumière.
Raymond Alcovère, extrait de "Le bonheur est un drôle de serpent", roman, 2009, éditions Lucie
Photo : Ni Houzel Belliappa
09:49 Publié dans Le Bonheur est un drôle de serpent | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : le bonheur est un drôle de serpent
samedi, 23 octobre 2021
Rhapsodie
En attendant je fondais mes rêves dans le bleu délavé du ciel, l’amas désordonné des nuages et ce bateau qui filait sur la mer au milieu de tous ces cataclysmes. La pluie au loin traçait un rideau épais qui s’engouffrait dans de grandes orgues joufflues gonflées de nuit. Une trépidation de lames. L’horizon enflammé de jets saccadés, monstrueux, barbaresques. Le ciel était une lutte, un amas de lances, un combat fratricide. Ainsi était le ciel. Une symphonie du nouveau monde, même si c’est vers l’ancien que je me dirigeais.
C’était terrifiant cette immensité sauvage, encore plus que la Sierra, ces vagues gigantesques dans le désordre de la nuit, ces remous effrayants, terrifiant et rassurant à la fois avec le bruit continu du bateau, les odeurs de machines, ce bloc de métal monstrueux, fumant et rugissant qui traçait son sillon imperturbable à travers les flots déchaînés. Je me prenais à rêver que mon âme était pareille, un bloc insubmersible.
C’était seulement une légère brise pour un marin mais j’assistais à un ballet de fin du monde, à une danse macabre des éléments, plaisir redoublé par le sentiment de sécurité, sur ce bâtiment qui fendait la mer sans peine, sourd aux hurlements de la tempête.
Tout ce chemin parcouru en si peu de temps. Je devais avancer, réfléchir, mais pas tout de suite. Ici et maintenant, comme au Mexique, malgré ou à cause de l’absurdité du lieu, c’était là où je devais être. Respirer plus intensément au milieu de cet océan en furie, au cœur de cette rhapsodie bleu nuit de la pluie et du vent.
Raymond Alcovère, extrait de "Le Bonheur est un drôle de serpent", roman, 2009, Lucie éditions
Nicolas de Staël, 1954
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dimanche, 08 août 2021
Un matin
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dimanche, 10 janvier 2021
Vision des anges déchus
Vision des anges déchus. Une ville solaire, à l’écart des grandes routes du Mexique. Abandonnée de tous, sauf du vent. Et de l’autobus quotidien au départ de la grande ville. Avant, il y avait de l’or, maintenant il reste un hôtel, quelques bars sur la rue principale, des maisons basses. Un soleil âpre et mordant et le vent qui balaie la poussière.
Je suis serveur dans cet hôtel, logé, nourri. Venu ici à cause d’un livre, Sur la route, de Jack Kerouac, et de l’arrivée au Mexique, vers la fin, qui ressemble au paradis. Un jour, j’ai eu envie de partir. J’ai pris le train, le bateau, l’autocar, fait du stop. Comme dans le livre, tout peut arriver et tout arrive d’ailleurs, d’un instant à l’autre, du noir désespoir à des plaisirs fulgurants. Tout ce dont on peut rêver à vingt ans, là, à portée de main. On passe à travers les villes, les pays, comme une étoile filante, de vagues ombres se profilent. On aperçoit des reflets, des lignes se dessinent, furtives. Il est trop tôt pour s’arrêter. On est parti pour savoir comment était fait le destin, en explorer les contours. Le jeu est dangereux mais on ne le sait pas encore, ou on en rêve secrètement.
Raymond Alcovère, Le bonheur est un drôle de serpent, roman, 2009, Lucie éditions, début du texte
Photo de Dave Jordano
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mardi, 08 septembre 2020
Ici, la mer fait l’amour avec la terre
Le vent s’est calmé. Ici, la mer fait l’amour avec la terre, paisiblement. Dans une infinie solitude, gris, bleu et vert sauge. Les plus belles couleurs du monde. Tout est plat à perte de vue. Seule une langue de sable sillonne entre les étangs et la mer. Au bout d’un moment, on ne sait plus où est la terre, où est l’eau.
Un envoûtement rôdait dans l’atmosphère. La matinée avançait. En même temps que des vapeurs de l’air, on se saoulait de mots. Je ne sais pas quand elle commencé, mais elle m’a parlé comme personne ne l’avait fait jusque là. J’aurais juré qu’elle me connaissait mieux que moi-même. D’abord, je n’ai fait qu’écouter, abasourdi. Je voyais de plus en plus distinctement se dévoiler un autre moi auquel je n’avais pas prêté attention.
Je suis tombé dans ses bras. Et la terre entière et le ciel et le vent me sont tombés dans les bras. Il y avait l’horizon immense, nos pieds à peine posés sur le sable, les vagues recroquevillées et leur fracas d’écume. On est restés longtemps enlacés, sans penser, à peine respirer. Ensuite on a marché. Des lumières s’allumaient çà et là. Une brume enveloppait l’espace et nous portait sur un nuage. Un de ces nuages minuscules et de beau temps qui éclairent le ciel parfois, en été. Puis on est rentrés. Au fur et à mesure, les gestes, furtifs d’abord, sont devenus plus incisifs. On cherchait un trésor, et on l’a trouvé. Comme si des milliers de vies nous attendaient, s’il n’y avait plus rien devant, qu’un immense point d’interrogation.
Elle s’est endormie. Je suis sorti fumer une cigarette. Nuit paisible. Un vent coulis glissait entre les maisons. Je le voyais presque, à distinguer l’intérieur des choses. Quand on s’est réveillés, le soleil avait déjà accompli une partie de sa course. L’après-midi s’est écoulé avec lenteur.
Par la fenêtre, le gris du ciel étalé comme une gouache et de temps à autre, un passant. La nuit est venue par mégarde, sans grande différence avec le jour. Nos pas nous ont menés jusqu’à un bar ouvert, au bord du canal. J’ai bu de la bière. Transparent, devenu cette légère euphorie mousseuse, désordonnée mais vivante. Jamais je n’avais eu la sensation d’exister à ce point. Puis, à la manière des lampions de la fête, les lumières se sont éteintes. Au fond, la montagne de Sète figurait une île que des marins à la recherche d’une terre auraient découverte, après de longues recherches infructueuses, balise rassurante. Au retour, la cheminée crépitait dans la maison. Le temps s’obstinait à être uniformément gris. On écoutait Miles Davis. Une moiteur, l’épaisseur de l’atmosphère nous protégeaient de l’extérieur.
Le lendemain, on est allés à Montpellier. Les rues baignaient dans l’humidité, derrière un rideau liquide. La ville se retrempait dans son passé. Les vieux hôtels émergeaient à peine de l’histoire. Elle était là, vivante, ils nous la racontaient, bruissant du cliquetis des armes et du va-et-vient des fantômes. Puis, vers la fin d’après-midi, la ville s’est réveillée de son apathie. À nouveau, la lumière tamisait les pierres. Les jours suivants, le soleil a répandu sa clarté crue. Comme sous un projecteur, les gestes, se sont mis en perspective. Un désir vague mais puissant rôdait. Un moment que rien n’égale, les sens en attente, chaque souffle, chaque mot, débordant d’émotions à peine contenues.
Presque à notre insu, une harmonie s’installait. Inexplicable mais on n’avait pas envie de l’expliquer. Parfois, aux premiers rayons du soleil, j’écoutais Solsbury Hill, puis je sortais jouer avec les perles de l’écume, seul dans la lumière du matin. On a passé trois semaines ensemble, presque sans se quitter, juste avant que je commence à travailler, à réfléchir à ce qui m’attendait, à tout ce que je refusais de voir.
Raymond Alcovère, Le Bonheur est un drôle de serpent, roman, extrait, Lucie éditions, 2009
Photo de Carole Alignan
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samedi, 05 septembre 2020
C’était le mot amour ou une de ses conjugaisons
22:44 Publié dans Le Bonheur est un drôle de serpent | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : le bonheur est un drôle de serpent
vendredi, 04 septembre 2020
La pièce se joue sans nous
21:58 Publié dans Le Bonheur est un drôle de serpent | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : le bonheur est un drôle de serpent
jeudi, 06 août 2020
Ce trouble léger
16:46 Publié dans Le Bonheur est un drôle de serpent | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : le bonheur est un drôle de serpent
jeudi, 14 mai 2020
Blanc, bleu gris, soleil voilé
Blanc, bleu gris, soleil voilé. Un peu plus tard, à Sainte-Marie, au bord de l’Océan Indien. Mer miroitante, bleu plus léger des vagues, ombre du ciel sur la mer. Mes pensées enlacées, nous ne faisons qu’un.
Blanc, bleu gris, presque infini et toujours renouvelé. Tout revient toujours à son point de départ. Aujourd’hui, le vent balaye le monde et disperse la brume. Place à la nouveauté. Une vérité émerge. Je vais rendre les armes. Passer outre.
Le ciel est gris de nuages. L’océan s’en mêle. L’horizon, profond et immense, est subjugué, défait, anéanti.
Je suis heureux, touché par cette éternelle beauté qui affleure partout. Ici au bout du monde, je l’ai trouvée. Je n’ai fait que découvrir des bouts du monde. Ils sont au centre. La vérité toujours dissimulée, y éclate en pleine lumière. À présent, le flux va se dérouler sans hâte. Mon rôle est de raconter. Par le dessin, la peinture. Les rencontres sont métaphysiques et l’art en est une manifestation. Dans le temps.
Le bonheur, la chose la plus étonnante, la plus vraie, arrive quand on ne l’attend plus. Ma mort est là, juste à côté de moi. Tout autour, les anges veillent, j’entends le frôlement de leurs ailes. Ils me disent : repousse-la, envoie-la au diable, qui lui est bien vivant. Tu le peux, la force de résister est inscrite dans tes cellules, au plus profond. Une fois cette certitude acquise, la mort s’effiloche, se dissout, le diable s’effondre dans sa chute.
Les vieux textes indiens ne me quittent plus : « Dès qu’on s’attache au Soi suprême, ne serait-ce qu’un instant, on consume entièrement ses fautes, comme l’étincelle de feu une montagne de bois». Ce Soi suprême, c’est soi et le monde, une seule et même dimension. Tout est fini, c'est-à-dire commence. Me voici débarrassé de mes vieux démons. Chassés les faux prophètes.
« Fini d’être consumés par le feu, nous sommes le feu lui-même ». Là est notre liberté. Feu qui couve et flammes, en même temps.
Au loin passe une voile, grand silence autour, tissé de ces millions de vies, si éloignées de la mienne, et pourtant… Contre la force des vagues, les gestes des piroguiers, immuables. Je suis heureux, là, au milieu de ce royaume de la pluie et du vent, je me revois – et tous les instants sont les mêmes – sur ce cargo au retour du Mexique. J’ai aimé ce navire, la sensation de posséder l’univers entier, accoudé au bastingage, à regarder les reflets changeants de la mer et cette avancée imperturbable du bateau. Et sur cette île battue par les vents, qui n’intéresse personne, je suis plus près d’une certaine vérité, du néant, cette dimension négligée, pourtant si présente.
De temps à autre, un surgissement. Il en est de même dans l’Histoire ; sombre et chaotique, elle s’épanouit en de rares moments, des orgasmes du temps. Parfois un grand artiste, un penseur, un homme politique ou un inventeur de génie apparaît improbable, de même dans nos vies, des instants de grâce.
Pourquoi une histoire ? La rose est sans pourquoi. Le vent s’est calmé. L’Océan Indien est là, il frémit, les vagues frissonnent, caressent la plage, ces millions de grains, coquillages qui lentement s’amenuisent, se dispersent, reviennent. L’histoire s’arrête mais en réalité continue. Je t’ai aimée Laure, et je t’aimerai encore.
« Le fini s’anéantit en présence de l’infini et devient un pur néant ». Où que je sois dans le monde maintenant, je revois cette terre rouge, les montagnes pelées, ces rizières, ces femmes, hommes, enfants, qui suivent inlassablement les zébus, depuis la nuit des temps. Cette terre rouge de Madagascar que j’aimais regarder du ciel. Ainsi je l’avais vue d’avion la première fois, tout droit sortie de mes rêves de gamin.
Parfois rien ne peut m’apporter la paix, seulement ton image Laure, hors de tout désir conscient, et miracle, c’est en rêve que je la trouve. J’ai hâte de dormir pour rêver de toi. Là je caresse tes cheveux sans fin, tu me parles, tes yeux illuminent tout, je bois ton visage. Il rayonne en moi comme partout où ton regard se pose. Tout à l’heure je dormirai et pourvu que je te rejoigne…
Nous serons à Lisbonne, dans les rues sombres descendant vers le Tage, au milieu d’ombres erratiques, avec cette lumière blanche qui baigne la ville et à l’Hôtel Borges on fera l’amour encore, on ne verra pas le soleil mais aucune importance, avec cet air humide qu’on ne trouve que là-bas, les immeubles délabrés, cette atmosphère anglaise et surannée, Fernando Pessoa, son chapeau, son parapluie seul dans la nuit grise, ici on perd tout sentiment de la réalité. L’œuvre de Pessoa est nocturne et je dessine la nuit. Je ne suis allé qu’une fois à Lisbonne mais c’est comme si j’y étais toujours.
Le temps s’y étend, se dissout, on ne voit que le ciel, il habite tout, mêlé de mer, comme à Venise et ce sont peut-être les deux seules villes habitables avec Paris.
Je bois ton regard Laure, me fous du monde entier, si aujourd’hui plus personne n’ose aimer l’autre, ose se nier au point de l’accueillir, quelle importance. Ils ignorent les délices qui les attendent, quand je me noie dans ton sourire si fin et l’harmonie qui s’en dégage, ce ciel au fond de tes yeux, la toile qui accompagnera ma vie jusqu’au bout.
Le réel me faisait peur, je refusais de voir le versant lumineux de ma vie. Il est là, les grands artistes nous le montrent. Ils ont vraiment existé, vécu, aimé, créé, leur art a occupé tout leur être ; Homère, Tchouang-Tseu, Titien, Montaigne, Bach, Mozart, Rimbaud, Cézanne, Nietzsche, ces corps ont engendré ces œuvres, rien n’est plus réel. C’est vers elles qu’il faut se retourner, en permanence. La beauté du monde, cette illumination constante, est sous nos yeux, peu importe les époques. Ces éclairs ont laissé des traces indélébiles, je n’ai qu’un désir, m’y attarder et entrer dans cette gratuité.
Toute ma vie j’ai cherché l’inaccessible étoile, dont tu n’es peut-être, qu’un nom, l’autre visage, bienheureux. Ce visage je l’ai approché, caressé, aimé. Je n’en demande pas plus.
Aujourd’hui du temps est passé et je me laisse peu à peu guider par le vide, source de toute joie. Au-delà d’un certain point, rien n’est plus explicable. J’ai envie de m’allonger près de toi, Laure, sentir ta chaleur et attendre. J’ai tout. Tout.
Tout revient toujours à sa vérité première, pas de fin, éternel recommencement. Demain, je pars pour le Mexique. Lumière d’or. Faire le vide qui est la vie. Frémissante, celle des arbres, de la pluie insistante et d’un éternel soleil. Je me réveille, là, à cet instant, et tout s’illumine.
Raymond Alcovère, extrait du roman "Le bonheur est un drôle de serpent", 2009, Lucie éditions.
Photos : Ni Houzel Bellapia, Eric Frey, Carole Alignan
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samedi, 28 décembre 2019
Un matin
Un matin, dans cet état de béatitude légère et un peu irréelle quand je viens de terminer un dessin dont je ne suis pas trop mécontent, avec cette envie de ne penser à rien, d’écouter les gens parler, leur voix rauque et tous ces siècles d’histoire qu’elles charrient, de regarder le soleil se lever sur la Sierra, le vent soulever la poussière des rues vides, de laisser l’amertume de la bière me brûler la gorge, d’écouter un disque de John Coltrane, bref d’être heureux comme un oiseau au vent du matin - le moment le plus accompli, celui où la fatigue se mêle à l’allégresse, au sentiment d’avoir donné le meilleur de moi-même - il me restait à faire l’ouverture du café avant de me coucher, quand, de son pas léger, la démarche souple, gestes qui coulaient dans l’air, elle est entrée.
Raymond Alcovère, extrait du roman "Le Bonheur est un drôle de serpent",
éditions Lucie, 2009
Photo : Manuel Alvarez Bravo, 1931
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mercredi, 20 novembre 2019
Le Bonheur est un drôle de serpent
Elle s’est installée près d’Argenteuil, début pour nous de fréquents va-et-vient entre Paris et le Midi. Faire l’amour avec elle était comme un diamant noir. Des années après, je me souviens de ses robes fuchsia, leur frôlement sur la peau, les gestes lents ou brusques pour les enlever, la lumière indigo qui tombait le soir sur la maison au bord de l’eau, avec l’odeur de bois vermoulu, l’atmosphère légère et venteuse du bassin parisien. Le désir longtemps aiguillonné, les heures dans le train à penser à elle, le bouillonnement de mon imagination, puis tout devenait simple et banal, d’un calme absolu. Mes angoisses s’envolaient, elle n’avait qu’à faire un geste. Parfois, quand je la voyais arriver sur le quai de la gare, d’un monde étrange, différent, nos univers ne coïncidaient pas tout de suite, les mots ne se trouvaient pas. Puis tout s’ouvrait à nouveau.
Raymond Alcovère, extrait du roman "Le Bonheur est un drôle de serpent",
éditions Lucie, 2009.
Picasso, couple, 1946
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vendredi, 08 mars 2019
Le lendemain, on est allés à Montpellier
Le lendemain, on est allés à Montpellier. Les rues baignaient dans l’humidité, derrière un rideau liquide. La ville se retrempait dans son passé. Les vieux hôtels émergeaient à peine de l’histoire. Elle était là, vivante, ils nous la racontaient, bruissant du cliquetis des armes et du va-et-vient des fantômes. Vers la fin d’après-midi, la ville s’est réveillée de son apathie. À nouveau, la lumière tamisait les pierres. Les jours suivants, le soleil a répandu sa clarté crue. Comme sous un projecteur, les gestes, se sont mis en perspective. Un désir vague mais puissant rôdait. Un moment que rien n’égale, les sens en attente, chaque souffle, chaque mot, débordant d’émotions à peine contenues. Presque à notre insu, une harmonie s’installait. Inexplicable mais on n’avait pas envie de l’expliquer. Parfois, aux premiers rayons du soleil, j’écoutais Solsbury Hill, puis je sortais jouer avec les perles de l’écume, seul dans la lumière du matin. On a passé trois semaines ensemble, presque sans se quitter, juste avant que je commence à travailler, à réfléchir à ce qui m’attendait, à tout ce que je refusais de voir.
Raymond Alcovère, "Le Bonheur est un drôle de serpent", roman, 2009, Lucie éditions, extrait
Photo de Carole Alignan
19:13 Publié dans Le Bonheur est un drôle de serpent | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : le bonheur est un drôle de serpent, carole alignan